Mike Kasprzak - MonstresAvouez que la couverture envoie du lourd, ça donne envie d’acheter des gants verts. Titre qui annonce quelque chose de passablement dérangeant, en fait Mike K. est relativement resté dans les clous en faisant sortir des quidams des leurs. Style qui ne déplace pas des montagnes, toutefois pour un premier jet c’est parti plutôt loin – je reste dans le domaine de la littérature hein.

Il était une fois…

Montre : « individu ou créature dont l’apparence, voire le comportement, effraie par son écart avec les normes d’une société ».

Tout est dit.

Critique de Monstres

Avant de lâcher les tigres, il faut savoir que j’ai contribué, avec mes propres deniers via une plateforme de financement en ligne, à la publication du présent titre. Du coup, le félin est allègrement cité dans les remerciements de fin d’ouvrage. Hélas, je ne peux vous montrer la page dans la mesure où j’ai accidentellement juté dessus tellement j’étais excité. Celle-ci est donc collée. Voilà pour signaler d’éventuels conflits d’intérêts.

Ensuite, le thème annoncé par l’auteur est celui des monstres. Cependant, à mon humble avis, il n’est que peu question de la monstruosité telle que je pouvais me l’imaginer – des trucs immondes avec un soupçon de fantastique. Sur une vingtaine de nouvelles (10 pages en moyenne), le lecteur aura l’occasion de rencontrer des êtres souvent paumés, des bras cassés au cynisme éprouvé et inadaptés dans notre monde. De la violence, un peu de sexe, une haine certaine de son prochain, c’est certes fort vilain mais il m’en faut plus pour atteindre l’ignominie qui confine à l’inhumain – même si l’auteur signale qu’elle se cache souvent là où ne l’attend point.

Enfin, les phrases sont souvent livrées dans un style familier (ça ne me dérange pas, au contraire), avec raccourcis grammaticaux du langage parlé et remarques à l’emporte pièce (j’aime moins). Il en résulte des nouvelles qui semblent sortir tout droit d’un magazine masculin peu fin mais qui sait appuyer là où ça fait mal. Trivialement, les nouvelles qui m’ont le plus ravi sont celles à fortes connotations sexuelles (fort bien décrites) à l’instar de Comme moucher la vulve de Dieu et Deux mois de folie.

En guise de conclusion, si quelques textes ne m’ont pas plus emballé que cela, d’autres se liront avec un plaisir non feint. Kasprzak est un auteur dont je soupçonne un dessous de la pédale bien rempli, et y’a sacrément moyen qu’il sorte un jour quelque chose d’extrêmement vilain – dans le bon sens du terme.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce qu’il y a d’étonnant dans les différents textes est la quasi omniprésence de l’alcool. Il arrive aux antihéros d’être, plus souvent qu’à leur tour, dramatiquement imbibés. A titre personnel, j’y vois comme la dénonciation d’une dangereuse déviance sociétale qui consiste à siffler son litre de rouge qui tâche en vue de supporter son environnement. Sauf que l’auteur cherche à rendre ses protagonistes sympathiques, sans compter que certains sont très certainement inspirés par le personnage même de Mike Kasprzak – quelques intrigues mettant en scène des wannabee writers en témoignent.

En fait, il m’est apparu que Monstres traitait avant tout de la condition de l’Homme contemporain qui est en dehors d’un système qu’il (au passage) abhorre. Il y a une aliénation marquante des protagonistes qui ne se reconnaissent plus dans ce monde consumériste et souvent attaché à une normalité, normalité vis-à-vis de laquelle s’éloigner est plus que mal vu. Les monstres de l’écrivain le sont-ils réellement dans ce cas ? Si ne se sentir pas en phase avec son petit univers en voulant tout déglinguer suffit à nous octroyer un pin’s indiquant « monstrueux », alors on en a tous une petite collection – sans que cela ne signifie un passage à l’acte.

…à rapprocher de :

– J’ai eu une période jeune-dégueulasse-en-guerre-contre-le-monde, par des auteurs (pour l’instant) inconnus, notamment Croisade Apocalyptique et L’histoire du loser devenu gourou, de Romain Ternaux – ça passe.

– Des nouvelles aussi noires mais avec davantage de poésie, c’est Avant terme de Serge Cazenave-Sarkis. J’ai préféré le recueil A chaque jour suffit sa haine, de Sébastien Chagny – même éditeur indépendant.

J’ai forcément pensé à Chuck Palahniuk et son roman Monstres invisibles, qui reste un classique dont je ne me lasse point. Ou alors Les nouveaux monstres 1978-2014, versant politique de l’horreur – et de l’indignation.

– Dans la catégorie des gros salopards, La littérature nazie en France de Gregory Mion me semble, pour l’instant, difficilement comparable.

– Du côté des éditeurs indépendants, essayez Palissade, de Frank Villemaud – ça se laisse lire si vous n’avez pas peur du quatrième mur brisé, et la fin vaut le détour.

Malcolm Lowry - Au-dessous du volcanVO : Under the Volcano. Voici le roman d’une vie. Un homme imbibé 24 sur 24. L’amour qui ne reviendra plus. La déchéance aussi progressive qu’inéluctable. Quelque chose de poétique et superbement écrit, cependant trop bizarre pour que le félin parvienne à le lire jusqu’au bout. Voici donc la chronique d’un échec inattendu.

Il était une fois

Le quatrième de couv’, habilement, reproduit au pif un passage. Comme un aveu de l’éditeur qui n’a guère compris ce dont il est question dans le roman :

« Aussi quand tu partis, Yvonne, j’allai à Oaxaca. Pas de plus triste mot. Te dirai-je, Yvonne, le terrible voyage à travers le désert, dans le chemin de fer à voie étroite, sur le chevalet de torture d’une banquette de troisième classe, l’enfant dont nous avons sauvé la vie, sa mère et moi, en lui frottant le ventre de la tequila de ma bouteille, ou comment, m’en allant dans ma chambre en l’hôtel où nous fûmes heureux, le bruit d’égorgement en bas dans la cuisine me chassa dans l’éblouissement de la rue, et plus tard, cette nuit-là, le vautour accroupi dans la cuvette du lavabo ? Horreur à la mesure de nerfs de géant ! »

Critique de Au-dessous du volcan

Qu’est-ce que Le Tigre s’en veut ! C’est après s’être administré une douzaine de coups de fouet (plus quelques chapitres de Musso, bien pire que du sel sur la plaie) que le fauve a entrepris la rédaction de ce billet. La préface de Maurice Nadeau m’avait profondément réjoui : l’auguste homme avouait que l’Humanité pouvait se diviser en deux, entre ceux qui ont lu ce roman et les autres. Et dire que j’étais sur le point de basculer dans cette deuxième partie, comme si je pénétrais l’élite littéraire (sic), oh joie ! Mais…j’ai lâché piteusement l’affaire à la moitié.

J’y suis pourtant allé avec les meilleures intentions. Il n’y a certes que peu de personnages (le fameux consul Geoffrey Firmin, son ex-épouse Yvonne, et quelques autres qui se greffent), mais impossible pour ma part de bien me les représenter. La prose de Malcolm Lowry, ampoulée à souhait, ne laisse que peu de répit à un lecteur qui subira les incessants assauts littéraires d’un roman qui, au premier abord, n’a ni queue ni tête. Je soupçonne même qu’en lisant les chapitres dans un ordre aléatoire le résultat aurait été le même, c’est dire.

Voyons maintenant…de quoi parle cet objet littéraire ? Très franchement, je sais n’avoir qu’effleuré la surface d’un titre à la symbolique puissante et dotée de nombreux thèmes évoqués avec un luxe de détails souvent insoutenables – la décomposition en douze chapitres n’aidant pas. Il est question d’un consul « coincé » dans un Mexique au climat difficile et tentant, tant bien que mal, à récupérer son épouse. Je me suis arrêté au moment où le héros se remet, dans sa salle de bain, d’une monumentale cuite dont il rassemble ses souvenirs épars. Si j’ai le sentiment d’avoir laissé ses chances à l’œuvre (j’aurais pu abandonner bien avant), il n’en reste pas moins que poursuivre n’aurait sûrement pas changé mon opinion.

