DodécaTora, Chap.NT : 12 romans particulièrement inachevés

Le Tigre, pas de pages.

DodécaTora« Salut ma poule. Depuis mon parc du Moulin où je repose paisiblement, j’ai eu vent de ton magnifique gueblo. Et là, tout à coup, m’est venue une illumination : puisque j’avais mille idées pour autant de romans que j’aurais voulu initier, pourquoi ne parlerais-tu pas des romans inachevés ? Ce serait cool non ? Bises. Louis A. PS : qu’est devenu le communisme depuis tout ce temps ? »

Douze livres qui n’ont pas pu être terminés

Quel farceur, ce Louis Aragon. Sous prétexte qu’il a écrit un poète intitulé Le roman inachevé, voilà-t-y pas qu’il me pousse à l’exploit en recensant quelques titres qui n’ont pu être correctement finis. Très honnêtement, je me passerais volontiers de telles correspondances. Un DDT à rédiger, ça me prend au moins deux heures !

Pourquoi un roman reste-il inachevé ? Les raisons sont tellement nombreuses que j’écrirai un billet sur ce sujet précis, toutefois quelques idées peuvent venir à l’esprit fécond du félin : censure brutale, décès inopiné, envie de faire particulièrement chier le lecteur, suite du manuscrit perdue parmi les 20 000 feuillets laissés par l’écrivain, etc. Quoiqu’il en soit, on peut attendre une année comme un siècle pour que le roman, publié à titre posthume évidemment, daigne sortir chez un éditeur.

Il faut cependant poser quelques frontières. Déjà, Le Tigre n’évoquera que des auteurs à peu près connus. Vous ne risquerez donc pas de retrouver le nom de votre grand-père qui a trois manuscrits non terminés dans la commode du grenier – là où sont planqués les Playboys. Ensuite, j’éviterai d’évoquer ceux qui ont fait exprès de ne pas terminer leurs trucs littéraires, mais uniquement les auteurs qui ont eu certains empêchements – la mort, entre autres choses. Enfin, il s’agira de romans, et pas de poésie ou d’essais (désolé Karl M.).

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Franz Kafka – Le Château

Si l’état d’inachèvement du Procès pose problème, il n’en est rien du Château puisque Franz, courant année 1922, a clairement exprimé son souhait de faire une pause sur ce roman. Néanmoins, il n’aura jamais le temps de reprendre le scénario de K., héros qui débarque dans un village régi par un fameux Château dont on sait peu de choses. L’administration imbitable, le flou artistique de la condition d’administré, le on retrouve là quelques thèmes chers de Kafka.

2/ José Rizal – Makamisa

J’ai souvent retrouvé ce nom lors de mes pérégrinations aux Philippines. Et à juste titre, José est un des héros de l’indépendance de ce pays ! Qui dit héros, dit mort prématurée pour le bien de sa patrie. Exécuté à 35 piges par les Espagouines, notre José national (qui était aussi novéliste, docteur, poète même) a laissé un chapitre (à peine dix pages) d’un roman où apparaît Père Agaton, personnage paternaliste dans sa petite ville – et qui a tout pour plaire.

3/ C.S. Lewis – The Dark Tower

Dès la fin des années 30, Clive Staples s’est attaché à écrire une sympathique trilogie de SF (disons fantasy) où il est question de visites de Mars, puis Vénus. Entre le premier et le deuxième tome, il y a la Tour Sombre (traduction libre), opus qui se présente différemment des autres avec un voyage dans une autre dimension. A signaler les menus gougnafiers (façon de parler) qui, régulièrement, remettent en cause l’authenticité de ce manuscrit.

4/ Albert Camus – Le Premier Homme

Avouez que vous l’attendiez celui-ci ! Les conditions de la découverte du début d’une longue autobiographie (prévue en trois tomes il me semble bien) sont affolantes à souhait : les feuillets du roman incomplet ont été trouvés dans la voiture accidentée où Camus a trouvé la mort, en janvier 1960. Qu’à cela ne tienne, tout a été remis en ordre pour la publication partielle d’une histoire à forte charge autobiographique.

5/ Robert Musil – L’homme sans qualités

Commencé en 1930, cette longue saga s’annonçait sous les meilleurs augures. L’écrivain autrichien s’attache à y décrire, de manière aussi complète que précise, la société de Vienne avec différents personnages issus de milieux hétérogènes – parmi les protagonistes, le bon Ulrich, dit « l’homme sans qualité ». Toutefois, Musil le Berlinois (il avait quitté sa natale Österreich) devra prendre ses clics et ses claques vers la capitale autrichienne, puis filera en Suisse après l’invasion nazie. La cinquantaine passée, sans le sou et gravement malade, Robert M. décédera sans avoir eu le temps de terminer le troisième tome.

