Tom Clancy - Power games : PolitikaVO : idem (ça rend tellement bien en Anglais non ?). Non, non, c’est bien un vieux Tom Clancy que je vais présentement résumer. Et un des plus mauvais, tant qu’à faire bonne figure. Car il ne se passe pas grand chose et l’intrigue est aussi crédible qu’une poule avec la dentition d’un requin. Quant au style, curieusement ça aurait pu être bien pire.

Il était une fois…

Cet alcoolo fini de Boris Eltsine vient de s’écrouler sur la moquette de son appartement, le cœur éteint. La transition ne ressemble à rien puisqu’un triumvirat incroyablement bancale se met en place : un communiste, un nationaliste et un réformiste. Et là tout part en sucette : des silos à grains sont détruits ; ça se tire de partout dans les pattes ; les Américains sont victimes d’un terrible attentat au beau milieu de NYC, etc. C’est pourquoi on fait rapidement appel au très fringuant Roger Gordian, ancien du Vietnam devenu chef d’une entreprise high-tech. Notre héros se met en selle et parcourra le monde pour le sauver [interdiction de ricaner].

Critique de Power games : Politika

Voilà l’erreur de jeunesse de jeunesse, l’achat impulsif dans une librairie d’aéroport (oxymoron) avant un long voyage à l’étranger. Tigre ne fut pas toujours la tête chercheuse de bons plans littéraires qu’il est aujourd’hui.

Le plus dur à admettre, c’est qu’à l’époque où j’ai lu ce truc (je n’étais même pas majeur), j’avais trouvé que c’était un « bon petit roman » pour celui qui aime le genre Clancy. Sauf que le père Tom a fait tellement mieux dans sa bibliographie (L’Ours et le Dragon par exemple) qu’il appert que la série des « Power-games » (il y en a six autres qui attendent en embuscade) est la plus mauvaise.

L’histoire fait doucement sourire au XXIème siècle, disons que le scénario kolossale katastofe fait assurément folko. Les qualités narratives sont quasiment inexistantes, sans compter le héros qui aurait pu être le frangin de superman si Clancy ne faisait que du techno-thriller. Toutefois, pour terminer sur une note positive, il faut reconnaître à l’auteur américain (disparu fin 2013) une certaine prescience sur des attentats à New-York (avec le Russe comme méchant certes) et les problèmes politiques larvés au Kremlin.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La catastrophe internationale. C’est un peu la popote par défaut de l’écrivain américain, la crise de grande ampleur qu’une poignée de mecs très correctement burnés va résoudre grâce à la technologie US. Et sur ce coup là Tommy semble avoir un peu forcé sur les ingrédients. Je ne me souviens pas de tout, cependant le bordel ambiant en Russie m’avait semblé exagéré, avec toute la populace à deux doigts de crever de faim à cause de silos à grains détruits.

La lutte politique. Dans cette « œuvre », différentes factions russes se tirent le mou en vue d’acquérir le pouvoir. D’ailleurs Clancy fait une réclame pour le jeu en ligne Politika.power-plays qu’il a imaginé dans le cadre de son roman. Le but est de prendre le contrôle de la fédération de Russie avec une des sept factions suivantes : communistes, réformistes, l’Église, la mafia, le KGB, l’armée, les nationaliste. Pas idiot comme paradigme politique russe, avec le gus qui a succédé à Eltsine on pourrait dire que les nationalistes et le KGB l’ont remporté. Et la mafia, partiellement.

…à rapprocher de :

– Quitte à taper dans le thriller géopolitique, j’ai préféré Le complot des Matarèse, de Ludlum. Voire, dans la catégorie « attentat islamiste », L’Afghan de Forsyth.

– Tigre connaît surtout Clancy pour avoir passé de glorieuses heures de célibat devant son ordinateur à marteler le clavier en jouant à la série des Splinter Cell. Qu’il en soit remercié.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce vieux roman en ligne ici.

Philip K. Dick - Le dernier des maîtresVO : The last of the masters (la nouvelle phare). Onze textes de qualités diverses écrits au début des années 50, toutefois quelques superbes histoires se cachent dans cette œuvre. Style qui reste plus que correct considérant la date de première publication, il y a largement de quoi être transporté par les univers troublants de Philip K. Dick.

