Dupuis - La Seconde Guerre mondiale : Afrika KorpsOpus d’une belle série publiée au milieu des années 80, écrite et illustrée par Pierre Dupuis, voici de quoi donner envie à tout lycéen de réviser la Seconde Guerre mondiale. Dessin correct avec des couleurs pas si fadasses, on sent que l’auteur s’est longuement renseigné avant d’attaquer son sujet. Tigre, grand lecteur de Clausewitz, a apprécié.

Il était une fois…

Afrika Korps se propose de retracer l’histoire militaire de l’armée allemande en Libye (et à côté), de la bataille de Tobrouk à El-Alamein (tournant du conflit en Afrique du nord), en passant par les escarmouches à Malte. Du début de l’année 1941 au printemps 43, c’est une division qui apparaissait comme invincible, commandée par un chef d’exception, dont nous suivrons les pérégrinations.

Critique de La Seconde Guerre mondiale : Afrika Korps

Hé hé. Tigre a retrouvé tout un vieux tas de bandes dessinées cachées sous son antique collection de Charlie Mensuel, dont une demi-douzaine de titres de Pierre Dupuis, qui avait notamment versé dans l’érotisme. De cul il n’est point question ici, mais de guerre. Et la plus connue du XXème siècle.

Dupuis a voulu mêler de grands tableaux stratégiques (les schémas tactiques ou cartes de campagne sont souvent bienvenus) avec de fréquents zooms sur la vie des soldats. Hélas, mille fois hélas, les affrontements en Libye sont très complexes et la trame chronologique de cette campagne militaire m’a souvent ennuyé. Les allers-retours du général Rommel dans cette partie du continent sont loin d’être compréhensibles (à mon niveau), et un récapitulatif général aurait été de mise.

Quant aux illustrations, la ligne claire franco-belge est au garde à vous : difficile de ne pas reconnaître les protagonistes bien connus (Rommel ou les généraux anglais, que des portraits réussis) ou songer à Kursk – Tourmente d’acier de Dimitri face aux combats de chars. Hélas, il n’y a pas réellement de « story-telling » d’une case à l’autre (les transitions sont rarissimes), et Le Tigre a eu plus d’une fois l’impression que seul le texte était le ciment de la logique narrative. Du coup, ces 48 pages ne paraissent pas si courtes, pas une seule case n’est accompagnée de son petit texte.

En guise de conclusion, faut avouer que cette saga n’a pas trop mal vieilli. Du vieux daron porté sur l’Histoire au cancre de collégien qui veut apprendre sans se fouler, tous peuvent trouver leur compte dans cet épisode relativement peu connu de la Seconde Guerre mondiale.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

On apprend énormément sur le Rommel, génie militaire qui, aux dires de l’auteur, s’est retrouvé du mauvais côté. Car ce général était un franc-tireur de première et n’écoutait rarement les conseils venant de Berlin. Il n’en faisait qu’à sa tête, et non sans un certain succès. Toutefois, face à l’opération Barbarossa en URSS, la priorité n’était pas au continent noir pour Hitler, bien que sillonner cette partie du globe en passant par le sud de la Turquie jusqu’aux champs pétrolifères du Caucase aurait pu constituer un indéniable atout pour les Nazis.

L’audace du renard du désert a fait flipper plus d’un gradé allié et il fallait même désacraliser le personnage face aux troupes anglaises qui voyaient en lui un démon. Cependant Erwin reste un être humain avec ses maladies : si le temps chaud l’a éloigné de l’arthrite, il est tombé à plusieurs reprises gravement malade (au point de ne pouvoir se lever) et a dû être rapatrié à deux reprises à Berlin.

Sinon, et mes amis « italophiles » me pardonneront, j’ai trouvé que les prouesses de l’Empire Romain étaient bien loin. D’emblée, le haut commandement Italien rechigne à bombarder une ville tenue par les Anglais parce qu’ils y ont fait construire de somptueuses villas… Ensuite, les militaires allemands (Rommel le premier) tiennent en piètre estimes leurs homologues du Sud, impression confirmée par les nombreuses fois où la Wehrmacht doit leur venir en aide en Afrique (et Tigre ne parle ni des Balkans ni de la Grèce). Leur armement est certes bien en-deçà des critères requis pour mener une guerre mondiale, mais on sent qu’en plus les Italiens ne veulent pas de ce conflit.

…à rapprocher de :

– De Dupuis, il y a une douzaine de BD sur la Seconde Guerre mondiale (hélas Tigre en a que six en sa possession). Les voici dans l’ordre : Blitzkrieg, Dunkerque, La Bataille d’Angleterre, La Résistance, Moscou, Stalingrad, Vers la victoire, Afrika Korps, Banzaï!, Forteresses volantes, U Boote et enfin Overlord.

– Sinon, pour un gros pavé complet et édifiant, le très sachant Antony Beevor et sa Seconde Guerre mondiale forcent le respect.

Raymond Queneau - Exercices de styleUn classique de ce que la littérature sous contrainte peut faire de décoiffant, un recueil de textes autant homogènes sur le scénario qu’hétérogènes sur le style, un écrivain qui a su montrer à quel point s’amuser (pour ne pas dire déconner) avec la langue peut être somptueux, bref un objet d’art que tout lecteur devrait avoir tenu dans ses mains une fois dans sa vie.

De quoi parle Exercices de style, et comment ?

Depuis que Tigre a l’âge de lire, ce bouquin qui traînait dans la bibliothèque a fait l’objet de plusieurs lectures (souvent dans les WC) passionnées. Et il y a de quoi, parce qu’à part Zazie dans le métro je ne connais que très peu de choses de Raymond Queneau. Point de roman ici, plutôt une sorte de gala littéraire où tous les styles sont invités et font leur show.

Prenez une histoire assez courte, qui peut se résumer de la sorte : le narrateur remarque dans un bus un jeune homme doté d’un cou très long et avec un accoutrement qui passe pas inaperçu (chapeau orné d’une tresse). Cet individu s’engueule avec un voyageur. Quelques instants plus tard, le narrateur croise à nouveau le jeune homme, près de la gare Saint-Lazare, qui est en train de délivrer un conseil vestimentaire à un ami.

Ensuite, à partir de ce scénario que Queneau délivre de manière neutre, l’écrivain en propose 99 versions. Pas une qui ne ressemble à une autre, en effet chaque texte (qui ne dépasse pas deux pages) est rédigé d’après un style annoncé. Et il y a du basique (les cinq sens, le vocabulaire familier ou précieux, en vers par exemple) comme des contraintes de haut vol (permutation de mots croissants, que des noms propres notamment). Plus d’une fois le lecteur aura envie de sortir son dico face à des mots d’origine hellénique ou à un champ lexical très précis. Quant à la version en contrepèteries, la moitié m’est passée au-dessus du ciboulot.

