Neil Gaiman - Sandman : nuits éternellesVO : Endless Nights. 11ème tome de la fameuse saga qui commence ici, il me semble même ce soit le dernier à lire. J’ai donc pris ce livre comme une sorte de récapitulatif des albums précédents (je n’en avais pas lu le tiers à ce moment), et curieusement le cet opus gagnerait à être lu juste après le premier. Après j’ai enfin su qui était qui de manière claire et les raisons de certains comportements des éternels.

Il était une fois…

Nuits éternelles, c’est la présentation de la petite famille de Dream. Les six autres frères et soeurs sont présents et nous offrent des bribes de leur histoire, ce qu’ils sont, leurs raisons d’être. Chaque chapitre se lit indépendamment et apporte son petit lot d’indices pour comprendre le monde fabuleux de Sandman.

Exceptionnellement je vais pour chaque chapitre résumer très brièvement l’histoire et enchaîner sur la critique, étant donné qu’un illustrateur (vraiment) différent est associé à chaque histoire.

Critique de Sandman : nuits éternelles

Death : le lecteur est invité dans un monde hors de la mort, au sein d’une soirée de type renaissance qui n’en finit pas. Parallèlement un soldat en permission rencontre (à nouveau) death, les deux histoires s’imbriquant sans que j’en dise plus. La mort comme sauveur est un thème plus que récurrent chez Gaiman.

Desire : une femme, dans les temps anciens (moyen-âge dirons nous), apprend à avoir le plus bel homme de la région. Au-delà de la manière dont on peut susciter le désir (notamment en disant non), il y a l’amour, et surtout le décès de son bien aimé. Cet assassinat apporte la vengeance, qui boucle le chapitre puisqu’exercée grâce au désir, encore. Ca peut ressembler à un conte de Grimm non censuré.

Dream : petit raout entre d’illustres personnages, qui tout sont simplement des étoiles, planètes,… personnifiés. Dream en profite pour présenter sa petite amie à sa famille…qui le trompe très vite et ce sans qu’on puisse lui en vouloir. Très beau au final, et surtout on comprend mieux certains passages de déprime dans d’autres tomes.

Despair : le style est différent, puisqu’on est face à des petites histoires, voire quelques phrases, avec un dessin souvent minimaliste. Le désespoir dans tous ses états, des configurations de vie qui montrent jusqu’à quel point on peut toucher le fond. Malgré le glauque des situations exposées, j’ai lu de la vraie poésie, certes difficile à suivre parfois, mais le tout m’a laissé une impression de sublime.

Delirium : j’avoue que j’ai vite laché ce chapitre, ça partait un peu trop dans tous les sens pour Le Tigre qui aime parfois un semblant de cohérence et d’ordre. Delirium est assez illisible, voire fatiguante à suivre, elle doit se reconstruire et pour ça faire appel à d’autres fous, avec des dessins et des cases (il n’y en a pas !) à l’image de leurs cerveaux embrumés.

Destruction:  le plus difficile à saisir concernant la signification, mais le plus captivant. A la suite d’une découverte d’artéfacts venant du futur en Italie, des archéologues s’en chargent et leur environnement devient vite bizarre. Déjà la femme archéologiste était sujette à de troublants cauchemars. Et voilà que débarque Delirium (on la reconnaît aisément) et un de ses frères : honte au Tigre qui n’a pas su au début de qui il s’agissait. Le dessin ici est dans la ligne clair des BD à la belge, ce petit oasis de sobriété fut le bienvenu même si le scénario ne l’est point.

Destiny : un aveugle qui tient un livre, le livre le tient, et dedans tout est écrit. Apothéose de la saga, où l’histoire de l’univers (qui ne se limite en aucun cas à l’Humanité) est déjà écrite. Le seul sachant de ce monde ne peut au premier abord en profiter et est comme prisonnier de cet effrayant pouvoir.

Bref, du très bon qui ecclipse le moins bien, à acheter avec le premier tome avant de s’attaquer aux autres.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les thèmes, plus que nombreux, sont abordés in fine dans la critique. Thèmes chers à Gaiman, néanmoins Le Tigre tente d’en trouver quelques uns annexes.

L’intrigue de Dream, avec son cocufiage de première, me paraît fondamentale sur le pouvoir qu’exerce sur un peuple l’astre qui le surplombe depuis toujours. Imaginez croiser par hasard monsieur Soleil, avec la signification que cela représente si vous admettez que même les religions les plus monothéistes ont intégré certains de ses attributs dans leur doctrine. La copine de Dream succombe alors naturellement : c’est son dieu, son père, l’être nourricier et plus encore qu’elle rencontre.

Le tome, l’ouvrage fondateur qui présente les protagonistes, arrive bien tardivement. Par exemple l’histoire de Dream aurait pu faire mieux comprendre son comportement dans les tomes d’avant. Cela me fait penser au style de narration (cf. chapitre dédié à Death) inversée avec des histoires chronologiquement traitées différemment qui se rejoignent à un moment. Pour faire simple, imaginez le film « mémento » appliqué à la BD.

En plus du dessin, Gaiman (ou du moins les illustrateurs) a eu la bonne idée d’associer une typologie de bulles selon les personnages. Et ce depuis le premier tome. Ce n’est pas dans un Tintin que ça se retrouverait. Du coup, plus besoin de repérer qui parle, le dessin s’efface presque devant les couleurs et le style d’écriture du personnage. Les bulles de Délirium, tout en couleurs arc-en-ciel et écriture bancale et irrégulière, est l’exemple ultime. Ultime car mal de crâne à terme.

…à rapprocher de :

– Sur les autres Sandman lus par Le Tigre et résumés sur QLTL, en vrac il y en a ici, là, encore ici ou de ce côté.

– C’est vraiment marrant l’histoire de Destruction, avec un artefact arrivé de nul part qui sème la panique car annonçant une guerre à venir. C’est tellement proche des Chronolithes, de Robert Charles Wilson, livre réellement humain s’il en est.

Neil Gaiman - Sandman : domaine du rêveVO : Dream Country. Sandman, tome 3. J’ai (bêtement) commencé la série par ce tome, mais ça ne m’a pas empêché de prendre relativement mon pied. Quatre nouvelles, dont deux exceptionnelles, qui offrent au lecteur des bribes de la vie de la famille de Dream. Cette œuvre laisse réellement songeur, et vite comme beaucoup de Gaiman Le Tigre se demande « mais où va-t-il chercher tout ça ? ».

