Arto Paasilinna - Les dix femmes de l’industriel Rauno RämekorpiVO : Kymmenen riivinrautaa. Arto Paasilinna est plutôt bon, hélas sur ce roman légèrement « comique de salon » on peut être légitimement déçu. Un vieil homme va rendre visite à ses maîtresses et l’auteur en profitera pour étayer la philosophie de notre jouisseur. 20 chapitres sur une histoire assez distrayante mais sans plus, c’est loin d’être la meilleure œuvre de l’auteur.

Il était une fois…

Rauno Rämekorpi (mais où va-t-il chercher un tel nom ?) est un riche monsieur qui va sur ces soixante ans. De coutume, pour son anniversaire, tous les invités sont arrivés avec pas mal de cadeaux. Hélas Madame ne supporte pas les émanations des fleurs pollinisées, aussi l’industriel doit jeter toutes ces plantes. Plutôt que de procéder de la sorte, Rauno va parcourir la ville afin d’offrir les fleurs à ses neuf maîtresses, avec ce que vous pouvez imaginez comme péripéties.

Critique des Dix femmes de l’industriel Rauno Rämekorpi

Le Tigre ne s’est pas ennuyé, ce n’est pas ça, mais disons que j’étais loin d’être sur un petit nuage. Dès le début du livre on se doute qu’il n’y aura ni grand retournement ni surprise. Heureusement qu’on ne va pas au-delà de 300 pages et que les chapitres ne sont pas interminables.

Dix femmes, vingt chapitres sur un queutard accompli qui rend visite en une journée à toutes ces femmes en changeant plus ou moins leurs vies. Bien sûr il ne s’en tirera pas comme ça, certaines ourdissant des petits coups mais rien qui ne changera profondément le vieil industriel. D’ailleurs, le titre original signifie « les dix mégères ». De la grande classe.

L’écrivain sauve son œuvre en décrivant longuement la moralité et la philosophie de son héros. Développée, voire justifiée, ces incursions touchantes (le vieux monsieur sait se montrer adorable) voire spirituelles tendent à rendre l’industriel sympathique. Néanmoins, l’humour dévastateur auquel l’écrivain nous avait habitué, Le Tigre le cherche encore.

Pour conclure, c’est un bon petit roman en soi mais décevant de la part d’Arto P. Donc si par erreur vous avez commencé Paasilinna par ce titre, ne vous arrêtez pas à cette première impression et attachez-vous plutôt à ses premiers romans.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La joie de vivre faite roman. Anniversaire du vieil homme, un peu de fantaisie et humour doux-amer, ce n’est ni une satire (même s’il y a un satyre…) sociale ni un roman comique. Juste la fine description de quelqu’un qui ne se prend pas trop la tête. Et a bien profité de la vie en général. Riche, séduisant, tout ça rend le lecteur optimiste en plus d’être agréablement surpris par la société, entre tolérance et moralité toute nordique.

Le machisme version Paasilinna. On peut reprocher à l’auteur de traiter l’histoire d’un homme qui n’a pas beaucoup respecté les liens sacrés du mariage (euphémisme) et le rendre sympathique. Le Tigre ne s’en offusque point (d’autres auteurs ont fait pire). Cependant, et malgré la prise de distance propre à l’auteur, j’ai eu de temps en temps l’impression de tomber dans une sorte de machisme mâtiné de pseudo paternalisme « light » de bon aloi.

Certaines des maîtresses ont un lien de subordination (par le travail) avec Rauno, et celui-ci est généreux avec elles sans réellement qu’à son niveau ça lui coûte beaucoup. Sans doute puisque le gars a réussi dans sa vie, ça l’autoriserait à se comporter ainsi. Très protestant comme état d’esprit vous en conviendrez.

…à rapprocher de :

– Mieux lire Le lièvre de Vattanen ou Prisonniers du paradis de l’auteur.

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Jean-Bernard Pouy - A sec !Après Spinoza encule Hegel, le héros est de retour pour occire son ennemi de toujours, Hegel. Dans la même veine que le précédent roman, Le Tigre a remarqué une certaine amélioration dans cet opus : l’auteur a augmenté d’un cran dans le cyberpunk et la violence. Toujours sur fond de menues considérations philosophiques, sans conteste un titre à (re)lire pour le plaisir des yeux.

Il était une fois…

Julius, exilé à Bombay, doit retourner en catastrophe à Paris puisqu’Hegel y est de nouveau. La guerrilla recommence de plus belle, avec de nouvelles arrivées dans la fine équipe du héros, le tout sur fond d’affrontements footballistiques.

Critique d’A sec !

Suite de Spinoza encule Hegel qui se terminait en fausse retraite, Pouy progresse dans son délire et livre une œuvre bien meilleure que je n’aurai pu imaginer. Fouillant un peu plus dans le noble genre du cyberpunk, l’auteur a en plus distillé quelques passages dramatiques, du moins émouvants.

Émotion grâce à la protégée de Julius, jeune femme qui en a vu des vertes et des pas mûres et semble bien décidée à soutenir le héros. En plus de sa fragilité de façade, cette protagoniste ayant de bonnes notions de pilotage élargira le spectre de destruction en mettant en scène un hélicoptère de guerre. Encore plus « boom boom » donc.

Les petits plus de A sec ! (c’est mieux qu’avec du gravier me dites vous), ce sont les les apartés sportifs et jouissifs présents au début de chaque chapitre. Sorte de dépêches pour guérilleros, ces textes sont au roman ce qu’un délectable apéritif est à un diner dans un restaurant gastronomique. Et en guise de dessert, une fin magistrale qui clôt (sans espoir de suite) la saga de Spinoza. Enfin, chapitres assez courts et nerveux, as usual chez l’auteur.

Au final, cet opus et le précédent pèsent tous les deux mouillés 300 pages, on peut remercier Pouy de ne pas s’être éternisé sur le sujet. Il aurait en effet pu faire un roman fleuve fait d’agressions et contre attaques incessantes, que nenni dans notre cas ce fut bref mais intense.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les gangs version FR. Au premier roman les bandes organisées n’avaient rien à envier à ce que l’imaginaire français prête aux gangs américains de la côte ouest. Sauf qu’ici nos blousons noirs sont aspergés de sauce « franchouillarde », à savoir l’omniprésence du football dans leurs combats. On ne parle plus de rixes, mais de matchs entre deux équipes représentant un groupe criminel. Idée séduisante, et qui permet avant tout à l’auteur d’abonder dans le vocabulaire sportif, comme pour dénoncer la violence latente ici sublimée par cette mâle discipline.

La vengeance, encore et encore. Le début de l’affrontement entre Spinoza et Hegel est peu clair, toutefois sa poursuite est on ne peut plus limpide. On se fait des crasses, quelqu’un doit venger une personne ou soi-même, ad nauseam. Vendetta inextinguible, les deux opus de Pouy ne sont que morts peu enviables (à considérer que mourir puisse l’être), destructions systématiques et lieux ravagés. A ce titre Le Tigre s’y perd un peu, tous ces endroits mis à feu et à sang, je ne retiens qu’une intensité croissante qui finit en apothéose.

Finissons sur une citation liée à cette saga, paroles de Machiavel si je ne m’abuse :

On commence une guerre quand on veut, on la finit quand on peut.

…à rapprocher de :

– Commencez obligatoirement par Spinoza encule Hegel. D’autres thèmes abordés, liés au présent opus. Avec Pouy, si Suzanne et les Ringards passe pas trop mal, hélas La clé des mensonges et Larchmütz 5632 peuvent être évités.

