Pierre Clostermann - Le Grand Cirque 2000Sous-titre : mémoire d’un pilote de chasse FFL dans la RAF (tant qu’à faire, pourquoi ne pas rajouter ses médailles ?). Un homme au parcours exceptionnel, des missions terribles et édifiantes, hélas ce n’est pas vraiment mon style : long, parfois lourd, quelques considérations politiques auxquelles je n’adhère pas totalement, Tigre n’a pu hélas finir Le Grand Cirque.

De quoi parle Le Grand Cirque 2000, et comment ?

Le grand cirque, c’est l’expression donnée au joli fatras qui se déroule au-dessus des soldats au sol quand ils voient passer une pétée d’avions qui se foutent sur la gueule. 2000 parce que le bouquin a fait l’objet d’une réédition avec quelques menus ajouts diligentés par Pierre Clostermann en personne, encore très alerte à cette époque.

Clostermann, selon l’éditeur, est : « né en 1921. Troisième As de l’aviation alliée, il se voit attribuer le titre de premier chasseur de France par le général de Gaulle. Promu au rang de grand officier de la Légion d’honneur à trente ans, élu député à huit reprises, il est aussi un écrivain de talent. Spécialiste.. » stop, on arrête là, ce n’est pas, pour ce roman, un grand auteur. Juste quelqu’un qui a eu l’intelligence de noter ses aventures sur un carnet et la patience (l’envie surtout) d’en faire un gros pavé.

Le Tigre fut sacrément enthousiaste au début : un jeune pêchu, qui en a dans la caboche et dans le slip, n’en peut plus de voir la France s’abaisser avec l’ennemi et décide de partir d’Amérique du Sud pour rejoindre les Forces Françaises Libres. Ses capacités de pilote seront rapidement reconnues (le héros étant plutôt impatient) et il faudra pas long pour qu’il se fasse plaiz’, un Spitfire entre les pognes, à raison de plus de deux sorties quotidiennes. Le quotidien d’un pilote de l’époque, l’immersion est presque parfaite.

Toutefois, dès les premières pages je sentais que le personnage allait y aller de considérations plus « politiques ». Ça n’a pas manqué, et c’est fort dommage : quelques piques contre les politiques (Monnet « l’Européen » par exemple), des confrères (Saint-Exupéry), voire des remarques très personnelles qui n’ont pas leur place dans l’essai. Pierrot est gaulliste jusqu’au bout des ongles, et j’ai eu l’impression que ça se remarquait. Sur 7 chapitres, je n’ai pas dépassé le quatrième. Sachant que le dernier porte sur ce qu’il a accompli entre la seconde guerre mondiale et aujourd’hui, Le Tigre ne regrette rien.

Comme le dit le héros, tous les récits de combat tendent à se ressembler au bout d’un moment. D’où une certaine lassitude. Bref, si je ne mets pas la pire des notations, c’est avant tout pour des raisons de considération vis-à-vis d’un grand homme.

Ce que Le Tigre a retenu

D’abord, il faut avouer que l’art de la guerre aérienne, à l’époque, était une sacrée vocation. Ce n’est point uniquement de la haute voltige et chopper plus facilement dans les bars, car il faut : être bon en maths ; bénéficier une mémoire de dingue (codes secrets à apprendre, cap à gérer) ; avoir le cœur bien accroché ; et surtout la rigueur toute militaire qui est plus que justifiée. Les mecs sont exceptionnels, point barre.

Ensuite, le tribut payé par ces guerriers éthérés (oh c’est zoli ça). Sur une classe de jeunes pilotes, beaucoup (pour ne pas dire une belle majorité) tombera au combat. Il n’y a pas que ça, certains petits à-cotés sont très flippants. Les brûlures quand on se sort d’un crash, ou la fatigue exacerbée (exemple du commandant Mouchotte qui finit par y passer). Même notre héros est à deux doigts de la dépression et est « éloigné », le temps de prendre du repos. A force de carburer aux amphétamines, c’est presque intriguant qu’il n’a pas évoqué d’autres effets secondaires.

Le respect de l’adversaire. Ah, je ne vous avais pas dit, mais y’a pas mal de photos d’époque qui peuplent le roman. Quelques pilotes allemands sont présents, en sus M. Clostermann n’hésite pas à parler de ses adversaires. Faut dire que la Luftwaffe était relativement peu nazifiée (la croix de fer sur l’empennage est d’ailleurs restée après le conflit), et j’imagine que quand on se bat à de tels niveaux il doit y avoir une sorte d’empathie supplémentaire qui se développe (entretenue par le sentiment d’être un combattant à part).

Dernier point qui m’a marqué, c’est la manière de compter les Focke-Wulf ou Messerschmitt détruits. Il ne suffit pas de dire « je l’ai touché, il est en flammes ! », la meilleure preuve est la caméra embarquée (qui s’active de concert avec la mitraillette) qui ne laisse plus de place au doute. Sachant la production de chasseurs et bombardiers (les fameux stukas, notamment le Junkers) annuelle, savoir exactement combien on en avait zigouillé était primordial. Les Américains n’avaient pas cette rigueur, et leurs statistiques reposaient sur des témoignages peu exploitables.