Au final, lire la centaine de scripts d’un coup n’est sans doute pas adéquat, il n’est pas impossible de trouver le temps long. Même si l’humour omniprésent et le génie de l’auteur nous réjouissent à chaque instant. Il faut mieux piocher, au hasard, lorsque l’envie nous prend. Et ce sans modération, en relisant certains passages quelque chose de nouveau apparaît toujours.

Ce que Le Tigre a retenu

C’était la première fois que j’ai eu sous le nez de la « littérature sous contrainte ». Double contrainte, quelque part, en considérant qu’écrire 99 fois la même histoire en est une de taille. Pour un texte écrit juste après la Seconde Guerre mondiale, nul vieillissement ne semble être à déplorer. Ce qu’a fait Queneau est presque « universel » et difficile à actualiser (on dirait qu’il a pensé à tout), en plus d’ouvrir la voie à d’autres exercices « contrariés », et au mouvement de l’Oulipo qui impressionnera plus d’un lecteur.

Les possibilités et la richesse de la langue française. Tigre a découvert, paradoxalement (du moins je le voyais ainsi), comment poser des limites à l’écriture pouvait libérer l’imagination de l’auteur. Je devrais tenter l’exercice de temps à autre, je n’aurais peut-être plus cette impression de tourner en rond. Enfin, langue parlée. Car si ces exercices sont le passage obligé dans certains ateliers de lecture, ceux-ci sont surtout utilisés au théâtre. Pouvoir répéter une histoire avec des dizaines de style différents, c’est encore mieux que répéter la fameuse phrase « tout condamné à mort aura la tête tranchée » (de différentes façons) du Schpountz de Plagnol.

…à rapprocher de :

– Dans un de ces exercices, il n’y a que des phrases nominales. Comme dans le roman Le Train de Nulle Part, de Michel Thaler (c’est un pseudo).

– Quant à deux autres classiques de « littérature à contrainte », Georges Perec a fait très fort avec La Disparition (un roman sans la lettre E), puis Les Revenentes (idée inverse).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce classique en ligne ici.

Dupuis - La Seconde Guerre mondiale : BlitzkriegOpus d’une belle série publiée au milieu des années 80, écrite et illustrée par Pierre Dupuis, voici de quoi donner envie à tout lycéen de réviser la Seconde Guerre mondiale. Dessin correct avec des couleurs pas si fadasses, on sent que l’auteur s’est longuement renseigné avant d’attaquer son sujet. Tigre, grand lecteur de Clausewitz, a apprécié.

Il était une fois…

Blitzkrieg se propose de retracer l’histoire militaire de l’Europe depuis septembre 1939, attaque de la Pologne par les forces du troisième Reich, jusqu’à la débandade des forces franco-anglaises avant leur « extraction » à Dunkerque.

Critique de La Seconde Guerre mondiale : Blitzkrieg

Hé hé. Tigre a retrouvé tout un vieux tas de bandes dessinées cachées sous son antique collection de Charlie Mensuel, dont une demi-douzaine de titres de Pierre Dupuis, qui avait notamment versé dans l’érotisme. De cul il n’est point question ici, mais de guerre. Et la plus connue du XXème siècle.

Dupuis a voulu mêler de grands tableaux stratégiques (les schémas tactiques ou cartes de campagne sont souvent bienvenus) avec de fréquents zooms sur la vie des soldats (certains ayant existé, et qu’on retrouve dans d’autres tomes de cette série), voire certains civils. Par exemple, au début le lecteur fera la connaissance Woïtek et Herlina, jeunes Polonais obligés de repousser leurs rêves de mariage (ça rappelle furieusement le documentaire TV Apocalypse). Avec un rendu chronologique de cette période, sauter du champs de bataille à un cabinet ministériel suit une logique toute historique.

Quant aux illustrations, la ligne claire franco-belge est au garde à vous : difficile de ne pas reconnaître les protagonistes bien connus (des portraits réussis dans l’ensemble) ou songer à Buck Danny face aux combats aériens. Hélas, il n’y a pas réellement de « story-telling » d’une case à l’autre (les transitions sont rarissimes), et Le Tigre a eu plus d’une fois l’impression que seul le texte était le ciment de la logique narrative. Du coup, ces 48 pages ne paraissent pas si courtes, pas une seule case n’est accompagnée de son petit texte.

En guise de conclusion, faut avouer que cette saga n’a pas trop mal vieilli. Du vieux daron porté sur l’Histoire au cancre de collégien qui veut apprendre sans se fouler, tous peuvent trouver leur compte.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’art (si on peut parler « d’art » en matière militaire) du Blitzkrieg. Blitz, ça veut dire éclair. Krieg, pour guerre. A partir de là tout est dit : faire foncer les divisions comme si le diable en personne leur collait au cul. Et ça va très très vite, puisque le gros Goering tenait à faire intervenir ses Stukas (bombardiers) un peu partout. L’infanterie ne suivait pas forcément, toutefois la combinaison terre / air était terriblement efficace. En France, pendant ce temps, on plaçait un char devant chaque pont. Y’avait qu’un petit colonel (je vous laisse deviner qui) qui préconisait le contraire en publiant « Vers l’armée de métier ».

Le début de la guerre. Le père Dupuis nous porte d’un théâtre d’opération à un autre. Bon, comme la BD débute en 1939, la guerre civile espagnole ou l’assaut japonais contre la Chine et la Corée sont passés à la trappe. Mais il en reste tellement : la guerre en Pologne (les pauvres en étaient à charger à la cavalerie), la Guerre d’Hiver (Finlande vs. URSS), la drôle de guerre (la France et l’Allemagne se regardent comme des chiens de faïence),…et finalement l’attaque de l’Hexagone par le Nord (en passant par les Ardennes, que les stratèges jugeaient infranchissables par les Panzer).

…à rapprocher de :

– De Dupuis, il y a une douzaine de BD sur la Seconde Guerre mondiale (hélas Tigre en a que six en sa possession). Les voici dans l’ordre : Blitzkrieg, Dunkerque, La Bataille d’Angleterre, La Résistance, Moscou, Stalingrad, Vers la victoire, Afrika Korps, Banzaï!, Forteresses volantes, U Boote et enfin Overlord.

– Sinon, pour un gros pavé complet et édifiant, le très sachant Antony Beevor et sa Seconde Guerre mondiale forcent le respect.

Marcus Malte - Le lac des singesAcheté presque par hasard, et je l’ai (non sans surprise) rapidement dévoré. Une touche de poésie, un peu de musique, quelques litrons de sang, des protagonistes bizarres et quelques péripéties tenant en haleine avant un dénouement réjouissant quoique abrupt. Indéniablement, un auteur à conseiller en général.