En revanche, il faut bien convenir que ce truc littéraire a quelque chose de purement magique : tout en bitant absolument que dalle, je ne voulais pas prématurément remiser l’ouvrage dans ma bibliothèque. J’aurais très bien pu sauter les paragraphes, le résultat aurait été similaire : un émerveillement face au style inimitable de l’écrivain anglais, des mots qui coulent de source mais dont la signification profonde m’échappe. Comme le signale la préface, il y a une harmonie presque musicale dans la prose de l’auteur anglais, toutefois je ne suis pas parvenu à saisir la partition générale.

Bref, ce n’est pas tous les jours que j’ai l’impression de m’être fait mater par un roman. Je pensais que rien, pourvu que ça ne dépasse pas 1 000 pages, ne pouvait me résister. Et Lowry vient de me prodiguer une retentissante fessée. Pire : la confirmation, si besoin est, que je ne suis qu’un odieux dilettante infoutu d’apprécier la vraie littérature – car je sais que Au-dessous du volcan en fait partie. Aussi je m’en remettrai aux bons mots de la préface : ce livre mérite d’être lu et relu. Je m’y remettrai donc un jour.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

A mon fort humble avis, le dessous d’un volcan mécontent fait référence aux affres de l’alcoolisme tels que Geoffrey l’éprouve. Le consul, être au-dessus de toute norme d’un point de vue de l’imbibition, s’autodétruit avec une méticulosité assez effrayante qui ne peut amener qu’à de mauvaises choses. Whiskies, bières éventées qu’il arrose de strychnine (une saloperie qui cumule ce que la drogue peut faire de pire), notre ami glisse sur une pente qui, justement, l’amènera dans un enfer digne de l’intérieur d’un volcan que même l’amour envers sa femme ne parviendra à éteindre.

Il faut enfin savoir que ce chef d’œuvre incompris du Tigre possède une charge autobiographique impressionnante. Malcolm Lowry, décédé jeune à cause de son penchant pour les alcaloïdes, a parcouru les vastes Amériques pour rédiger ce roman. Ce dernier a été perdu de nombreuses fois, et tel un alcoolo qui se ramène au bar après une biture retentissante, il a tout réécrit. Comment mieux souligner la volonté d’un homme de livrer absolument ce qu’il lui tient à cœur, et qui paraît avoir découvert quelque chose de fondamental dans l’existence ? Selon Lowry, deux univers semblent se faire face : la connaissance pure, celle qui touche au ciel, et la poésie harmonieuse possible grâce à un état de constante fébrilité qui fait faire au cerveau de somptueuses digressions – certes peu compréhensibles ici.

…à rapprocher de :

– Dans la catégorie des romans anglais excessivement longs où le protagoniste en chie un max dans un pays exotique, même son de cloche avec No smoking, de Will Self.

Confiteor, de Jaume Cabré, également non terminé – et à relire dès que je m’en sentirai capable.

Enfin, si votre librairie est fermée et que vous voulez faire mieux que Le Tigre, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Robert Crais - Indigo bluesVO : Indigo Slam. Voilà nos deux détectives privés assez taciturnes (surtout un) qui jouent quasiment les baby-sitters contre des méchants à l’accent prononcé – entendez, les mafias étrangères sont les pires. Doubles jeux, surprises en veux-tu en-voilà, tout ceci est plutôt bien réussi. Il y a même une forme de beauté effrayante dans les pages de ce roman.

Il était une fois…

Elvis Cole, détective privé qui se la coule plus ou moins doucement à L.A., est sur le point d’accepter une clientèle bien particulière : il s’agit de Teri, adolescente plutôt futée à la recherche de son père. Accompagnée de ses petits frère et sœur (donc trois enfants), elle aimerait bien que Cole découvre où est passé papa Clark Haines, imprimeur de son état. [vous sentez le rapport avec des faux biffetons arriver ? Oui]. Notre héros, en mode pro bono (c’est-à-dire sans délivrer de facture), file à Seattle en vue de retrouver le père absent. Bien sûr, c’est un tantinet plus complexe que prévu.

Critique de Indigo Blues

Voici un des premiers romans de Crais que votre serviteur a tenu (très jeune) entre ses mains, et il faut dire que ça m’avait à l’époque ravi. Elvis Cole et Joe Pike, deux mecs plutôt différents mais agissant de concert avec intelligence dans des situations presque inextricables sous un soleil de plomb à la sauce californienne, ça vend du rêve.

L’histoire démarre très pépèrement avec trois enfants inquiets réclamant leur pôpa, ce qui ne manque pas de toucher une certaine fibre chez Cole (Joe Pike semblant, comme à son habitude, insensible). L’enquête commence donc à Seatlle, et dès le début le privé se fait salement alpaguer par un vilain russkov (nommé Markov) qui tient absolument à savoir où Haines Sr. peut être délogé. Après un sauvetage miraculeux, il apparaît que Haines n’est pas tout blanc dans la mesure où 1/ c’est un faussaire 2/ il cherchait à entuber ses criminels clients 3/ comme ça a dégénéré il a décidé de collaborer avec les schmitts. Chirac, à côté, reste un puissant modèle de stabilité idéologique.

Après une belle dose de retournements et l’apparition d’autres protagonistes (notamment la mafia viet, si si), Robert Crais offre un final qui demeure aussi classique que jouissif, à savoir une petite prise d’otages tout ce qu’il y a de familiale dans un parc d’attraction. L’écrivain américain a su produire quelque chose qui est un doublement bien foutu : d’une part, les chapitres s’égrènent à une vitesse fort plaisante, lire 400 pages ne m’a rarement semblé aussi aisé – et, pourtant, les personnages restent bien vivants. D’autre part, l’univers dans lequel Le Tigre a été plongé sait être sombre et glauque, l’envers de l’Amérique est ici crédible.

Mafias russes et vietnamiennes, violence omniprésente avec deux héros qui ont des burnes aussi lourdes qu’un hummer, dialogues non dénués d’humour (certes cynique), l’amateur de polar peut foncer sur ce type de romans, qui n’a point vieilli, tête baissée.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La famille est au centre du roman pour deux raisons au moins. Imaginez, le père est à deux doigts (non, il le fait carrément) de mettre sa progéniture en danger. Parce que l’ainée, par amour, engage un détective, elle ne savait pas qu’elle allait se retrouver entre de très mauvaises mains. Et ce à cause d’un père plus occupé à gagner des tunes que s’occuper de la chair de sa chair. Ensuite, un réflexe paternel apparaît (légitimement) chez nos deux héros que je n’imaginais guère dans cette configuration. Le peu causant Pike, en particulier, fait montre d’une humanité taiseuse mais efficace.

A toutes fins utiles (et c’est valable chez Robert Crais comme un Patterson), les faux semblants sont légion. Le personnage de Clark est un parfait exemple d’individu insaisissable et assez enclin à vous la mettre dès que vous lui tournez le dos. Ce n’est pas de la duplicité mais c’est tout comme – payer en faux billets notre gentil détective, il faut le faire. Dans un pays qui considère le papier vert comme un demi-dieu, l’activité de faussaire ne saurait échoir à un « bon » personnage, me direz-vous. En rajoutant un autre individu qui s’avère développer un double jeu (je ne spoilerai pas ici), Le Tigre n’a pu s’empêcher de voir une subtile (et, si ça se trouve, involontaire) remarque sur le thème de la confiance : confiance en les hommes, confiance en la monnaie, même combat ?

…à rapprocher de :

– Il fut un temps où votre serviteur avait bouffé la plupart des œuvres de Crais. Dans l’ordre de parution : L.A. Requiem ; Le Dernier Détective ; L’homme sans passé (mouais) ; Mortelle Protection (assez marrant, à découvrir) ; A l’ombre du mal ; Règle numéro un ; etc.

