John Kennedy Toole – La conjuration des imbéciles

10/18, 540 pages.

John Kennedy Toole - La conjuration des imbécilesVO : A Confederacy of Dunces. On me l’a vendu comme un chef d’œuvre, et en effet c’est pas mal du tout : un triste héros seul contre tous, plein d’entrain mais imbuvable, et qui provoque une série de quiproquos parfois tragiques, toujours comiques. Quelques longueurs parfois, quel dommage toutefois que l’auteur se soit suicidé si jeune (31 ans il me semble).

Il était une fois…

Ignatius J. Reilly n’est pas vraiment en phase à son monde. Début des années 60, vivant chez sa mère Irene dans une « maison de poupées » (selon les observateurs) à la Nouvelle-Orléans, pas loin du Quartier Français. Obèse, essayiste à ses heures, érudit (il a passé près de 10 piges à l’université en étudiant le Moyen-Âge), parano sur les bords et proprement insupportable, Ignatus se voit plus ou moins obligé par sa maman à chercher du boulot. Sauf que pour l’esprit aussi « génial » que notre trentenaire, toutes ses initiatives semblent inéluctablement amener vers de nouvelles catastrophes.

Critique de La conjuration des imbéciles

Voilà un bouquin que Le Tigre est plus que content d’avoir lu. Vrai de vrai. Alors avant de balancer des roses légitimes à Kennedy Toole, commençons (pour une fois) par ce qui ne va pas : je n’ai pas dévoré La conjuration des imbéciles en regrettant que ce soit déjà terminé. Plusieurs passages m’ont gavé dans la mesure où je ne parvenais pas à distinguer l’identité des protagonistes (pourtant peu nombreux). En sus, les délires qu’écrit le héros sont présentés avec une écriture de police petite, limite ça me piquait les yeux – pas la faute de l’écrivain me direz-vous.

Le scénario, je l’ai déjà expliqué. Quant aux personnages, il y en a une poignée : l’inénarrable Ignatus (cf. infra) qui accuse plus d’un quintal à la balance, sa mère qui n’en peut plus de ce « Tanguy » de très mauvaise foi, une tenancière d’un bar presque esclavagiste et menant un business pas vraiment net, une folle (un gay haut en couleur) qui voit (à tort hélas) en Ignatus un divertissement de bon aloi, un vagabond obligé de bosser pour éviter la prison, le boss absent des établissements « Pantalons Lévy », etc. Le rapport de tous ces individus, c’est l’anti héros qui passe dans leur vie comme un ouragan outrageant et à la logique insaisissable.

Bien sûr que le protagoniste sujet à des problèmes gastriques (son anneau pylorique, qu’est-ce qu’il en parle…) laisse une marque indélébile où qu’il soit. Ses deux expériences professionnelles partent inexorablement en sucette, et ce que le Reilly Jr consigne dans ses écrits fait montre de profonds quiproquos. Quand il n’invoque pas de prétendus avocats qu’il contactera. Grâce au talent de l’écrivain le vocabulaire, recherché et savoureux, aide à faire passer ces 500 pages en dépit de chapitres où se « remettre dans le bain » du personnage du moment m’a été difficile.

En conclusion, la question que beaucoup se posent : si John K. Toole n’avait pas disparu prématurément, que ce serait-il passé ? J’hésite entre deux réponses. D’une part, la fin laisse entendre que le héros est encore capable de faire des étincelles dans le nouvel environnement dans lequel il s’apprête à entrer. Mais l’éternel carnassier tiendra-t-il longtemps loin de ses petites habitudes ? D’autre part, on a parfois l’impression que l’auteur a donné tout ce qu’il a pu question intrigue, bref ce serait l’œuvre d’une vie qui aurait pu rester inconnue si la daronne de Toole ne s’était pas décarcassé à ce point. Je préfère cette seconde solution, ça me fait moins mal.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre mérite un paragraphe entier. D’abord, celui-ci se réfère au bon Jonathan Swift qui disait en substance qu’on reconnaît un génie à ce que les imbéciles se liguent contre lui. Sauf qu’Ignatus est à mon sens un potentiel génie du mal. Mais par sa corpulence et son qui confine à l’autisme, il reste relativement inoffensif (quoique…). Au final, et malgré la galerie de portraits d’individus aux défauts plus criants les uns que les autres, c’est bien notre héros qui est l’imbécile de l’œuvre. Et on en pleurerait.

Cette « idiotie » est renforcée par les nombreux paradoxes du jeune Reilly. Il prophète, déclame, invective même sur des sujets où il est le moins bien placé pour se prononcer. L’ascétisme moyenâgeux qu’il prône dans ses divers textes (est-ce une mise en abyme au passage, ces courts essais d’un « loser » qui est sur du leur futur succès ?), balayé par ses goinfreries arrosées de Dr. Nut. Les choses du sexe qui apparemment le révulsent vu comment il traite tout le monde catin ou s’étrangle devant les péripéties amoureuses de sa mère (veuve depuis 20 ans hein) ? Mises à mal par quelques séances de masturbation éhontées qu’il hésite à renouveler vu sa fainéantise à ranger lubrifiant et mouchoirs… Et il y en a d’autres !

…à rapprocher de :

– Tigre se répète certes, mais sur la vie édifiante d’un personnage plus crédible il reste l’incontournable Seigneur des porcheries, d’Egolf.

– Le « cas » Ignatus, dans son abhorration de la société contemporaine (entendez : celle quand Toole a écrit son roman) m’a fait penser à Fight Club, de Chuck Palahniuk. A la différence que dans ce dernier roman, le protagoniste principal arrive à faire quelque chose de tangible.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

6 réflexions au sujet de « John Kennedy Toole – La conjuration des imbéciles »

  1.  » Alors avant de balancer des roses à Kennedy Toole, commençons (pour une fois) par ce qui ne va pas : je n’ai pas dévoré »
    Les amorces de roman déterminent mon envie de lire ou non un livre. Je n’ai pas accroché avec celui-ci.
    Dommage, ce que tu en décris aurait été susceptible de m’intéresser.

  2. Ping : DodécaTora, Chap.MT : 12 écrivains suicidés trop tôt | Quand Le Tigre Lit

  3. Bonjour Le Tigre,

    Je te recommande « La bible de Néon » du même auteur. Tout à fait dans un autre registre (un roman dans l’Amérique profonde), mais absolument excellent.

    John Kennedy sait plonger le lecteur dans des ambiances, j’aime beaucoup.

  4. Ping : Tom Sharpe – Le bâtard récalcitrant | Quand Le Tigre Lit

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