Il était une fois…

Caliopée prisonnière d’un auteur en manque d’inspiration, le rêve de puissance d’un chat, Shakespeare qui joue une de ses pièces devant un parterre de dieux, et enfin l’histoire d’une femme désirant avant tout mourir alors que cela lui est impossible. Quatre histoires, quatre nouvelles qu’on peut lire sans connaître l’univers onirique de Gaiman.

Critique de Sandman : domaine du rêve

Il s’agit du premier contact entre Sandman et le Félin. Pas loin de la révélation même si, sur les quatre nouvelles, hélas seules les deux premières m’ont réellement transporté. On peut donc oublier les deux autres. Notamment « Le rêve de mille chats » qui va ravir les félinophiles (hop, un mot de plus dans le dico).

Ces histoires, qui n’ont aucun rapport entre elles si ce n’est l’aspect « conte » avec morale à la clé et, parfois, l’apparition du fameux Marchand de sable. Celui-ci, un Éternel doté de pouvoirs qu’aucun humain ne peut appréhender, visite de temps à autres (à l’époque qu’il lui sied) les pauvres mortels que nous sommes pour, par exemple, 1/ libérer une muse prisonnière d’un écrivain à succès 2/ inviter ses amis éternels à assister à une petite représentations de théâtre – où certains des hôtes, légendaires, sont représentés dans ladite pièce.

Comme souvent chez Gaiman, le lecteur retrouvera l’inquiétude, le mystère qui plane sans que l’on sache si c’est mauvais ou non pour les protagonistes ; et bien sûr le rapport entre la puissance d’un dieu et le nombre de ses fidèles – nous ne sommes guère loin d’American Gods, du même auteur d’ailleurs.

L’auteur anglais maîtrise toujours aussi bien son sujet, son court roman graphique est à plusieurs titres superbe. En revanche, le félin est toujours moyennement fana des illustrations malgré ses indéniables qualités : le large spectre des couleurs chatoyantes est une vraie gâterie pour les yeux, quelques tableaux d’ensemble méritent qu’on s’y arrête plus de trente secondes,…hélas le trait est parfois approximatif (sûrement pour exciter l’imaginaire et souligner le domaine du rêve) et les dialogues peu lisibles (qu’est-ce que c’est écrit petit) pour jouir pleinement de cet ouvrage. Mais rien de fâcheux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le succès, le processus créatif dans la nouvelle de Caliopée est tout simplement traité avec maelström. L’homme face à la page blanche qui a recourt à l’ignominie (violer une muse, quand même…) pour absolument composer, Sandman lui montrant comment on peut devenir fou à force d’idées (le pauvre homme écrit sur le mur avec ses mains ensanglantées puisqu’à court de stylo).

La poésie est omniprésente, notamment dans « le rêve de mille chats », où les félins aiment à croire qu’ensemble, par leurs rêves ils peuvent reprendre le contrôle de l’humanité. Infiniment juste et crédible lorsqu’on s’intéresse aux félins.

Quant à la représentation théâtrale que Shakespeare donne devant les démons et dieux sujets de sa pièce, on retrouve bien la philosophie anglaise du « globe », où le monde n’est qu’une pièce de théâtre. Par extension, on peut invoquer Guy Debord qui à juste titre nous expliquait que « tout n’est que spectacle » destiné à maintenir un semblant de cohérence et de référentiel connu pour le badaud. Bon là Le Tigre va peut être trop loin, mais c’est Gaiman qui a ouvert les hostilités….

…à rapprocher de :

– Sur les autres Sandman lus par Le Tigre et résumés sur QLTL, en vrac il y en a ici, , encore ici ou de ce côté.

– Le rêve d’un chat m’a fait penser à l’histoire de la ville des chats brièvement racontée dans 1Q84 de Murakami.

American Gods, puisque Le Tigre en parlait. 600 pages, achtung !

– La différence entre un chien et un chat : le premier, vu le traitement qu’il reçoit de ses maîtres (nourriture, soins, protection, amour,…), se dit que ceux-ci doivent être des dieux. Quant au chat, même constat, à la différence qu’il considère que c’est lui le dieu.

Neil Gaiman - Sandman : préludes et nocturnesVO : Preludes and Nocturnes. Achtung ! Pour comprendre le monde onirique et merveilleux du Sandman, il faut absolument commencer par cet épisode, qui en est l’opus fondateur. Pour ceux qui ne savent pas de quoi il s’agit, lisez au moins ce livre, empruntez-le, volez-le, ça ne fait que 200 pages et ça peut vite vous emballer.

Il était une fois…

Le décor est assez simple et Le Tigre ne le répètera qu’une fois : il était une fois la famille des éternels, avec chaque rejeton représentant une caractéristique humaine. Délire, Mort, Destruction, Désespoir, en anglais tous ont pour première lettre le D. Notamment Dream, dit sandman, qui est le régent du monde des rêves et principal protagoniste de la saga qui porte son nom. Dans ce premier tome, souhaitant capturer la mort, une bande d’occultistes amateurs chopent son frère, Dream. Enfermé 70 piges, à sa libération sandman doit récupérer son royaume qui est plus ou moins parti en sucette.

Critique de Sandman : préludes et nocturnes

De la BD qui fait mieux que 95% des romans publiés chaque année, il serait dommage de laisser passer ça. Dans ce tome ce sont les attributs de sa puissance que Dream doit récupérer : masque, bourse, et surtout rubis. Ce qui amène Gaiman à montrer ces objets placés entre de mauvaises mains,

Le Tigre n’est pas fana du dessin qui est très inégal, en revanche le texte est sublime (sans mâcher les mots). De la pure poésie qui parfois échappe à mon esprit trop brut, disons qu’il faut s’accrocher pour apprécier les menus quatrains et autres dessins oniriques qui sont parsemés dans l’ouvrage.

Disons le clairement, Gaiman est un grand malade, il est en orbite depuis un certain moment mais arrive régulièrement à daigner descendre pour établir un scénario qui nous ravit.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les thèmes centraux sont dans tous les sandman à peu près les mêmes, à savoir la membrane fragile entre le rêve et la réalité, la force de l’imagination comme créatrice d’univers. L’homme usé par le rubis de sandman laisse par exemple ses fantasmes prendre vie, et fait d’un bar, d’une bourgade, d’un État un cauchemar comme aucun film d’horreur pourrait imaginer.

La parole occupe ici une certaine place, comme l’illustre le cocasse match de répartie contre un démon en enfer. On dirait un fight de rappeurs sur la côte ouest, avec tous les spectateurs (ici des monstres) scotchés aux lèvres des protagonistes. Celui qui a le dernier mot remporte la partie, et en être à court entraîne des conséquences assez graves. Sympathique.