– Sans les héros habituels, vous avez Otages de la peur ( plutôt marrant) et Deux minutes chrono (à éviter).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Crédits : Jason Reed / Reuters

Crédits : Jason Reed / Reuters

Voici une nouvelle tirée du recueil La littérature nazie en France, série de nouvelles inspirées d’une œuvre du Chilien Roberto Bolaño. Comme Tigre adore la plume de l’auteur français, j’ai fait des griffes et des pattes pour pouvoir publier, sur mon insignifiant blog, une nouvelle illustrant son dérangeant talent – vous savez tous que j’ai des gouts bizarres. On adore ou on déteste. Pas d’entre-deux.

Qui est Gregory Mion ?

Greg’, je l’ai accidentellement rencontré lorsque je m’étais procuré quatre courts romans chez un éditeur indépendant. Parmi ces textes il y avait Avec l’assentiment du reptile, texte mi-long qui détonait furieusement avec ce que j’avais l’habitude de lire. Je m’imaginais (sans doute à raison) un auteur rédiger, lors de longues soirées de préférence, comme si le diable en personne lui collait aux talons.

J’ai appris par la suite le parcours chaotique et passionnant d’un homme qui se dit lui-même « divorcé de l’université », et qui constitue un exemple particulièrement éloquent de la manière dont des esprits différents sont éjectés d’un système cloisonné. En outre, il arrive à Gregory de poster quelques billets littéraires sur des blogs de qualité, billets à côté desquels ceux de votre fidèle serviteur ne sont que des lolilol de connasse écervelée. Si vous connaissez mon honteux penchant pour les auteurs « borderline » tels Self et Palahniuk, imaginez quand Gregory Mion bascule souvent dans le même style, mais en français et avec plus de termes orduriers – ce que je n’approuve pas toujours.

Pour une fois, j’ai eu l’autorisation de l’auteur pour publier une nouvelle. Il l’a lui-même sélectionnée, et ça tombe plutôt bien puisque celle-ci représente assez fidèlement à quoi vous attendre avec lui. Attention, ça défouraille crescendo  :

Bastien Gadenne (1971-1999)

On ne sait s’il faut se contenter de dire que tout a eu lieu en quelques malheureuses secondes, ou alors si tout dépend d’un large éventail de causes et de raisons suffisantes. En revanche, de source sûre, s’il y a un point qui ne fera pas débat ou qui ne souffrira aucune intervention du scepticisme le plus chevronné, c’est que Bastien Gadenne fut un jeune garçon plutôt rangé, peut-être un peu efféminé dans ses manières, mais certainement pas un homme dont il convenait de se méfier quand on l’abordait. Il avait fait avec les moyens de sa vie, c’est-à-dire avec pas grand-chose à la base. Dépourvu de capital culturel, fauché en connaissances institutionnelles et né sur le rebord d’un pauvre quartier de la banlieue grenobloise, Bastien Gadenne ne bénéficiait pas des atouts qui permettent de se catapulter dans une position avant même d’avoir amorcé une formation, des études, un apprentissage, tant d’étapes qui ne sont que facultatives pour ceux que Serge Gainsbourg a surnommé les enfants de la chance. Par défaut de réseau, par manque d’opportunisme et de clarté dans les idées sociales, Bastien Gadenne avançait dans la vie séparément de toute accointance factice, en pur enfant de la déshérence. Pour l’exprimer de façon très transparente, pour que l’on se représente parfaitement ce qu’il en était de cet individu qui devait si mal finir, Bastien Gadenne n’aurait pas pu être certain d’obtenir un emploi même s’il avait choisi les meilleures options ou n’importe quel autre parcours excessivement balisé. Un petit diplôme d’apprenti boulanger ne lui aurait pas garanti une situation convenable dans la boulange, pas plus qu’un long cursus de droit ne lui aurait ouvert les portes cochères d’un cabinet réputé d’avocats. Et comme il n’était pas vraiment habile de ses mains et encore moins travailleur de la matière cérébrale, la boulange ou le droit, ç’eût été pour lui des orientations sans pertinence. Il obtint son brevet des collèges à la deuxième tentative, il fit un passage anecdotique en seconde générale, puis on le réachemina dans une formation technique où on lui apprit la docilité du manutentionnaire. Le jeune Gadenne s’ennuya énormément dans les ateliers d’une usine de métaux légers. Ce ne fut qu’après avoir obtenu le permis de conduire que de nouveaux métiers s’ouvrirent à sa maigre ambition. Il pouvait faire le chauffeur non déclaré, postuler dans une compagnie locale d’autobus, passer un brevet de conducteur d’engins de chantier, tenter le permis poids-lourds, il pouvait donc faire tout à fait autre chose que se morfondre à l’usine en rangeant du métal dans des gros cartons.

Dans l’absolu, le permis de conduire initia Gadenne aux rites d’une entreprise de chauffeurs particuliers. Le gérant lui expliqua en quoi consistait le boulot : « Tu te mets au volant et tu fermes ta gueule. Quoi qu’il arrive, tu dois fermer ta gueule. Si le client se fait tailler une pipe par une pute qu’il t’a demandé de récupérer sur un boulevard, tu fermes ta gueule. Si une cliente subit un coup de folie et qu’elle décide soudainement de couler un bronze sur la banquette arrière, tu fermes aussi ta gueule. Même si elle commence à repeindre l’habitacle avec sa merde, tu continues de la fermer. Tu comprends ce que je te dis, Gadenne ? » Bastien Gadenne hochait la tête nerveusement. Il déglutissait à chaque hochement. Il voulait cette place de chauffeur. Il avait une monstrueuse envie de quitter l’usine et pour arriver à le faire, il était prêt à hocher la tête pour n’importe quoi, pour absolument n’importe quoi. Le gérant pouvait exiger de lui tout ce que l’on peut réclamer d’un individu qui se situe au sous-sol de la respectabilité sociale. Gadenne aurait fait davantage que nettoyer la merde d’une cliente tarée s’il avait fallu en arriver là pour être embauché. Gadenne aurait pu faire la vidange gratuite de tous les véhicules parqués dans l’entreprise. Il aurait même sucé les pots d’échappement si le gérant lui avait ordonné de le faire pour le bien-être des différents véhicules. Bastien Gadenne avait appris les registres de la soumission. On l’avait éduqué en véritable va-nu-pieds. Depuis qu’il était sorti du ventre de sa mère, on lui avait donné l’ordre de fermer sa gueule et de suivre le rang de la masse. Quand on le frappait dans la cour de récréation, Gadenne ne ripostait pas. Il avait des souvenirs douloureux à cet égard. Il y avait eu plein de tortionnaires pour le racketter. On lui avait fait aussi bien les poches que l’esprit : on l’avait dépouillé de son argent de poche et on l’avait vidé de sa substance psychologique. On lui avait volé presque toutes les semaines des pièces de dix francs. On l’avait enfermé dans les chiottes et on l’avait traité de tantouze. « Gadenne, petite tapette de merde ! Gadenne, trou du cul, et si tu me nettoyais le fion avec ta langue ? » C’était ce qu’il avait entendu durant les longs et interminables trimestres de sa scolarité secondaire. Gadenne par-ci, Gadenne par-là, que des invectives, des gros mots, des agressions verbales qu’on lui jetait dessus, comme on eût jeté des bûches à tire-larigot dans un feu qui se consume trop vite. Or dans la mesure où Gadenne encaissait, dans la mesure où il fermait sa gueule, on y allait de surenchères et d’extravagances, on ne lui laissait pas un moment de répit. Gadenne était sorti du système scolaire avec des traumatismes enfouis. Il avait tout gardé dans un double fond de sa fragile armure de va-nu-pieds. Pourtant il n’avait pas nourri les projets d’une vengeance, du moins si l’on se fiait aux signes extérieurs de ses expressions faciales. Il était trop sage pour en arriver là. Ce qu’il voulait, c’était un emploi, une place pour se construire, une issue de secours pour échapper aux vapeurs méphitiques de l’usine à métaux.

