Guy Delisle – Pyongyang

L'Association, 152 pages.

Guy Delisle - PyongyangLa Corée du Nord comme Le Tigre ne l’a jamais vue, grand merci à Guy Delisle. BD courte mais dense, paraissant complète, alliant humour et réflexions socio-politiques point du tout pataudes. De la visite d’une école parfaite à la délicate supervision des collègues de travail, en passant par les diners dans le même restaurant, 150 pages qui se dévorent.

Il était une fois…

Guy Delisle, dessinateur canadien francophone, est envoyé deux mois dans la capitale de la Corée du Nord afin de superviser une équipe locale (qui fait le gros des animations). Muni d’un baladeur et de 1984 d’Orwell dans ses bagages, Guy va s’installer à l’hôtel pour touristes et commencer son boulot, entrecoupé de visites « volontaires » de certains monuments de la glorieuse histoire du pays. Fossé culturel, découverte d’une dictature, visites imposées, relation avec les employés ou ses guides, tout sera traité.

Critique de Pyongyang

Allez, c’est parti pour les disclaimers : essai ou roman graphique ? Ça aurait pu être une biographie, sauf que le père Delisle en a pondu plus d’une (Shenzhen, Jérusalem,…) et alors autant écrire dans la Revue des Deux Mondes. Et puis le métier du personnage, c’est quand même illustrateur, alors rendons hommage à ses titres en les catégorisant correctement.

Ensuite, Le Tigre n’est jamais allé (hélas) en République Populaire de Corée, et à vis-à-vis de cet État de très mauvais a-priori : dernier régime stalinien en place, plus occupé par sa propre survie qu’à celle de son peuple, 1 personne sur 10.000 (les cadres du parti) qui vit extrêmement bien, une armée démesurée,…

Bref, j’ai lu cette BD plus de cinq fois, et à chaque fois ce fut le même plaisir. Delisle a du talent, l’immersion du lecteur est quasiment parfaite. Même si pour 150 pages, Le Tigre a été habitué à un peu plus de matière dans d’autres opus de GD. En tout cas, la CdN, c’est un pays hallucinant, et grâce à Pyongyang on apprend énormément (au moins j’ai eu cette impression) en plus de se surprendre à vouloir le visiter.

L’auteur a de surcroît réussi a décrire son quotidien avec un détachement et un humour qui touchent très souvent au but. Mais pas de l’humour de beauf qui ne comprend rien à l’Asie, plutôt des remarques pertinentes et qui dénotent un respect certain pour le peuple nord-coréen. A la fin des deux mois, on sent quand même que l’auteur est bien content de rentrer chez lui.

Sur le dessin, le lecteur habitué à Guy D. ne sera point déçu : noir et blanc, ligne pas trop brouillonne agréable à regarder, mais avant tout justesse et beauté des paysages et bâtiments monumentaux à la gloire des Kim. L’architecture, un domaine où l’auteur a fait de sacrés progrès ! Indispensable comme livre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Un pays qui marche sur la tête, c’en est terrifiant. Les exemples sont légion, en vrac : la construction d’une autoroute qui mène à un musée (rien d’autre) ; le palais de l’amitié, avec tous les cadeaux donnés au Juche ; les hôtels en grand nombre mais vides, avec trois restaurants ouverts proposant les mêmes plats (et vides),… Il y a sûrement une logique quelconque sous-jacente, et quelle qu’elle soit ceux au sommet sont soit de grands malades, soit d’un cynisme à toute épreuve.

La relation avec les locaux. Delisle a pu discuter avec les employés de l’entreprise d’illustration, et ses guides. C’est tout, en aucun cas on ne laissera au Québecois converser avec d’autres personnes : déjà il en croise rarement, et puis si même ses collègues ne parlent guère Anglais… Les meilleurs passages sont avec les guides (chargés de sa surveillance), entre situations absurdes et menues frustrations. Car la curiosité occidentale (pas toujours fine) se heurte parfois au prudent silence asiatique qui est en soi une réponse. Hélas Guy semble oublier que leur poser trop de questions (auxquelles ils n’ont pas le droit de répondre) peut leur faire perdre la face, ce qui est extrêmement grave.

…à rapprocher de :

– Delisle a sorti une BD pour chaque grand voyage effectué : Chroniques Birmanes, Chroniques de Jérusalem, Shenzhen. Attention, pas dans l’ordre la liste.

– Il existe un polar, qui se passe dans ce petit pays, et qui rend compte d’une réalité encore plus morose. C’est Un mort à l’hôtel Koryo (ce nom ne vous rappelle rien ?), de Church.

– Comme le dit Orwell, « Les animaux sont égaux entre eux. Certain sont plus égaux que d’autres », in La ferme des animaux.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré sur Amazon ici.

10 réflexions au sujet de « Guy Delisle – Pyongyang »

  1. Ping : Michel Rabagliati – Paul dans le Nord | Quand Le Tigre Lit

  2. Ping : Craig Thompson – Blankets | Quand Le Tigre Lit

  3. Ping : James Church – Un mort à l’hôtel Koryo | Quand Le Tigre Lit

  4. C’est apparemment un mouvement à la mode de parler de la Corée du Nord et très récemment j’ai aussi regardé ce court (peut-être trop, un chouïa frustrée la demoiselle quand elle a terminée la chose) documentaire qui, a ma foi en recoupant avec d’autres choses lues/vues ailleurs, me semblait assez juste et particulièrement déprimant…

    Déprimant mais je vendrais ma mère pour y aller : http://youtu.be/oULO3i5Xra0

    • A la mode, peut-être pas, mais avec les facéties actuelles du nouveau leader on en parle plus que de raison. Et Delisle en profite, je vois son roman graphique à nouveau en tête de gondole. Merci pour le lien, l’anglais utilisé ne devrait pas me poser d’insurmontables problèmes.
      Pour ma part, visiter un tel pays serait une expérience inouïe (même si ça doit secouer), mais n’irais pas jusqu’à vendre maman-tigre. Mon chat, sans hésitation.
      Feulement votre

  5. J’ai travaillé 6 mois en RPK avant les jeux de Séoul et je peux vous dire que c’est très bien vu, je vous conseille aussi l’émission Strip-tease de la RTBF ou il y a une délégation de parlementaires Belge qui vont à Pyong-Yang.

    Les animaux sont égaux entre eux , certain sont plus égaux que d’autres.
    Orwell (la ferme des animaux).

    • Tigre est content de se voir confirmer la justesse de l’histoire de Delisle. Et concernant l’émission de la RTBF, je l’ai visionnée plusieurs fois. Le moment où quelques députés vont déposer la gerbe de fleurs sur le monument du grand-papa Kim est terrible.
      Pour la ferme des animaux, le lien est très pertinent et je le ferai vers ce roman.
      Feulement votre

  6. Ping : Guy Delisle – Chroniques birmanes | Quand le tigre lit

  7. Ping : Guy Delisle – Chroniques de Jérusalem | Quand le tigre lit

  8. Ping : Guy Delisle – Shenzhen | Quand le tigre lit

Laisser un commentaire