Hunter S. Thompson - Rhum expressVO : The Rum Diary. Hunter S. Thompson est à la pointe du journalisme dit « gonzo ». Or dans Rhum Express, il n’en est quasiment rien. Plutôt les pérégrinations d’un jeune, alter ego de Thompson, qui travaille dans le journal local de la capitale d’un état insulaire un peu laxiste. Corruptions des esprits et des corps, humour décapant, voilà qui se lit vite et bien.

Il était une fois…

Porto Rico, fin des années cinquante. Paul Kemp, jeune journaliste, s’installe à la capitale de l’île, San Juan. Il travaillera comme pigiste pour un petit journal lancé par un ex-communiste. La vie de l’île est riche, entre poussées nationalistes, corruptions en tout genre, affaires immobilières et voisin cubain en pleine révolution. En sus, pour Kemp, sexe, alcools et chaleur moite.

Critique de Rhum express

Ouvrage fort rafraichissant, si ce terme peut vous parler. Sur près de 350 pages on se laisse facilement transporter dans les aventures du jeune Kemp. Un peu long et terne à certains moments, l’ouvrage a visiblement subi les outrages du temps lorsqu’en plein 21ème siècle d’autres auteurs font pire (Palahniuk, Self, Amis).

On ne sait pas jusqu’où ce roman est autobiographique, en tout cas Hunter (ou son acolyte Kemp) a eu une belle vie à Porto Rico pendant quelque temps ! Alcool (cf. titre), un peu de sexe, du journalisme à la « one again », fêtes non stop, problèmes avec la maréchaussée locale,…

C’est donc avec un certain plaisir mêlé de froncements de sourcils que Rhum se lira. En effet, tout semble excessif et exagéré dans cet ouvrage, on n’en attendait pas moins de la part de l’auteur. Toutefois Le Tigre a beaucoup appris sur les « gauchistes » américains des sixties qui vont aller visiter du pays sud américain.

En guise de conclusion, Le Tigre a été de temps en temps frustré par la traduction, qui en règle générale tient la route mais ne saurait retranscrire la verve de l’écrivain. Si cela est possible pour vous, lisez-le donc en VO.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le journalisme et le personnage d’Hunter S. Thompson. Je ne vous ferai pas de cours sur cet individu dont Le Tigre a lu toutes les œuvres (sauf celle sur les Hell’s Angels). Mais il convient de noter que cet ouvrage semble être le seul roman de l’auteur, le reste étant plutôt de la race de l’auto-biographie et de l’essai journalistique. Las Vegas Parano, Kingdom of Fear,…rien de fictionnel là dedans.

Or cet ouvrage est aussi une sorte d’essai, romancé certes et placé sous le signe de la subjectivité lorsque l’auteur décrit son sordide environnement. Peut-être Le Tigre s’autorise à considérer cette œuvre comme une mise en bouche à ce que Hunter produira à l’avenir, à savoir son grandiose et non moins hilarant « journalisme gonzo ».

La république bananière. La description du pays fait souvent penser à ce noble adjectif associé à un État un peu léger sur ses attributions régaliennes. Le lecteur pourra ricaner face à l’incompétence des autorités que le héros rencontrera, mais c’est oublier la toute puissance d’un gourmand voisin. Namely les États-Unis, qui d’une part souhaitent conforter et augmenter ses prébendes sur le territoire, d’autre part cherchent à éviter (autant que faire se peut) que de nouveaux Cuba essaiment autour de lui.

…à rapprocher de :

– Les autres romans (essais plutôt) de l’auteur, notamment Las Vegas Parano et Gonzo Highway.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Caryl Ferey - La jambe gauche de Joe StrummerSecond opus tournant autour du très original Mc Cash (ici viré de la police), Le Tigre a été plutôt surpris de la qualité de ce roman par rapport au premier de Férey avec son héros irlandais. Un peu de sentiments bien placés, beaucoup d’actions, ça passe plutôt bien. Loin d’être parfait certes, mais un indéniable bon moment de lecture.

Il était une fois…

Mc Cash a été dégagé de la police. La rage au cœur, il apprend en plus que son œil de verre ni nettoyé ni changé depuis longtemps est en train d’attaquer méchamment son œil valide. Au point que la cécité est à portée de mois (ça passe comme expression ?). Heureusement (ou malheureusement), il apprend qu’une ancienne petite amie, décédée depuis d’un cancer, a laissé une fille, Alice. Or celle-ci est aussi la fille de Mc Cash. Arrivant dans le village où la petite réside, il découvre une fillette noyée. En sus Alice vient le trouver, étant selon toutes apparences le témoin qui dérange. Voilà qui ne sera pas de tout repos.

Critique de La jambe gauche de Joe Strummer

Une certaine qualité, Le Tigre ne peut qu’applaudir Férey qui a fait montre de certains progrès dans l’écriture et l’intrigue d’un roman policier à la française. Le personnage de Mc Cash s’épaissit, l’arrivée d’une petite chose fragile (en l’espèce, sa fille) y étant pour quelque chose.

Le style s’est grandement amélioré, pour moins de 250 pages je ne me suis aucunement ennuyé lors de la lecture de l’ouvrage. Un peu plus sec, moins de descriptions inutiles, mais surtout histoire un peu plus prenante. Plus d’envergure ai-je envie de rajouter. Car au-delà d’un sordide meurtre, le héros déroule une pelote tout ce qu’il y a de plus terrible.

Chefs corrompus dans le BTP, parties fines entre notables, mercenaires balkaniques de combat, affaires au Maroc, ça dépote. Un peu trop peut-être : ça fait parfois too much, ces intrigues de partout qui comme par magie se dénouent en quelques pages. Le lecteur n’a même plus le temps de chercher par lui-même les liens entre tous ces joyeux drilles. Vexant.

Au final, il est fort dommage de découvrir un roman correct sans pouvoir se familiariser avec le héros autrement qu’en lisant le premier, médiocre. Par chance ce n’est pas nécessaire, les deux tomes jouissant d’une indépendance totale. Chouette.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Petite et grande criminalité. Sans spoiler, ce roman met en scène des petites bassesses d’entrepreneurs de campagne qui font appel à des hommes bien plus dangereux et psychopathes que prévus. A vouloir péter plus haut que leurs culs, les autochtones que Mc Cash rencontrent sont en très mauvaise posture. Ce dernier a en outre quelques altercations (le terme est faible) avec des vilains d’une violence inouïe. La fin fait d’ailleurs penser à un mauvais épisode de Derrick, avec de vieilles personnes regrettant leurs actes ayant mené à tant de malheur.

Les liens du sang. Mc Cash est ce qu’on appelle un antihéros (cf. roman précédent avec le gusse). Toutefois dans notre opus il fait la connaissance de sa fille, et du terrible parcours qui peut attendre un enfant sans parents. La violence du texte est alors balancée par des considérations paternelles un peu rudes mais toujours affectueuses. Se pose enfin la question de l’avenir du héros comme père, avec ses problèmes de santé rédhibitoires à terme. Son côté bourru exacerbé serait alors un bouclier afin de rabaisser les attentes de la petite ?