Les missions inaugurales de Bastien Gadenne en tant que chauffeur particulier se passèrent extraordinairement bien. Il aimait le job. Il aimait s’attarder dans les rues chics de Grenoble quand les montagnes, sur les pourtours de l’horizon, étaient coiffées d’une crête de neige et que les orages grondaient derrière ces dômes angéliques. Il expérimentait dans cette ambiance de tumulte suspendu un puissant remède pour accepter les misères d’autrefois. Maintenant qu’il était au volant de voitures tape-à-l’œil et qu’il transportait des personnes très importantes, il prenait du goût pour les dimensions esthétiques de la vie, il voyait dans les montagnes et les orages qu’elles dissimulaient des exemples de force qu’il intériorisait. C’était peut-être qu’il se sentait devenir quelqu’un, ce n’est pas évident de l’affirmer avec aplomb. En tout cas le gérant félicitait Gadenne pour sa ponctualité. La bagnole dont Gadenne avait la charge roulait prestement entre la gare ferroviaire et les hôtels huppés de Grenoble. Les clients laissaient des pourboires conséquents à Gadenne. Il se faisait une sorte de pactole. Il mettait l’argent de côté. Même s’il n’avait aucun projet, même s’il n’était pas du genre à faire des plans sur la comète, Gadenne continuait d’archiver le fric en vue de ce qui se présenterait à lui un jour ou l’autre. Il ne se payait rien en dehors de ses émoluments fixes. Le loyer lui bouffait la moitié de ses revenus, la banque lui proposait des solutions, des placements de pourboires, mais Gadenne niait toutes les options en bloc. Il se débrouillait, il n’était pas menacé d’expulsion par son propriétaire, il ne mangeait pas toujours à sa faim, cependant il existait, il avançait pour autant qu’on pouvait le dire de lui, en l’occurrence il avait une démarche poussive et des chaussures qui faisaient un bruit de borborygme. Ses chaussures étaient des tennis – une sous-marque dont la semelle s’effilochait au bout d’une semaine. Gadenne ne fut pas tout de suite obligé de porter des vêtements d’étiquette lors de ses trajets professionnels, aussi avait-il les tennis en permanence aux pieds, qu’il plût ou qu’il ventât, qu’il neigeât ou qu’il grêlât, Gadenne se chaussait indifféremment et le gérant ne lui en faisait aucune remontrance. Ce qu’on attendait de Bastien Gadenne dans les étapes préliminaires de son job, c’était de la probité, du service et du savoir-vivre, en d’autres termes on exigeait qu’il fût régulier, soumis et quelque peu lèche-bottes avec la clientèle. Et pour l’écrire encore plus laconiquement, ce qu’on attendait de Gadenne, c’était tout simplement qu’il continue de fermer sa gueule de crève-la-dalle. D’ailleurs, au chapitre du silence et de la circonspection, Gadenne excellait. On ne l’avait jamais entendu rouspéter. Depuis l’enfance, Gadenne se taisait. La moindre colère, il la repoussait, il la balayait d’un revers de manche. Tout en lui avait atteint la densité d’un caractère compact : ce qu’on lui soupçonnait en apparence de faiblesse, il l’avait accumulé en solidité à l’intérieur des parties essentielles de sa personnalité. Est-ce à dire que Bastien Gadenne se formulait des manigances ou des complots ? Est-ce qu’il était en train d’allumer la salle des machines de sa conscience ? On en jugera en apprenant ce qui le propulsa à la fois dans la célébrité nationale et dans la mort spectaculaire. À titre posthume, Bastien Gadenne serait bel et bien quelqu’un.

Au bout de plusieurs années de preuves accomplies et de bonne volonté, le gérant de la boîte proposa à Gadenne une mission d’envergure. « Gadenne, t’as réussi là où je pensais que tu te casserais la gueule. Tu m’as prouvé que je pouvais te faire confiance, alors je vais te confier un ordre de mission nouveau. Tu te sens de quitter les rues et les départementales de Grenoble ? » Comme il le fit des années plus tôt, Gadenne opina du chef, frénétiquement, convulsivement. Ses assentiments ou ses négations, il ne les prononçait pas de vive voix. Tout ce qui relevait du « oui » ou du « non », Gadenne le somatisait dans quelques mouvements vigoureux de la figure. Par conséquent le gérant reprit sa description de la mission : « Dans une semaine, il y a un événement un peu particulier qui va se dérouler dans un grand hôtel d’Annecy. C’est un événement lié au monde de la mode. L’hôtel se situe sur les bords du lac d’Annecy, c’est un établissement d’une immense réputation et il n’y aura que des clients fortunés, des émirs, des princesses, des putes de la jetset, tu vois bien le tableau. Toi, Gadenne, tu ne vas pas transporter ces gens-là. Ils s’arrangeront pour arriver en hélicoptère et des limousines leur feront faire la route. Toi, Gadenne, tu vas aller faire le piquet à l’aéroport de Genève et tu vas me récupérer six journalistes de mode de Paris, que des nanas. Comme d’habitude, tu fermes ta gueule. Si elles te posent une question, tu souris, tu fais un rictus, mais surtout tu fermes ta gueule. Normalement elles ne te demanderont rien. Elles ne vont même pas te calculer. Ce genre de pute ne s’intéresse qu’au réseau des influences. Pour elles, tu n’es qu’un gars qui doit fermer sa gueule et c’est précisément ce que tu vas faire, d’autant que c’est ce que tu sais faire de mieux. Ces putes, tu vas les acheminer jusqu’à l’hôtel où doivent avoir lieu les festivités. L’événement doit durer trois jours. Pendant ces trois jours, tu seras à l’entière disposition de ces journalistes, d’accord ? Si elles te demandent de les emmener faire de la luge sur les pentes du Mont-Blanc, tu les emmènes, tu loues le matos, tu les attends, même si tu dois attendre des heures. Si elles veulent remonter une nuit à Genève pour faire du shopping, pareil, tu y vas, tu fermes ta gueule, tu dois être le mec qui peut les conduire n’importe où, n’importe quand, quitte à ce que tu trouves un moyen de te rendre jusqu’aux anneaux de Saturne ou dans le trou du cul de ce putain d’enculé de Mickey Mouse. Est-ce que tu saisis bien les responsabilités de cette mission, Gadenne ? Ce n’est pas de la petite monnaie, hein ? Ces journalistes ont tous les droits. Si elles veulent te cracher dessus, tu souris encore, tu la fermes et tu attends qu’elles soient descendues du véhicule pour t’essuyer la joue avec un mouchoir. Si elles souhaitent te faire une pipe, c’est encore pareil, tu es consentant, tu es facile à vivre et de préférence tu te laisses aller jusqu’à l’éjaculation pour montrer que tu n’as pas été insensible à l’initiative de ces connasses… Tout ceci doit être parfaitement ancré dans ta tronche, Gadenne. Est-ce que c’est le cas ? Est-ce qu’il y a des choses sur lesquelles tu aimerais que je développe ? » Gadenne ne trouva rien à redire à ce discours de présentation. Le briefing lui paraissait optimal. Il allait juste récupérer six putes de journalistes parisiennes dans un minibus. Le hasard voulut que toutes ces putes fussent de confession juive. Bastien Gadenne intercepta l’information avec les moyens du bord.