– L’explosive fin n’est pas sans rappeler Nous avons brûlé une sainte, du même auteur.

– Le foot comme vecteur de violence, les titres ne manquent pas.

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Jean-Bernard Pouy - Spinoza encule HegelLivre court et inclassable, rien à dire, Pouy maîtrise son petit sujet et livre quelque chose d’original avec une verve littéraire digne des plus grands théoriciens de seconde zone. Ambiance cyberpunk avec la violence qui sied à ce genre de la littérature, ça explose dans tous les sens. C’est donc moins pour l’intrigue, pauvre, que pour le style que ce roman peut plaire.

Il était une fois…

Julius est spinoziste, mais chef de gang avant tout. Dans un Paris post-apocalyptique que l’État a déserté, notre héros livrera moultes batailles contre d’autres gangs, en particulier celui ayant à sa tête Hegel, attaché au philosophe éponyme.

Critique de Spinoza encule Hegel

Œuvre largement récompensée, il était temps d’en faire rapidement le tour voir de quoi il en retournait. Publié en 1983, apparemment premier roman de Jean-Bernard Pouy, ce livre a du faire l’effet d’un petit coup de tonnerre dans le monde policé littéraire français. Il y a de quoi contenter le lycéen en mal d’action ou l’individu plus mûr qui saura se délecter du style de l’auteur, unique et incomparable.

Le Tigre va rapidement expédier l’histoire : futur cyberpunk, des gangs s’affrontent violemment pour le contrôle de territoires ou de ressources. Jeunes, psychopathes et sans pitié, le lecteur va suivre l’un d’eux par la narration de Julius, héros moderne s’il en est.

La véritable plus-value de l’auteur, c’est que ces affrontements se déroulent sur fond de didactique pseudo-révolutionnaire. Un vrai régal. Jean-Bernard P. maîtrise totalement les discours et délires des protagonistes, tout ce vocable au service de guérillas et de massacres méchamment déjantés.

Ce roman est loin d’être exceptionnel, toutefois il ravira les personnes souhaitant lire un roman qui n’est ni policier ni de guerre, seulement un délire intelligent et violent en moins de 150 pages. En sus, la fin laisse une délicieuse ouverture, qui annonce une suite qui ne l’est pas moins.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Mai 68. Et oui, tout le fatras dans lequel est le pays semble résulter des évènements de 68 qui ont largement mal tournés. La génération des lycéens de cette époque constitue le gros des troupes des années 70 / 80 qui se déchirent sur fond de philosophie post-marxiste. On retrouve l’intransigeance et le doux rêve teinté de folie de la période de grèves intenses, bien que Pouy pousse la violence à son paroxysme.

La violence plus ou moins théorisée. Outre les coups d’éclat du héros, ce dernier s’attache à ponctuer ses actes de considérations spirituelles et néanmoins hargneuses. Hegel, c’est son ennemi intime, un être proche du héros (même âge, même type de gang, même modus operandi) mais dont le nom seul justifie cette intime inimité (c’est joli ça). Toute sa prose est tournée vers la détestation du « méchant », des phrases et démonstrations philosophiques fusent. Si bien que le lecteur étourdi pourra lire son verbiage en diagonale sans perdre le fil.

Car on n’est jamais loin du verbalisme, qui consiste à écrire pour la beauté des mots uniquement. Julius déblatère sans cesse, en y regardant deux fois ça ne veut pas dire grand chose, mais c’est tellement bien écrit ! Pouy ne se prend pas au sérieux, c’est sans doute ce qui rend Spinoza encule Hegel si accrocheur.

Ces thèmes sont à mettre en relation avec ceux de la suite de cet ouvrage, qui est du même acabit.

…à rapprocher de :

– La suite, A sec !, que Le Tigre a préféré à ce premier opus. Avec Pouy, si Nous avons brûlé une sainte est excellent et Suzanne et les Ringards passe pas trop mal, hélas La clé des mensonges et Larchmütz 5632 peuvent être évités.

– Dans un genre plus sérieux voire abscons, violence mâtinée de réflexions philosophiques, je vous renvoie amicalement vers Maurice G. Dantec, plus particulièrement Villa Vortex, Cosmos Incorporated, Artefact ou Grande jonction.

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Chuck Palahniuk - A l'estomacVO : Haunted. Ça y est, je prends le courage de résumer cet ovni littéraire qui m’a fait l’effet d’une grande claque. Une vingtaine de personnages, autant de nouvelles auxquelles ils sont attachés, certaines bizarres, d’autres insoutenables, tout ça orchestré par un homme qui va rendre nos héros encore plus dingues que d’habitude. Un chef d’œuvre à ne pas laisser passer.

Il était une fois…

Vingt-trois individus, alléchés par une une petite annonce promettant la création d’une œuvre fabuleuse dans un endroit qu’ils imaginaient idylliques, vont en fait se retrouver dans une installation bien sordide. Les conditions d’écriture (de détention même) s’avérant toujours plus drastiques, nos héros, plutôt que créer et se dépasser, vont raconter leurs histoires et raisons d’être présents en plus de s’autodétruire.

Critique d’A l’estomac

Premièrement, il convient de faire le point sur ce texte et l’auteur. Chuck P. est à la base un journaliste, et il y a fort à parier que les nombreuses nouvelles présentes dans ce roman sont des articles qu’il n’a pu publier dans son canard. D’où sans doute l’idée de les retravailler, les améliorer et surtout les joindre pour en faire une histoire à peu près cohérente.

Deuxièmement, certaines de ces nouvelles ont constitué les passages littéraires les plus intenses et horribles que je n’ai jamais lus. Tout simplement. En vrac : Tripes, que Le Tigre vous défie de lire en une seule fois, sans faire de pauses ni détourner le regard. La partie sur la masseuse de pieds. Ou encore celle sur le « jeune vieux » à l’origine de l’annonce. Le pire étant que ce que vous lisez a peut-être réellement existé, le déclin de l’Occident ne vous aura jamais autant pété à la gueule (excusez le langage).

Troisièmement, le final, qui est proprement hallucinant. Déjà que l’auteur nous tient la jambe de manière intense sur un mystérieux appareil photographique qui rend ceux qui regardent dedans totalement apathiques, la découverte de l’énigme entraîne le lecteur dans du grand irgendwas. Les protagonistes ayant livré leurs anecdotes entrent en sus dans une spirale de violence, pour se faire remarquer, jusqu’à un niveau qu’on pourrait juger insoutenable.

Quatrièmement, le style, du pur Palahniuk. Chapitres denses, vocabulaire assez riche, phrases nominales à profusion, répétitions de phrases, voire des mots esseulés qui constituent une sorte de chœur rythmant le texte. Pour l’avoir lu en Anglais d’abord et en Français ensuite, je ne saurai trop vous conseiller la dernière langue, et ce afin de ne rater aucun sous entendu ou passages (sauf si vous êtes bilingue). En effet certaines pages sont plus imperméables à la compréhension, bref c’est déjanté.

Vous l’aurez compris, ce roman n’est pas à mettre entre toutes les mains. Violent, choquant, dur à lire, Le Tigre qui a prêté A l’estomac n’a eu que d’excellents retours de la part d’hommes entre 20 et 40 ans. Beaucoup se sont arrêtés à la nouvelle Tripes, d’ailleurs connue dans le monde entier grâce aux lectures publiques de l’auteur au cours desquelles beaucoup se sont évanouis ou ont vomi. Rien que ça.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le Tigre a déjà beaucoup parlé sur cette œuvre, les thèmes seront donc raccourcis.