…à rapprocher de :

– Joe Strummer, faut-il le rappeler, était le leader du groupe The Clash. Prenez un peu de temps pour réécouter Rock The Casbah ou London Calling. Plus étonnant, j’ai découvert au début des années 2000 The Faint, excellent groupe d’électro-clash dont le chanteur a une vocalise assez proche de Joe.

– Le lecteur pourra d’abord se familiariser avec le héros dans Plutôt crever. Pas obligatoire, d’autant plus que ce premier opus est nettement moins bon.

– Le Tigre a grande mémoire. Une petite qu’on veut éliminer car étant un témoin gênant, un ancien militaire / policier pour l’aider, c’est un peu La Sirène rouge, de Maurice G. Dantec. Si en plus la gamine de ce dernier roman s’appelle Alice…

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Paul Auster - Le Livre des illusionsVO : The Book of Illusions. Lu en 2003 (ça remonte), Le Tigre n’a eu nul besoin de relire cet ouvrage qui a laissé une marque assez conséquente. Histoire dense et à multiples entrées, style fluide et agréable, il y a beaucoup à discuter sur ce roman. Un très beau spécimen d’Auster, grand auteur US s’il en est.

Il était une fois…

David Zimmer a mal. Très mal. Décès de femme et enfants dans un accident d’avion, il se réfugie dans l’alcool. Jusqu’à ce qu’il se décide à écrire un livre sur Hector Mann, homme aux multiples talents ayant œuvré dans le noble art du cinéma. Deux histoires vont alors progressivement se rejoindre : celle de David, qui sortira progressivement de sa torpeur et se concentrera vers un nouvelle objectif ; celle d’Hector Mann, de ces débuts à la fin de sa vie.

Critique du Livre des illusions

Le Tigre le confesse aisément, ce livre n’a pas été lu de mon plein gré. Un terrible professeur de prépa nous y a obligé. Et il faut avouer que ça n’a rien à voir avec les chiantises lues au collège ou au lycée. Pas du tout.

Tout ce qu’on peut dire de ce roman, c’est que celui-ci est très profond. A un tel point qu’on ne peut facilement saisir toute les implications de l’histoire et les multiples références culturelles de l’écrivain. Le Tigre a du passer à côté de pas mal de clins d’œil, tout en remarquant certains thèmes auxquels l’auteur n’a pas forcément voulu insister.

Les deux histoires sont fort prenantes, en particulier celle d’Hector Mann, star des films muets qui n’est parti de presque rien et dont la majeure partie de son existence est très bien contée. Quant à la partie sur l’écrivain qui se rétablira (dans le domaine amoureux tant de sa dépression), sa description très juste et émouvante laisserait croire qu’il y a un peu de biographie dans tout cela.

Sur le style, c’est presque parfait. Le lecteur sera vite emporté, malgré un petit retard à l’allumage sur Zimmer, l’écrivain dépressif. Chapitrage bien choisi et en phase avec le rythme qui ne laisse pas le lecteur s’ennuyer. Un excellent Paul Auster, approprié pour débuter par cet auteur.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le Tigre le confesse (ça fait beaucoup de confessions dans ce post), il n’est pas aisé de pondre une analyse un tant soit peu pertinente et utile d’un roman mille (non, cent mille !) fois résumé. C’est sans doute pourquoi le ratio roman très connu / moins connu est si faible.

La référence biblique. Si le mot-clef « religion » a été choisi pour ce post, c’est parce que le titre même du roman suggère une vision biblique : le Livre d’abord, renvoie évidemment au Livre, traduction du terme Bible. Illusions, enfin, car ce livre porte une histoire sur un personnage qui n’existe pas malgré la présentation réaliste qu’on en fait. Il n’est donc pas étonnant que certains lecteurs cherchent ensuite sur internet pour en savoir plus sur Hector Mann, croyant que ce dernier était réellement un acteur d’un genre vite oublié (le cinéma muet).

Personnage disparu qu’on cherche à faire revivre par le texte, avec son parcours romancé et porteur de bonheur (du moins pour David Zimmer), on n’est jamais loin d’un personnage chrétien de premier plan.

L’art éphémère. La demande du vieil acteur est pour le moins surprenante : l’écrivain aura le droit de visionner une unique fois les opus de Mann, après quoi ceux-ci seront détruits. Jouer dans tant de films pour les savoir à terme disparus, le « transfert » artistique du cinéma à la littérature peut surprendre, voire correspondre à une conception du « beau » renforcée par la précarité des œuvres destinées à n’être vues que par un public plus que restreint. La représentation unique, comme une pièce de théâtre inconnue jouée une fois devant un individu qui sera chargé de donner ses impressions, l’idée est séduisante.

A l’art éphémère se mêle l’amour qui ne l’est pas moins, avec un parallèle troublant entre les pellicules progressivement brûlées et la femme aimée qui en même temps semble « renaître de ses cendres ».

…à rapprocher de :

– Les autres romans d’Auster, aussi lourds de sens mais pas forcément autant accrocheurs. Le Livre des illusions est vraiment un de ses meilleurs romans.

– Dans le domaine de l’anticipation sociale, il y a l’histoire d’une actrice particulière racontée par Chuck Palahniuk dans Tell All (roman en Anglais que je n’ai pu finir). Le monde du cinéma dans la littérature, la comparaison s’arrête là.

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Philippe Djian - Vers chez les blancsPremier livre que Le Tigre a lu sur Djian, mon sentiment sur cette œuvre est un petit arc-en-ciel (comprenez, il y a un peu de bon et du moins bon). Histoire passablement ennuyeuse et commune, heureusement accompagnée de scènes érotiques (pornographiques serait un terme plus juste) incroyablement bien décrites. 400 pages ça fait beaucoup, d’autres romans de Djian sont (on l’espère) meilleurs.

Il était une fois…

Francis fut un auteur à succès. Hélas ça ne va pas fort maintenant, et il ne compte pour l’instant que sur une potentielle réédition de son œuvre. En attendant, il voit ses amis, mais surtout se livre à des expériences sexuelles débridées avec notamment la femme de son meilleur ami. Ce même ami qui connaît la même gloire que Francis jadis.

Critique de Vers chez les blancs

Vous l’aurez compris au résumé ci-avant, ce n’est point un roman dont on se souviendra pour sa pertinente histoire accrocheuse. Mais pas du tout. Niet. Même en le relisant rapidement, j’ai à nouveau oublié ce qui peut (de loin) s’apparenter à une intrigue.

Pour une première que Le Tigre lit cet auteur, j’ai eu peur que ce soit représentatif de la littérature franco-française faite de non-rebondissements et de linéarité assez ennuyeuse. Comme un Fargues, Modiano ou autre auteur qui n’arrivera jamais à contribuer à l’exportation culturelle hors de nos frontière.