Il était une fois…

Mister pensait passer une quinzaine de jours pépère à tapoter son piano face à la vieille clientèle d’un casino à Evian, en plus ça paye bien. Un séjour tranquille. Vraiment ? Hélas quelques meurtres viennent déranger la belle ville endormie, sans compter que le neveu du Président de la République fait partie des victimes. Et oui, les rives du Lac Léman ne sont plus aussi paisibles qu’auparavant, et notre pianiste se retrouve malgré lui au milieu d’une faune aussi impitoyable que cocasse.

Critique du Lac des singes

Le lac des singes fut le premier titre que j’ai lu de la part de cet écrivain français. Lac comme Léman, singes comme la basse nature humaine enfouie en nous tous (c’est presque une insulte envers cette espèce). Et mes souvenirs sont bons. Très bons même, Tigre a été agréablement surpris par cet auteur qui ne semble pas faire les gros titres.

Une série de meurtres s’abat à la frontière de la Suisse, et notre héros jazzman (Mister de son blaze) va être le spectateur, puis l’acteur de l’évolution de l’enquête. Car il sera en proche relation avec du beau linge, que ce soit le commissaire de police du coin (avec qui il écoute d’inquiétants enregistrements de ce qui pourrait être le tueur), le mystérieux taxi ou encore les artistes bigarrés (notamment le magicien) du casino.

Sur fond de changement sociétaux dus à l’apparition des bandits manchots, Marcus Malte est parvenu à retranscrire une atmosphère noire et d’une finesse assez rare chez les auteurs français. Je reproche à ces derniers de faire souvent trop « polar de genre » et exagérément descriptif, or j’ai supporté le style de ce roman de bout en bout.

Écriture agréable, légère, non dénuée de poésie, tout cela au service d’une intrigue bien menée. Même si j’ai cru sentir que la fin a été rapidement expédiée, seulement une fois l’identité du tueur (et d’autres méchants) connue, nul besoin de s’appesantir. Et oui, ça donne furieusement envie de lire les autres de Marcus M. Je vais tenter de rétablir cela

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’auteur doit être féru de musique dans la mesure où le talent et les interventions artistiques de Mister sont magnifiquement réalistes. Il ressort de ces chapitres une ambiance particulière, à mi-chemin entre l’art de vivre à la française et le polar de société d’un Jonquet. En sus, l’alternance entre l’histoire principale et le témoignage oral (en italique) d’un protagoniste apporte une dernière touche presque envoutante.

Cette œuvre est l’occasion de faire dans le dramatique, en particulier les destins brisés à cause de ces casinos. Outre le changement de paradigme qu’entraîne l’arrivée de nouveaux touristes attirés par la roulette et le blackjack, certains « locaux » ont souffert plus que d’autres à cause de ces casinos. Paradoxalement, c’est lorsqu’ils gagnaient le jackpot que tout partait en sucette : imaginez, un ouvrier ou technicien qui touche des sommes astronomiques, ça le dépasse. Il ne sait plus quoi faire et souvent la famille explose. Et ça laisse des traces…

…à rapprocher de :

– De Malte, hélas Le Tigre n’a pas encore lu le reste. Il paraît que Garden of Love est noir à souhait. Quoiqu’il en soit, Les harmoniques fut une délicieuse surprise. Tout comme Carnage, constellation. Quant à La part des chiens (déception)

– Les polars emplis de bonne musique de Jazz ou de whiskies de qualité, c’est aussi la saga de John Rain de Barry Eisler.

– Sinon, sur ce que peut provoquer comme dégâts une bonne fortune chez des gens modestes, il y a le très léger (quoique sur la fin…) La liste de mes envies, du benoît Grégoire Delacourt.

Enfin, si votre librairies est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Collectif - Washington NoirVO : D.C. Noir. Une belle poignée de textes, du noir pur jus et de la tristesse, des descriptions offrant une immersion totale dans une ville méconnue (du Tigre en tout cas), une certaine homogénéité de style (le cahier des charges devait être stricte), bref une capitale dépouillée de ses ors et scannée sous le noble angle du polar. On en redemande.

Il était une fois…

Une quinzaine (seize en comptant celui de Georgie) de nouvelles sont reproduites dans ce roman qui est subdivisé en quatre thèmes : D.C. dévoilée, rues et ruelles, flics et voleurs, la Colline [c’est à dire le Capitole, le pouvoir] et ses frontières. Tout cela sélectionné par le bon George Pelecanos, Washingtonien émérite qui, en plus d’être écrivain, aide pas mal de producteurs dans leurs séries policières (notamment The Wire, qui reste une des séries préférées du Tigre, avec Oz).

Critique de Washington noir

Pas facile de s’occuper d’un tel condensé de textes, surtout lorsque certains sont excellents et d’autres un peu mois bons (notamment le premier, celui de Georges Pelecanos en personne, qui semble avoir fait le minimum syndical). En moins de 280 pages il y a pourtant matière à parler.

Les mini œuvres proposées sont relativement courtes et c’est on ne peut plus éclectique : il y a du très bon (cf. infra) comme de l’ennuyeux (A l’est du soleil, de Howard par exemple) ; du roman d’enquête comme une tranche de vie (plus ou moins sordide) d’un simple citoyen ; des histoires se terminant de manière réjouissante (le gentil triomphe) comme d’autres qui font la nique au happy end, etc.

15 à 20 pages par scène, on peut piocher ici et là une nouvelle, puis y retourner plus tard. Si le découpage en quatre thèmes ne m’a pas paru totalement pertinent, au moins la carte de Washington fournie (dans les premières pages) permet de se faire une idée de la typologie de l’endroit et décider dans quel quartier le lecteur souhaitera découvrir une aventure.

En conclusion, un bouquin qui remplit largement son office, surtout avec quelques titres phares qui ont régalé Le Tigre : La Ruelle de Salomon (poétique et surprenante), Froid comme la glace (sur la notion d’un héros moderne, avec un dénouement final jouissif), Le pourboire (un serveur aux prises avec une infâme clientèle) et Le pigeon (immensément pessimiste et choquant).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

On en apprend énormément sur la « faune », la populace du district fédéral. Il faut savoir que Washington est le seul État à ne pas avoir de représentant au Congrès, aussi les politiciens de cette ville ne sont souvent « que de passage » pour supporter leurs régions, et se foutent royalement de l’état de la capitale et de ses habitants. Et il y a de tout dans cette ville, que ce soit des délinquants afro-américains (du style Chicago ou Détroit) ou des flics marrons (avec leurs indics) comme on en rencontre à L.A. avec l’écrivain James Ellroy, en passant par les politiciens corrompus. Y’a même une prostituée venant d’Europe de l’Est (ce texte reste le plus violent à mon sens). Certaines zones (le Sud-est ou le Nord-ouest) ressemblent à de petites cours des miracles.