Il était une fois

Le quatrième de couv’ se veut aguicheur et original sur la présentation de textes, je vous en laisse alors juge :

« Et si les jouets se révoltaient ? Ou les insectes ? Et si quelques survivants d’une guerre future se retrouvaient assiégés par un ennemi invisible ? Et si une machine pouvait commettre le crime parfait ? Et si vous étiez convaincu, contre toute évidence, d’avoir tué votre femme ? Et si des robots protégeaient les humains contre leur gré après une guerre nucléaire ? Et si la radioactivité d’un centre de recherches provoquait une mutation irréversible ? Et si un flipper extraterrestre représentait une sourde menace ? »

Critique du Dernier des maîtres

Gallimard a sélectionné quelques textes de l’écrivain américain torturé, à savoir :  La révolte des jouets, Le dernier des maîtres, Les assiégés, L’homme sacrifié, Foster vous êtes mort !, Machination, Le retour du refoulé, Les défenseurs, Planète pour hôtes de passage, Les rampeurs, Match retour. Le Tigre ne compte pas tous vous les résumer, seulement sélectionner le meilleur de ce recueil.

Mon petit préféré reste Le dernier des maîtres, ce n’est pas pour rien que celui-ci offre son titre au roman dans son ensemble. L’histoire d’un monde joyeusement anarchique depuis près de trois siècles est rapidement immersif en suivant deux groupes : une Ligue qui traque ce qui reste de gouvernement organisé aux États-Unis ; et une enclave encore organisée grâce à un antique robot passablement rouillé qui gère tant bien que mal la communauté productiviste. L’affrontement a rapidement lieu, avec un exemple de guerre asymétrique comme on les aime.

Outre les deux thèmes traités dans la partie suivante, il y a toujours chez K. Dick le spectre d’une menace pas toujours identifiée, quelque chose qui plombe l’atmosphère et apporte son lot de surprise. Que ce soit un flipper E.T. au comportement suspect ou quelques jouets animés, en passant par un mini robot qui n’est pas sans rappeler un Transformer, il y a de quoi faire quelques titres à suspense. Et lorsque le risque est bien défini, c’est toujours la bombe A qui apporte son lot de catastrophes et dégueulasseries biologiques (cf. Les rampeurs).

Avec une écriture agréable et loin des délires mystiques d’autres œuvres de cet écrivain, le lecteur n’aura que très peu l’occasion de s’ennuyer (Machination ou La révolte des jouets étant quelques exceptions toutes personnelles). K. Dick est presque indémodable, c’en est effrayant.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La manipulation. On sait le père K. Dick relativement parano une bonne partie de sa vie (il n’y a qu’à lire SIVA), et quelques textes illustrent parfaitement cette ambiance. Les assiégés, en particulier, est délicieux à parcourir : une bande de survivants est attaquée par un insaisissable ennemi, au fil des pages on commence à pressentir que nos « héros » sont des solides paranoïaques. De même, dans Foster, vous êtes mort !, il est question d’un enfant qui veut à tout pris avoir un abri atomique. L’économie du pays, axée autour de la menace nucléaire, propose chaque année de nouveaux modèles que le populo ne peut se procurer. Et ne pas participer à l’effort de protection est très mal vu, entrer dans le rang devient hélas obligatoire.

La réalité discordante. Il est des moments où on en vient à douter de la matérialité du monde qui nous entoure, et à changer de perspective du tout au tout. Dans Planète pour hôtes de passage, il appert vite que les êtres non irradiés qui se protègent de l’environnement devenu nocif ne méritent plus le qualificatif de « terrien ». Avec Les défenseurs, c’est l’information même sur un conflit (livrée par des robots puisque la surface est devenue inhabitable) qui est remise en question. Quant au Retour du refoulé, on touche le fond dans le domaine de l’illusion et des moyens de royalement baiser un esprit.

…à rapprocher de :

Souvenir, un autre recueil de nouvelles.

– De K. Dick, je vous enjoins de parcourir l’original A rebrousse-temps (aspect religieux finement traité).

– Sur la « réalité discordante », lisez sans tarder Substance M. Un bijou. Même auteur again.

– Les thèmes de ces nouvelles ne sont pas sans rappeler quelques unes, plus récentes, de Serge Lehman dans Le Haut-Lieu.

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Robert Silverberg - Les Monades urbainesVO : The World Inside. Un classique du genre qui n’a pas encore définitivement mal vieilli, pour moins de 250 pages il serait criminel de se passer de ce roman mi-SF mi-anticipation sociale. Les Monades, ce sont ces imposantes tours où est parquée la population contrainte de vivre une liberté sexuelle absolue, et ce pour soutenir la croissance mondiale.

Il était une fois

A la fin du 24ème siècle (allez, un siècle au pifomètre de la part de Silverberg), la populace humaine dépasse les 70 milliards de personnes. Aussi le gros de celle-ci vit dans les monades, villes verticales autosuffisantes (sauf la nourriture, qui vient de l’extérieur) où recyclage et libertarianisme sont les maîtres mots. Les plus modestes habitent les étages inférieurs tandis qu’administrateurs et autres pontent sont au sommet (littéralement), et la nuit chacun peut aller vadrouiller (de préférence dans son étage) pour choisir le partenaire d’un moment. Vie privée inexistante, jalousie prohibée, tous se doivent d’être heureux. Quant aux mécontents, s’ils s’avèrent insoignables, direction l’unité de recyclage.