Car le style n’est pas vraiment agréable à lire. Quelques longueurs, des chapitres qu’on aimerait voir se terminer plus rapidement, bref rien de transcendant. Toutefois, là où Philippe D. fait fort, c’est sur les passages sexuels plus qu’explicitement décrits. Séances effrénées à deux ou plusieurs, nombreuses positions, montée du désir correctement dosée, superbe.

Comme si ces scènes représentaient les seuls passages sur lesquels l’auteur s’est un peu plus foulé. Ainsi, livre à lire parfois d’une main, hélas rien de plus. Or un roman ne peut se résumer à cet aspect, d’où la mauvaise note.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le sexe en littérature. Il y a une mise en abîme assez fine au cours du roman, consistant à discourir sur la difficulté d’écrire de bonnes scènes de cul. Désolé du terme employé. Il appert que c’est bien plus délicat que prévu : toucher une fonction assurément « reptilienne » (donc profonde) du cerveau humain n’est pas aisé, et la solution donnée dans le roman pourrait sembler au premier abord décevante. SPOIL : en fait c’est la femme de l’auteur qui écrit ces scènes. Lui-même en est incapable. FIN SPOIL.

Le milieu littéraire français. Deux protagonistes sont des auteurs talentueux, et c’est dans leur monde que le lecteur sera en immersion. Discussions stériles au cours de soirées gastronomiques ; beaucoup de sexe ; mais aussi de la drogue. Une personne entretient tranquillement son addiction à l’héroïne sans que personne ne s’en aperçoive vraiment, seul péripétie digne d’être soulignée c’est dire…

…à rapprocher de :

– Nicolas Fargues a tenté de décrire avec cynisme ce même milieu littéraire, dans le très malheureux One Man Show. A éviter donc.

– Certains passages que nous dirons de « subversifs » ne sont pas sans rappeler notre Houellebecq national. Notamment dans Les Particules élémentaires.

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Les Sutras du TigreLe Mur des Renonciations vaut bien deux articles. Après avoir compris le pourquoi d’une telle démarche, le meilleurs pour la fin : comment en vient-on à abandonner en cours de route un livre, et surtout quels ouvrages ont eu ce funeste destin auprès du Tigre ?

Comment ?

Comment construire ce mur ?  En abandonnant. Les raisons sont nombreuses, et Le Tigre (qui est fin lettré) a l’audace de produire un raisonnement homothétique d’après Le Suicide d’Émile Durkheim. Mimile a en effet donné quatre grandes causes de suicide, qui me semblent applicable à la Renonciation. Car renoncer, c’est mourir un peu non ?

La Renonciation égoïste

…ou l’accident de parcours. Le Tigre achète beaucoup de livres, trop disent certains. Sur la petite quinzaine d’ouvrages lus chaque mois, il y statistiquement du gros déchet. Cet ignoble excrétat, c’est souvent l’œuvre dont un ami, un journal ou votre libraire ne vous a dit que du bien. Voire le truc pris en tête de gondole parce que le quatrième de couv’ paraît fort sexy et qu’il n’y a pas tant de pages que cela.

Hélas dès les premières pages vous sentez qu’il y a erreur sur la marchandise. Rien de personnel, juste vous n’avez rien à faire avec cette chose entre les mains. Impression tenace que l’écrivaillon, en planchant sur son MacBook, n’avait pas dans l’idée que quelqu’un comme vous achète son roman. L’erreur de casting basique, continuer à poursuivre relèverait à la fois du temps perdu et de l’acharnement thérapeutique.

Pas de remords surtout, c’est la roue littéraire qui tourne et vous a mis sous les yeux un ouvrage que vous n’êtes pas censé lire. Malgré votre plausible préparation psychologique à l’irgendwas, votre condition intellectuelle fait que ça ne passera jamais. L’islamiste qui lit les Versets sataniques de Rushdie, la petite nièce de 7 ans qui tombe sur Guerre et Paix de Tolstoï, ou encore un intellectuel rigoriste trouvant par hasard un roman de Guillaume Musso, même suicide.

La Renonciation altruiste

ou comment rester sur une bonne impression. C’est peu ou prou la même chose que la Renonciation égoïste, à la différence près que l’auteur, vous le connaissez bien. Depuis des années que vous achetez et lisez méthodiquement ses parutions, celui-ci a glorieusement acquis le titre de « valeur sûre ». Je ne serai jamais déçu avec lui est votre leitmotiv.

Hélas, mille fois hélas, comme amant fougueux votre écrivain préféré peut avoir quelques pannes (d’inspiration). Voire s’essayer à chiner d’autres potentiels lecteurs qui sont bien différents de vous. Le saligaud. Et là, panique, au bout de deux chapitres vous vous surprenez à regarder plus que de raison le titre de l’œuvre, son année de parution. Vous allez même jusqu’à vérifier sur le net qu’il n’y a pas un écrivain homonyme qui se balade dans la nature et fait acte de parasitisme.

Bref, avec un auteur inconnu au bataillon, vous auriez lâché depuis belle lurette. Mais là vous vous plaisez à croire que, contrairement à un excellent Romeo y Julietta de classe Churchill, le divin viendrait après le purin. Sauf que ce ne sera pas le cas.

La renonciation altruiste, c’est faire acte de courage et ne pas attendre que l’intérêt du roman explose soudainement. Cela n’arrive que trop rarement. Altruisme car vous aimez cet auteur, celui-ci vous a apporté tellement de bonheur que vous ne pouvez pas le laisser vous donner une telle image de lui-même. Un peu comme Brigitte Bardot. Du coup vous décidez d’oublier jusqu’à l’existence même de l’œuvre, et ce afin de rester sur une bonne impression générale. Noble.

La Renonciation anomique

ou le malheureux coup de tête. Cette renonciation, c’est quand l’environnement et les normes sont moins prégnantes. En effet, des circonstances exceptionnelles (stress, temps qui manque, sortie d’un livre particulièrement attendu) peuvent parfois justifier un abandon que je qualifierais volontiers de relativiste : l’ouvrage que vous êtes en train de lire n’est pas si mauvais ; néanmoins vient un moment où le temps que vous vous ingéniez à sauver pour lire mériterait d’être utilisé à meilleur escient. Ce sera d’autant plus facile que vous en êtes à moins de la moitié et que la « subjugation » tant promise n’a pas eu lieu.

Disons que vous êtes devenus un tant soit peu exigeant, et que vos lectures ont de plus en plus intérêt à être à la hauteur.

Typiquement, vous vous la collez sévèrement chez des amis. 1h30 du matin, dernier métro ou bus, 37 minutes de libre. Vous sortez le roman, que vous lisez depuis quelques jours sans grand enthousiasme, et là grande révélation : c’est trop compliqué, c’est long et cérébral. On tendrait vers le navet. Vous vous apercevez que si vous traînez ce truc depuis tant de jours sans vraiment avancer, c’est qu’il ne vaut pas la peine d’être fini. Allez hop, on le remise au fond de son sac et puis c’est tout. Ah si, vous pianotez sur votre mobile.