Le corps torturé. Palahniuk est un tortionnaire littéraire moderne. Sur ces vingt-trois personnages, une bonne partie subit des outrages que l’on ne souhaiterait pas même à son pire ennemi. Mutilations, viols, descentes d’organes, virus, l’anatomie de l’être humain est finement explorée et soumise à des conditions glauques et dérangeantes. En outre, les descriptions ont une qualité « clinique », rendant le tout d’un réalisme tout ce qu’il y a de plus sordide.

Peut-on tout écrire ? L’éternelle question. Visiblement le journaliste non, pour en faire un roman constitué d’histoires qu’il a découvertes dans son métier. En revanche l’auteur d’anticipation sociale oui, quitte à en rajouter une grosse couche. Le plus délicat est que Chuck se met à la place de ses héros, ce qui fait des récits subjectifs, auto dérisoires et franchement drôles. Parallèlement, la poursuite de l’intrigue principale est plus neutre, à la limite on lirait un compte-rendu de chirurgien on n’y verrait que du feu.

Le lecteur s’en voudra de se taper sur les cuisses en lisant certains passages, l’humour noir étant ce qu’il est. On retrouve la puissance comique de la plume de l’écrivain qui parfois en fait un peu trop, sur moins de 600 pages le lecteur aura certainement quelques moments de solitude, rien de bien méchant ou qui nuise à la compréhension globale de l’intrigue.

…à rapprocher de :

– Le corps torturé, c’est aussi Peste, du même auteur. Chez Folio SF cette fois-ci, comme ci cela changeait quelque chose. En fait si.

– De l’humour noir, encore et encore, il y a Monstres invisibles ou Pygmy.

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Jim Thompson - 1275 âmesVO : Pop. 1280. Auteur classique de la littérature « hard boiled », entendez noir et datant vers les années 70, Jim Thompson a quelques belles réussites à son actif. Ici, le lecteur sera immergé dans un bourg où l’homme censé faire régner la loi est d’un laxisme total, jusqu’à ce que son pré-carré soit dangereusement entamé. Efficace, sec et sans concessions, voilà un titre qui se laisse lire.

Il était une fois…

Nick Corey va plutôt bien : shérif d’un petit patelin, fonction qui n’est pas trop prenante, logement de fonction, une jolie maîtresse,…jusqu’à ce que les élections approchent et qu’il se rend compte qu’il ne sûrement pas renouvelé. Si on ajoute quelques macs locaux qui se foutent de sa gueule, alors notre shérif est bien décidé à mettre un peu d’ordre.

Critique de 1275 âmes

Un bon Jim Thompson, rien à redire de manière générale. Violence, paresse, humour omniprésent, bienvenue chez les ploucs en quelque sorte. 250 pages seulement, il y a pire comme perte de temps. J’ai dévoré en un après-midi ce polar, vous pourrez en faire de même et après le laisser à un ami.

L’ouvrage est très efficace avec son anti-héros qui manipule toute une ville pour se débarrasser des vilains, du moins ceux qui se placent en travers de son chemin. Le tour de force de Thompson est de se mettre dans la peau d’un shérif pas très futé au premier abord mais plein de ressources. Agissant plus par réaction que du fait d’un plan finement élaboré, Nick se présente comme une victime, alors que ses actes sont scandaleux et offrent une bonne tranche de rigolade.

Le style est rapide, chapitres courts, toutefois le lecteur trouvera quelques passages pas toujours faciles à suivre, peut-être à cause de la traduction ou du style très « rétro » de Thompson. Au final, un bon moment de passé, à lire après 20 ans eu égard au vocabulaire et une fin assez sanglante.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’image d’Épinal du village de « ploucs ». 1275 âmes, 1280 dans la version anglaise (mais pourquoi donc ?), c’est une petite communauté de gens bien sympathiques mais guère très évolués. Tout le monde se connaît, les rumeurs enflent en moins de deux, alors quand le seul flic de la ville décide de balayer un peu et est pris dans un engrenage qu’il peine à maîtriser, la ville ressemble très vite à une poudrière. Pour le plus grand plaisir des lecteurs.

La corruption et l’amoralité. Le protagoniste principal, déjà, tient une sévère couche : mari infidèle, laxiste quand à la petite délinquance de sa bourgade, niveau de motivation proche du plancher, le shérif se décide enfin à sortir ses doigts du cul quand d’une part il n’est plus certain d’être reconduit dans ses fonctions, d’autre part parce qu’il est au pied du mur à cause d’un double meurtre qu’il commet. Quant au reste des habitants, ce n’est également guère reluisant. Bêtise ambiante, méchanceté (pas toujours) gratuite, bref le genre de lieu où une descente du FBI et d’un procureur un tant soit peu diligent pourrait faire de gros dégâts.

…à rapprocher de :

– Dans le pur hard boiled, regardons également du côté de Williams, en particulier son Fantasia chez les ploucs. Ou le grand Dashiell Hammett avec son Sac de Couffignal.

– Jim Thompson a su contenter Le Tigre, par exemple Éliminatoires ou Le démon dans la peau.

– Jean-Bernard Pouy apporte une réponse au décalage entre le titre en VF et la VO dans 1980 âmes. (cf. le commentaire en infra qui m’a aidé).

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Winick & March - Catwoman 1 : La règle du jeuVO : The Game. Le Tigre a pour règle (du moins jusqu’en 2013) de ne s’attacher qu’à un seul héros de comics, namely Batman. En voguant du côté de chez Catwoman, je reste dans les clous. Et pour une première BD avec cette héroïne, tous les bons ingrédients sont présents : action, rapidité, un peu de drame, méchants impitoyables. Du pur Gotham comme on l’aime.

Il était une fois…

Selina Kyle est une cambrioleuse de talent. Déguisée en magnifique femme-chat, c’est plus par plaisir de voler que par appât du gain qu’elle se livre à de menues facéties qui ne sont hélas pas du goût de tout le monde. Notamment en volant aux très puissants, qui feront tout pour l’éliminer. Le chevalier noir pourra-t-il indéfiniment la protéger ?

Critique de Catwoman : La règle du jeu

Le Tigre a été relativement satisfait de ce comics qui se lit comme on regarde un polar intense de qualité. Catwoman a volé des biens particuliers, ce qui fâche des individus très haut (et mal) placés. Du coup ils vont en faire voir de toutes les couleurs à l’héroïne : destruction systématique de ses appartements, passages à tabac, appel à un super-vilain que Le Tigre ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, assassinat d’une de ses amie,…

A ce titre, cette BD offre son petit lot de drame et la souffrance de Catwoman à certains moments est réellement touchante (notamment face aux morts qu’elle provoque). Super héroïne fragile, ayant à la limite des tendances suicidaires, le lecteur sera parfois pris de compassion pour cette pauvre petite chose que tant de méchants tentent de tuer (jusqu’à ce qu’elle sorte ses griffes bien évidemment). Heureusement que le Bat lui porte secours de temps à autre, ses incursions étant bien amenées par l’auteur.