Washington, à l’image des États-Unis, est une ville par certains aspects impitoyable. La criminalité y paraît omniprésente, et gare au témoin accidentel ou au petit businessman qui n’est pas dans les petits papiers de la pègre. La plupart de ces nouvelles présentent un homme seul, face aux puissants (légitimes ou non) et tentant de modestement survivre. Et souvent le moyen de s’en tirer (et pas les deux pieds devants) est de cacher son jeu, surveiller ses arrières. Pas comme le pigeon du dernier texte éponyme qui a foncé bille en tête dans quelque chose qui le dépasse. Il finira comme l’image du rêve américain termine chez beaucoup (notamment le vieux juif rescapé des camps qui tient sa boutique). C’est-à-dire brisé.

…à rapprocher de :

– L’éditeur Asphalte s’est fait plaisir en prenant les meilleurs textes relatifs à une capitale (Paris, Londres, L.A., Marseille – présenté par Fabre –, etc.) en vue d’un noir recueil. Dès que ça sort en poche je me jette dessus.

Enfin, si votre libraire de quartier est fermé, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.

Williams III & Hadden Blackman - Batwoman : En immersionVO : To Drown the World. Suite du tome 1 de Batwoman dans le cadre des DC Comics Renaissance (on reprend les mêmes à zéro), Le Tigre n’aurait pas du pousser le vice jusqu’à le lire. Trop de fantastique, des ennemis incompréhensibles, un dessin qui ne parvient pas à redresser la barre, c’est fort dommage.

Il était une fois…

C’est définitivement le bordel : la cousine de l’héroïne, Flamebird, est dans le coma ; Batwoman poursuit son enquête qui va la mener dans un univers fantastique fait de légendes urbaines, avec l’organisation ennemie Medusa ; enfin les relations entre la belle et sa petite amie de flic Maggie n’est pas au beau fixe.

Critique de Batwoman : En immersion

J’avais dit que j’abandonnerai la lecture de Batwoman (alias Kate Kane), toutefois un dernier petit pour la route ne me semblait pas faire de mal. Ce fut celui de trop : non seulement j’avais zappé l’intrigue générale (j’avais pourtant rapidement relu l’opus précédent en diagonale la veille), mais en plus terminer ce comics m’a ennuyé.

On retrouve donc la « tumeur rousse » (c’est comme ça que je nomme Batwoman désormais) aux prises avec Mitéra, successeur de Gladius au sein d’un organisation maléfique qui veut noyer Gotham sous un monceau de démons tirés des plus horribles cauchemars de la population. Travaillant en plus ou moins bonne harmonie avec la police, l’héroïne doit composer avec sa vie amoureuse.

Hélas le scénario part dans tous les sens : d’emblée il n’y a aucune logique chronologique, les retours en arrière seront nombreux pour le lecteur attentif (ce dont Tigre n’est pas ici). Ensuite les chapitres sont divisés selon les points de vue de différents protagonistes, ce qui a achevé ma concentration (Maro, Jacob, Chase, Kate, etc.). Quant aux illustrations, y’a du beau travail. Certaines planches, assistées par ordinateur, sont de toute beauté (modernes et sombres), cependant la plupart des scènes d’actions et de combats ne sont pas très lisibles. Grosse déception dans l’ensemble.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La « construction » d’un super-héros. L’unique raison pour laquelle je ne mets pas la pire note pour ce truc est le premier chapitre (en fait le Batwoman #0) où on apprend comment est « née » Batwoman. Et rien à voir avec les voyages de Bruce Wayne qui paraissent, à côté, un agréable séjour au Club Merde. Car l’entraînement de Kate est d’une violence inouïe, des longues balades en plein désert aux missions psychologiquement terribles, en passant par des séances de torture qui relaient Guantanamo au statut de destination idyllique.

Les grosses organisations semblent à la fête dans ce comics. Pas de Batman dans ce tome, seulement D.E.U.S. contre Medusa. La première est celle pour laquelle Kate est obligée de travailler. « Obligée » car l’héroïne fait l’objet d’un savant chantage : soit elle bosse pour eux, soit son colonel de père passe en cour martiale. Quant à Medusa, j’ai pas vraiment compris ce qu’elle foutait là avec ses objectifs totalement délirants et empreints d’un ésotérisme noir (nourrir la Mère, réveiller les monstres, etc.) qui m’ont laissé de marbre.

…à rapprocher de :

– Les deux tomes précédents, qu’il faut mieux lire, sont Élégie et Hydrologie. La suite, L’élite de ce monde, a heureusement  relancé l’intérêt de la série.

– Vous pouvez retrouver le scénariste Blackman dans le premier tome d’Elektra version 2014. Pas terrible.

Enfin, si vous tenez à acheter ce comics et que votre librairie à BD est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.

Thierry Jonquet - La vie de ma mère !Thierry Jonquet est un auteur tout-terrain, et La vie de ma mère ! constitue une brève curiosité littéraire, à mi-chemin entre le texte « coup de poing » à la Mygale et la noire description d’un univers souvent fantasmé. Original, car le narrateur est un jeune de banlieue, avec son style et ses limites de vocabulaire, pris dans le cercle vicieux de la délinquance.

Il était une fois…

Kevin a une petite douzaine d’années, et sa vie n’est pas au beau fixe : daron qui a quitté le foyer, mère qui travaille la nuit dans un hôpital, sœur shampouineuse; frère plutôt absent qui bosse en province, mauvaises notes au collège, et la belle Clarisse dont il est amoureux qui ne la calcule pas. En aidant ponctuellement (il fait un croche patte à un agent qui poursuivait un des membres) une bande de petits délinquants, il va de plus en plus traîner avec eux, jusqu’à être le témoin de leurs dérives. De sa dérive aussi.

Critique de La vie de ma mère !

Pour une fois que Jonquet n’est pas publié chez Folio Policier, il faut le souligner. Car ce n’est ni un polar ni un thriller, plutôt un roman sociétal qui est, au demeurant, de très bonne facture. D’ailleurs il me semble que ce texte est proposé dans les classes de collège, aussi vous pouvez le lire sans prendre de risque (en plus c’est très court).

Le scénario, sans spoiler (le ferai plus tard), est comme une pente savonneuse sur laquelle Kevin glisse allègrement. En aidant un groupe de « sauvageons », il devient rapidement l’un des leurs : vols, trafic de drogues, usage de stupéfiants (pas lui, seulement ses potes qui fument des boules d’héro, et partent bien sûr en sucette), fille paumées prêtes à sucer pour leurs doses, tout y passe. Parallèlement il tente de séduire la belle Clarisse, et utilisera son nouveau statut de « mini-caïd » pour lui offrir de belles choses (volées). Cependant, entre son environnement et celui de la belle il y a un monde.