Cela est arrivé au Tigre avec Les mémoires d’Hadrien. Trajan..euh trajet de 25 minutes, 50 pages à finir. Celles-ci attendent encore.

La Renonciation fataliste

ou la meilleure volonté du monde n’y ferait rien. Fataliste, de fatus, le destin. Comme le titre laisse le suggérer, c’est quand vient la fameuse phrase « à quoi bon ? ».

A quoi bon en effet terminer une énième biographie du Grand Charles offert par une vieille tante à qui vous avez eu le malheur de dire que vous étiez gaulliste, juste pour plaisanter ? En sus, il n’y a pas de ticket dans le cadeau pour échanger la chose ! Et puis si c’était possible, il y a fort à parier que la librairie où la bio a été achetée ne contienne que des merdes du même acabit.

A quoi bon finir un roman offert par une personne désireuse de vous faire partager sa passion ? La politesse et la décence dont vous faites montre veut qu’il faille lire au moins les trois cinquièmes de l’ouvrage, pour au moins ne pas avoir l’air d’un touriste de seconde zone lorsque vous en discuterez par la suite. Le finir, jamais. Savoir de quoi ça parle et préparer des anecdotes seules connues du lecteur, toujours. N’ajoutez pas à la Renonciation la goujaterie, ce serait fâcheux.

A quoi bon se coltiner l’intégralité d’une grande saga quand les films se défendent fort bien au demeurant ? Surtout que tout le monde l’a lue, et vous êtes loin d’être un mouton de panurge. Au final, on peut même tirer une petite fierté en étant le seul à ne pas avoir voulu se gaver de Millenium, Potter, Hunger Games ou autre elfes. Au pire vous les finirez dans votre maison de retraite, discrètement, quand ça sera largement passé de mode.

A quoi bon devoir absolument finir un soi-disant « classique » de la littérature quand ça ne veut tout simplement pas passer ? Des sites résumeront et fourniront de pétillantes analyses mieux qu’on pourrait le faire. Lire les 200 premières pages d’un Zola  ou Dostoïevski et abandonner, ce n’est pas grave. Surtout si vous êtes jeunes, avec la maturité vient le goût du plaisir dit-on. Et si ça se trouve un texte plus court de l’auteur aura vos faveurs.

Conclusion finale : des noms, des noms !

Le Tigre n’est pas une donneuse, mais fera pour toi lecteur une petite entorse. Voici la liste constamment mise à jour, clique donc dessus et apprécie à leurs justes valeurs les pitoyables excuses qu’à chaque ouvrage j’ai pu fournir.

Le Mur de la Renonciation

Les Sutras du TigreIl est une liste que tout lecteur cache honteusement. Un cadavre dans le placard, dont la révélation peut briser l’harmonie d’un dîner entre amis. Au moins. Le Tigre n’est pas de cette race : plus qu’une liste, c’est un mur fièrement plâtré qui a été construit. La grande Muraille de Chine, une aimable clôture de prairie à côté du Mur des Renonciations.

Un mur pour renoncer ?

Pour mesurer toute la gravité, il convient de définir les termes. Tout d’abord le Mur des Renonciations sera par la suite nommé le « MdR ». Ça, c’est fait. Ensuite, vous ne saurez imaginer le temps passé à trouver un titre valable à ce que je m’apprête à vous dire. Comme vous êtes sur le post (et non plus son extrait), je vais (enfin) expliquer de quoi il s’agit : le MdR, c’est tout simplement la liste des livres que je n’ai su ou voulu terminer.

Excipits orphelins de mes doux yeux, pages entières qui n’ont pas été touchées depuis leur sortie de l’imprimerie, chapitres en attente que quelqu’un daigne poser le regard dessus. Alors qu’on y était presque merde ! Achat (ou cadeau) de l’objet, mise sur liste d’attente, jour magique au cours duquel Le Tigre se décide à attaquer le roman, pour abandonner lâchement en cours de route. Incroyable. Un si grand lecteur pourtant. Qui aurait cru ça de lui ? Un félin si poli d’habitude.

Soyons un peu pointilleux. Comment concevoir qu’un livre entre dans une telle catégorie ? Voici des exemples en vrac à partir desquels je vous laisse imaginer une improbable logique sous-jacente :

Seront considérés comme lus : un recueil de nouvelles, ou de poésies, dont plus de 80% a été lu. Un roman lu en diagonale ou à l’aide d’une méthode de lecture rapide (par blocs). La traduction française d’une œuvre lue dans sa version originale. Une œuvre où des passages déterminés comme descriptifs sont allègrement zappés est quand même lue.

A contrario, ne sont pas lus : un roman policier dont on saute directement vers les derniers chapitres pour avoir le fin mot de l’histoire. Ce n’est pas bien d’ailleurs. Lire deux nouvelles sur les trois composant un recueil n’est pas terminer l’ouvrage. Lire un « résumé » d’une œuvre comme le publient si bien certains éditeurs à destination de collégiens un peu fainéants. Cela peut sembler exigeant, mais le MdR se nourrit de très peu.

Pourquoi ne pas terminer un livre ?

Déjà, pourquoi un mur ? Et pourquoi pas une liste, un index, voire un humide reliquat de nappe de restaurant crayonné à la va vite ? Seul un mur aura la solennité et le respect qu’il mérite par rapport aux inscriptions qu’il présente. Si le MdR, comme vous l’avez compris, est horizontalement bien délimité, verticalement des pierres toute fraiches sont régulièrement ajoutées. Autant de nouvelles entrées, pour leur plus grand malheur.

A ce titre, Le Tigre osera continuer sa métaphore filée en prolongeant la comparaison avec le fameux mur de Berlin. Ja wohl. A contrario de l’historique mur de la honte, conçu comme permanent et qui s’est piteusement écroulé après une trentaine d’années de terribles et loyaux services, le MdR avait une fonction que j’imaginais temporaire. En effet ce dernier était à l’origine conçu comme une sorte de « reminder ». Je me disais que les ouvrages inscrits dessus devraient être rapidement relus.

Le MdR comme salle d’attente livresque pour patients une première fois refoulés. Il n’en fut rien. La procrastination dans la relecture est devenue reddition. Il s’est en effet vite avéré que les nombreux coups de burin sur le MdR étaient hélas permanents. La volonté du Tigre, pourtant inaltérable, s’est naturellement inclinée devant d’autres impératifs. Notamment le bienheureux Mur des Impétrants, ouvrages récemment achetés et à lire sans tarder.