Le dessin est normal, rien à dire de ce côté. Dans la moyenne certes, à savoir que ça ne casse pas trois pattes à un canard, mais peut-on demander plus dans ce type d’opus ? A acheter pour le lecteur qui en a un peu marre du Bat, ou celui qui veut oublier la pitoyable interprétation de Halle Berry dans un film que Le Tigre tente, sans succès, d’effacer de sa mémoire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le monde gravitant autour d’une personnalité forte, à savoir Bruce Wayne. Selena rencontre Bruce, qui sait dans cette BD rester à sa place et laisser Catwoman être au centre de l’histoire. Pas évident quand on connaît la puissance, l’influence de Batman dans son monde. Les autre héros ou super vilains ne semblent être que les accessoires du Batman, sans ce dernier ils n’auraient que très peu de raison d’exister (sauf peut-être la mafia de Gotham). Parfois le héros attaché à une figure tutélaire s’émancipe (Le Tigre pense à Donald, ce n’est pas glorieux), ou alors il disparaît.

Les héros de comics ont-ils une vie sexuelle ? Hé hé, ici oui. Le début offre une scène assez torride entre le chat et la chauve-souris, une sorte de catharsis où violence et sexe se mélangent allègrement. C’est assez osé quand on y réfléchit à deux fois, même si Le Tigre en touriste ne sait pas si d’autres comics ont fait « pire » entre ces deux héros. En tout cas on n’est pas prêt de voir Tintin (Haddock plutôt) se cartoucher la Castafiore ou Obélix avoir enfin un gamin qui on l’espère pourra goûter de la potion magique. Impossible avec les us et coutumes français concernant le droit d’auteur sur les BD.

Enfin, dernier thème relativement important dans les comics, les petits bonus autour de l’œuvre. Ici ni préface ni édito (que Le Tigre lit rarement hélas), mais des esquisses à la fin qui sont bienvenues. Un peu comme Charlie Hebdo, l’illustrateur nous présente quelques idées de couverture, certaines assez gores, d’autres un peu plus érotiques. Ébauches de dessins sur le personnage principal, évolution de son déguisement (particulièrement son masque), le dessinateur de BD en herbe sera ravi.

…à rapprocher de :

– La suite, pas terrible non plus, est La maison de poupées. Le troisième opus, une catastrophe (Indomptable, ici).

– Batman et Catwoman qui font crac-crac, c’est aussi Silence (pas mal), de Loeb et Lee.

– Ed Brubaker s’est aussi attaqué à l’héroïne, et c’est relativement correct. Par exemple D’entre les ombres (premier tome), Dans les bas-fonds (tome 2) ou le tome 3 (très correct, avec hélas sa suite dispensable L’Équipée sauvage).

– La Selena Kyle est un très mignon mix entre la très douée Michelle Pfeiffer de Batman Returns (question beauté) et la non moins sexy Anne Hathaway de The Dark Knight Rises (sur l’intensité dramatique du personnage).

– Prenez un héros, parlez d’un de ses proches sans faire intervenir le Batman (ou à la toute fin à la rigueur), on pense à Joker d’Azzarello et Bermejo. Très bon opus by the way.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics sur Amazon ici.

Darwyn Cooke - Batman : Ego & CatwomanVO : idem. Deux en un, voilà qui semble bienvenu et pratique. Un Batman en pleine crise de conscience avec une bizarre conversation entre le héros et une part cachée de sa psyché ; une Selena prête à tout pour toucher des millions de dollars, tout ça vend du rêve. Hélas seule la partie de Catwoman vaut réellement le coup, le reste n’étant que discussions stériles.

Il était une fois…

Batman – Ego : à la suite d’une affaire qui a très mal tourné, à savoir un suicide en partie à cause du Bat, un bien étrange personnage fait son apparition dans la bat-cave. Un double du héros, plus sombre, qui l’enjoint à changer de méthode.

Catwoman – le gros coup de Selina : Catwoman doit se refaire (comme toujours hein) et prépare avec un vieil ami / amant un coup compliqué mais qui peut rapporter son lot de pépètes. Hélas tout part en quenouille.

Critique de Batman : Ego & Catwoman

Deux histoires, un auteur, une ou deux critiques ? Un peu des deux, mais d’abord un mot sur l’auteur. Mr Cooke semble être une étoile montante, pour lui confier temporairement les rênes de la bat-franchise c’est qu’il a un certain talent. Talent démontré, du point de vue du Tigre certes, par les deux romans graphiques de Parker, personnage sombre luttant contre les puissantes mafias américaines.

Pour la petite histoire, ce Parker est un personnage créé par Donald E. Westlake, largement adapté au cinéma et en BD par Cooke. Et c’est là que l’auteur est très fin puisque Catwoman, justement, a un lien avec ce Parker qu’elle a salement doublé il fut un temps. La relation entre l’agile voleuse et le cambrioleur professionnel à la retraite est complexe, entre défiance et attirance. Petit plus : on apprend enfin son prénom (longtemps caché ailleurs).

Toutefois la partie de Batman est terriblement décevante : on est conquis au début, et en fait ce ne sont que palabres entre le héros et un sombre double, jusqu’à un final frustrant qui n’apporte rien.

Sur le dessin, c’est du Cooke tout craché : ligne très claire, voire « grosse », coup de crayon assez enfantin et travail sur les traits des protagonistes (notamment les yeux) remarquable. C’est particulier, on aime ou pas en tout cas ça ne laisse pas indifférent. Mais ce style tout en couleurs sombres sied tout particulièrement avec l’univers du bat.

Alors, à lire ou pas ? Avantage : deux one-shots, pas besoin d’être docteur ès Batman pour apprécier, surtout la seconde histoire digne d’un bon polar. Inconvénient : première nouvelle est décevante, et Le Tigre a peur d’oublier ce comics aussi vite qu’il l’a lu. Pour une vingtaine d’euros il est alors légitime de faire la gueule.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Enfin, un peu de réalité. Même si Batman Ego est très loin d’être un chef d’œuvre, au moins la question de la principale règle du héros (ne pas tuer) est posée. Depuis le temps que le Joker tue dans tous les albums, que la chauve-souris le chope, qu’il prend la poudre d’escampette d’Arkham,…le lecteur peut avoir le même énervement qu’en regardant un 007 où le méchant, au lieu de tirer une balle dans la tête de James, tient absolument à lui montrer son machiavélique plan.

Comme explication, schizophrénie totale du Chevalier Noir : celui-ci ne peut tuer son unique ennemi, sans lequel il ne serait sans doute rien ; en outre il se doit de montrer l’exemple. Un meurtre seulement, même pour épargner à l’avenir des vies, briserait à jamais l’image de super héros inscrit dans le cahier des charges DC Comics. Bruce Wayne doit donc porter la responsabilité des meurtres du Joker, même les plus terribles, et ainsi refuser l’offre de son sombre double qui veut simplement occire le clown sociopathe.

En revanche, Catwoman ne s’embarrasse pas de tels détails. Sans spoiler, si ses actes sont motivés par toujours plus d’argent, son ultime action dans la dernière planche de la BD est proprement scandaleuse. Pas très « héros spirit », c’est moins grave pour un personnage mineur mais quand même…

…à rapprocher de :

– Parker, de Darwin Cooke : Le Chasseur ; L’organisation ; Le Casse. Même ambiance, mais sans les super héros.

– Ed Brubaker s’est aussi attaqué à l’héroïne, et c’est relativement correct. Par exemple D’entre les ombres (tome 1) ou le tome 3. L’Équipée sauvage est plutôt dispensable, surtout que ça oblige à se procurer le suivant.

– La petite chatte à qui Parker apprend qu’il y a des gens qu’il ne faut mieux pas voler, disons que dans Catwoman : La règle du jeu la leçon n’est toujours pas apprise.