Sur le style, Jonquet arrive à prendre la place d’un gamin des cités pour nous livrer une histoire réaliste et sans fard. Peu de chapitres, des paragraphes assez rares, un vocabulaire chantant et parfois amusant, Le Tigre a été rapidement pris dans le tourbillon de l’histoire. Si le début est plutôt calme, on sent qu’à mesure que les péripéties débarquent le jeune est plus à l’aise sur l’écriture (on est moins dans le langage purement oral, avec le verlan omniprésent) et parvient à mieux rendre compte de ce qui se passe autour de lui.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vie des cités. Ce que décrit Thierry J. est profondément pessimiste, voire exagéré. Il ne semble y avoir pas beaucoup d’espoir dans l’environnement du héros qui raconte, avec ses mots, comment son parcours est presque tout tracé. Échec scolaire, ennui qui le pousse à se retrancher dans de peu glorieuses aventures, délinquance omniprésente, le tableau est sombre. Et de la part de cet auteur, dont les qualités narratives sont indéniables, le tout prend une tournure réaliste qui inquiètera plus d’un lecteur.

L’écriture. Double thème, car d’une part Jonquet s’est livré à un petit exercice de style, à savoir écrire comme le ferait un gamin de douze ans qui n’est pas vraiment fort en thème. D’autre part, le jeune homme tente, avec ses propres mots, de conter les péripéties des dernières semaines, ce que peu de gosses font. Mais pourquoi Kevin a-t-il envie de raconter sa vie ainsi ? [Attention SPOIL] En fait l’histoire tourne très mal sur la fin (il y a un crime commis), et le presque adolescent est sommé de livrer sa version au juge d’instruction. Si le lecteur le pressent, c’est seulement à la fin que Kevin s’adresse directement à lui. [Fin SPOIL]

…à rapprocher de :

– De Jonquet, ses classiques sont selon Le Tigre (je peux en oublier, les ai pas tous lus) : Les Orpailleurs, Mygale, Moloch, Mémoire en cage.

– Sinon, en BD, il y a Le temps des cités, qui reprend quelques éléments de l’univers du présent billet. Mais avec des protagonistes plus vieux, et une violence plus développée.

– Sur la « narration infantile », Fantasia chez les ploucs de Charles Williams n’a pas trop vieilli.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre via Amazon ici. [Mais attention, ne lisez pas la « description produits », ces boulets ont spoilé dans les grandes largeurs]

Magnus - L'internat fémininSous-titre : et autres contes coquins. VO : Quella sera al collegio femminile. Magnus est un auteur italien que Tigre, hélas, ne connaissait point. Car cet auteur, outre la BD 110 pilules qui l’a popularisé, a produit de fantastiques (dans les deux sens du terme) historiettes qui régaleront l’amateur d’érotisme comme le lecteur désireux de ne pas se prendre la tête.

Il était une fois…

Il s’agit d’un recueil de quatre histoires, d’ailleurs c’est marrant que cette mini intégrale a pour nom le dernier conte qui est sacrément court. Vais vous les résumer vite fait, ça évitera au Tigre de le faire ensuite :

Dix chevaliers pour un magicien : un dragon menace une contrée paisible, et le roi décide d’offrir la main de sa fille au gus qui arrivera à terrasser la vilaine bête. Sauf que c’est plus complexe que prévu…

Minuit de mort : pendant le Moyen-Âge, le seigneur de guerre Hollebheim a commis en Germanie pas mal d’horreurs, surtout contre son ennemi Kurdo qu’il a sauvagement tué (après s’être occupé de sa femme). Au fil des siècles une étrange malédiction frappe les Hollebheim : un noble qui n’est pas sans rappeler Louis II de Bavière (sur le comportement homosexuel pleinement assumé) est tué, et au 20ème siècle ce sera le tour d’un roturier bloqué, avec sa femme, dans le château familial.

Le crâne vivant : Ersilia est sauvée des griffes d’un ours par un seigneur qui baise à couilles rabattues. Mais la grand-mère de la belle est une sorcière et prépare une vengeance contre cet homme qui a placé la jeune femme dans son lupanar personnel. Cependant, à chaque fois qu’Ersilia est sauvée, le pire lui tombe sur la gueule.

L’internat féminin : un vieux pervers sorti d’un asile prend la place d’un docteur destiné à s’occuper d’un internat de jeunes filles. Il y développera sa pleine lubricité avant d’être découvert.

Critique de L’internat féminin

Roberto Raviola, alias Magnus, est un dessinateur italien qui a sévi, en France, lors des années 80 grâce à certaines histoires publiées dans L’Écho des savanes (que Tigre lisait sous sa couette, rappelons le). En préface de ce bouquin l’éditeur nous offre une large biographie de cet artiste, et j’ai appris pas mal de choses notamment le genre Fumetti neri (les « BD noires ») avec lequel Magnus s’est fait connaître. Informations intéressantes qui, s’il le fallait encore, justifient largement la possession d’une telle œuvre peu représentée en France.

Car il ne s’agit, dans ces quatre scénarios, pas vraiment d’érotisme pur jus (cf. infra). Plutôt quelque chose que trouvé amusant (c’est-à-dire pas vulgaire pour un sou), féérique et un tantinet suranné. Frais, en quelque sorte. Le Tigre a senti que Magnus n’a de comptes à rendre à personne, et s’est fait plaisir en administrant quelques scènes osées dans des scénarios qui sont bien construits (bien que parfois surchargés).

Quant au dessin, c’est (aussi) délicieusement vieillot, à base de gros traits et d’un noir et blanc sans demi-teinte aucune. Les mimiques des personnages m’ont régalé, et j’ai cru faire quelques rapprochements avec le style de Carl Banks, qui a notamment illustré Donald et son vieil oncle Picsou (les Italiens sont bons dans ce domaine).

Fin du fin, face par exemple au satyre de l’internat (qui ressemble au vieux des 7 boules de cristal) ou des hommes chevauchant leurs compagnes (plus ou moins légitimes), Tigre a tout de suite pensé à un manga érotique de la fin du 19ème siècle : vous voyez bien, le mec au-dessus de sa courtisane avec son vit qui tente de se faire un chemin vers l’origine du monde ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La brutalité des hommes. Dans beaucoup de ces contes coquins, Magnus prête aux mâles dominants (et rutilants) des actes fort vilains. Cela permet de créer quelques planches assez marrantes, mais surtout imaginer toujours plus de péripéties. Notamment dans Le crâne vivant, un des contes les plus longs, qui m’a semblé ne jamais en finir. Chaque fois que l’héroïne est secourue, ça part à nouveau en sucette.

Les malédictions et le fantastique permettent encore plus des situations rocambolesques assez savoureuses, surtout en matière sexuelle : la femme qui doit jouir 10 fois (de façon différente) avec autant d’hommes pour contrecarrer un sort ; l’autre qui fait l’amour, en plein apesanteur, avec le fils de la déesse du vent ; etc.