Au final, le MdR est devenu au Tigre ce que le courrier en retard représente pour Gaston Lagaffe. Sauf que Gaston, à côté de votre serviteur, est un stakhanoviste bourré d’amphétamines et passablement pressé. Mais comme le fainéant de la BD, l’objet du vice trône fièrement dans le bureau (entendez ledit blog).

Ainsi, pourquoi s’entretenir si crânement de ce mur ? Pourquoi s’en vanter ?

Au tout début, Le Tigre a eu l’état d’esprit de l’éjaculateur précoce : ne pas terminer le livre, c’est un peu faire le con avec l’objet de ses désirs (de son amour surtout). Honte mâtinée d’une culpabilité insupportable, c’est le genre de trucs dont on ne parle pas à ses proches. Pas si on ne veut pas avoir les oreilles qui sifflent le reste de la semaine.

Oser comparer la lecture au stupre contemporain, cela peut être potentiellement une erreur. Même si un livre non terminé vaut mieux qu’un livre mal terminé (comprenne qui voudra).

Lentement mais sûrement, Le Tigre a su apprendre à désacraliser une partie de l’objet « roman ». Celle qui veut que commencer c’est terminer. Et oui, Ce n’est pas parce que les premières pages sont lues qu’il faille aller jusqu’au bout. L’écrivain dont vous vous apprêtez à lâcher le roman ne va pas faire irruption, avec son traducteur français s’il y a lieu, pour vous menacer de terminer son navet.

Quoique, il faut reconnaître qu’il y a là plutôt matière à un film d’épouvante fort sympathique non ? The eye, version Le Tigre : on t’offre un roman. Si tu ne le termines pas, le fantôme de l’écrivain viendra te zigouiller. Allez ouste, te reste à peine trois heures pour finir 400 pages avant que le méchant ne sorte des pages te rendre gorge… Ou son (ses même) nègre(s). Mon dieu, imaginez l’armée mexicaine derrière de Villepin. Pas assez de budget pour payer les figurants, production arrêtée en plein milieu. Galouzeau pas content.

Bref, comme un Dupont-Aignan littéraire (tant qu’à rester dans le monde politique), sachez simplement dire « non ».

Pour conclure ce chapitre, il est à signaler que certains lecteurs trouvent le plaisir dans la « non finition » d’un ouvrage. Intrigue entendue, style appréhendé, à quoi bon s’ennuyer à terminer le bouquin quand on s’est fait une idée précise sur celui-ci ? Certes Le Tigre comprend, mais autant connaître le fin mot de l’histoire. Parfois, lorsque tout est révélé et que la suite n’est que mièvreries dignes d’un mauvais happy ending de film de série Z, c’est sûr que le lecteur pourra gagner de précieuses minutes en zappant les dernières pages. Et encore, on peut tomber sur un final annonçant une suite. Rien n’est jamais sûr.

Conclusion de la première partie du Mur des Renonciations

Vous l’aurez remarqué, le MdR est issu d’une mûre réflexion. Mais plus grande est la réflexion sur les raisons inhérentes à l’abandon, sur le chemin de vos lectures en cours, d’un ouvrage. A plus de 2.000 mots le post, ça fait beaucoup en une seule fois. D’où le split en deux articles.

Prenez donc une grande inspiration, car la suite est ici.

Murakami Ryū - Chansons populaires de l’ère ShowaVO : Shōwa kayō daizenshū. Sorti en 1994, rien à voir avec de la musique ou une comptine pour enfants. Seulement des références culturelles à foison de cette ère, sur fond de violence exacerbée entre deux univers fort différents. Ouvrage décalé et instructif, un petit plaisir littéraire qui se dévore assez vite.

Il était une fois…

Un membre d’un groupe de six jeunes Japonais bien paumés zigouille bêtement une femme. Une guerre éclate entre eux et les six femmes trentenaires (célibataires de surcroît) connaissant la défunte. Chose curieuse, elles s’appellent toutes Midori. Les deux blocs s’arment de partout, jusqu’à finir par une explosion rayant de la carte une ville entière.

Critique de Chansons populaires de l’ère Showa

Premièrement, il ne faut pas confondre cet auteur avec l’autre grand Murakami, Haruki de son prénom. Il est arrivé au Tigre d’acheter un roman de Ryu en pensant lire du Murakami, et inversement. Or le style des deux écrivains japonais ne se ressemble guère, tout en ayant leur propre attrait.

Deuxièmement, l’histoire. Originale comme on en fait rarement : six jeunes gens, six femmes esseulées, une rencontre malheureuse, et l’engrenage, terrifiant. Jusqu’à un épilogue qui finit bien mal, rien que la fin vaut le coup d’œil. Au-delà du conflit entre cette douzaine de protagonistes, c’est la présentation de deux types de générations que Ryu nous offre, avec leurs références culturelles (underground parfois) faites de karaoke, chansons, mangas & Co. Fort instructif sur la société japonaise.

Troisièmement, le style. Assez sec, la profondeur des personnages est délaissée au profit de la psychologie des deux groupes, et c’est tant mieux. En effet, d’une part les Midori se ressemblent assez, d’autre part le lecteur sera vite largué sur les différents prénoms des boys. Vocabulaire souvent familier, parfois cru, Le Tigre a souvent ri, et ne s’est jamais ennuyé.

Au final, si le passionné de lecture japonaise ne peut échapper à cet ouvrage, il est fort dommage qu’un tel roman écrit en 1994 n’est sorti qu’au cours des années 2010 en France, et pas en poche. Plus de 15 €, ça fait beaucoup pour moins de 200 pages.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les garçons décrits dans le roman semblent une bande de bons à rien associables sur les bords. Tout ce petit monde parle, déblatère plutôt sans porter une quelconque attention à ce que dit l’autre. Un peu crétins dans leurs réactions puériles, Murakami nous introduit bien dans leur monde aliénant et profondément glauque : rire bêtement, se mettre à chanter sans raison, sans cesse à la recherche de menus plaisirs (nourriture, alcools, trainer), la violence comme amusement,…

Les Midori, ensuite. Ou l’union fait la force. A l’inverse des six boulets, le groupe constitué des jeunes femmes est efficace et leur progression est réjouissante. Car la synergie de leur rassemblement contribue à leur résurrection individuelle. Elles se font des petites bouffes, se soutiennent mutuellement, bref rien à voir avec leur ennemi. Sans prise réelle de position de la part de l’écrivain, le lecteur se prend pourtant vite à vouloir leur totale réussite.

Le titre, et sa signification. C’est parti pour les 30 secondes culturelles. Au Japon, l’avènement d’un nouvel empereur (seul aspect politique préservé par les Américains après la seconde guerre mondiale) donne lieu à l’instauration d’une ère dont le nom est soigneusement choisi. Meiji, Heisei,… Showa, ou « paix éclairée », c’est l’ère d’Hirohito qui couvre une période plus de 70 ans jusqu’en 1989 (année de son décès). Conflit mondial, reconstruction, ici Murakami s’attache surtout au laps de temps des années 70 à la fin de l’ère. Et des chansons populaires d’après-guerre chantées par nos six jeunes hommes, d’où le titre.