À Genève, les putes grimpèrent dans le minibus avec force gloussements et pépiements de volailles. Elles saluèrent Gadenne à l’emporte-pièce, en gestes méprisants et en visages altiers, et chaque fois qu’elles faisaient un mouvement, chaque fois qu’elles se replaçaient le séant sur un siège, on entendait un bijou qui tintinnabulait à leur poignet ou un collier de perles qui froufroutait sur leur cou maigrichon, des poignets et des cous de pétasses qui fréquentaient trop la salle de sport et qui devaient de temps en temps s’envoyer des amphétamines. Le gérant avait eu de bonnes intuitions : les putes ne calculèrent plus Gadenne dès lors que le minibus s’activa. Elles étaient excitées à la perspective de l’événement qui les attendait à Annecy. Les bijoux faisaient un boucan de tous les diables. Les rires fusaient en sonorités moqueuses et médisantes. Elles critiquaient à tout-va. Elles s’échangeaient les dernières rumeurs. Leurs phrases bourrées de ragots étaient incrustées d’hyperboles. « N’empêche, à ce qu’on dit, il paraîtrait que la fille que Mitterrand a cachée aurait été conçue avec une effeuilleuse du Moulin Rouge ! » ; « Mon Dieu, tu déconnes ! » ; « Non, je déconne pas, putain. Le bruit a fuité de son service de chauffeurs particuliers. » ; « Mitterrand qui se tape une pute du Moulin, en même temps, moi, ça ne m’étonne pas. » ; « C’est pratique de balancer cette bombe maintenant qu’il est mort… » ; « Et alors ? Tant qu’on n’aura pas vérifié les sources, il y aura le doute. C’est comme pour les pédophiles, si on te dit que ton voisin est pédophile, tu déménages, tu cherches pas à comprendre, tu cherches pas à démêler le vrai du faux. » ; « Ouais mais là on parle de Mitterrand, pas d’un pédophile… » ; « Ouais, d’accord, mais moi, je le redis, s’il a baisé une pute de strip-teaseuse et qu’il lui a fait une gamine, je ne vois ni ce que ça a de choquant, ni en quoi Mitterrand n’aurait vraiment pas pu se le permettre. Tout le monde sait qu’il courait aux portillons. Il appréciait tester sa séduction. » ; « Et vous, monsieur, vous appréciez tester votre séduction ? » La question était adressée à Gadenne. Elle était tombée comme ça, comme un cheveu sur la soupe. Il effleura le rétroviseur du regard et il ne répondit pas. Quelques secondes pesantes s’éternisèrent et l’une des putes mit fin à l’interlude : « Il est pas trop causant, le chauffeur… » Ensuite la conversation reprit. On évoqua la possibilité que Roger Hanin ait couché dans un immeuble pédé de Rueil-Malmaison.

Juste un petit peu avant d’arriver sur le territoire d’Annecy, quand la route se fit étroite et que l’éclairage devint quasiment inexistant, Bastien Gadenne fit rouler le minibus sur le bas-côté et il coupa le contact. Les putes cessèrent instantanément de jacasser. Gadenne se retourna vers elles. Il avait une ombre qui était descendue sur son visage habituellement si généreux, si accommodant. Tout en étant retourné dans la direction des putes, il appuya sur le système de verrouillage interne des portes – sa main connaissait le tableau de bord par cœur. L’une des putes avala sa salive bruyamment et les autres se calquèrent à peu près sur cette émotion. Bastien Gadenne ouvrit sa gueule : « Alors, le voyage, la route, ça vous plaît ? » Les douze pupilles distribuées dans les regards des six putes étaient pénétrées d’une incommensurable terreur. Aucune ne répondit à cette question de circonstance. Gadenne ne fit pas d’épilogue. Tout alla très vite. Il ouvrit la boîte à gants à l’aveuglette parce qu’il ne voulait pas perdre les journalistes de vue. Du petit compartiment, il extirpa un flingue au bout duquel était vissé un silencieux. Il n’eut besoin que de sept balles. Les journalistes étaient tétanisées, aussi Gadenne n’eut pas trop de difficulté à loger les balles dans les têtes des putes. Il n’y a que la dernière, celle qui était assisse au fond du minibus, qui prit deux balles. Les autres furent tuées d’un seul projectile. Les boîtes crâniennes explosèrent et s’éparpillèrent. Les vitres du minibus furent maculées de résidus organiques et de liquide céphalo-rachidien. Gadenne reçut un morceau de cervelle sur l’épaule. Il laissa la cervelle telle qu’elle, juchée sur son épaule de va-nu-pieds, cette cervelle de géante qui n’arrivait plus à le narguer, cette cervelle judaïque à laquelle on avait offert toutes les chances et qui n’en avait fait que des occasions de se compromettre, des occasions de s’embourber dans la plus vicelarde des ascensions, en écrivant des articles de merde sur des sujets de mode qui n’intéressaient que des héritiers et des banquiers. Mais Bastien Gadenne finit quand même par s’irriter de ce morceau de cervelle. Il ouvrit la vitre et il le balança. Il ralluma le moteur. Il se déporta sur le bitume et il roula jusqu’au centre d’Annecy. Il parcourut les rues de la vieille ville à vive allure. Nul n’aperçut les anomalies sur les vitres ensanglantées du minibus. Les gens faisaient leur nuit à cette heure-ci. Gadenne s’arrêta dans une station-service qui distribuait du carburant non-stop et il s’acheta un carnet de notes du plus petit format, de marque Rhodia. À la suite de quoi il sortit du centre-ville et il dénicha un coin protégé de la lumière et des intentions indiscrètes. Il rédigea sur le carnet quelques phrases pour expliquer les degrés de sa phase assassine. Il vitupéra sur Israël. Il confessa qu’il n’aurait pas tué les journalistes si elles avaient eu un comportement correct. Il ne prit pas la peine de définir ce qu’il entendait par un comportement correct. Il signa Bastien Gadenne et il sortit du minibus pour aller clouer le carnet sur le tronc d’un épicéa – dans la boîte à gants il y avait aussi un marteau et un sachet de clous, achetés la veille. Quand il remonta dans le véhicule, il pointa les roues en direction du lac d’Annecy, puis il accéléra et fit une embardée, se jetant dans les eaux nocturnes. Lorsque le minibus fut sur le point de couler, Gadenne se tira une balle sous le menton. Sa cervelle sauta. Sa cervelle alla rejoindre les vestiges crâniens des six journalistes froidement occises. On qualifia ce geste meurtrier de crime antisémite. On fit des marches blanches à Paris. Les rédactions des grands journaux parisiens marquèrent le deuil. Des drapeaux d’Israël furent dépliés dans certaines salles de rédaction et cela, plutôt que d’apaiser les consciences, attisa d’autres folies mal contenues. À la toute fin, quand on eut terminé de sonder le sobre passé de Bastien Gadenne, on découvrit qu’il avait annoté des magazines de programmes télévisés, entourant des visages au stylo bille, crucifiant des corps au feutre rouge, et à côté de chacun de ces visages ou de ces corps, il avait mentionné « Juif » ou « Non-Juif ». On en eut froid dans le dos. Les journalistes se gardèrent d’ébruiter cette singulière manie typologique.

Goscinny & Uderzo - Astérix en CorseL’ingénieux Gaulois et son énorme compagnon roux vont presque rencontrer aussi têtus qu’eux ! Et oui, les Corses sont d’une trempe plutôt rebelle, et malgré leur légendaire susceptibilité la mayo prend assez vite avec nos héros. Frais, enlevé, reprenant tous les canons du genre, cet opus est loin d’être le pire. C’était le bon temps.

Il était une fois

C’est la fête en Bretagne ! Pour commémorer je ne sais plus quelle connerie, le village d’irréductibles branleurs a invité quelques proches (vus dans de précédents opus). Histoire de se la péter, le chef a organisé une belle bataille contre un camp romain. Un seul n’est pas vide, et à juste raison : les soldats ont pour mission de garder un prisonnier condamné à l’exil, et qui répond au très facilement mémorisable nom d’Ocatarinetabellatchitchix – ce sera la seule fois où je l’écrirai en entier. Astérix et Obélix vont l’aider à retourner dans son île de barb…euh beauté.

Critique de Astérix en Corse

Allez hop, on prend au pif ce qui traîne dans une brocante, on le lit le temps de négocier le prix de 2 euros à 30 centimes, et puis on repose la BD sur le tréteau mouillé avec la satisfaction d’avoir fait plier un vieillard près de ses sous. Voici donc le vingtième opus du ‘tit Gaulois arriéré et décadent, toujours prompt à faire chier ce bon César qui, rappelons-le, est en train de poser les bases de ce qui deviendra un des plus beaux empires de l’Histoire.