Critique des Monades urbaines

Je vais tenter de faire bref et concis, si ça peut vous éviter de lire le livre alors Tigre aura rempli son modeste office. Les Monades urbaines, c’est une sorte de 1984 un peu plus light écrit dans la ferveur du début des années 70. Une contre-utopie qui n’en est pas vraiment une dans la mesure où la dictature en apparence souriante ne paraît pas poser d’insurmontables problèmes en plus d’être légèrement caricaturale.

En effet, sur une grosse partie du roman Silverberg nous décrit (superbement certes) un libéralisme (d’inspiration anglo-saxonne, cf. infra) à son paroxysme et organisé autour d’un maître-mot qui ferait s’étrangler de colère Malthus en personne. « Croissez et multipliez-vous » en quelque sorte, la construction de nouvelles Monades écologiques (qui s’étendent sur des milliers de kilomètres) absorbera le surplus, en plus de la colonisation du système solaire (dont on n’entend peu parler hélas).

Toutefois quelques individus ne se sentent pas en phase avec le système, par exemple un beau jaloux qui s’exaspère de devoir partager sa belle compagne. Plus particulièrement, l’aventure du jeune Statler (car ils ont tous entre 14 et 25 ans à tout casser nos petits lapins) en seconde partie d’ouvrage mérite d’être signalée (cf. second thème). Sur le style en général, j’ai bien peur que ça vieillisse à terme moins bien que d’autres romans de SF, même si la taille du roman (et le chapitrage court) aideront à toujours passer un agréable moment.

Au final, si la note octroyée par Le Tigre est dans les tons négatifs, c’est que pour un titre considéré comme incontournable du genre, il faut regretter l’absence d’intrigue satisfaisante (à part sans doute l’excursion de Statler) et un décor qui jure avec la représentation que le lecteur a, aujourd’hui, de l’avenir. En sus, de la part de Silverberg, Le Tigre a lu bien mieux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le libéralisme excessif. C’est un curieux paradoxe car Robert S. a écrit son truc en plein milieu des manifestations de hippies et autres pacifistes fumeurs de moquettes, aussi l’inspiration de la liberté sexuelle totale n’est pas duraille à deviner. Paradoxe car le totalitarisme est bien présent avec une absence flagrante de vie privée : les corps et les esprits sont publics, et gare à ceux qui veulent avoir leur petite intimité (refuser de coucher peut avoir de funestes conséquences par exemple). Modèle original et s’expliquant sans doute par le conditionnement et la jeunesse des protagonistes, on a du mal à y croire pourtant.

Le système productif. A peine croyable, ces monades (sur le quatrième de couv’ ça ressemble furieusement à une certaine tour à Dubaï) en quasi autarcie gérées par leurs habitants qui n’ont aucun contact avec leurs congénères d’autres bâtiments (voire les étages du même bloc). On n’est pas loin d’une version bien agencée des blocs de Dredd, les dealeurs en moins. La partie intéressante de l’œuvre reste le voyage de Michael Statler au milieu des champs : celui-ci fait la rencontre d’une nouvelle culture (des fermiers qui évoluent dans un environnement « normal ») et découvre alors qu’il est possible de vivre autrement. Presque un crime de sa part.

…à rapprocher de :

– Sur la contre-utopie, à part 1984 ou Un monde meilleur (Huxley), on peut évoquer la liberté sexuelle obligatoire pour les soldats de La guerre éternelle, de Joe Haldeman.

– De Silverberg, lire absolument L’Homme dans le labyrinthe. Du lourd.

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Orson Scott Card - La Stratégie EnderVO : Ender’s Game. Le Cycle d’Ender, tome 1. Un passage obligé, même si on n’est pas forcément porté sur la SF. Car l’histoire du jeune Andrew qui se retrouve au milieu de quelque chose qui le dépasse est rapidement addictive. Stratégie militaire, manipulations pour créer une race de super-généraux, c’est clair et plus qu’abordable.

Il était une fois…

Il y a déjà cinquante que la Terre a réussi une grande bataille contre les doryphores, espèce E.T. animée par l’esprit de ruche. Hélas une nouvelle invasion semble bien se préparer. C’est pourquoi la famille Wiggin est autorisée, exceptionnellement, à concevoir un troisième enfant. Andrew. Ender sera son nom usuel, car c’est le dernier espoir de l’Humanité : son intelligence et sa vivacité (il est issu d’une belle famille) sont amenées à être utilisées pour en faire un grand Stratège. D’où, à six piges, son entrée dans une école de guerre sur une base orbitale. Que l’apprentissage commence !