…à rapprocher de :

– Moins de dix ans après la parution du roman (à savoir 2003), un film est sorti sous le doux titre de Shôwa kayô daizenshû. Quelle surprise. Réalisé par Tetsuo Shinohara, Le Tigre essaie encore de trouver un moyen de visionner l’œuvre.

– Du même auteur, il y a Bleu presque transparent. 30 ans avant, années 70, quelque part en pire.

– Puisque j’en parlais brièvement, la première fois que j’ai confondu les deux Murakami, je m’étais procuré Raffles Hotel, ce qui fut une belle erreur.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

Jeffery Deaver - L'homme qui disparaîtVO : The Vanished Man. Jeffery Deaver est un petit génie du thriller américain. L’auteur sévit depuis fort longtemps déjà, avec notamment ses deux héros dans NYC. Dans ce roman, la menace est un individu doté d’un indéniable talent de magicien qui fait rage. Suspense, retournements, ça se lit d’une traite.

Il était une fois…

New York est en panique. Plusieurs meurtres assez horribles tournant autour du thème de la magie et du cirque. L’assassin, transformiste et adepte de l’illusion, semble insaisissable. Lincolm Rhyme, le fameux enquêteur paraplégique, et sa compagne Amelia Sachs, aidés en sus par une jeune magicienne de talent, pourront-ils arrêter le massacre ?

Critique de L’homme qui disparaît

Polar d’envergure comme sait les écrire Deaver. On ne se lasse pas de la même équipe, entraînée dans une histoire assez mystérieuse et au suspense sans faille.

L’histoire est plutôt originale avec un tueur qui fait froid dans le dos : si la magie et le cirque sont associés à la fête et le plaisir, Deaver est parvenu à tourner le tout vers une danse macabre. Pour Le Tigre, seul Stephen King avec Ça est parvenu à rendre un gentil personnage encore plus épouvantable (le clown Grippe-sou).

En tout cas, les péripéties sont très bien amenées et le lecteur sera dans le même état que les deux détectives : dans un pur brouillard. Heureusement qu’un personnage intéressant car adepte de magie, Kara, leur porte un grand secours. Chapitres courts et haletants, ces 600 pages passent à une vitesse inimaginable.

Même si c’est le premier Deaver sur lequel vous tombez, nos deux héros récurrents (Rhyme & Sachs) se laissent rapidement adopter. Méticuleux, observateurs et à la démarche scientifique séduisante, le fait qu’ils soient ensemble apporte en plus un volet émotionnel qui est le bienvenu.

Vous l’aurez compris, à lire au plus vite si vous aimez les thrillers réalistes américains.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La magie. Illusionner, capter l’attention vers un point focal éloigné du tour, le vilain est en sus un mentaliste extrêmement doué. Grâce à Kara, la jeune magicienne qui va aider nos héros (ces derniers lui rendant la politesse), on apprend deux trois tours supplémentaires de prestidigitation fort sympathiques. Petite mention sur le mentalisme qui occupe une place prépondérante : tromper l’entourage, en apprendre sur celui-ci sans qu’il ne s’en rende compte, l’auteur semble avoir effectué de sérieuses recherches dans ce domaine. Le lien avec le second thème tourne donc à l’évidence.

Un bon roman à rebondissements, et ce grâce à la magie. Le maître mot, dont Le Tigre cherche encore la traduction, est « misdirection ». Principe de magie consistant à attirer l’attention ailleurs pendant que le prestidigitateur exécute, discrètement, son vrai tour. Dans L’homme qui disparaît, l’homme en question met en scène un paquet de fausses pistes, détournant autant l’attention des héros que du lecteur par rapport à son (ou ses) but(s) ultime(s). Cela peut expliquer que le style, aussi vif que le magicien, nous tienne tant en haleine.

…à rapprocher de :

– Le fauve a lu pas mal de Deaver, pour l’instant il n’y a que Le Singe de pierre sur le gueblo.

– Si vous aimez Deaver et ses principaux protagonistes, vous adorerez Preston & Child avec son héros Pendergast. A titre d’exemple, La Chambre des curiosités.

– Pour un film plein de magie avec un aspect certes moins réaliste, regardons ensemble Le Prestige (tiré du très bon livre éponyme de Christopher Priest).

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Jean-Bernard Pouy - Nous avons brûlé une sainteAttention petite pépite ! D’une part l’image de couverture est fort réussie et annonce la couleur. D’autre part le titre, aguicheur, promet de grandes choses qui se présenteront au lecteur. Suivre quatre jeunes doux rêveurs qui vont mettre une région à feu et à sang, avec un relent de « british bashing ». Très sympathique.

Il était une fois…

Victime d’une tentative de viol, un genou explosé par ses bourreaux, merci les touristes anglais…il en fallait moins que cela pour transformer la timide Anne en sainte. Une sainte qui va s’entourer de trois anges vengeurs pour l’aider à mener son combat : bouter les Rosbeefs hors de France. Ils signent « Arthur Rimbaud ». Les autorités sont larguées.

Critique de Nous avons brûlé une sainte

Une jolie réjouissance, tant sur le style que l’histoire. Le scénario est bien trouvé : Anne et sa fine équipe sont sur le pied de guerre. Le premier protecteur est son frère, lequel embrasse autant la cause de la vierge hallucinée que les jolis garçons. Le second, La Hire, est son ami d’enfance : sa passion pour la guerrière enragée va le pousser à épouser son épopée meurtrière. Le troisième joue un rôle dans cette odyssée par amour non pour la pucelle mais pour un rêve de totalité de déraison et d’absurdité qu’il peut poursuivre à travers elle.

Et s’il faut pour ce quatuor de choc bouter les anglais, encore faut-il le faire avec classe et élégance, par exemple en étant habillé de cottes de maille. Ce qui ne manquera pas d’intriguer les enquêteurs en proie à une panique grandissante. L’enquête va être longue.

Le style littéraire est savoureux, les personnages attachants, tant les doux tarés que les flics abasourdis par autant de violence au premier abord irrationnelle. Ne vous trompez pas par le nombre de pages (à peine plus de 200), il n’y a pas à proprement parler de chapitres et les « blancs » sont dans cet ouvrage inexistants.

Pour conclure, excellent ouvrage de Pouy, avec un drame progressif qui finit en pure apothéose de plaisir. Ses personnages sont assez invraisemblables mais le tout fleure bon la contestation des années 70 en France. Bref, du style et du rire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le poète Rimbaud. Nos compères se plaisent à envoyer des missives à la police, signant Arthur Rimbaud avec des citations intelligemment sélectionnées dudit poète. Lequel s’étant reconverti en trafiquant d’armes et ayant eu la mauvaise idée de mourir d’une infection du genoux, miroir du genoux déchiqueté de la Jeanne d’Arc 2.0.