– Cooke (avec Tim Sale) a traité de Superman, et c’est plutôt bon : Superman Kryptonite.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Brugeas & Toulhoat - Ritter GermaniaÇa y est, dernier opus de la saga Block 109 enfin lu. Et quoi de mieux que de terminer sur un polar un peu noir dans un troisième reich réinventé. Le Tigre n’est pas mécontent que ça se termine, ça en devenait presque lassant, surtout avec cette BD où le manque de pages se fait cruellement sentir pour « saisir » tous les protagonistes.

Il était une fois…

Début 1950. Un haut dignitaire nazi est assassiné, avec comme signature celle de Ritter Germania. Ritter est un ancien acteur, une star de cinéma qui semble avoir bien mal tournée. Pour éviter d’autres meurtres, le Reichsführer Heydrich confie l’enquête à un brigadier SS, le héros que le lecteur va suivre. La traque de Ritter Germania peut commencer, sur fond de guerre entre services.

Critique de Ritter Germania

Quatrième BD qui clôt la série, les auteurs s’en allant vers d’autres chemins d’imagination. L’histoire est plutôt bien imaginée, les rebondissements rares mais satisfaisants. Le Tigre sent néanmoins que les auteurs se sont peut être moins foulés qu’à l’ordinaire, d’une part en imitant le noble style du « polar noir », fait de personnages tragiques et torturés ; d’autre part en faisant une histoire au format BD plutôt que roman graphique.

Toutefois l’univers de base, génial, reste superbement exploité grâce à l’exploration de différents thèmes : guerre en Afrique, virus mutants, aviation « Buck Danny style » et ici meurtres à Berlin. Certes je l’ai lu en moins d’un quart d’heure, mais quel régal au début quand l’histoire du Ritter est expliquée ! Quant à la suite, le rythme est hélas loin d’être parfait.

Le principal défaut de cet opus est l’incessant « name droping » des protagonistes, chacun attaché à leurs petites organisations et se tirant à tout bout de champ dans les pattes. Pour le non initié (99% des gens j’imagine), c’est trop à moins de relire attentivement la BD avec une feuille et un stylo à ses côtés en vue de faire un joli organigramme. Ils se détestent tous, ont des intérêts de temps en temps convergents,…mince un tableau récapitulatif (un peu comme dans Les Bienveillantes de Littell) n’aurait rien coûté !

Dernier (léger) point négatif aussi : le dessin. Si je n’avais rien à vraiment reprocher par rapport aux titres précédents, ici ça me semblait trop « brouillon » et sombre, surtout par rapport à Étoile rouge ou New-York 1947. Déjà que la compréhension du scénario n’est pas optimale, alors si le dessin s’en mêle où va-t-on ?

Vous l’aurez compris, si vous avez le roman graphique d’origine Block 109, vous pouvez passer votre chemin, à moins d’acheter les quatre BD attachées. Sinon, vous n’avez rien à faire sur ce post. Passez par la case départ (cf. infra).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La propagande, la vraie. L’histoire du Ritter, c’est celle de toute dictature (voire démocratie) en guerre : prenez un héros, faites le lutter grandiosement contre l’ennemi commun (ici la « bête rouge ») dans un film qui emprunte le meilleur d’Eisenstein ou Riefenstahl, gros succès, et voilà ! Hélas dans Ritter Germania l’acteur prend vite le melon et fait un peu n’importe quoi avant d’être éjecté. D’où l’importance d’avoir un héros masqué, on peut changer d’interprète sans susciter les interrogations du public.

L’incroyable complexité des différents services au sein du Reich. Hitler, pour satisfaire ses nombreux soutiens, leur offrir un hochet et s’assurer avant tout qu’aucun ne prenne trop d’importance dans le Reich millénaire, a imaginé une pétée d’officines qui s’entre chevauchent territorialement et matériellement. Pire que notre administration, puisque derrière les petites guerres en services, ce sont des luttes pour survivre. La confiance est de facto inexistante et nuit souvent à la bonne marche de la bureaucratie (si ce n’est pas un pléonasme).

…à rapprocher de :

– Les autres épisodes du roman graphique d’origine (Block 109, en lien) sont : Étoile rouge (mon préféré), Opération soleil de plomb (correct), New York 1947 (chouette).

– Ces deux auteurs ont publié une autre série nommée Chaos Team. Z’ont du beau talent, tome 1.1 (sans plus), tome 1.2 (aaaah, mieux) et tome 2.1 (très correct).

– Un polar sous le régime nazi, à la différence que c’est un roman non uchronique (je ne me porte pas garant de l’existence de cet adjectif), je vous conseille la Trilogie berlinoise, de Philip Kerr.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.

Mick Farren - Accroc au speedVO : Speed-Speed-Speedfreak – A fast history of amphetamine. Poursuivant la pétillante lancée dans la culture underground de Camion noir, Le Tigre a pris un certain plaisir à lire ce voyage temporel sur une drogue crainte en ce bas monde. Finement documenté, images à l’appui, pédagogique tout en étant caustique, cet ouvrage mérite d’être lu par tous, et ce en raison d’un large tour d’horizon, bien au-delà du speed.

De quoi parle Accroc au speed, et comment ?

L’auteur, qui est fin connaisseur du sujet, propose un aller simple vers le monde des amphétamines, de leur création jusqu’aux nouvelles drogues de synthèse qui en découlent, en passant par la communauté gay de Frisco. Le bouquin est décomposé en plus d’une dizaine de chapitres, suivant un ordre logique que le lecteur appréciera : premières synthèses du produit, utilisation par les armées, interdictions progressives des différents produits liés aux amphèt’, effets primaires et secondaires de cette drogue, guerre entre producteurs, et contre les pouvoirs publics,…tout y est.

Petit mot sur cet auteur, Mr Farren, qui est « multi casquettes » : journaliste, écrivain, chanteur dans un groupe de punk, chantre de la contre-culture anglo-saxonne, le monsieur sait de quoi il parle. Pedigree de l’auteur pour insister sur l’objectivité toute relative de l’ouvrage. Ni pro-drogue ni moralisateur, l’auteur aime pointer les incohérences des décisions gouvernementales dans la guerre contre la drogue ou présenter des études dont la méthode scientifique est loin d’être parfaite.

Justement, un sujet aussi grave et sérieux que les méthamphétamines et ses dérivés, ce n’est pas une mauvaise idée de le traiter par quelqu’un qui a de la bouteille dans ce domaine ; et de surcroît les choses sont présentées sans fard et de manière parfois humoristique. On se surprend à sourire lorsque Mick F. donne quelques détails ou anecdotes savoureux, la lecture de ces 250 pages en est largement facilitée.

L’homme moderne curieux de tout pourra lire rapidement ce documentaire, tout en gardant son esprit critique et en pardonnant les menues erreurs de l’ouvrage : quelques discrètes fautes d’orthographe, incohérences sur certains chiffres lorsque des millions se transforment en milliards ou inversement, et…on passe du chapitre 10 au chapitre 12. Et oui, le onzième, à la trappe ! Erreur de l’auteur, du traducteur, du relecteur, de l’imprimeur ?

Ce que Le Tigre a retenu

Énormément de choses sont dites, certaines se retrouvant facilement sur le net, aussi Le Tigre va se concentrer sur ce qui a marqué :

L’utilisation des amphétamines par les armées de ce monde, proprement renversant. Si on carburait au cognac lors de la Grande guerre, les autres ont été un vivier d’expérimentations tout à fait remarquable. Les kamikazes bourrés d’amphèt’ et d’autres drogues, ou le chapitre sur les addictions d’Hitler, avec son docteur « grande seringue du Reich », dépassent l’entendement. De la guerre conventionnelle à la guerre économique il n’y a qu’un pas, avec la ménagère de moins de 50 ans qui se « shoote » pour supporter son boulot de dactylo (ou un ouvrier, sportif,…) et effectuer la même tâche sans discontinuer.