L’histoire est infiniment plaisante et reprend ce qui fait le succès de la série : voyage dans un pays inconnu, découverte des us et coutumes, épiques batailles contre les Romains, et running gags toujours aussi plaisants – à l’instar des vilains pirates, plus pleutres que jamais, ou le fameux « banc des accusés », où sont assis un quarteron de vieux croulants tapant la discute. La Corse, pillée par un gouverneur sans scrupule (mais assisté d’incapables), fait progressivement basculer la figure du Barbare qui démarre au quart de tour en un sympathique libérateur de l’oppression des légions.

Sinon, en relisant la BD, j’ai été surpris par la pétée de références que j’avais, plus jeune, zappées. Par exemple, comment savoir à douze piges que le chef Osterlix dont le sommeil est légendaire est un clin d’œil à l’expression « soleil d’Austerlitz »?. Quant aux illustrations, les couleurs verdâtres du maquis, associées un camaïeu de blanc/jaune, tranchent agréablement avec les costumes romains qui sautillent, comme à leur habitude, tels des cabris sous MDMA.

Que dire de plus sur un titre tant de fois lu ? De ma modeste expérience, j’y ai lu un ode à l’île de Beauté, servi par un humour gros comme un menhir mais non dénué de tendresse – tout ça en 48 pages excellemment calibrées.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les Corses sont évidemment à l’honneur, et le père Goscinny s’est fait plaisir dans la BD question caricature : il y décrit, avec une malice gentillette, des hommes rudes, machos, enclins aux ridicules vendettas, susceptibles et profondément attachés à leur terre. Vivant de choses simples, les Corses n’ont que peu à voir avec le faste de Rome, dont les représentants semblent cloisonnés à la côte tels des touristes de passage. Ce refus de l’autorité externe s’illustre par cette phrase prononcée par un des héros au gouverneur : « Si un empereur veut gouverner les Corses, il faut qu’il soit corse lui-même. » [clinc clinc pour Napo]

Le plus marrant est que certains traits locaux paraissent contaminer ceux qui s’y frottent. Les légionnaires qui mènent leurs rondes à la cool, Astérix qui finit par gueuler plus fort que les Corses, c’est à se demander si Goscinny, quelque part, ne voulait pas désamorcer les critiques en affirmant « mais non, c’est pas les Corses qui sont comme ça, c’est la Corse qui fait l’habitant ». En point d’orgue, Idéfix est bien le plus touché, terminant l’histoire en se tapant un sieston digne d’un ours en hibernation.

…à rapprocher de :

– Sur le blog traînent également (par ordre de publication) : Le Devin (ça passe) ; le correct La Grande Traversée ; le minable Astérix et Latraviata ; Le Papyrus de César (ça aurait pu être pire).

James Patterson - Seconde chanceVO : Second chance. Lorsque cinq amies sont au beau milieu d’une affaire extrêmement grave, elles vont devoir se serrer les coudes [intro nulle, désolé, surtout que ce roman est excellent]. Rythme fort soutenu, serial murder qui met bien la pression là où il faut, Patterson maîtrise son sujet tel un doctorant. Sans prise de tête avec un suspense bien foutu.

Il était une fois

Dans les dernières aventures, l’héroïne principale (qui est flic) venait de perdre son petit ami dans des circonstances assez navrantes. Lindsay n’a même pas le temps de se remettre de ses émotions que deux assassinats surviennent dans sa juridiction. Une pure dégueulasserie puisque les victimes sont gamine et une gentille vioque. Très vite, nos amies du club trouvent que ça pue la guerre des gangs. Parviendront-elles à rattraper le(s) coupable(s), sachant qu’autour d’elles ça tombe comme des criquets un soir de grande sécheresse ?

Critique de 2nde chance

Après un premier opus de bonne facture, Le Tigre a naturellement cherché à savoir si ça allait durer. Souvent, un changement d’éditeur comme c’est le cas ici n’augure rien de bon. Mais pas ici car Seconde chance est presque parfait, autant que je me souvienne j’ai pu le survoler, avec une joyeuse félicité de surcroît.

A titre de reminder, les femmes qui peuplent l’œuvre ont fondé, officieusement, une assoce genre rotary club, sauf qu’au lieu de se lécher la cramouille pendant que leurs époux comparent la date à partir de laquelle ils n’ont plus vu leurs zizis en pissant, elles utilisent leurs complémentarités (une flic, une substitut, une journaliste, etc.) pour trouver les méchants. Ici, leur cas est particulièrement retors dans la mesure où les meurtres (des officiels comme le supérieure de la policière) ne semblent suivre aucune logique : est-ce l’organisation criminelle nommée « Chimère » ou un tireur isolé ?

Ce qui est bon avec l’auteur est la présentation qu’il a choisie : je vous jure, les chapitres ne dépassent pas 4 pages, du jamais vu ! Le lecteur parcourra les pages tel le spectateur d’une série à succès au rythme suffisamment calibré pour ne pas donner envie de refermer le roman. Avancées de l’enquête, menus tracas personnels (il est question d’un père absent qui pointe le bout de son nez), quelques zooms (entendez : flashbacks) sur certaines personnes, James Patterson a une notion du dosage qui force le respect.

Comme le sémillant félin le répète souvent, c’est le genre de romans où il fait bon commencer par le premier opus. Car les protagonistes femelles ne sont guère présentées, comme si l’Amerloque voulait que vous les achetiez tous – d’où le volume de ses ventes. Et c’est bien dommage parce que Le Tigre suppute qu’il y a du déchet dans la saga – pour le peu que j’ai lu, ça n’est heureusement pas arrivé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Au premier abord, le motif de ces tueries paraît être fondé sur des considérations ethniques. Discrimination et racisme s’introduisent alors dans l’intrigue dès lors que la communauté noire de Frisco. La petite à peine adolescente qui sort de l’église locale et qui se fait trucider, y’a de quoi être révolté et appeler au crime avec circonstances aggravantes non ? C’est notamment pourquoi le « Club » se penche plus particulièrement sur l’affaire. Sauf qu’avec James P., ce n’est jamais aussi évident.

En fait, c’est bien plus simple (limite décevant d’ailleurs) que ça. Il s’agit d’une bête histoire de revanche. Quand ce sont d’autres personnes qui gobent subitement (et pas subtilement, car y’a du sniper dans l’air) leur certificat de naissance, il faut s’intéresser au passé des victimes. [Attention SPOIL] Les nouveaux indices mènent à un ancien flicard pas très net qui en a pris plein la gueule, toutefois c’est son gosse qui fait justice à sa place. Le gamin qu’on sort en fin d’intrigue d’un chapeau magique, j’ai moyennement apprécié. [Fin SPOIL]

…à rapprocher de :

Il faut savoir que le gros Patterson a tiré comme un gueudin sur la corde à numéros, car après cet opus il y a bien une douzaine (oui, tu lis bien : 12 !) titres de cet acabit: Premier à mourir, Terreur au troisième degré, gnagnagna (je me suis arrêté là).

– Sinon, de Patterson, Le Tigre s’est mieux régalé avec sa saga d’Alex Cross (dont certains ont été adaptés en films), par exemple Des nouvelles de Mary.

– Il faut savoir que Patterson écrit également des bouquins pour ados. Suis tombé dessus par erreur, avec MAX (en lien), la grosse erreur de casting tigresque.

– La fin (avec petit massacre estudiantin en perspective) rappelle furieusement Vierge de cuir, de ce bon Joe R. Lansdale. Une autre valeur sûre.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Gregory Mion - La littérature nazie en FranceAvec une prose considérablement (excessivement ?) abondante et des descriptions difficilement soutenables, ce recueil de nouvelles n’est pas à laisser entre toutes les mains. Effrayante bouffée d’air littéraire qui ne saurait laisser indifférente (en bien ou en mal), la dénonciation de la fascination pour les idéologies criminelles n’a jamais aussi bien utilisé les armes de l’ennemi. Encore un coup de cœur du Tigre.