…à rapprocher de :

– Un autre italien, le fameux Milo Manara, s’est plus concentré dans l’érotisme que le fantastique, hélas avec Le parfum de l’invisible cette dernière partie oblitère l’autre.

– Puisque je parle d’Hokusai et de certaines toiles (pas de lui si j’ai bonne mémoire), un magaka japonais s’est occupé de sa biographie de manière plus que correcte.

Enfin, si votre librairie underground est fermée, vous pouvez trouver ce recueil en ligne ici.

Tom Sharpe - Le bâtard récalcitrantVO : The Throwback. Roman relativement court de Tom Sharpe, maître de la comédie burlesque outre-Manche, Le bâtard récalcitrant n’est néanmoins pas le titre que Tigre mettrait en avant de la part de cet auteur. Absurde et drôle certes, mais mâtiné d’une certaine trivialité qui m’a rebuté plus d’une fois.

Il était une fois…

Lockhard Flawse est un bâtard dont la jeunesse est très particulière : il est élevé par un grand-père doux dingue qui en a fait une machine de guerre intellectuelle de belle facture. Réciter des tables en latin, polyglotte de combat, vive intelligence, hélas dans cette éducation oldschool manquent les choses du sexe. Ainsi, quand le jeune Flawse tombe amoureux et se marie, va y avoir comme un léger souci.

Critique du Bâtard récalcitrant

Tom Sharpe est un excellent auteur qui sait rendre ses oeuvres cocasses et à l’humour truculent. Toutefois, Le Tigre qui a lu un beau paquet de celles-ci s’est fait de moins en moins patient, et Le bâtard récalcitrant m’a déçu de la part de cet écrivain.

L’histoire n’est pas si importante en fait, même s’il faut expliquer de quoi il retourne : le bâtard en question, protagoniste au passage, se marie alors qu’il n’a aucune idée des devoirs maritaux charnels qu’il est sensé prodiguer. Il vit donc avec la chasteté d’un moine jusqu’à ce qu’un obscur héritage (du côté de sa femme si me souviens bien) vienne foutre le bordel dans son existence déjà précaire.

Comme toujours chez Sharpe, ce sont les multiples petits « à-côtés » qui vont ravir le lecteur : comique de situation, dialogues décalés, anecdotes cocasses, tout cela servi par une narration légère et un style relativement plaisant. Sauf que cette fois-ci, j’ai eu l’impression que l’auteur anglais ne s’était pas foulé dans le burlesque. Le héros improbable, le gabarit excessif des intervenants (y’a des curiosités de la nature, aussi bien le bâtard que son entourage), difficile de ne pas verser dans le n’importe quoi avec ces quelques ingrédients.

Au final, un peu gavé de tout cela, les trente dernières pages ont été parcourues à la va-vite. Le genre de roman qu’on n’est pas obligé de finir pour se faire une idée bien arrêtée, contrairement à d’autres bouquins du père Sharpe qui valent le coup d’oeil de la première à la dernière ligne.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’éducation « rétrograde ». J’ai cru noter (peut-être à tort) un léger foutage de gueule concernant les affres de l’éducation à l’ancienne. Le héros est un savant de première, il théorise comme un cartésien de compèt’, et pourtant…face aux choses simples de la vie (notamment procréer), il n’est plus là. Et ses réactions excessives (à la limite de l’ignoble) au cours du roman seraient-elles une pique sur les principes de la stricte éducation victorienne poussée à son comble ?

Ce titre est le parfait exemple de jusqu’où un auteur peut aller dans le comique sans gonfler le lecteur. Comme dans Wilt, Tom Sharpe a produit ce que je nomme « la farce constante ». Il ne s’arrête pas, chaque péripétie est l’occasion de sortir les gros sabots et vouloir faire rire le lecteur. Sauf que si vous avez avalé deux romans de cet acabit la semaine précédente, un dernier pour la route ne passera pas. J’en ai conclu que Sharpe devait se lire à dose homéopathique, c’est-à-dire attendre un mois entre deux titres, au risque d’être passablement gavé.

…à rapprocher de :

– Comme je le disais, Tigre s’est plus marré avec cet auteur dans Mêlée ouverte au Zoulouland suivi de Outrage public à la pudeur.

– En revanche, le dernier titre de Tom Sharpe fait montre d’un essoufrment tout manifeste. C’est le regretté Gang des mégères inapprivoisées. Dispensable.

– Le personnage cultivé et pas du tout porté sur le sexe, c’est un peu Ignatus dans La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. De la farce de haut vol qui n’a rien à voir avec Sharpe.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

DodécaTora« Cher Tigre, nous t’adorons car comme nous ton physique (trop félin) t’a souvent joué des tours. Tu pourrais, s’il te plait, écrire un billet sur les livres qui ne ressemblent pas aux autres et sont pourtant bons ? On serait content comme tout. Igor & Grichka B. PS : on te sait peu porté sur la fantasy, aussi on n’a pas jugé utile de t’envoyer nos publications scientifiques. »

Douze choses qu’on ne lit pas souvent

Le numéro de ce chapitre est un clin d’œil à mes amis germanophones. IW comme Irgendwas, qu’on traduit simplement par « n’importe quoi ». En effet, il m’est souvent arrivé, en ouvrant un livre, de remarquer que celui-ci est différent. Comment dire ?…y’a un truc qui cloche.

Cet élément « dérangeant » peut concerner le fond du roman, comme une narration erratique ou un sujet que personne n’a osé traiter. Mais c’est surtout sur la forme que certains auteurs ont exprimé ce désir de faire différent. Quitte à profondément troubler le lecteur qui n’est plus dans son univers littéraire prévisible et douillet.

Vous remarquerez qu’en plus des Oulipiens, il y a dans ce billet pas mal d’auteurs d’anticipation sociale. C’est normal, sortir bruyamment des clous est un peu leur métier. Et c’est un exercice délicat, car si la qualité narrative n’est pas au rendez-vous, l’auteur peut malgré lui transformer une belle idée stylistique en un travail digne d’un écolier passablement attardé.

Tora ! Tora ! Tora ! (x 4)

1/ Mark Z. Danielewski – La Maison des feuilles

LA référence d’OVNI littéraire, c’est lui. Plus de 600 pages improbables, insupportables à lire parfois, pour une histoire de maison hantée qui finit mal. Mise en abyme, scénarios dans le scénario, nombreuses notes de bas de page qui renvoient à du grand n’importe quoi, typographie chancelante, l’auteur est un grand malade en fait.

2/ Martin Amis – La flèche du temps

Là j’ai hésité entre un « waow » et « beurk ». Le fin mot de l’histoire se révèle assez dur, mais c’est sur la lecture que j’ai souffert : Amis raconte TOUT à l’envers : les actes du héros (sic), les dialogues, plus d’une fois faut lire ce roman dans l’autre sens. Impossible de s’adapter. Pire que A rebrousse-temps, de K. Dick.