C’est là que les clins d’œil se multiplient autant à la poésie du sieur Rimbaud qu’à l’histoire de Jeanne (Je Anne dans certaines annonces de chapitre). Les compagnons de la pucelle, comme Gilles de Rais sont bien présents dans notre monde contemporain. Appliquer une épopée historique à des personnages un peu loufoques (ça pourrait être n’importe qui) est bien trouvé ; aussi le style passionné forme au final un bel ode à la vie et un ironique hommage à tout ce que le quotidien renferme de drôlerie potentielle.

Pouy, en plus d’aimer ses personnages (le ton s’en ressent), parvient à entraîner le lecteur dans un épisode anti anglais malgré nous fort amusant. La poésie qui ressort de l’œuvre est comme une invitation à le suivre dans une équipée révolté et enragée. Mais surtout délirante. Certes en France nous avons une certaine propension à sourire lorsque l’Anglais est chassé, mais de là à se réjouir d’un tel acharnement ? Ce n’est que de la belle littérature un peu délirante me direz-vous. Avec raison.

…à rapprocher de :

– Le réjouissant « délire » de Pouy se retrouve bien dans Spinoza encule Hegel, suivi de A sec !. Si Suzanne et les Ringards passe pas trop mal, hélas La clé des mensonges peut être évitée.

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Jean-Pierre Andrevon - SukranDans la lignée de l’excellent Le travail du Furet, Le Tigre s’est attelé au dernier Andrevon de disponible. L’image de couverture est ici assez parlante : futur plus ou moins cyberpunk avec un soldat cyborg juché sur un antique dromadaire rafistolé. Trafic d’humains, violence exacerbée, le tout qui se lit à vitesse grand V.

Il était une fois…

Marseille, futur proche. M. Cacciari est un ancien militaire traumatisé par la peu glorieuse croisade récemment lancée par l’Occident. Il vivote en jouant d’un instrument dans la rue jusqu’à ce qu’il soit contacté par Legueldre, riche industriel qui souhaite embaucher le héros comme veilleur de nuit dans son entreprise. Or cette entreprise, qui traite des nouvelles technologies, a une activité des plus horribles.

Critique de Sukran

Écrit à la fin des années 80, cette œuvre semble terriblement d’actualité avec une approche fort intéressante, quoique bizarre. Le lecteur pourra en effet être parfois mal à l’aise, c’est un peu l’apanage des grands écrivains.

L’histoire est celle d’un homme qu’on appelle un démo (pour démobilisé) après le fiasco de la campagne militaire de l’Europe au Moyen-Orient. Embauché par un industriel dont les idées sont à l’extrême-droite de l’échiquier politique, il va progressivement découvrir les scandaleux agissements de ce personnage qui fait plus que jeter de l’huile sur le feu sociétal (laissez Le Tigre se repaître de cette métaphore…).

Scénario irréaliste (par exemple, la fédération pan-islamique qui est dans les années 2010 complètement fantaisiste comme idée), du coup l’anticipation sociale est moins présente. L’univers n’en demeure pas moins fascinant et derrière des péripéties assez dures se dresse une fable profondément humaniste.

Sur le style, du Andrevon pur jus et épuré : moins de 300 pages, trois parties, que de l’action ! Au détriment peut-être des personnages peu explorés (le patron facho, sa femme nympho, le héros désabusé) mais on n’est pas là pour ça. Surtout quand l’auteur (en plus du héros au cynisme rafraichissant) nous glisse ici et là de nombreuses références qui raviront le connaisseur : politique, arts, surtout le 7ème,….

Ainsi, à lire si on a aimé Le travail du furet.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le racisme. Dans la cité phocéenne, les Maghrébins représentent dans le roman plus de 50% de la population. Les tensions sociales sont à leur comble, surtout depuis que l’Europe a piteusement mis un terme à sa « croisade » contre une fédération d’États musulmans. Andrevon peut sembler faire dans la facilité en montrant des personnages qu’on peut juger caricaturaux par leurs bêtises, toutefois c’est dans leurs actes que le racisme prend une tournure bien plus glauque et cynique. Froid dans le dos.

Le fanatisme. Les « zombies kamikazés », les riches fascistes qui poussent la science un peu trop loin, les jeunes étrangers désœuvrés et mis à l’index depuis une guerre qu’ils n’ont pas vécu,…Tout ce petit monde bute sur ses idées et se hait cordialement. Le héros parviendra-t-il à faire le lien entre ces différents mondes et éviter les bains de sang ? A vous de le découvrir…

…à rapprocher de :

Le travail du Furet, même auteur. Moins sombre et plus axé sur l’aspect policier, à ne pas rater. Tout comme Le monde enfin, qui est nettement plus mature – plus long aussi.

– Les guerres (de religion) contre la menace islamiste, cela fait penser à quelques romans de Maurice G. Dantec. Plus polémiques comme ouvrages.

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Jean-Pierre Andrevon - Le travail du FuretUn auteur français, né en 1937, qui fait de la bonne SF. Waow, Le Tigre ne peut passer à côté de son œuvre phare. Ici l’aspect purement futuriste est délaissé au profit de l’anticipation sociale et du roman noir. Violent et sans pitié, histoire certes peu originale mais avec un dénouement intéressant, ça passe très bien.

Il était une fois…

21ème siècle bien avancé, France. Le pays va plutôt bien, et ce grâce à 400.000 personnes supprimées par hasard par an (par le Grand Ordi) afin de maintenir l’équilibre au sein de la population. Pour ça le héros, grand amateur de roman noir, est chargé de supprimé lesdites personnes. Tout va pour le mieux jusqu’à ce qu’il remarque qu’il doit tout simplement éliminer Jos, l’amour de sa vie…

Critique du Travail du Furet

Le Tigre est très porté sur la SF, et sur le conseil d’un ami a acquis Le travail du Furet, et ne l’a point regretté. Malgré quelques défauts, une très bonne note est attribuée puisqu’écrit dans les années 80 par un Français, seul à l’époque dans ce domaine (enfin presque).

Le travail du héros en question, c’est zigouiller quelques personnes par jour pour le compte de l’État. Afin de stabiliser la population près d’un demi million de citoyens doivent mourir chaque année. Plus de 1.000 personnes choisies au pif chaque matin par un ordinateur surpuissant, et hop à la morgue ! Au lieu d’appeler les malheureux, on les shoote par surprise et pas forcément de manière propre. Dictature ? Meuh non, tout le monde il semble d’accord.