Il était une fois…

Un nobliau producteur de films zoophiles ; un sororicide suivi d’une fuite en Amérique du Sud ; Marcelle, amante de Maurice Papon ; un prof de tennis arabophobe qui maltraite ses élèves ; un ouvrier à cheveux et idées courts qui veut buter la « voix » de la SNCF car elle serait juive ; une Française devenue gardienne d’un camp nazi, etc. : bienvenu dans l’Hexagone outrageusement raciste et dérangé.

Critique de La littérature nazie en France

Avant de démarrer ce dithyrambique billet, il faut savoir que le félin est habitué à la prose de Gregory Mion et a, parfois, l’honneur d’entretenir avec lui une relation numérico-épistolaire. Aussi, lorsque l’auteur m’avait entretenu du présent projet littéraire, je n’ai guère attendu pour dévorer (il n’y a pas d’autres mots) son œuvre. Voilà pour l’aspect subjectif.

En outre, la seconde chose à retenir (et qui est rappelée dans la préface) est l’esprit du titre du recueil : La littérature nazie en France se veut (à un niveau plus modeste) le rejeton de La littérature nazie en Amérique, livre de Roberto Bolaño qui recense des écrivains fictifs de tendance extrême-droitière sévissant sur le continent américain. Mion, ainsi, s’est attaché à conter l’existence d’une vingtaine d’individus hautement méprisables à cause de leur pedigree intellectuel – haine de l’Autre en premier lieu.

Et, malgré quelques points communs (le vice exacerbé, la folie, la littérature – du moins des éructations scripturales), il y en a pour tous les goûts ! Chaque nouvelle, dont le titre est la présentation du protagoniste à la mode « pierre tombale » (prénom-nom-dates de naissance/mort), est une pépite prenant la forme d’un documentaire omniscient, éloquent mais furieusement déconnant. D’un pauvre chauffeur qui pète un plomb (réjouissant à lire) à un homme de bonne famille qui verse dans la zoophilie scatologique la plus immonde, les textes s’attaquent à la vie d’individus aux origines sociales et capacités intellectuelles éclectiques – comme pour montrer que l’idéologie fascisante, outre ses différentes manifestations, touche indifféremment la population.

Même si j’en parle plus longuement dans la partie suivante, le style de l’écrivain présente tout ce qui à l’heur de me plaire : la richesse du vocabulaire et certaines tournures savamment ampoulées (sans verser dans le vulgaire), associées à des descriptions froides du fascisme intellectuel de certains, provoquent un malaise grandissant qui peut justifier vouloir faire une pause dans la lecture. Néanmoins, Gregory M. va au-delà d’une analyse méthodique puisqu’à certains moments surgissent, comme en embuscade, des termes d’une rare violence dénonçant des jugements de valeur assez triviaux, au mieux des prises de positions tranchées – à ce titre, certains lecteurs pourront regretter d’impromptus changements de champs lexicaux, notamment l’apparition soudaine de termes franchement orduriers et visiblement gratuits.

Pour conclure, voici le genre d’œuvre qu’aucun éditeur (qui tient à sa réputation) n’oserait jamais publier. Un recueil qui viole, avec allégresse, quelques conventions littéraires et dans lequel certaines personnalités en prennent plein la gueule, il y a matière à être choqué – ce mélange d’autant plus confondant lorsque les protagonistes imaginaires, sinon légendaires, fricotent avec d’autres bien connus. Parce que Gregory appuie là où ça ne cicatrise jamais avec un style reconnaissable entre mille, le félin a été conquis.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les qualificatifs sont nombreux pour juger d’une telle œuvre, et selon votre sensibilité cela pourrait aller de « barré » à « intéressant », en passant par « glauque » ou autre « dégueulasse horreur scatologico-vandale ». En ce qui me concerne, un adjectif s’est finalement imposé pour décrire ce que j’ai lu : c’est de la littérature monstrueuse :

D’une part, le sujet traité se concentre sur des monstruosités dont les replis du cerveau sont gangrénés par un racisme viscéral qui impressionnerait même le gros Hitler. Dans la droite lignée d’une banalité du mal chère à Arendt, l’auteur décortique des individus, tels que vous et moi, et qui ont à un instant donné définitivement mal tourné. Le pire (sûrement un autre défaut de cet ouvrage) est que le « basculement » vers l’innommable n’est que peu explicité par l’auteur, il semble acquis que la notoriété (certes fictive) des personnages autorise la simple description, sans trop chercher le pourquoi de telles déchéances – même si on repère qui des influences familiales, qui d’un traumatisme en apparence insignifiant.

D’autre part, le style est monstrueux car formidable. Dans son sens originel (du latin formido : terreur), c’est-à-dire que la structure littéraire, extraordinaire, a chez moi inspiré une admiration confinant à la crainte. Mais où, putain, va-t-il donc chercher tout ça ? Près de 200 pages excessivement denses, une imagination débordante, l’effroi qui succède au rire (ou les deux en même temps), les situations décrites par le menu, cette littérature s’est imprimée dans mon esprit avec la puissance, en mots, de la persistance rétinienne après une exposition solaire. En fait, Gregory Mion fait partie de cette poignée d’auteurs qui me foutent la trouille.

…à rapprocher de :

Pour un exemple de nouvelle, il y a Bastien Gadenne (1971-1999) disponible sur le blog.

L’Amérique cinquante et des Poussières, du même écrivain, reste évidemment meilleur que ce qu’on trouve dans les têtes de gondole des librairies. Idem pour L’arracheur des petites âmes.

Avec l’assentiment du reptile, grosse nouvelle (ou petit roman) qui fait état d’un style volontairement emphatique, jusqu’à une savoureuse boursoufflure.

– Gregory Mion, par les horreurs qu’il conte, me rappelle certains auteurs de grande envergure, à l’instar de Chuck Palahniuk et son A l’estomac, dont l’une des idées originales est reprise.

– Enfin (et naturellement), La littérature nazie en Amérique, de Roberto B. Certains gimmicks de langage de Gregory Mion sont facilement reconnaissables, et je devrais sûrement lire « l’original » en guise de comparaison.

Enfin, ce condensé de littérature dérangeante est disponible en ligne ici.

Bilal Tanweer - Le monde n'a pas de finVO : The Scatter Here Is Too Great. Voici Karachi, capitale économique du Pakistan, comme vous ne l’avez jamais lue. Différentes histoires qui s’entrecroisent avec leurs tragédies, les protagonistes sont éclectiques. Hélas, douze fois hélas, la seconde partie du roman ne m’a pas apporté le plaisir que j’attendais, la multiplicité des narrateurs n’aidant pas.

Il était une fois…

Au début des années 2000, un attentat a eu lieu en plein milieu de Karachi, pas loin de la station Cannt, une des plus fréquentée. C’est autour de cet évènement que Bilal Tanweer va faire intervenir ses personnages, qui tous auront à souffrir de l’explosion. D’un drôle de poète à un gosse qui repense à ses écoles buissonnières, en passant par un récupérateur de voitures dont le leasing n’est pas payé, tous vont raconter leurs visions de Karachi.

Critique de Le monde n’a pas de fin

Vraiment pas évident de s’occuper d’un tel ouvrage. Disons que Le Tigre a eu un léger souci : le début de l’œuvre m’a enchanté, il y avait quelque chose de largement envoûtant et exotique, toutefois un certain déclic ne s’est pas produit.  Bref, Le monde n’a pas de fin m’a laissé comme deux ronds de flanc, sans savoir de quoi penser d’un titre qui m’a paru inachevé.

Bilal Tanweer, dont le style n’est pas dénué de qualité (et la traduction d’Emmanuelle et Phil’ Aronso est plus que correcte), a subdivisé ses 200 petites pages en cinq grands chapitres. L’ancien communiste et poète Sukhanza vu par deux narrateurs de différents âges, un voyou qui tombe amoureux d’une jeune fille, la famille de cette dernière personne qui surprend le flirt, le jeune Sadeq, en fait tous ont des liens plus ou moins ténus entre eux et avec la bombe qui surgit en pleine journée. Rues bondées, calme sur la plage (après un long trajet en bus), magiciens ou usines de textile, le tableau est bien vaste.