3/ Raymond Queneau – Exercices de style

Pas vraiment un roman, plus un essai dans lequel Raymond a montré l’étendue de son talent. Vous prenez une courte histoire (quelques lignes à peine) et la racontez une centaine de fois en changeant de style. Théâtre, formes interrogatives, sensoriel,…Queneau s’est parfois posé des contraintes incroyables.

4/ Marc-Antoine Mathieu – 3 secondes

Marc-Tony offre près de 80 planches constituées de zooms. A raison de 9 cases par page, ça doit faire plus de 600 cases où le lecteur aura la vision d’une particule du lumière qui se réfléchit à tout-va. Si le scénar’ est déconcertant, l’idée graphique a été exploitée au-delà de toute limite.

5/ Georges Perec – La Disparition

« Mais si, regarde bien, tu vois pas qu’il manque quelque chose? » « Un scénario ? » « Euh…oui, mais pas que ça ». Ce chaînon manquant, c’est la lettre E. Le génial Perec a décidé de se passer de cette voyelle qui accuse une fréquence d’apparition dans notre langue de près de 15 %. A noter Les Revenentes (en lien), qui est l’exact inverse. Ou Le Train de Nulle Part, de Michel Dansel, dépourvu de verbe.

6/ Wajdi Mouawad – Anima

J’aurais pu choisir Le Bruit et la Fureur, de Faulkner, où chaque partie est narrée par un protagoniste différent. Toutefois Anima va plus loin : la plupart des chapitres ont comme narrateur un animal (dont la taxonomie scientifique perdra plus d’une fois le lecteur) proche du héros. Terriblement humain, paradoxalement.

7/ Richard Milward – Block Party

Tigre a pris le bouquin, a remarqué qu’il n’y a ni chapitres, ni paragraphes, ni même un petit saut de page. Un monobloc littéraire, pas moyen que je lise ça ! Et bah si, cette fable d’anticipation sociale passe très bien.

8/ Aleister Crowley – Le livre de la loi

Hé hé. Crowley était un grand malade. Aiwass, la déité qui lui a soufflé ce livre de la loi, a demandé à ce que ce soit écrit en lettres de sang. Résultat, l’éditeur a dû opter pour la couleur rouge sur chaque phrase. Fin du fin, le lecteur est supposé brûler le livre après l’avoir lu.

9/ Snyder & Capullo – Batman : La Cour des hiboux

Parce qu’à un moment il faut bien mettre un comics dans ce DodécaTora. Sur le scénario, déjà, Snyder est parvenu à créer un ennemi nouveau, plus enfoui, et qui s’inscrit parfaitement dans l’univers du Bat. Sur la forme, lorsque Wayne est en mauvaise posture, les illustrateurs n’ont pas hésité à construire des cases de travers, voire à l’envers. Devoir retourner un comics dans tous les sens, on me l’avait jamais faite.

10/ Douglas Coupland – jPod

Il est normal que le père Douglas fasse partir la forme d’un de ses titres en vrille. Je sentais avec certains romans précédents que ça le démangeait gravement. Résultat, en suivant une bande de geeks borderlines dans une boîte d’informatique, certaines pages ne seront que des pubs (police d’écriture énorme), voire sur quelques pages des milliers de décimales de Pi. Fun.

11/ Joe Daly – Dungeon Quest

Cela ressemble à un roman graphique, mais c’est bien plus que cela. L’auteur sud-africain a pondu une chose déjantée, moderne et d’une efficacité comique certaine. Joe D. détruit tranquillement les codes de l’heroic fantasy avec des dialogues à se pisser dessus. En outre, au troisième tome le lecteur aura le droit à près de 15 pages manuscrites (un vieux grimoire retrouvé par un héros) qui dépasse l’entendement. Un délice de fin gourmet.

12/ Guillaume Musso – [N’importe lequel de ses bouquins]

Tigre aime terminer avec une dernière blagounette, même de mauvais goût. Vous prenez un bouquin de cet auteur, et là vous vous apercevez qu’il a écrit le roman à contraintes le plus délicat au monde : 6 verbes, 12 adverbes, 5 adjectifs et 120 noms communs à tout casser, et avec ces ingrédients il parvient à faire un truc à succès.

…mais aussi :

Survivant, de Chuck Palahniuk. Outre l’histoire qui envoie du lourd, un petit détail unique fait de ce titre un objet culturel qui envoie chier une convention admise : celle de la numérotation des pages. En effet, la première de Survivant est la 365ème (et le chapitre 43), et comme un compte à rebours nous descendons jusqu’à la première page.

– Même topo de numérotation inversée dans la Horde du Contrevent, de Damasio. Une petite tuerie d’aventure avec pas moins de 23 narrateurs qui représentent les membres d’une compagnie destinée à remonter le vent. Un pur bijou.

C’est un oiseau…, de Seagle & Kristiansen : Je pensais que c’était un comics sur Superman, que nenni ! Plutôt un magnifique roman graphique intimiste sur la relation entre un auteur et son sujet de travail, une sorte de crise d’identité intelligemment illustrée.

– Pas vraiment un roman, plutôt un essai artistique, c’est Une histoire sans mots de Xu Bing. Comme le titre l’indique, y’a que des pictogrammes. Bonne chance.

Je n’ai guère d’autres idées pertinentes (ça viendra), aussi je vais parler un peu cinéma :

Memento, dont la double chronologie rétro-inversée est superbe. Ai du le visionner deux fois avant de tout saisir. Pas comme Cloud Atlas, que je cherche encore à comprendre.

– En fait Tigre prend un joli pied à visionner des œuvres où nous suivons plusieurs scénarios qui ont plus ou moins de liens entre eux : c’est bien évidemment Magnolia ou Babel, deux classiques du genre. Mais aussi la pépite qu’est The Fountain, d’Aronofsky (sortie en roman graphique avant le film sur volonté du réalisateur qui avait peur de ne jamais pouvoir tourner son idée).

– Enfin Pi, de Darren Aronofsky encore, est un film déroutant tourné en noir et blanc où le héros, informaticien de génie, se fait poursuivre tant par des juifs orthodoxes que des grosses compagnies de Wall Street. Faut au moins le voir une fois dans sa vie.