Si cette drogue était au début un médicament (qui en moins d’un an guérit de deux à une trentaine de maladies) utilisé à tort et à travers, l’auteur rend bien compte du développement, à partir d’une simple molécule, de plusieurs drogues : MDMA, MDME, X, crystal meth, shiba (au Japon), redécouverte des propriétés de l’éphrédine, du vrai name droping !

Les effets, entre dépendance, paranoïa extrême (on sait ce que prennent les théoriciens du complot en général), agressivité, troubles sexuels justifient la mauvaise presse (les médias exagérant hélas souvent) de cette drogue. Le crystal meth, surtout, est aux amphétamines ce que le crack est à la cocaïne. Les paragraphes sur la meth, la communauté gay et le VIH sont en sus très éclairants. Avec une photo d’Al Pacino dans un film remarquable en bonus.

Très instructif et d’un gâchis sans nom, c’est quand on remarque les réactions des administrations (américaines en particulier) qui dépensent des milliers d’hommes et des milliards pour lutter contre quelque chose qui semble ne jamais pouvoir disparaître. Des Égyptiens aux Chinois, les stimulants dangereux pour la santé ont toujours existé. La DEA fait des descentes dans les petits labos d’Américains moyens, lorsque les usines roulantes des cartels produisent des millions de pilules en 48 heures. L’accent est mis sur la répression et la diabolisation du consommateur (le jeune rebelle a une raison de plus d’enfreindre ces lois) alors que ce dernier a surtout besoin de soins et de temps pour vaincre sa dépendance. Triste.

A ce titre, le dernier chapitre semble faire le point et livre une analyse qui ne manque pas de pertinence : la meth, et ses épidémies de 2005 qui ont fait un certain ravage dans le monde rural américain, est au final comme toute drogue : largement utilisée à ses débuts, avec des laboratoires pharmaceutiques qui en produisent de qualité. Honnie ensuite, jusqu’à l’interdiction des produits même qui concourent à sa synthèse (liquide de nettoyage de piscine, médicaments contre la grippe, éphrédine,…). Enfin qui est passée de mode, avec à la clef de nouvelles substances qui auront plus de succès et seront les nouvelles cibles du pouvoir qui ne pense qu’en terme de répression. Hélas lutte contre la drogue et droits de l’homme ne font pas bon ménage en Occident.

à rapprocher de :

– Bien avant le speed, Louis Lewin s’est attaché à décrire tout sur les drogues du début du XXème siècle dans Phantastica. Un essai de référence, qui hélas a un peu vieilli.

– Dans un roman de Ken Bruen, le héros, Jack, s’essaie rapidement aux amphétamines, et c’est la fête dans sa tête.

– Les relations entre les drogues en général et la musique valent bien un essai, chez le même éditeur : Waiting for the Man, de Shapiro.

Sur le speed, les amphets, la meth, les œuvres sont légion :

Breaking Bad, série qu’il convient de regarder pour se faire une bonne idée. Je ne parle pas des petits laboratoires de consommateurs ou des cartels mexicains, tout est dans ces épisodes (à partir de la saison 3 cependant concernant les cartels).

– Quelques épisodes de Queer as folk (version U.S.) traitent de la dépendance d’un des héros au « crystal », et montrent à quel point on peut descendre bien bas.

– Les documentaires existent également en grand nombre, certains produits aux EUA et à fort potentiel anxiogène et excessif dans les descriptions (surtout quand ça sort sur Fox News).

– Même s’il en prend moins que d’autres drogues (Le Tigre fait référence à Las Vegas Parano), Hunter S. Thompson a pondu un roman sur les Hell’s Angels, grands producteurs de méthamphétamines avant de se faire déloger par la DEA. Cette dernière ayant directement aidé à l’essor des cartels mexicains (qui avaient champ libre), dont les drogues étaient de moins bonne qualité.

Enfin, si votre librairie est fermée ou ne vend pas « des trucs de junkies », vous pouvez le trouver en ligne ici.

Agota Kristof - La trilogie des jumeauxLu presque par hasard, parce que trouvé dans la bibliothèque d’un de mes amis, Le Tigre a pris une journée pour lire ces trois romans. Les débuts furent exceptionnels, durs et captivants. Hélas à la moitié la compréhension de l’histoire devient de plus en plus difficile, jusqu’à un dénouement certes fort joli mais abscons.

Il était une fois…

Trois bouquins, trois parties en somme, trois résumés. Joie !

Le grand cahier : Lucas et Klau, jumeaux, sont envoyés par leur mère dans un endroit tranquille, loin des affres de la guerre. Ça sera chez leur grand-mère, qui ne sera pas tendre avec eux. Pour les aider, nos jumeaux rédigeront un cahier, qui retranscrira leur évolution.

La preuve : Claus est parti à l’Ouest, laissant son frère plus que désemparé. Lucas survit tant bien que mal à cette séparation, et continue de survivre dans son petit village. Il aidera une femme, ouvrira une librairie, tout ça dans un pays loin d’être libre …

Le troisième mensonge : le frère parti à l’étranger revient au pays, seulement sa famille ne le reconnaît pas. Progressivement d’autres versions de l’histoire des jumeaux se font connaître, moins glamour mais tout aussi terribles.

Critique de La trilogie des jumeaux

Premièrement, je m’interrogeais sur l’opportunité de sortir trois romans distincts, alors qu’un pavé de 500 pages aurait fait l’affaire. Toutefois la police d’écriture, le chapitrage, voire le style sont différents d’un livre à l’autre et en un seul roman ça aurait fait vraiment bizarre. Oeuvre originale aussi parce qu’aucun indice n’est donné sur la guerre, les pays ou villes dont il est question, même si la Hongrie pendant la seconde guerre mondiale et la « libération » par les Russes s’imposent, eu égard l’origine de l’écrivaine.

Deuxièmement, sur la trilogie même, le résultat est assez mitigé. Le premier tome est un vrai régal : chapitres très courts (jamais plus de trois pages), style dépouillé et « enfantin », mise en scène parfois dure avec des détails pas jolis-jolis, ça se lit à toute allure. Quant au second, ce n’est pas mal du tout non plus. Évolution d’un des jumeaux seul dans la petite ville, les gens dont il s’occupe sont encore plus à plaindre que lui. Parvenant à faire son bout de chemin, Lucas est touchant dans son désespoir et abnégation. Chapitres plus longs, on revient vers de la littérature « standard ».

Hélas Le Tigre a beaucoup moins apprécié le dernier tome. Aussi long que les autres, mais tellement plus dense et incompréhensible, ça en devenait douloureux. Déjà on change les prénoms (de Claus à Klaus, ou l’inverse), ensuite on ne sait plus qui est qui au final, enfin les évènements se mélangent à un point que le lecteur peut rapidement être perdu. Peut-être est-ce le but de ce dernier opus, en tout cas missions accomplie. C’est fort dommage, cela avait si bien commencé…

Troisièmement, nonobstant le brouillard complet dans lequel le lecteur peut se trouver à la moitié de la trilogie, l’univers rendu par Mme Kristof est très sombre, glauque malgré quelques étincelles de bonté ici et là. Déjà, regardez sa photo dans le 4ème de couv’, ça en dit beaucoup sur son état d’esprit. Achetez au moins le premier opus, vous verrez si l’envie de continuer vous prend, sachant que s’arrêter à ce stade ne constituera guère un crime de lèse-littérature.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vie dans les campagnes lors d’une la guerre. Disons que ce n’est pas la panacée. Déjà la grand-mère est à la limite de la sorcière, ce qui fait que nos héros vont s’endurcir de manière drastique. Travailler dès 5 ans pour manger, gérer un petit commerce de marché noir, pratiquer le chantage envers les puissants, on n’est cependant loin du guide de survie tellement les deux jeunes font parfois montre d’une logique (et immoralité) sans bornes.