6/ Marivaux – La vie de Marianne

Aussi nommé Les aventures de Madame la comtesse de *** , Marivaux s’est arrêté à la onzième partie au début des années 40 (18ème siècle bien entendu), alors que l’héroïne, à la suite d’une énième demande en mariage, se demande si elle ne devrait pas entrer dans un couvent. Marianne, dont les parents ont été tués par des brigands, est recueillie par un vieux monsieur qui en veut pour son cul. S’ensuivent des péripéties assez truculentes mais instructives sur l’époque – pour près de 800 pages, y’a sacrément intérêt.

7/ Natsume Sōseki – Clair-obscur

Quittons la vieille Europe pour voir ce qui se passe du côté extrême-oriental avec un auteur représentatif de l’ère Meiji – la période à partir de laquelle les Japs se sont sortis les doigts du cul pour les mettre dans les nôtres. L’auteur est remarquable dans la mesure où il a su faire le grand écart entre le Japon pré-1868 et la période de la fin du 19ème siècle, au cours de laquelle il commence à être connu. Tombé rapidement malade, il ne pourra finir le fameux Meian. Dommage, il s’agissait, même inachevé, du roman le plus long jusque là écrit par Natsume.

8/ Paul Scarron – Le Roman comique

Scarron est un écrivain pas tout à fait comme les autres : atteint d’une terrible affliction, l’auteur du milieu du 17ème siècle a commencé à perdre l’usage de tous ses membres antérieurs. Et il a pris le parti de rire de sa position de cul-de-jatte non sans un certain esprit. Si son grand ouvrage demeure Le Roman comique, qui est notamment constitué de petites saynètes au burlesque éprouvé, force est de constater que le troisième tome n’a pu être publié.

9/ Vanessa Duriès – L’Étudiante

Enfin. Un peu de sexe dans ce billet. Avec Vanessa (Katia Ould-Lamara de son vrai blaze), jeune femme ayant vécu de torrides aventures BDSM pendant les années 80, il y avait de quoi reléguer Cinquante nuances de gris à de la lecture pour bourgeoises coincées du derche – comment, c’est déjà le cas ? Hélas, après le succès de son premier essai (Le Lien), Miss Duriès s’est piteusement crachée en bagnole alors que L’Étudiante en était à quelques courts chapitres.

10/ Jules Verne – Voyage d’étude

Jules Verne était un sacré stakhanoviste, tellement qu’il avait des romans d’avance pour les deux-trois années à venir. Du coup, quand Julot a clamsé, une dizaine de romans posthumes a été publiée par les bons soins de sa famille. Sauf Voyage d’étude, qui a eu un traitement particulier : pour la petite histoire, le fiston à Jules a repris ce manuscrit (le seul inachevé de l’auteur), l’a allègrement expurgé de certaines références (notamment les passages sur l’espéranto) avant de le publier, l’air de rien.

11/ Marcel Proust – Jean Santeuil

Proust, c’est pas vraiment ma tasse de thé. Désolé. Commencé à la fin du 19ème siècle, Santeuil est un roman autobiographique de jeunesse que Marcel n’a jamais eu l’idée de reprendre. Faut dire qu’ensuite l’auteur s’est mis à pondre sa monstrueuse saga et qu’il n’avait plus trop le temps de déblatérer sur sa vie…à moins que des éléments de A la recherche du temps perdu continuent la première œuvre inachevée…

12/ Jane Austen – Sanditon

Une dernière blagounette pour terminer. Tigre vous prie de bien l’excuser, mais jamais il n’est parvenu à lire le quart du centième d’un titre de la romancière anglaise – je reste bien plus éveillé en regardant une saison entière de Derrick. Y’a un truc qui passe pas, je n’y peux absolument rien. En revanche, pour Sanditon, qui fait à peine 50 pages (et ce grâce à la foudroyante maladie de Jany), là je peux le lire !

Mais aussi :

J’ai putainement conscience d’avoir zappé plein de titres, et ce d’autant plus que ce DDT est fortement franco-centré – qui me blâmerait pour cela ? En outre, certains ouvrages ont été délibérément exclus. Par exemple :

– Crébillon et ses Égarements du cœur et de l’esprit n’a pas été pris en compte puisque la faculté se fout sur la gueule pour déterminer si l’inachèvement du titre est volontaire ou non.

Le Bureau des assassinats, de Jack London, a été sciemment exclu puisque Robert L. Fish, à la suite de la mort de Jacky, a finement complété le roman.

Etc.

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