Le rêve et la mort, intimement liés, malgré la mauvaise presse de la dernière. Comme Mort (sœur de Dream) le rappelle, les hommes ont peur d’elle alors qu’elle est inéluctable, et se jettent sans hésiter dans les bras de morphée alors qu’à chaque fois ils oublient comment ils s’endorment. Pour celui qui a une insomnie, ça peut être déprimant comme point de vue.

…à rapprocher de :

– Sur les autres Sandman lus par Le Tigre et résumés sur QLTL, en vrac il y en a ici, , encore ici ou de ce côté.

– Sur la reconquête de ces objets puissance, Le Tigre pense à tous ces romans de fantasy, à la différence qu’ici c’est cohérent.

Isaac Asimov - La fin de l'éternitéVO : The End of Eternity. Dégoter un petit chef d’œuvre d’Asimov qui ne dépasse pas 500 pages est à la portée de tout le monde. En voici un bel exemple, avec un roman qui aurait pu être une nouvelle. Un one-shot où nul besoin d’être familier de l’auteur, avec des problématiques universelles bien développées et invitant le lecteur curieux à de savantes pensées métaphysiques.

Il était une fois…

L’éternité est une organisation chargée de veiller au maintien de l’Humanité. Comment ? Pouvant remonter le temps, les Éternels (agents de l’éternité dont le protagoniste est un membre) font en sorte que les hommes ne se mettent pas en danger en supprimant toute situation qui peut amener à une catastrophe à terme. Par exemple en empêchant un homme d’assister à un colloque scientifique à partir duquel il aura la pétillante idée de la bombe atomique. Un de ces Éternels, Andrew Harlan, se voit adjoindre une jolie femme dont le but caché ira à l’encontre de son organisation…

Critique de La fin de l’éternité

Reconnaissons à Asimov que ses romans vieillissent plutôt bien. Celui-ci est sobre, voire un peu longuet parfois, mais scien-ti-fi-que-ment bien développé et tout s’enchaîne sans problème particulier. Pour autant que je me souvienne l’histoire d’amour développée a un peu plus mal vieillie, ce n’est pas le fort d’Isaac qui est avant tout un visionnaire de space opéra.

Or ici de space opéra il n’est rien. Seulement une fable sur l’avenir de l’humanité, où le manque d’audace de ses représentants fait de la terre un monde à terme mort. Pour le lecteur empêtré dans le cycle de fondation dont il ne voit pas la fin, se vider l’esprit sur cet ouvrage est tout à fait salutaire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le paradoxe du voyage dans le temps finement résolu par Asimov. Car l’Éternité repose sur une invention majeure qui est la machine à remonter le temps, fruit d’un inventeur génial au cours du siècle dernier. Mais on s’aperçoit au fil des pages que cet inventeur s’est basé sur des calculs qui n’étaient pas censés exister à son époque, forcément il a dû recevoir de l’aide…de quelqu’un qui y a intérêt. Voyez le tableau ?

La structure lourde, hiérarchisée à l’extrême de l’Éternité n’est pas sans rappeler les empires décrits par Asimov où toute initiative humaine audacieuse est réprimée dans l’œuf. A l’heure de la guerre froide, l’auteur ne pouvait s’empêcher de brocarder l’URSS ?

[Attention petit SPOIL]La morale du roman est assez simple et repose sur la science et la découverte spatiale : l’Éternité, en empêchant la colonisation de l’espace, casse le développement de l’Homme qui au final se destine à être infini, et non éternel. En effet la multitude de planètes autorisera celui-ci à faire le con ailleurs et ce de manière quasi illimitée, plutôt que de rester sagement au même endroit sans prendre de risques. [Fin SPOIL] En imaginant les suites du roman, rien ne nous empêche de penser qu’il s’agit d’un prélude à la saga fondation ayant lieu quelques siècles (millénaires plutôt) plus tard.

…à rapprocher de :

– Un autre one-shot de l’auteur est Les Dieux eux-mêmes. Ai eu plus de mal hélas.

– Sur le voyage dans le temps et ses conséquences surprenantes, sans spoil, on peut se référer à Dragon déchu de Peter F. Hamilton.

– Les paradoxes temporels, et moyens d’y remédier, c’est également La Patrouille du temps, de Poul Anderson. Ou Une porte sur l’été, de Robert Heinlein (titre plus mélancolique et moins axé SF).

– Dans le style roman court par Asimov avec petite love story toute désuète, lisons ensemble Les dieux eux-mêmes.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Kem Nunn - Le sabot du diableVO : Dogs of Winter. Il faut avouer que Gallimard se rate rarement sur les jaquettes des Folio Policiers. Toujours significatives. Voici la vague prétexte au présent roman : une photo tant recherchée l’immortalisant, avec un surfeur qu’on devine de renom. La pression autour de l’homme aussi, et la nécessaire fuite en avant pour ne pas se faire couler. Un peu long et moins bon que Le Tigre l’escomptait.

Il était une fois…

Jack Fletcher (nom qui n’a rien à voir avec un certain membre des Depeche Mode) est un photographe de talent qui avait son petit succès. Maintenant qu’il est plus ou moins sur la touche on lui propose de photographier Drew, ancienne grande icône du surf qui a expressément demandé que ce soit Jack qui s’en charge. Bien sûr le spot magnifique où la grande vague est attendue est au fin fond de la Californie, en pleine réserve indienne. Avec les personnages fantasques qui y vont ça va forcément être délicat.

Critique du Sabot du diable

Kem Nunn est décidément bien porté sur le surf. Ce second roman en est une preuve éclatante : le vocabulaire, l’ambiance, la philosophie du surf sont poussés très loin dans cet ouvrage. Si on rajoute la misère des Indiens de Californie du Nord, un peu de magie (noire et blanche), un spot légendaire et quasiment introuvable avec des vagues de quinze mètres pas étonnant qu’on arrive à 500 pages au final.

Le Tigre était un peu confus au début, j’ai mis un certain temps avant de m’approprier les personnages, sentir l’ambiance, différencier les lieux et enjeux. Puis à force je m’y suis fait, les qualités de narration (et description) de Nunn restent assez plaisantes.Les 100 dernières pages peuvent être un peu poussives, tout comme les premières où il n’est pas impossible de lâcher. Les personnages sont bien construits : un photographe un peu paumé qui est un peu dépassé, surtout quand on voit les dégâts que la virée pour une misérable photo provoque ; un vieux surfeur, absorbé par sa tâche et jouissant d’un charisme et d’une aura de « sage » pas forcément justifiée.