La littérature comme exutoire, et permettant de s’échapper durablement de la réalité. Le grand cahier, c’est une sorte de journal intime mis en place par les jumeaux pour surmonter la dureté de la vie et l’ennui dans la campagne. Ils y noteront toutes leurs expériences, que ce soit les exercices de jeûnes, d’insensibilité à la douleur, lectures de la bible, entre autres. Sans spoiler, ce cahier a également un autre but, relatif à l’ennui, que je ne vous développerai pas plus.

Le déracinement mâtiné de totalitarisme. Comme si la vie menée par nos deux héros n’est pas assez dure, il faut en plus qu’il y ait séparation. C’est comme la perte d’une partie de son identité, un déchirement de première classe qui laisse Lucas en proie à une terrible dépression, jusqu’à ce qu’il se redresse. Cerise sur le gâteau, l’époque choisie par Agota, à savoir la guerre mondiale (la seconde donc) et les horreurs qui l’accompagnent (le passage sur le décès de la mère est assez poignant d’ailleurs). Une fois le conflit terminé, les libérateurs (les Russes, arf) sont comme on peut l’imaginer dans les pays satellites de l’Europe centrale et orientale…

…à rapprocher de :

 – Un pays de l’est de l’Europe en proie aux totalitarismes, Le Tigre vous renvoie aimablement vers Purge, de Sophie Oksanen. Entre la Russie et l’Estonie, roman plus dense et « classique ».

– Pays indéterminé, anonymisation des personnages et des villes, histoire dure et belle sur le déracinement, Le Tigre se souvient aussi de La petite fille de Monsieur Linh, de Claudel.

– Concernant la triste réalité qu’on peut embellir en s’inventant une histoire, un ami, relisons encore une fois L’histoire de Pi, de Yann Martel.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette trilogie roman via Amazon ici : Le grand cahier, La preuve, Le troisième mensonge.

Phil Hester - Days Missing 2 : KestusAprès la glorieuse révélation du premier tome, Le Tigre ne pensait pas qu’on pouvait poursuivre correctement la série. Pas du tout, ha ha ! Introduction d’une personne fort intéressante, évènements historiques encore plus importants où le héros et la nouvelle protagoniste s’écharpent, bref une suite très correcte. Sans le plaisir de découvrir l’originale idée de Phil Hester.

Il était une fois…

Kestus, c’est une femme qui est plus ou moins immortelle. Traversant les âges comme notre ami, elle ne peut néanmoins remonter d’une journée afin de réparer ses conneries. Car elle en fait la coquine : prise pour une déesse, Kestus n’hésite pas à souhaiter la destruction de toute civilisation eu égard la décadence dans celles-ci se mettent. Confronté à cette magnifique femme, notre héros en fera-t-il une ennemie ou une alliée ?

Critique de Days Missing : Kestus

Délicat de formuler une critique un tant soit peu objective, ici pour deux raisons : déjà ce n’est pas le rôle du Tigre de faire dans le neutre, ensuite j’ai été proprement ébloui par le premier tome, et j’attendais du second quelque chose du même genre. Sans attendre une traduction française qui ne viendrait que trop tardivement, Le Tigre s’est jeté comme un sagouin sur ce nouvel opus. Et à raison.

Si la surprise et la généreuse idée du premier tome sont toujours présentes, l’auteur a introduit un nouveau personnage qui rend les excursions dans le passé de l’humanité encore plus époustouflantes et instructives. Luttant d’habitude seul, le héros doit composer avec une femme dont les motivations ne sont pas toujours claires et qui évolue différemment sur la planète (n’ayant pas un havre de paix comme le héros).

Fin du fin, la dernière page annonce un troisième tome tout en surprise. La maîtrise du suspense de Mr Hester n’est pas sans rappeler celle de quelques séries TV populaires où le téléspectateur en a pour une semaine d’attente. Hélas, le destin final de Kestus, à la limite de l’ésotérisme, a un peu échappé au Tigre. Il est question de destruction / re-création de l’univers (Shiva ?), avec la marque de Kestus dans ce nouveau monde. Encore un problème avec la langue de Shakespeare je vous entends dire. Tssss…

Quelques déceptions certes, mais rien de bien méchant. D’une part le dessin n’a pas changé, et mérite parfois quelques ajustements. Toutefois, la beauté de Kestus est très bien rendue. Ajustements surtout dans certaines cases de la BD qui ne s’enchaînent pas toujours dans une fluidité qu’on attendrait légitimement. D’autre part, la fin du tome 1 promettait un nouvel ennemi (la chose faite de nanites) qu’on ne reverra jamais. Seul un dialogue entre un étrange personnage et le héros s’installe, mais rien de plus.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La femme de sa vie, l’unique. Le gardien de l’humanité fait face à une demoiselle (d’ailleurs plus que mignonne) qui se rapproche le plus de son état. Puissante, à l’esprit un peu dérangé par endroit, Kestus est le penchant « yang » du héros. On retrouve du coup pas mal de symboles de l’opposition homme / femme qu’on retrouve dans la littérature (cf. infra par exemple), bien sûr la féminité étant associée ici à l’interdit, voire le mal. Le Tigre ose rappeler que le Yang, la femme, la lune, représente également la partie souvent moins agréable de l’univers taoïste. Hop, les 30 secondes de culture G sont passées.

Par rapport au premier opus, Phil Hester n’hésite pas à « s’offrir » les évènements les plus grandioses de l’Histoire. Et à faire intervenir Kestus, qui a toujours un pied dans la place. Incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, expériences du CERN, bug de l’an 2000, assassinat de François-Ferdinand,… du très lourd est abordé sous le prisme de la lutte entre le héros et l’humanité qui se met en grave danger. Petit plus, le lecteur découvrira les premiers pas (pas toujours habiles) du héros dès sa « naissance ».

Pour tout historien mélomane qui aime étudier les grands passages de l’espèce humaine, on peut se plaire à croire que cette série ne s’arrête jamais. En effet il semble que Days Missing se décompose en 2 parties : un évènement historique où le héros tente ce qu’il peut, et en parallèle une lutte entre ce même héros et d’autres forces au moins aussi puissantes que lui. A l’instar de la série X-Files ou Fringe. En inventant des ennemis toujours plus habiles, on peut aller très loin et revisiter une grosse partie de l’histoire du monde. Nous étudierons cela dans les prochains tomes.

…à rapprocher de :

– Bien sûr il convient de commencer par le premier tome de la série. Superbe au demeurant.

– Sur l’opposition homme / femme, il y a La cabane de l’aiguilleur, de Robert Charles Wilson, Aztech, de Lucius Shepard ou encore quelques Batman avec Catwoman dans l’histoire.

– Le gros truc dans le CERN (le collidron il me semble) a produit une littérature de SF assez sympathique. Je ne parle pas de Dan Brown une de ses grosses bouses (Anges et démons, en lien), plutôt de Flashforward de Robert J. Sawyer.

– Sur les mondes « parallèles » où l’histoire se déroule pas comme on l’apprend à l’école, Tigre vous signale l’existence de l’inratable Black Science (premier tome sur le blog).

Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Monica Mayhem - Confessions intimes d'une porn starVO : Absolute Mayhem: Confessions of an Aussie Porn Star. Couverture aguicheuse, actrice dont je n’avais jamais entendu parler (au cas où mère me lit), « confessions intimes » où on promet de tout dévoiler, miam ! Bah pas miam longtemps, sur 300 pages le lecteur survolera en toute légèreté les dizaines qui restent. C’est avant tout une femme intelligente qui raconte sa vie, mais sans le petit plus tant attendu.

De quoi parle Confessions intimes d’une porn star, et comment ?

Petit prologue : le cahier des charges du Tigre, c’est 500 mots minimum sur un bouquin. Je sais pas pourquoi ici je vais allègrement dépasser cette limite, et ce pour deux raisons : déjà c’est un essai sur un sujet qui ne laisse pas indifférent (du moins pour le lecteur un tant soit peu curieux), ensuite lorsqu’il faut critiquer la plume est, hélas, nettement plus fluide.

Monica Mayhem a souhaité rédiger sa biographie. Noble idée. D’où 300 pages dans lesquelles elle se livre : de sa plus tendre enfance jusqu’à 2010 (il me semble du moins), on saura tout sur cette femme. Bon, j’exagère, il faut ôter à toutes ces pages une soixantaine au moins car il y a un joli lot de photographies de l’actrice à tout âge. Images non érotiques (quoique, cf. 4ème de couv’), et en noir et blanc comme tout éditeur indépendant le ferait. Loin de la page centrale du Sun vous en conviendrez.

Le lecteur commencera donc par le début, à savoir ses souvenirs de jeunesse, l’adolescence tumultueuse, les jobs en finances à Londres, ses premiers shoots et films, son parcours au sein du monde de la pornographie, la façon dont les films, shows, séances photos et salons se sont enchaînés, etc. Plus bizarrement, sur les 100 dernières pages, Monica nous entretient de ses croyances, namely ses délires Wicca ou encore de ses projets (que je qualifierai volontiers de balbutiants) dans l’univers du rock. Mince, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre, qu’elle se sente « sorcière » sur les bords et comment sa nouvelle spiritualité est une force. Pas vraiment pertinent, j’ai diagonalisé ces pages de manière magistrale. Enfin, Miss Mayhem présente les conditions, qui semblent bientôt réunies, à l’abandon de la pornographie.

Passons à la critique même : jolie déception, impression de vacuité même. Je m’attendais à de glorieuses révélations sur le monde du X, en fait pas grand chose d’instructif à part quelques passages : en vrac, la montée du SIDA et comment un acteur qui a tourné au Brésil a contaminé toute la côte Ouest du porn, les producteurs plus vicieux qu’on l’imaginerait, les fans inconditionnels et le marketing (notamment sur le net) pour les fidéliser,… Sinon il faut se rendre à l’évidence : c’est une biographie écrite par une actrice de cul, pas un essai sur le monde du X. Donc quelque chose de simple et naturellement subjectif.

Nous y voilà, le style de cet ouvrage. Le petit problème de Monica, et c’est à la fois tout à son honneur, c’est qu’elle n’a visiblement pas eu recours à un « nègre ». J’ose espérer. Parce qu’elle écrit comme elle parle, interjections à destination du lecteur comprises. Langage courant voire familier, lieux communs dans tous les sens, impressions de « déjà lu », heureusement que l’actrice suit un cheminement chronologique sinon j’aurais rapidement remisé ce truc au fond de ma bibliothèque.

Le Tigre émet donc une petite pensée à la traductrice, sans doute habituée à de la littérature. Ici c’est comme si on lui demandait de faire les sous titres de Sex and the city (et oui Monica y a fait une apparition !). Remercions également Camion Blanc d’avoir levé le doigt lorsque le monde de l’édition française a dit un beau matin : « y a-t-il quelqu’un qui veuille bien publier ce truc même pas érotique produit par une Australienne qui écrit avec son pied droit ? » Dont acte.

Ce que Le Tigre a retenu

La question qui brûle les lèvres du curieux : comment en arrive-t-on à faire du porno ? On dirait que pour Monica c’est un peu par hasard. Mais c’est sans compter les petits « plus » qui l’ont sans doute conditionnée à s’exhiber de la sorte : abandon du père, mère détestable, insécurité sentimentale, toute la petite mixture de base. Comme Monica le dit (même en évoquant certaines collègues), c’est le sentiment d’être au centre, l’objet que la caméra fixe et que les spectateurs regarderont uniquement qui offre une impression de puissance largement enviée. Parce qu’elle n’est pas sûre d’elle, de ses sentiments pour les autres, l’actrice de X aimerait provoquer l’envie de ses clients pour exister.

Ensuite, et Le Tigre s’en doutait, Mayhem a tout d’une petite entreprise. Pas étonnant quand on voit son parcours, de 16 à 20 ans, dans le monde de la finance (en tant qu’assistante, pas trader de haut vol). Si les débuts sont hasardeux, une fois la renommée en route on arrive dans la gestion pure. Du coup c’est assez prenant : faire des strip shows dans des petites bourgades pour attirer le chaland, mettre à jour régulièrement son site internet, aller aux salons de l’érotisme (ou de coiffure) signer des autographes et se faire photographier 12h par jour, simuler la douleur pour les scènes à destination du Japon (je l’imagine volontiers gueulant des itai ! pendant l’acte) les séances photos interminables avec des photographes un peu barrés,…

Ce qui m’a également surpris, c’est le strict abandon des droits à l’image de l’actrice X : une scène tournée peut se retrouver dans un nombre incalculables de cassettes / DVD. En particulier l’unique scène anale qu’elle a faite, présente dans de nombreuses éditions et ce « à l’insu de son plein gré ». Hélas, rien sur l’essor de la sexualité gratuite sur internet et du monde du X en pleine crise face aux productions amateurs dites « gonzo ».

Comment avoir un petit ami pour une actrice de cet acabit ? Question légitime, et là Mayhem donne l’impression de botter en touche en disant qu’elle parvient naturellement à séparer le sexe de l’amour. Reconnaissant qu’un homme normalement constitué ne supporterait pas une journée son métier, ses relations qui ont duré sont, sans grand étonnement, avec des personnes du même business. Imaginez là tourner avec son ex-mari, en trio avec l’ex-petite amie de son ami actuel, de quoi se perdre en conjectures.

Enfin, le moins glamour : beaucoup d’appelées, peu d’élues et pas mal de nanas qui se détruisent la santé pour tenir le coup. L’omniprésence de la drogue, notamment le cannabis et la cocaïne, avec des acteurs / actrices qui se font un rail entre deux prises (bonjour John H…). Pour Monica, même si elle en parle peu, il y a en outre la douleur de travailler 8h pour faire et refaire une scène qui prendra moins d’une heure en post-production, et les deux-trois jours pour s’en remettre. Et surtout, la peur au ventre à la fin de chaque mois, lorsqu’il faut faire le test HIV…

Et bah voilà, encore un post trop long qui découragera plus d’un internaute. Toutes mes excuses. Mais en lisant cet article, plus besoin d’acheter cet ouvrage. Sauf à offrir à des amis.

à rapprocher de :

– Pour le monde de « l’art pornographique » et ses plus jolis travers, voyons plutôt du côté de chez Swa… euh John C. Holmes. Bien plus instructif. Voire Traci Lords & Jenna Jameson, toujours de Daniel Lesueur.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici. Ou via le site de l’éditeur.