…à rapprocher de :

– Question BD, la bande d’aviateurs frenchies qui ont aidé les Soviétiques (la division « Normandie ») se rencontre dans Étoile rouge, Brugeat et Toulhoat. Sympa, sans plus, mieux vaut découvrir le roman graphique à la base de l’uchronie.

– Du côté oriental, en BD encore (ça ne fait pas sérieux, je sais), j’ai eu souvent les images de Banzaï ! en tête (de Dupuis).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

Chuck Palahniuk - PygmyVO : idem. Roman original, déroutant et qui ne se laisse que difficilement apprivoiser. En un mot, baroque. En suivant un espion asiatique de treize ans brièvement infiltré (avec ses complices) dans des familles américaines, c’est à la fois l’excès des États-Unis et l’art du quiproquo qui sont mis en lumière. Au risque de perdre Le Tigre avec un style limite imbitable.

Il était une fois…

Pygmy, agent numéro 67 provenant d’un pays qu’on devine du style de la Corée du Nord, est un espion de première bourre aux savoirs terrifiants. Lui et quelques-un de ces camarades sont envoyés, dans le cadre d’un programme d’échange, vers le trou du cul de l’Amérique. Mais pourquoi une telle infiltration ? Seulement en vue de commettre un attentat terroriste de grande envergure sur le territoire du grand Satan. Bien évidemment rien ne se passera comme prévu.

Critique de Pygmy

Il est pour Le Tigre délicat d’aborder, en critique, ce roman. C’est la première fois que la chose suivante m’est arrivée : j’ai acheté la version française de l’œuvre, traduite par Cohen. Près de 400 pages qui annonçaient du lourd, toutefois y’a eu comme un lézard. En effet, je n’ai pu dépasser le premier quart. Chuck P. a opté pour un « petit nègre » qui oscille entre viol aggravé de la grammaire la plus élémentaire et orthographe phonétique absolument dégueulasse.

Pourtant j’ai décelé, comme souvent chez cet auteur, le génie d’une histoire désopilante. Pygmy se décompose en deux narrations. D’une part, le héros délivre, dans un style militaire, son évolution dans la famille amerloque. Les noms de code donnés sont irrévérencieux au possible (mère-poule, père-vache, sœur-chat, cochon-chien-frère, etc.) tandis que son acte de tuerie se prépare tranquillement.

D’autre part, cet individu a quelques flashbacks de son entraînement (sa formation plutôt) au pays. Prenez le pire internat catholique, ajoutez-y des bérets verts et une école de kung-fu, vous serez très loin de l’enfance de Pygmy. Une vraie arme de destruction massive, y compris vis-à-vis  du lecteur obligé de lire à voix haute des passages entiers pour comprendre de quoi il retourne. Au bout de six chapitres, c’est désespérant.

Du coup, j’ai refermé la VF et me suis procuré le titre en anglais. Et là, magie ! Toutes les expressions du jeune protagoniste ont pris corps dans mon esprit, comme si le rythme de la langue de Shakespeare s’épanouissait mieux dans le cerveau tigresque qui a presque décelé de la splendeur dans les formulations variées d’un individu qui a fait ce qu’il peut avec une langue étrangère. Au final, j’ai dévoré la version américaine en une petite journée.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’Occident en prend joyeusement pour son grade dans cet opus. Au travers des yeux de Pygmy, l’Amérique n’est qu’un ramassis d’incultes incapables et surmédicalisés. Faut dire que la famille où il débarque en tient une épaisse couche. Quant à la notion de démocratie, il suffit de voir la simulation de l’ONU avec les élèves locaux pour deviner le triste sort que l’oncle Sam réserve à cette institution.

Ne vous inquiétez pas, l’auteur tire quelques scuds en direction d’un Orient impitoyable et intolérant. Un monde où la hiérarchie prime et tend à écraser toute initiative ou individu ne rentrant pas dans le moule idéologique de l’État. Par exemple, le pygmée se souvient d’un autre enfant-soldat (il n’est pas d’autres termes) se débrouillant particulièrement bien. Trop même, après une démo de free fight l’enfant est froidement abattu devant ses amis.

Au final, le décalage entre les cultures est trop grand, et les intentions de chaque bord ne seront jamais comprises par l’autre. Un exemple simple : le petit agent secret, pour protéger le frère d’une brute, tabasse cette dernière et en profite pour la violer. Sauf que ça ne fait que révéler l’homosexualité du lourdaud qui tombe amoureux de l’Asiate. « L’agent 67 » a beau parler de syndrome de Stockholm, rien n’y fait. Et c’est ainsi que le héros, malgré lui, sauvera des dizaines d’étudiants alors que ceux-ci devaient être au centre de l’attentat.

…à rapprocher de :

– L’auteur est avant tout connu pour Fight Club (que je me dois de résumer) et sa suite sous forme de BD (en lien) avec Cameron Steward.