Si on rajoute une femme un peu jetée, cet ouvrage semble quand même plus abouti et mature de la part de cet auteur : plus long, plus profond, plus contemplatif grâce à des situations sociologiques assez difficiles mais pour lesquelles le lecteur peut avoir son avis. Paradoxalement, plus décevant que Surf City, dans la mesure où on s’éloigne du polar pur (moins de morts, pas de tueurs) pour lire un « roman d’épreuves », un parcours que les protagonistes ne voulaient pas et n’imaginaient même pas.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les Indiens occupent une place déterminante dans le déroulement de l’intrigue. Parce que voulant passer vers le spot par la mer, les compères font appel à des locaux qui connaissent bien les courants. Hélas un des jeunes indiens meurt, et cela rend plutôt colère le reste de la troupe. Mais derrière des escarmouches de part et d’autre Kem Nunn nous présente surtout la misère de ce peuple, parqué dans des endroits pas possibles et sans espoir d’évolution. Alcool, drogues, pauvreté, ce quotidien n’est ici pas présenté comme un cliché, seulement des faits bruts, tels que découverts par les surfeurs.

La nature, encore et toujours, sous le prisme d’une quête, le surf d’une vague légendaire. D’ailleurs Le Tigre a cherché Hearts Attack, Devil’s Hoof sur internet, il n’y a rien ! En tout cas si l’activité du surf n’est pas omniprésente, les longues randonnées dans la nature sont magnifiquement rendues. Surtout la douleur des gens non préparés à de tels voyages, alors en ajoutant la peur d’une poursuite, on peut se surprendre à angoisser pour nos héros.

Enfin, le lecteur se voit offrir une belle leçon de détermination. Drew veut absolument qu’on immortalise sa glisse, et il ne pense à rien d’autre. Que l’atmosphère devienne menaçante (que ce soit le temps ou les gens), ou que ses proches soient mis en danger, rien ne l’arrête. La détermination d’un être buté, qui du haut de sa sagesse semble surtout être un grand malade : auréolé de sa gloire passée, vivant plus ou moins en ermite, l’homme est présenté comme un personnage finement complexe et doté d’un certain magnétisme animal. Le surf étant sa vie, persuadé qu’il a devant lui la dernière occasion de faire quelque chose de grand, il s’emballe. Remplacez surf par un autre terme, on a des exemples à la pelle.

…à rapprocher de :

– Pour le surf, ça vaut le coup de lire le premier roman de Kem chez Folio, que Le Tigre a plus apprécié.

– Le surf à l’honneur, c’est surtout Respire, de Tim Winton. Attention, pépite littéraire.

– Dans l’esprit « indien », même teinté de new age, reportons nous ensemble sur Kangouroad Movie, d’A.D.G.

– Pour en apprendre plus sur la difficulté d’être un Indien d’Amérique (notamment les lois d’assimilation canadiennes), il y a le très troublant Anima de Mouawad.

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Haruki Murakami - 1Q84 Trilogie 1VO : Ichi-kyū-hachi-yon. Le Tigre valide l’emballement autour de cette œuvre. Pour peu qu’on accepte d’accompagner l’auteur dans ses endroits fantastiques, on peut passer un bon moment (même si la fin est poussive). Pour des raisons pratiques je résume en un seul poste l’intégralité de la trilogie, puisque à part les synopsis mes commentaires sont les mêmes.

Il était une fois…

Résumé de 1Q84 Livre 1

Alternance binaire dans les chapitres entre deux personnages, dont les liens sont révélés au fur et à mesure. Aomamé d’une part, tueuse de qualité qui mène une vie à la fois saine et décalée, éliminant les virils nuisibles du Japon. Tengo, professeur d’Anglais romancier à ses heures perdues, avec une vie bien rangée aux côtés de sa maîtresse hebdomadaire. Ces deux personnes vont être plongées dans quelque chose de grand, qui les dépasse, où se mêlent sexe, religion, folie, violence,…

Résumé de 1Q84 Livre 2

Haruki Murakami - 1Q84 Trilogie 2Une suite tout aussi prenante que le 1er tome, un régal. L’aventure se poursuit, Aoname doit tuer le leader de la secte aux mœurs particulières, Tengo gérer la jeune romancière et renouer (enfin tenter) avec son père, tandis qu’on en apprend un peu plus, mais de manière toujours insuffisante, sur le pourquoi et le comment de 1Q84. La mission d’Aoname concernant le leader est très bien rendue, avec quelques révélations qui plus tard vont s’étayer goutte à goutte. Même nombre de pages, mais écrit en plus gros caractères, ça se lit donc plutôt vite.

Résumé de 1Q84 Livre 3

Haruki Murakami - 1Q84 Trilogie 3Dernier opus donc, avec l’introduction d’un nouveau narrateur, détective privé engagé par les Précurseurs pour retrouver Aonamé. Le père de Tengo, finalement décédé, hante les redevables à la taxe en tant que récepteur des impôts. N’attendez pas de moi que je spoile, de toute façon il n’y a rien qui est totalement divulgué à la fin.

Critique de 1Q84 Trilogie

Cela fait déjà quelques années que j’enchaîne les livres de Murakami (Ruy ou Haruki). Dès que j’ai vu le 1er tome de cette trilogie sortir, je me suis juré d’attendre d’avoir les trois dans une seule main avant de tout lire, à raison d’un tome tous les cinq jours. Mission accomplie.

Je ne comprends pas pourquoi Murakami n’a pas le prix nobel (nous sommes en 2012). Ou alors la traduction est sublime, ce qui mérite d’être rapporté. 1Q84, c’est 1984 qui part en sucette, Q pour Question, questions légitimes lorsqu’il y a deux lunes dans le ciel, un leader d’une secte qui fait n’importe quoi, une fille dyslexique qui ex nihilo raconte une histoire qui va devenir un best seller, des souvenirs de part et d’autre confus où la réalité et le quatrième mur de l’écrivain se brisent tranquillement.

Car l’auteur parvient à me faire douter du but de ce livre, dont le 1er tome ne contient aucune longueur, où tout est amené intelligemment et hop ! on est prisonnier de son monde, son délire. Les questions toujours laissées en suspens obligent à lire la suite, sans qu’on puisse imaginer une seule fois un quelconque rapport avec 1984 d’Orwell tellement Haruki est plus déjanté.

Le deuxième tome continue sur une très bonne lancée, néanmoins sur la fin on commence à fatiguer un peu malgré les rebondissements et les passages réellement poétiques (la ville des chats par exemple) du livre 2.