Georges Perec - La DisparitionMais comment a-t-il fait cela ? D’où est venue cette idée si simple, mais si difficile à mettre en œuvre ? Comment a-t-il travaillé sur un pareil texte ? Autant pour le lecteur qui sait à quoi s’attendre que celui qui ne connaît pas le principe de ce exercice sous contrainte, c’est époustouflant. C’est parce que Perec ne savait pas que c’était impossible qu’il l’a fait…

Il était une fois…

Le quatrième de couv’ de mon édition est de Bernard Pingaud, écrivain français qui a bien sur rendre hommage à ce roman :

« Trahir qui disparut, dans La disparition, ravirait au lisant subtil tout plaisir. Motus donc, sur l’inconnu noyau manquant – un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal -, blanc sillon damnatif où s’abîma un Anton Voyl, mais d’où surgit aussi la fiction. Disons, sans plus, qu’il a rapport à la vocalisation. L’aiguillon paraîtra à d’aucuns trop grammatical. Vain soupçon : contraint par son savant pari à moult combinaisons, allusions, substitutions ou circonclusions, jamais G.P. n’arracha au banal discours joyaux plus brillants ni si purs. Jamais plus fol alibi n’accoucha d’avatars si mirobolants. Oui, il fallait un grand art, un art hors du commun, pour fourbir tout un roman sans ça ! »

Critique de La Disparition

Paradoxalement, cela va être une des parties « critique » les plus courte de ce blog. Parce que je n’ai pas grand chose à critiquer, le style même de Perec mérite que ce soit examiné plus loin.

Toute ce qu’il faut savoir; c’est que l’auteur aime les défis, comme tout bon participant de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Et il s’est attaqué à ce qui me paraît comme le plus ardu, à savoir se passer de la lettre E sur un roman. Avec un succès à la limite de l’insolent. C’est le livre à posséder, au moins afin de faire marrer vos potes qui n’ont jamais entendu parler de Georges P. ou pour vos enfants afin de leur montrer que la littérature peut être fandard.

Quant à l’histoire, je n’ai pas dépassé d’une traite les cinquante premières pages. Avec la révolte dans une grande ville. Le reste fut lut, de temps à autre, au petit bonheur la chance quand j’avais envie de me faire une cure sans E. Du coup Le Tigre est incapable de vous dire à quel point le scénario se tient, voire s’il y en a un. Je me souviens juste d’un nombre incroyable de digressions, répétitions, un peu comme un San-Antonio mais en mieux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La littérature sous contrainte. C’est le cas typique d’un mec, déjà talentueux, qui veut poser la barre un peu plus haut. Et cette pauvre lettre est supprimée à tous les niveaux, c’est impressionnant. 25 chapitres, il manque le cinquième par exemple. Pour vous donner une idée du boulot, voici un court passage. Vous remarquerez que tout lecteur devra se munir d’un dictionnaire pour comprendre de quoi il retourne. Comme Tigre est dodécaphile, ce sera naturellement la 144ème page (qui est très avare en mots) :

Douglas Haig grandissait. La paix s’installa dans la maison. Six ans durant, l’on n’y connut qu’amicaux plaisirs.
Aux frondaisons du parc, la coruscation d’un automnal purpurin, chatoyant, mordorait d’un brun chaud l’azur frisonnant sous l’influx coulis du noroît…

Derrière cette disparition, pointe l’air de rien l’absence en général. L’absence d’une lettre certes, mais en regardant de plus prêt la bio de l’écrivain français, there is more to it thant meet the eyes… Écrit en 1968, année des « évènements » en France (et la disparition, pour une partie de la population, de certaines valeurs), le début du roman fait la part belle à la révolte. Mais cela dégénère en une violence qui n’a rien à voir avec mai 68, mais rappelle plutôt les premiers troubles dus aux Nazis. Perec, en effet, sait de quoi il parle avec ses parents trop tôt disparus (père tombé au combat, mère déportée).

…à rapprocher de :

– Bien sûr, Perec a récidivé avec un bouquin « contraire ». C’est Les Revenentes, avec comme unique voyelle le E.

– Dans quelque chose de plus « léger » mais tout aussi grandiose, vous apprécierez sûrement Exercices de style, de Queneau.

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Thierry Jonquet - ComediaTigre en principe sait qu’il va avoir une excellente expérience littéraire avec Thierry, toutefois il arrive que ça ne se passe pas comme prévu. Scénario exagérément complexe, personnages lointains, histoire qui n’éveille en moi aucun écho, c’est fort dommage. Pas un échantillon représentatif du talent de l’écrivain français donc.

Il était une fois…

Werner, grand cinéphile, est trouvé mort. Et un mystérieux homme qui aime se nommer Comédia y est pour quelque chose. Ce dernier surveillait l’entourage du vieil homme, en particulier le jeune Arnaud qui compte écrire un bouquin sur Werner. Comédia le soupçonne d’avoir reçu de la part du défunt quelques informations sur son passé qu’il recherche absolument. Qui fut en fait le père Werner ?

Critique de Comedia

Lu il y a plus ou moins longtemps, Comedia ne m’a pas vraiment laissé une bonne impression. Tigre adore Jonquet mais il arrive à ce dernier de gaver un peu le félin. C’est too much comme roman, et sa complexité ne me semblait pas nécessaire.

Un peu à l’instar d’un autre titre de l’écrivain, Les orpailleurs, il est question d’un homme qui semble cacher un terrible secret. Son assistant / admirateur se prépare à écrire un texte (scénario, anthologie ?) sur son maître expert es cinéma, seulement un homme qui souhaite que la vérité soit rétablie attend, tapi dans l’ombre. Tout cela sur fond de crises estudiantines du milieu des années 80 (inopportun à mon sens). Hélas, mille fois hélas, le tout m’a paru trop vieillot, oldschool, bref l’univers ici ne me parlait pas du tout.

En outre, le style est plus que déroutant. Je devrais avoir l’habitude avec cet auteur, me direz-vous, avec les nombreuses digressions et narrations décalées dans le temps. Seulement qu’ici ça m’a surtout ennuyé, revenir dans les nombreux passés a définitivement mis à mal ma patience. Au final, un titre qu’on peut laisser de côté pour se concentrer sur le meilleur (cf. derniers paragraphes).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les secrets petit à petit dévoilés. C’est la marque de l’auteur, de distiller quelques informations en apparence indépendantes mais qui, sur la fin, constituent un tout. Toutefois, les quelques retours dans les années 30 et 50 en vue d’assembler le puzzle (qui fait bien cinq mille pièces, vous savez, le gros qui fait mal à la tête ?) ont sérieusement entamé ma concentration. Car ces flashbacks accusent souvent une consistante baisse de rythme général, et pour ma part j’ai accueilli ses révélations de manière distraite.

Petit plus culturel du bouquin, Jonquet s’est amusé à affubler les protagonistes de noms issus de la comedia dell’arte : Arlequin, Sganarelle, Matamore, Géronte, etc…tous ces individus sont espionnés par Comédia qui cherche à prouver quelque chose (surtout pour lui-même). Et de comédie il n’est guère au final, avec des actes commis par un des protagonistes justifiant une telle traque.

…à rapprocher de :

De Jonquet, Tigre a largement préféré :

Mygale, la base de la base. Et Mémoire en cage ne s’en sort pas mal du tout.

Les Orpailleurs et Moloch (préférence pour ce dernier), où certains protagonistes se retrouvent.

La vie de ma mère !, original et passionnant.

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