– De Chuck Palahniuk, vous préférez A l’estomac, Journal intime, Choke, Berceuse ou encore Peste (narration originale également). Y’en a beaucoup sur ce blog, faites-vous plaisir.

– Le vocabulaire « enfantin » n’est pas sans rappeler La vie de ma mère !, de Thierry Jonquet.

Enfin, si votre librairies est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici (grand format, en français).

Philippe Grimbert - Un garcon singulierEmprunté au hasard, Le Tigre n’attendait pas grand chose de la part d’un psy-auteur. Toutefois, ce fut une jolie surprise pleine de sensibilité et de poésie. L’amitié (est-ce le bon terme ?) entre un handicapé et un ado blasé dans un huis clos de bon aloi en Bretagne, sujet classique mais correctement abordé.

Il était une fois…

A la fin des années 60 (indubitablement après mai 68), Louis s’emmerde un peu à l’université. Ayant quelques jours de libre, il répond à une annonce pour surveiller un « garçon singulier » au fin fond de la Bretagne. Cette offre lui a d’autant plus tapé à l’œil que cela se déroule à Horville, où il a passé d’inoubliables vacances enfant. Son séjour sera plus étonnant que prévu.

Critique d’Un garcon singulier

Y’a des bouquins, on entre dedans comme dans un bâtiment parce qu’il y a de la lumière : je l’ai rapidement piqué à une amie, le temps d’aller le lire sur la plage. En effet, avec moins de 200 pages, des chapitres qui ne dépassent pas trois pages (avec des gros blancs entre chaque), j’étais persuadé de le torcher en une heure. Ce qui fut le cas.

En sus, Le Tigre a eu extrêmement peur de tomber sur un « roman de supermarché » de basse extraction, quelque chose qui allait récolter mes ricanements les plus méchants. Car la présentation de l’auteur n’aide pas : j’ai eu droit à des commentaires de journaux féminins et des remarques du genre « spécialiste du thriller freudien » (gneiiiin ?), sans compter les titres d’autres de ses romans (Chantons sous la psy, Il n’y a pas de fumée sans Freud)…. Néanmoins, la lecture fut agréable.

Pour faire simple, et sans spoiler : le héros, Loulou, est un djeune un peu chiant sur les bords. Mais il va sérieusement se dérider (et changer sa vision de la vie) en s’occupant de Iannis (un autiste d’une quinzaine d’années) pendant que sa daronne (Helena) se concentre sur l’écriture d’un roman vaguement érotique. Le jeune homme jonglera entre la gestion d’un gamin imprévisible (du genre à se tartiner le corps d’excrément) et les avances à peine déguisées de la maman-cougar. Presque un triangle amoureux à la Ricoeur, ne vous inquiétez pas Louis lui fera passer un bon moment.

Philippe G. sait écrire, cela ne fait pas de doute. Il joue le chaud et le froid, savoir la perversité soft et les réflexions doctoresses sur le cas de Iannis. En outre, la fluidité de lecture est excellente ; les deux scènes de cul passent comme autant de colissimos à la poste (avec une mise en abyme peu surprenante) ; et des péripéties simples à comprendre sont contre-balancées par quelques passages plus « envolés ». Trop sans doute, il m’est arrivé de ne pas saisir l’utilité (voire la beauté) des délires de l’auteur. Notamment les textes d’inspiration rimbaudienne qui, ceci dit, m’ont permis de redécouvrir le poète maudit (Grimbert l’invoque très souvent). Sinon, rien à dire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le second protagoniste, Ionnis, est l’occasion pour l’écrivain de parler de l’autisme en soumettant quelques théories intéressantes, ce qui change de la frustration et de l’incompréhension habituelles : le jeune serait handicapé dans la mesure où il « fonctionne » comme une éponge émotionnelle. Louis le voit bien, subrepticement celui qu’il garde réagit différemment vis-à-vis de lui. En outre, et c’est pourquoi les parents commençaient à craquer, il appert que les gens ont peur de l’autiste puisque ce dernier leur renvoie leurs propres peurs.

Au-delà des liens qui vont se tisser entre les deux potos, ce séjour sera pour Louis une sorte de madeleine de Proust : en effet, il se remémora avec émotion ses vacances avec Antoine, enfant de son âge avec qui la relation était très forte. Imaginez, les vacances, c’est un peu la joie de vivre mêlée à des effusions qui auraient pu se terminer en quelque chose d’un peu plus gay.

…à rapprocher :

Je tiens à signaler que je n’ai pas lu d’autres bouquins du Dr Grimbert. Peut-être devrais-je ?

– Mark Haddon et Le bizarre incident du chien pendant la nuit, forcément.

– C’est marrant, mais le jeune qui débarque de nulle part et se retrouve au milieu d’un déchainement d’émotions et finit par être dépucelé (intellectuellement hein), ça m’a bien rappelé La Confusion des sentiments, de Zweig.

– L’histoire avec Antoine m’a brièvement fait penser à la fin de Final Cut, film d’une rare beauté avec Robin Williams.

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