Le style est à mon goût : chapitres pas trop longuets ; descriptions limitées à la compréhension du monde imaginé par l’auteur ; vocabulaire violent et parfois vulgaire qui sied bien au polar noir ; bref on entre rapidement en phase avec le héros malgré son métier discutable. Quant à sa petite amie, celle-ci semble insaisissable, à moins que son personnage soit moins bien travaillé par l’auteur…

Pour conclure, il ne faut pas passer à côté de ce polar noir d’anticipation sociale dans la mesure où, écrit par un vieil auteur français, l’acuité et le réalisme violent de l’œuvre restent terriblement d’actualité.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La société futuriste plus ou moins cauchemardesque. Pays qui pour promouvoir la paix sociale élimine le « surplus » d’habitants, et laisse les Furets s’en charger, c’est invraisemblable mais pourtant Andrevon présente une société où c’est non seulement possible mais accepté semble-t-il. Un peu comme dans 1984. Toutefois, l’environnement politico-social n’est pas assez travaillé pour qu’on puisse pleinement adhérer à la logique malsaine de l’univers décrit.

L’amour, la mort. Pour paraphraser Dan Simmons. Comment concilier travail et vie privée lorsqu’on doit tuer celle qu’on aime ? Déjà le fait que l’Ordi donne au héros cette mission est tiré par les cheveux : bizarre que les programmeurs n’aient pas fait en sorte de croiser les informations pour qu’un nettoyeur n’aie à s’occuper que d’un inconnu. Le reste, vous le découvrirez (je ne peux faire qu’une alerte spoil par titre).

[Attention SPOIL]. Choisir au hasard les gens à tuer. Pour que les citoyens acceptent le processus, il faut que cela touche toutes les strates de la population. Vraiment ? Ici les riches ne peuvent se dérober à la mort programmée. Toutefois il appert, à la fin du roman, qu’en fait le Grand Ordi choisit ses « victimes » qui à terme coûteront le plus à la société. Renseignée par les diagnostiques médicaux automatisés, la machine sélectionne surtout ceux atteints d’une maladie incurable. Logique économique compréhensible mais socialement inacceptable. De quoi faire sauter le système. [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

Sukran, du même auteur, est le deuxième roman lu par Le Tigre. Aussi sombre, plus bizarre. Puis Le monde enfin, qui est tout simplement génial.

– La description de la société, à la limite du cyberpunk, n’est pas sans rappeler Blade Runner ou quelques romans de Pierre Bordage (pour l’aspect FR), par exemple Porteurs d’âmes. En comics, avec en sus le doute quant à la légitimité de sa mission, il y a le premier volume de Rai, de Matt Kindt et Clayton Crain.

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Natalia Narotchnitskaïa - Que reste-t-il de notre victoire ?VO : Русский мир. Sous-titre : Russie-Occident – le malentendu. Auteur représentant un courant de pensée que l’on connaît plutôt mal, voici un regard particulier sur les relations entre la Russie et l’Occident à l’aune de l’histoire vue par une certaine catégorie de Russes. Assez court mais dense, et fort intéressant.

De quoi parle Que reste-t-il de notre victoire ?, et comment ?

Petit mot sur Natalia N. (désolé mais son nom de famille est fort complexe à écrire) : historienne, philosophe, une vraie spécialiste de la géopolitique en sus. Députée du parlement russe (la Douma), elle a également pendant quelques années (avant l’éclatement de l’URSS) travaillé au secrétariat de l’ONU à New York. Grande représentante du patriotisme russe qui s’assume, ses ouvrages semblent inévitables pour tout politologue russe qui se respecte.

Dans cet essai, l’auteur livre sa vision de l’histoire de l’URSS, qui serait considérée à tort comme une erreur politique. La Russie des années 90 (sous Eltsine), s’accrochant désespérément au train libéral, semble surtout avoir humilié les Russes qui se sont vus déposséder de leur fameuse victoire en plus d’une partie de leur destin.

Ce regard russe sur les rapports Russie-Occident est plutôt bien livré, même si Le Tigre peut reprocher à Natalia de surtout parler des États-Unis. L’Union Européenne ne semble pas un acteur à prendre en compte pour l’instant. Hostile à la mondialisation et à la perte de souverainetés, l’auteur préfère avoir à traiter avec les nations que les ensembles régionaux (même si ces derniers semblent être plus pertinents). Car les griefs des politiques « patriotiques » se tournent vers les conservateurs américains, qui derrière pas mal d’associations ou fondations reproduisent les actes de leurs prédécesseurs (cf. infra).

Quoiqu’il en soit, cet ouvrage assez complexe peut énormément aider à comprendre un peu mieux « l’âme russe », leurs motivations, et pourquoi la Russie n’est pas prête à se laisser marcher sur les pieds. A lire en gardant à l’esprit quelle « faction politique » représente l’auteur.

Ce que Le Tigre a retenu

Le titre, déjà. A noter que cet essai est sorti en Russie sous le titre « Le Monde Russe ». Bref, « Notre victoire », c’est la Grande Guerre patriotique menée par l’URSS contre le Reich nazi. Effort de guerre impressionnant, le pays est, devant l’Allemagne, celui qui a le plus souffert (notamment en pertes humaines). Or l’Occident a fait de la WWII une histoire de lutte du monde libre (entendez, les démocraties) contre le fascisme. La victoire soviétique, indéniable, aurait été alors « minimisée » en vue de la propagande occidentale pendant la guerre froide.

Plus généralement, ces démocraties auraient tout fait, et ce depuis le 19ème siècle, pour réduire l’influence russe. Pour cela, l’isolation a été le maître mot : aider la nouvelle Allemagne à contrer l’expansionnisme russe ; créer des États fantoches pour contenir cette progression ; bref foutre la pagaille dans ce que l’auteur considère comme la chasse gardée du Kremlin (Balkans, Asie centrale dont Afghanistan,…). Si on rajoute les soutiens à peine cachés de grands think tanks anglo-saxons aux multiples révolutions de velours qui essaiment autour du pays, on peut comprendre l’exaspération de l’auteur.

Plus qu’une exaspération, il ressort de cet essai une certaine colère en général. Chaque partie (les Russes aussi) semble butée et ne pas vraiment se comprendre. Malgré ces moins de 140 millions d’habitants au compteur, la Russie chère à Narotchnitskaïa (ça y est j’y suis parvenu) se devrait être un égal reconnu au même titre que les EUA. Pour cela, il nous faudrait reconsidérer l’histoire de la Russie et de l’URSS.

Selon Le Tigre, cette personne représente le « pouvoir de nuisance » russe dont l’amour propre a été largement entaché : décidée à être considérée comme une grande puissance, sans qu’on lui parle de droits de l’Homme ou autres, la Russie paraît être alors une épine dans les pieds de l’Europe qui ne la comprendrait guère. Épines dans les pieds, Le Tigre reste poli.

…à rapprocher de :

– Le lecteur qui a la flemme de lire cet essai polémique et souhaite taper dans du roman pourra se régaler de Limonov, d’Emmanuel Carrère. Voire Une exécution ordinaire, by Marc Dugain (plus court et aisé à lire).

– A la question de Nat, Le Tigre a envie de répondre (méchamment certes) : les goulags. Merci à Soljenitsyne.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en lien ici.