Hélas lors de la lecture du troisième livre je n’avais qu’une envie, que ça se termine. A 100 pages du dernier chapitre, Murakami prend son temps, rien ne presse dans son style alors qu’il est censé clôturer sa saga. Seulement sur les derniers chapitres, on sentirait presque la même volonté de l’auteur de finir ce roman que nous d’en finir, et le terme laisse un arrière goût d’inachevé.

En fin de compte avoir lu plus de 1300 pages de cet auteur n’est pas une perte de temps, même s’il faut parfois préférer certains one shots plus accessibles, surtout si on commence à lire ses ouvrages.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Fidèle à son style et ses thèmes de prédilection, c’est de la bonne fantasy que nous livre Murakami. Rien à voir avec de pauvres récits avec des elfes et autres conneries, ici le monde se dérobe discrètement mais durablement. De la fantasy à partir du monde réel, un peu à la Neil Gaiman, rien de mieux pour accrocher le lecteur.

Ce monde fantastique est léger (pas énormément de changements en fait), sans bouleversement géopolitique majeur, seulement les protagonistes (et le lecteur) pris au piège.

Le sexe, plus ou moins présent, Le Tigre était à deux doigts de rajouter le tag « érotisme » à cette saga, mais ça aurait éclipsé les autres contenus, plus prégnants. Murakami se débrouille pas trop mal pour expliquer la chose, et ne s’y attarde pas plus bien que ça occupe parfois une place centrale dans l’intrigue.

Le Japon a toujours été en proie à des sectes les plus terribles, cf. Aoum. La puissance de ces organisations, leurs actes pas toujours répréhensibles, leur culte du secret et de la personnalité, on découvre ces aspects avec une intimité toute déconcertante.

…à rapprocher de :

– Les autres ouvrages de Murakami, notamment La course au mouton sauvage (plus court et sympa) ou Les amants du Spoutnik. Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, moins fantastique, tout aussi bon.

Quant aux nouvelles, on me signale Après le tremblement de terre et L’éléphant s’évapore. Les deux recueils sont corrects, le second peut-être plus complet.

– Le Japon, un assassin professionnel, la solitude,…wait…mais oui ! Dans un mode plus « thriller », c’est la fameuse saga de Barry Eisler qui commence par La chute de John Rain.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette trilogie via Amazon : premier, deuxième et troisième livres (en format poche, contrairement au Tigre qui n’a pu attendre).

Emmanuel Carrère - LimonovUn auteur que j’apprécie, un titre simple, un personnage que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, une excellente idée de cadeau qu’on m’a fait. Lu en un peu moins d’une semaine, il faut dire que je me suis régalé : c’est quasiment un documentaire sur la Russie de ces dernières décennies que nous offre Emmanuel, et ce livre constitue une excellente base pour comprendre ce qu’on nomme « l’âme russe ».

Il était une fois…

L’histoire de Limonov, ni plus ni moins. Le 4ème de couv’ résume tout et rien à la fois : par quelques interviews, avec parfois les descriptions des conditions des rencontres avec Limonov, Carrère expose le parcours hors du commun de ce personnage qui en ce moment est allègrement lancé en politique contre Poutine.

Critique de Limonov

Pas si long que ça en a l’air en fait ! Dense et intéressant, une vraie aventure. Emmanuel Carrère est un grand conteur, et grâce à sa famille (merci môman) il a pu avoir matière à raconter. Je vais donc m’attarder sur les 2-3 choses qui m’ont le plus plu :

La simplicité, déjà, de la narration, malgré un vocabulaire plutôt riche. Un auteur français, ça se lit quand même plus facilement qu’une traduction, aussi géniale soit-elle (et c’est bien dommage quelque part). Une telle qualité de développements sur la Russie par un Français, ça fait réellement plaisir.

Ensuite, la manière dont Carrère parvient à nous entraîner dans le monde de Limonov, rappeler l’ambiance du moment, planter quelques rappels sociologiques ou historiques, et surtout paraître donner les faits bruts, sans réellement donner son avis, un jugement, voire nous laisser avoir notre propre jugement.

Corolaire de la partie précédente, c’est tout le contexte historique, l’histoire de l’Europe des années 30-40 à 2010, qui s’insère tout tout naturellement dans l’épopée d’un homme.

Enfin, réussir à pondre près de 500 pages sans qu’une seule fois Le Tigre s’ennuie, c’est beau. Surtout de la part de Carrère qui plutôt relate des faits divers dans de bons livres qui rarement dépassent 300 pages.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’épopée d’un pays par la biographie d’un homme d’exception, Carrère l’a réussie. Entre considérations géopolitiques et anecdotes personnelles, tout n’est qu’équilibre avec une écriture aisée et complète.

La Russie, l’énigme dans une boîte à mystère (Churchill), n’en finit pas d’être incomprise en Occident. Limonov lève quelques voiles, remercions le pour ça au moins.

J’ai redécouvert la frustration russe de la dénaturation de la ‘grande guerre patriotique’, la chute de l’URSS, la bêtise ambiante à toute époque, les gens hors du commun, et le malheur des hommes qui n’en finit pas. Dans ce cas, les Russes semblent particulièrement bien vernis, et on voit bien les différences de leur état d’esprit par rapport à l’UE, l’Occident.

…à rapprocher de :

– D’Emmanuel Carrère, disons que Le Tigre a dévoré pas mal de romans : L’Adversaire (mouais) ; La Classe de neige (presque incontournable hélas), etc.

– Pour comprendre encore mieux la Russie, notamment le trauma de la disparition de l’URSS, qui a tout de même vaincu le nazisme, lisons ensemble Que reste-t-il de notre victoire ?, de Natalia Narotchniskaia.

– Dans la même veine sur la Russie, avec un auteur facile à lire et instructif, je vous renvoie à Une exécution ordinaire de Marc Dugain.

– Un roman « générationnel », avec quelques passages sur les atrocités communistes (il n’est pas d’autres termes), c’est aussi Le club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia. Ou La vie rêvée d’Ernesto G., bien meilleur roman.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Paul Pope - EscapoVO : idem. Paul Pope, connais pas. Ça ne me disait rien, ça se passe dans le monde du cirque et c’est un one shot, donc pas besoin d’acquérir sept ouvrages du même cru pour connaître le fin de mot de l’histoire. Bilan mitigé, claque visuelle mais histoire un peu short. Le Tigre a donc inauguré avec Escapo un nouveau genre, le « SOS » : short one shot.

Il était une fois…

Escapo travaille dans un cirque, chaque soir il s’échappe d’imposantes constructions faites de pièges pour le grand bonheur de son public. Forcément amoureux d’une femme de son entourage, qu’il ne peut hélas posséder, il penche vers le suicide, l’alliance avec la mort et le désespoir. Arrivera-t-il à s’échapper aux pièges qu’il s’impose ?