En outre, il est un personnage récurrent qui paraît renvoyer à Tanweer, à savoir le fameux « écrivain dans la ville ». Individu témoin de l’évolution d’une mégalopole, l’écrivain paraît se détacher de l’intrigue somme toute violente pour digresser sur ses rapports au père, ou encore ce que peut signifier réussir dans une telle ville. Cependant, mis à part ce gus, l’ouvrage est trop court pour avoir le temps de s’approprier les autres protagonistes, et j’avoue ne pas avoir eu la patience pour suivre les fils narratifs – qui, parfois, partent dans tous les sens.

En guise de conclusion, Le Tigre a eu un mal de chien à raccrocher les wagons tandis que ce texte, empreint de poésie, livre la vision peu joyeuse d’une ville écorchée : attentats (descriptions assez brutales), islamisation des esprits (la perte d’honneur pour des peccadilles), corruption à tous les étages,…et pourtant l’auteur pakistanais semble garder un certain optimisme, un peu comme vis-à-vis d’une petite amie dont on sait la beauté intérieure.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre, en anglais, peut se traduire (librement, c’est-à-dire par mes soins) par « La dispersion ici est trop grande ». La dispersion, c’est un peu la marotte de l’auteur qui utilise un vocabulaire filé autour de la fragmentation d’une vitre lorsqu’une balle l’atteint : l’impact, centrale au début, se disperse en plusieurs fragments qui perdent rapidement en linéarité. Certains se rejoignent, d’autres tracent une ligne esseulée et chaotique, tout ceci à l’image des vies et destins dispersés par un terrible acte de malveillance. Considérant cela, Tanweer se sert de cet attentat pour honorer les vies traumatisées et faire acte de mémoire – au surplus, dire que la dispersion est trop importante est la reconnaissance que d’autres scénarios personnels sont encore à conter.

Quant à la traduction française de ce titre, celle-ci renvoie à la légende de Gog et Magog, vieux démons venus pour annoncer la fin du monde. En effet, après l’explosion, deux êtres mystérieux auraient été vus se baladant tranquillou au milieu des décombres. En outre, le frère d’un des héros, ambulancier, sort profondément meurtri de l’attentat et répète que le monde est fini. Mais, peu importe les exactions de certains (ou, inversement, les conséquences désastreuses imaginées par d’autres, notamment le déshonneur exagéré d’une fille), la vie continue.

La version du Tigre consiste plutôt à rappeler que le terrorisme est une nouvelle forme de guerre et que l’Histoire (avec un grand H) est loin d’être finie, comme l’annonçait avec allégresse ce couillon de Francis Fukuyama. Ainsi, l’explosion ne serait que la confirmation que le monde continuera à connaître les soubresauts de la violence organisée, et qu’il n’a pas de fin – oui, je sodomise les drosophiles à mes heures perdues.

…à rapprocher de :

– J’ai eu le même problème avec Les Immortels, d’Amit Chaudhuri. C’est donc ça : le félin est insensible à la littérature indo-pakistanaise. Terrifiant.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

James Patterson - Premier à mourirVO : 1st to die. Voici l’œuvre fondatrice, par le très prolifique, Patterson, du fameux « Women Murder Club ». Ne ricanez pas putain, ça se laisse largement lire !  Suspense, action, fluidité de lecture incomparable, c’est comme regarder un vilain blockbuster au sujet d’une enquête menée par une poignée de femmes pêchues.

Il était une fois

Allez zou, voici ce que gazouille l’éditeur pour vous faire lire ce polar :

« San Francisco, un criminel supprime avec cruauté et sadisme des couples de jeunes mariés durant les premières heures de leur lune de miel. Une jeune inspectrice, Lindsay Boxer, est en charge de l’enquête. Elle est aidée de sa meilleure amie, médecin légiste, d’une journaliste, ainsi que de l’adjointe du procureur, afin d’arrêter l’assassin qui semble insaisissable. Toutes quatre décident de créer le « Women Murder Club » ! Faisant fi de leurs supérieurs hiérarchiques qui les freinent, enquêtant hors de leurs heures de travail, elles vont réussir, grâce à leur ténacité et leur intuition, à assembler peu à peu les pièces de cet horrible puzzle. »

Critique de1er à mourir

Ceci est le premier opus d’une série d’aventures mettant en scènes les mêmes protagonistes, devenues amies, qui combattent les méchants dans l’Ouest des États-Unis. Pour la bonne suite des évènements, lire ces sémillantes enquêtes dans l’ordre de parution est plus que recommandé, considérant que chaque personnage est amené, dans une certaine mesure, à évoluer.

L’histoire, on s’en foutrait un peu par rapport à la constitution du club des femmes de meurtres (oh punaise, ça sonne moins bien en français), composé par des nanas qui évoluent à de très hauts postes – et dont les responsabilités sont, forcément, complémentaires. La flic Lindsay en dépression, sa pote Cindy (journaliste) qui présente Claire (médecin légiste), puis Jill (assistante du procureur) et une autre femme (dont j’ai oublié le nom et le métier), c’est un peu les X-Men de la littérature policière à la Higgins Clark, le Lions Club des battantes. Alors certes, certains pourraient reprocher qu’il n’y en a que pour Lindsay, mais vu le nombre de pages et le déroulement de l’intrigue cela convient parfaitement.

L’histoire, déjà explicitée en première partie, est une banale enquête sur un meurtrier qui se plait à zigouiller les jeunes mariés. Ça aurait pu être plan-plan, néanmoins l’auteur américain a produit une œuvre d’un niveau plus qu’acceptable : mieux, Patterson, en vieux de la vieille, maîtrise le suspense et les twists à un rythme endiablé. Pas mécontent d’en avoir lu quelques uns – mais pas plus.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pour un premier ouvrage qui annonce une série haute en couleur, James P. a semblé désireux de rester dans les clous, c’est-à-dire proposer des péripéties et un thème (l’amour et la mort unis) assez classiques. Heureusement, les retournements de derniers chapitres restent excellents, et franchement à moins de suspecter tout le monde à chaque instant trouver le nom du coupable (qui n’est jamais bien loin) relève de la gageure. Ces nouveaux époux aux destins brisés renvoient, non sans malice, aux vies sentimentales mouvementées (sinon inexistantes) de nos héroïnes.

Dans une moindre mesure, la façon dont se décarcassent les copines m’a quelque peu peiné. Le Tigre comprend qu’il est difficile d’être une femme dans un environnement policier et passablement burné (notamment Lindsay), cependant les amies en font parfois trop : se planquer presque pour débriefer, passer outre les ordres de ses supérieurs, se balader dans tout l’État pour trouver le coupable, ça fait trop wonder-woman sur les bords. Ces femmes semblent trop parfaites, voilà le problème – alors qu’une bande de mecs irascibles et votant RPR pourrait, chez d’autres auteurs, dérouler le fil de l’histoire entre deux cuites.

…à rapprocher de :

Il faut savoir que le gros Patterson a tiré comme un gueudin sur la corde à numéros, car après cet opus il y a bien une douzaine (oui, tu lis bien : 12 !) titres de cet acabit: Deuxième chance, Terreur au troisième degré, gnagnagna (je me suis arrêté là).

– Sinon, de Patterson, Le Tigre s’est mieux régalé avec sa saga d’Alex Cross (dont certains ont été adaptés en films également), par exemple Des nouvelles de Mary.

– Il faut savoir que Patterson écrit aussi des romans destinés à la jeunesse. Suis tombé dessus par erreur, avec MAX (en lien), la grosse erreur de casting tigresque.

– Enfin, les nouveaux mariés qui prennent cher, c’est Un sur deux, de Steve Mosby.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.