Critique de Escapo

Mouais mouais mouais. Je ne me souviens plus vraiment pourquoi j’avais acheté ce comics. Sans doute un ami me l’a-t-il conseillé, qu’avais-je à perdre sinon une dizaine d’euros ? Le dessin est très intéressant : du noir & blanc, du mouvement, des débordements de partout qui font de ce livre un mélange de roman graphique, de manga et de BD européenne (sur l’introspection du héros notamment).

Quant à l’histoire, celle-ci ressemble surtout à un petit conte, d’où la déception relative du Tigre qui a terminé en 15 minutes, un euro par minute ! Il n’y a même pas de suite, j’aurais crié au scandale si ce n’était pas aussi concis et sans fioritures.

Car au final c’est l’imagination de l’homme désespéré qui fait de ce roman graphique un bel exercice de style assez rare dans ma bibliothèque. Sans doute Le Tigre, pas assez magnanime, n’a pas eu la patience d’apprécier le titre comme il se doit.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’amour, la mort toujours ! La réification de la mort, rien que par le masque du personnage principal, m’a fait penser à l’excellent Baron Samedi, qui est bien plus sombre et dérangeant. En tout cas, cette dernière va en faire voir des vertes et des pas mûres au héros, en lui faisant passer des tests dont on se demande s’ils se trouvent dans la réalité ou l’esprit du protagoniste.

Le monde du cirque, qui est avant tout un environnement magique, garde dans cette œuvre son côté onirique, concentré sur lui même où les spectateurs sont quasiment absents. Un certain nombrilisme qui sied sans doute à l’effort de concentration nécessaire à tout bon évasionniste (en considérant que ce mot existe).

…à rapprocher de :

– Le noir et blanc, le minimalisme dans les dialogues n’est pas sans me rappeler Silence, de Comès.

– Pas grand chose assez proche sinon, tellement c’est à part. J’attends votre aide !

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré sur Amazon ici.

Gaiman & Kubert - Batman : Qu'est-il arrivé au chevalier noir ?VO : Whatever happened to the caped crusader ? Gaiman fait du Batman. Vite voyons voir ! Et encore une fois je n’ai pas été déçu, du moins sur la première partie de l’ouvrage. Car j’ai trouvé, sous couvert d’oraisons funèbres successives, un vibrant hommage au chevalier noir, avec les interventions souvent novatrices de ses proches. A lire sans hésiter, même si l’album, assez court, est bien cher.

Il était une fois…

Batman est décédé (enfin, diront certains). Son corps repose dans un cercueil au fond d’un bâtiment où vont se retrouver ses alliés et ennemis. L’occasion pour tous de parler du Bat, de leur relation avec lui, mais aussi d’eux-mêmes. Du joker à Alfred, en passant par Catwoman, Robin, et d’autres que je connaissais pas forcément, tous y vont de leurs anecdotes, visions de leur combat, avec quelques belles surprises.

Critique de Batman : Qu’est-il arrivé au chevalier noir ?

Avant de commencer, j’avoue n’avoir lu que la première partie, l’histoire à l’origine du titre. Donc rien ici sur la suite du comics, j’étais tellement ébloui que je me suis arrêté là pour ne pas être déçu. A tort peut-être.

Le dessin, sans être époustouflant, tient à peu près la route. Les visages, leurs expressions sont bien rendus, ce qui au final me semble le plus important. Mais c’est le pouvoir de narration de Gaiman qui fait le gros du boulot, et de ce côté rien à redire.

Déjà au début le joker qui laisse un gamin garder sa caisse est amusant au possible (le pauvre voiturier qui sait que quoi qu’il fasse il se fera tuer), ensuite Alfred qui explique se déguiser en ce même joker pour aider Bruce à surmonter sa dépression est édifiant, chacun y va de son délire et ça rend le récit plus que rafraîchissant.

La fin est à mon sens légèrement scandaleuse, disons que les sandman de Gaiman reprennent temporairement le dessus, et tout va sens dessous-dessous pour une reprise à zéro du chevalier noir. Bref, un ouvrage qu’on peut acheter les yeux fermés, et nul besoin d’être un aficionado du monde batmanesque pour apprécier ce récit.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’amour, la mort (pour paraphraser Dan Simmons). Ce ne sont pas des oraisons funèbres, mais des déclarations d’amour même de la part de ses pires ennemis ! L’homme chauve-souris est mis à nu, et le décès de quelqu’un en général peut faire l’objet de grandioses histoires grâce à ses proches (cf. Le seigneur des porcheries d’Egolf).

La double narration, puisqu’en plus des amis/ennemis narrateurs, Bruce (son âme du moins) analyse ce qui se dit, sa propre version faisant surimpression sur celles des autres. La vérité, le fantasme, l’illusion, le lecteur s’y perd au final comme dans tout récit de Gaiman qui mêle rêve et réalité avec allégresse.

La fin de l’histoire rappelle que les super-héros ne meurent jamais, tout n’est qu’histoires, nouvelles versions et reprises sans fin. Rien à voir avec les héros français, où il ne viendrait à l’idée de personne de repenser Astérix par exemple. La mort de batman n’est que le prétexte à tout recommencer, avec les spécificités de chaque époque (voir par exemple Gotham au XIXème siècle). On n’est pas loin non plus de la fin de la Tour sombre, du génial Stephen King, qui laisse ouvert un recommencement éternel.

…à rapprocher de :

Superman red son, concernant un superhéros dans une histoire originale, et surtout la typologie de la fin. Voire Silver Surfer : Requiem, avec un décès fort touchant (version Marvel).

Batman : Noël, de Lee Bermejo, s’intéresse également à la mythologie du Bat sous les traits de Dickens.

– Concernant une autre version de la naissance du Joker, il y a The Killing Joke du mythique Alan Moore.

– Gaiman et Kubert ont aussi imaginé d’autres héros avec Marvel 1602. Le Tigre a peu goûté à ces volumes et préfère Batman : Gotham au 19ème siècle d’autres auteurs.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Mark Millar - Superman Red SonJamais lu de superman auparavant, trop de héros dans les comics aussi je préfère me concentrer sur deux ou trois. Donc son histoire, ses films, à part Smallville (1ère saison seulement hein) je ne connais rien… Et là j’ai adoré. Pour toute personne qui a une idée vague de qui est ce personnage, ce comics est parfait et peut constituer le seul dédié au héros dans votre bibliothèque.

Il était une fois…

La capsule de superman, au lieu de s’écraser bêtement au milieu de nulle part aux Etats-Unis, a décidé ici de le faire en URSS, juste après la seconde guerre mondiale. Qu’advient-il concernant l’état du monde? On prend les mêmes et on refait tout : Lex Luthor devient plus ou moins le héros de l’ouvrage ; Superman, aidé par un ET verdâtre, fait de l’URSS son paradis, avec ses travers bien amplifiés. Les States, parallèlement, partent en quenouille et une guerre civile n’est pas loin. Luthor redresse la barre et par sa seule intelligence met finalement en échec le Red Son.

Critique de Superman Red Son

Mark Millar, une fois n’étant pas coutume, place la barre très haut. Un travail d’imagination phénoménal : créer un monde sous domination soviétique totale, à part une portion des États-Unis qui résiste tant bien que mal, repenser le rôle des protagonistes habituels, impliquer Staline et sa clique, chapeau !

Brainiac, les green lanterns, une super héroïne dont je n’avais jamais entendu parler, Le Tigre n’est pas du tout connaisseur de certains protagonistes. Heureusement cela ne gâche pas la lecture de l’œuvre, qui même en Anglais reste abordable.

Le dessin, plutôt ligne clair, illustre parfaitement l’histoire. Couleurs plutôt sombres, le rouge et le noir omniprésents rappellent forcément la rébellion des héros et l’environnement totalitaire.

Quant à la fin, après le happy ending bien sûr, l’auteur se fait plaisir et surtout nous fait plaisir, en produisant un auto référencement puissant et en bouclant l’histoire très élégamment. De la poésie dans un superman, c’est possible.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’URSS en pleine puissance, qui « aspire » superman et en fait un homme de pouvoir, représente un état totalitaire où tout le monde est heureux (on lobotomise les récalcitrants, ça aide). Vision d’un monde sombre, terne mais apaisé, assez crédible en fait.

D’où l’apologie du libre arbitre voire de la libre concurrence (même par la guerre) qui repoussent l’ingéniosité humaine. Lex Luthor en est le chantre, et seul arrive à redresser un micro état envers et contre tous. Superman, superprotecteur, trop même, n’est plus qu’un instrument idéologique qui le dépasse. A ce titre, la phrase finale de Lex Luthor contre superman est superbe et résume parfaitement l’ouvrage. 

Mais c’est surtout le noble art de l’uchronie qui est mis en œuvre par Millar de manière assez convaincante. Bon d’accord, l’uchronie à partir de la fiction qu’est superman, ce n’est pas vraiment dans la définition de ce terme, il n’empêche que l’effort d’imagination sur les conséquences politiques et sociales au niveau de la planète mérite d’être salué.

…à rapprocher de :

– De Millar, vous avez le droit de ne pas lire Kingsman : Services secrets.

– Autre comics qui a entièrement repensé Superman lu par Le Tigre est All-Star Superman de Grant Morrison.

– Sinon, Superman : Les Origines de Waid & Yu est passable. Sans plus.

– La capsule qui s’écrase en Russie soviétique plutôt qu’au pays de l’Oncle Sam me fait penser à la blague de Coluche : « qui est l’homme le moins chanceux au monde? Youri Gagarine : le mec s’envole d’URSS, fait une dizaine de fois le tour de la terre, et…atterrit en URSS »

– Dans le style déjanté et apportant un autre regard sur les superheros,  Batman de Neil Gaiman. Même fin un peu borderline, sans spoiler.

– Sur l’aspect « libérez l’humanité de ses carcans », on peut penser à La fin de l’éternité d’Asimov.

Enfin, si vous n’avez pas de librairie à proximité, vous pouvez trouver ce comics (en VF) en ligne ici.

John Irving - La quatrième mainVO : The Fourth Hand. Deuxième livre lu d’Irving, Le Tigre espérait continuer sur la bonne lancée du premier. Écrit au début des années 2000, trente ans séparent les deux romans que j’ai enchaînés. Disons qu’il y a eu petite déception, à moins que je m’attendisse (ça passe là ?) à quelque chose de plus grand. Titre amusant et résumant bien le roman au moins.

Il était une fois…

Patrick Wallingfort est journaliste. Lors d’un reportage en Inde il se fait arracher la main droite (il est gaucher, ouf) en direct. Depuis il est « l’homme catastrophe ». Un médecin particulier, le docteur Zajac, lui offre la possibilité de se faire greffer une main, issue d’un homme décédé un peu connement. A partir de là, la vie de Patrick, déjà bien embrouillée, va se compliquer : la femme du donneur d’organes veut un gosse de lui, il n’arrête toujours pas de courir les femmes, tout le monde reconnaît « l’homme aux lions », sa greffe plante, etc.

Critique de La quatrième main

Autant le dire tout de suite, après 30 ans de bons et loyaux services, Le Tigre attendait un peu mieux d’Irving. Les ingrédients du succès du premier roman lu sont certes présents, mais très peu d’évolution dans le style parfois encombré. Quelques passages sont encore ennuyeux hélas, même s’il y a de très bonnes choses.

Les personnages, d’abord, semblent encore plus déjantés que d’habitude. Et terriblement crédibles à la fois. Le protagoniste principal déjà, tout une histoire. Mais surtout les petits à côtés : un docteur anorexique aux hobbies particuliers, sa gouvernante métamorphosée par amour, une femme qui fantasme sur la main de son mari (et reporte une petite part de son amour sur le journaliste), une maquilleuse chewing-gumée qui manque de s’étouffer en plein acte sexuel, un homme qui illustre le danger des armes à feu. Tout ce beau monde contribue à créer un univers à fort potentiel humoristique.

Ensuite l’humour. De jolies saillies qui nous tirent un rictus de temps à autre, mais c’est trop rare pour un livre de cette taille.Et comme Irving, à part ses les talents de conteur et de « dresseur de portrait », n’apporte pas grand chose d’autre, on peut se surprendre à souhaiter que les 100 dernières pages finissent plus vite. La fin, qui se termine toujours bien avec Irving, est passablement ennuyeuse, à moins qu’il ne s’agisse du retour (enfin) à la normale du héros qui va vivre pépère avec femme et enfant.

Entre l’humour délirant d’un Self, Welsh ou encore Sharpe, et les talents d’écriture d’un Updike, Irving paraît peu trouver sa place. Au final Le Tigre va sûrement continuer à lire de cet écrivain, mais sans plus de convictions.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’amour encore, le sexe aussi. La relation aux femmes de Patrick est le point central du roman. Tantôt c’est pour lui le coup d’un soir, sentiment non partagé par une femme sur le point d’être amoureuse ; sinon c’est la femme qui porte son enfant (au nom de son défunt époux) dont il devient accroc. Ou alors une femme ayant l’âge de sa mère qui ravive sa sexualité avec lui au Japon. John Irving présente de nombreuses situations, et parvient à bien expliquer les tenants et aboutissants de ce qu’il créé. De la bonne cohérence.

Le politiquement incorrect fait enfin quelques apparitions bienvenues. Je pense notamment à Mary et Patrick qui cherchent le moyen de faire virer ce dernier. Hélas certaines de ces idées (par exemple harceler une collègue) n’ont pas les effets escomptés. Assez corrosif pour un roman de ce type.

Comme dans d’autres romans, le titre prend sa signification vers la fin de l’ouvrage, grâce à la femme qu’il aime, et résume les vies du protagoniste : la deuxième main (on ne parle pas de la première, qui est normale) correspond à sa vie d’avant l’accident, la troisième est le passage fort mouvementé pendant la greffe, la quatrième étant enfin le moignon avec lequel il coulera le reste de ses jours heureux. Pas loin des quatre saisons en fait !

…à rapprocher de :

 – En parlant de docteur un peu jeté qui a une vie et une pratique peu orthodoxes, lisons Dr Mukti du très britannique mais néanmoins grand Will Self.

– Lisons également, rien que pour le capital sympathie auprès des femmes du héros, quelques ouvrages de Daniel Pennac (je pense au sieur Mallaussène).

La petite amie imaginaire, biographie d’Irving, est intéressante quoique décevante.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

John Irving - L'épopée du buveau d'eauVO : The Water-Method Man. Autant commencer par un des premiers romans de cet auteur plutôt bien coté. Écrit au début des années 70, cette épopée vieillit plutôt bien et offre un premier contact séduisant, même si j’ai parfois lâché à cause d’une narration à la chronologie hasardeuse.

Il était une fois…

Fred Trumper, de son surnom « Bogus » ou encore « Trump-trump », est un glandeur de premier ordre sujet à des désordres qui se situent sous la ceinture (des restes de vérole apparemment). Vivant avec une charmante jeune femme, Tulpen, et autrefois en couple avec une ancienne championne de ski avec qui il a un enfant, Trumper vivote depuis que son père a coupé les liens et n’arrive pas à finir sa thèse qui consiste en une traduction d’un vieil ouvrage improbable. C’est sa vie de ses vingt à trente ans que le lecteur suit, une existence sous le sceau de la médiocrité. Va-t-il dépasser cette condition?

Critique de L’épopée du buveau d’eau

Enfin je me décide à lire du John Irving, que j’associais je ne sais pas pourquoi aux grands pontes de la littérature américaine d’après guerre, dans la veine d’un Updike (ils partagent le même prénom, je suis facilement influençable).

Ce premier contact fut tout à fait correct. Un ouvrage qui a plus de quatre décennies d’ancienneté, ça aurait pu être bien pire. Remercions l’édition française qui a découvert l’ouvrage tardivement et a pu composer une traduction encore jeune. A ce titre ça fait peur comment de tels bouquins ont pu être laissés au pays sans qu’une personne en France ne se décide à le faire traduire et publier.

L’histoire est assez basique, on se contente de suivre le protagoniste dans sa recherche de l’amour, du succès voire de la réconciliation (avec sa famille, son ex-copine, certains de ses amis). Gravitant autour de cet antihéros Irving nous livre des personnages hauts en couleur qui sont fort crédibles et certains sont bien barrés, ce qui apporte une touche de fantaisie bienvenue. Parallèlement la traduction de la thèse de Bogus offre des moments de franche rigolade.

Le style d’Irving est relativement plaisant, avec des fulgurances d’humour que Le Tigre n’a pas vues arriver. Néanmoins d’une part il existe quelques longueurs et il n’est pas exclu de lâcher le fil de temps en temps, sans que ce soit préjudiciable pour la compréhension de l’oeuvre ; d’autre part les chapitres ne se suivent pas forcément de manière chronologique, on peut revenir cinq années en arrière sans que ce soit évident à saisir dès le début. Heureusement tout se remet vite en place, le nombre limité de protagonistes aidant.

430 pages c’est sans doute un peu trop, disons qu’il faut lire assez vite le mini pavé pour ne pas perdre pied et subir les longs chapitres que l’auteur a écrits.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce livre me semble un roman d’apprentissage avant tout, où Trumper cherche à se libérer de sa jeunesse (son problème de santé et l’indépendance financière vis-à-vis du père). Car le héros est devenu père trop tôt, et sa relation aux femmes en général vire à l’aigre. Il se cherche entre ses différentes activités, dont certaines sont peu reluisantes : les passages en tant que vendeur de badges pendant les matchs de foot valent le coup d’être relus.

La création artistique dans tous ses états est surreprésentée : Ralph, ami de Trump, se targue de vouloir faire de son ami le sujet principal d’un film. Incompris voire franchement mauvais (ses antécédents sont fâcheux), le film contre toute attente devient un succès underground. La création la plus drôle reste la thèse du héros, qui est la traduction d’un ouvrage nullissime écrit dans une vieille langue nordique que personne ne comprend. Trump s’en donne à coeur joie et ré-invente le tout, traduit à sa sauce les strophes inintéressantes de la saga nordique et nous livre quelques extraits édifiants. Tout ça sous l’œil admiratif de son directeur de thèse qui ne mesure pas l’étendue de l’escroquerie intellectuelle. On retrouve l’art subtil du pipeautage, créer un rapport ex nihilo ou fabuler ses activités comme le ferait l’ami diabétique de Bogus.

Au final, Trump se redresse et commence à écrire son histoire, et les premières lignes jetées sont celles du début du roman.

L’amitié et l’amour occupent une place plus correcte, avec la question de savoir si l’un ou l’autre peut prendre le dessus. Restant plus ou moins en contact avec son ex, Trump souffre de se voir éloigner de son fils à qui il a peur de ne plus rien avoir à dire. Quant à son ami diabétique, Trump ne peut suivre éternellement ses pérégrinations délirantes en Europe et tente tant bien que mal à le sauver. A ce titre le dernier chapitre, sorte de fusion entre les thèmes, n’apporte pas de réponse claire si ce n’est que le héros semble mieux parti dans la vie.

…à rapprocher de :

– Le roman dans le roman, mise en abîme discrète peut se retrouver dans Vers chez les blancs, de Djian.

– La création cinématographique assez bien expliquée se retrouve chez Paul Auster dans Le livre des illusions.

La petite amie imaginaire, biographie d’Irving, est intéressante quoique décevante.

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