Critique de La Stratégie Ender

Nous avons avec la Stratégie Ender la meilleure entrée en matière de dont est capable le père Scott Card, personnage aux croyances très mormones et aux titres empreints d’une certaine humanité à l’image d’un Robert Charles Wilson. Parfois violent, souvent touchant, mais toujours d’actualité avec par exemple les « blogs » de Valentine et Peter Wiggin. Et à l’instar d’un Bordage et son Wang, on est en présence la SF militaire extrêmement crédible.

L’histoire fait froid dans le dos, comme l’environnement spatial dans lequel se trouve notre très jeune héros. Ender, c’est l’intelligence brute qui est trop rapidement mobilisée, le petit dont on attend énormément, à savoir devenir un stratège apte à lutter contre une civilisation dont on ignore tout au final. Et pour cela, le colonel Graff (directeur de l’école de guerre) fait tout pour faire de ses élèves la crème de la crème. Quitte à les pousser à bout pour éveiller chez eux la grosse étincelle qui fera d’eux de savants guerrier.

Et c’est notamment l’aspect pédagogique (donc humain) qui est terriblement bien traité. Sur moins de 400 pages (l’auteur aurait pu faire bien plus long), le lecteur rosira de plaisir face aux pérégrinations d’Ender qui mène son petit bout de chemin au sein d’une institution implacablement retorse. Rien n’est laissé au hasard (ou presque), le protagoniste est utilisé telle une marionnette pendant que son frère et sa sœur manipulent l’opinion publique pour le bien commun.

L’immersion de Scott Card est prodigieuse, Le Tigre s’est régalé à suivre les tactiques mises en œuvre par Andrew pour mériter ses bonnes notes, car si on attend beaucoup de lui, ce sont sur ses exploits militaires simulés qu’il sera jugé. Les menues « batailles » en apesanteur zéro où deux équipes de 40 soldats s’affrontent sont superbes, et très vite tout s’emballe. Jusqu’à une fin qui m’a correctement scié, disons que l’effroi s’est mêlé à l’admiration.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La guerre totale. Guerre complète contre les doryphores qui semblent fermement décidés à exterminer l’espèce humaine avant tout, et les autorités terriennes unifiées déploient tout ce qui est possible pour lutter. Conflit complet en ce qui concerne Ender qui se doit d’apprendre le plus possible en un minimum de temps. Avec ses camarades certains sentiments (l’amitié, l’amour aussi avec la belle Petra) seront mis de côté pour se faire enseigner le noble art de la guerre. Le vrai stratège est froid et sans pitiés, même avant l’âge de raison il faut en faire une machine intellectuelle à l’image des vilains ennemis.

[Thème SPOIL attention]. La pédagogie manipulatrice. Pourquoi la « stratégie Ender » ? C’est là le plus beau du roman. Mister Graff, figure tutélaire omniprésente de l’école de guerre, a préparé aux petits oignons le parcours de ses chers protégés. Et qui aime bien châtie bien, c’est pour la bonne cause. La cerise sur le gâteau de cette stratégie est de faire croire à Ender qu’il s’exerce toujours alors qu’il commande les troupes humaines prêtes à exterminer les doryphores. Il est alors compréhensible qu’Andrew Wiggin, auteur du premier xénocide (sujet du prochain roman), en a gros sur la patate. [Fin SPOIL]

…à rapprocher de :

– Un film est sort fin 2013, et je dois convenir que celui-ci n’est pas mal du tout. Des acteurs qui campent bien les protagonistes, des effets spéciaux rendant bien compte des séances d’entraînement en gravité zéro, ça aurait pu être bien pire.

– La suite laisse de côté l’aspect militaire pour mieux se concentrer sur des problématiques universelles comme la culpabilité et le relativisme de nos civilisations humaines. Envoutant. Et ça commence avec Xénocide. Toutefois, le recueil de nouvelles Ender : Préludes est loin d’être inutile.

– Si vous souhaitez rester dans la même ambiance, il est alors délicieux de se reporter sur La Saga des Ombres. On suit alors le petit Bean dès La Stratégie de l’ombre, puis L’Ombre de l’Hégémon, ensuite Les marrionnettes de l’Ombre, suivi de L’Ombre du Géant (une tuerie celui-ci). Et ce n’est pas fini.

– Sinon, Les Maîtres Chanteurs (moins SF) reprend le thème de l’enfance dévoyée de manière encore plus violente.

– En revanche, évitez Robota, roman graphique incompréhensible.

– Puisque j’en parlais rapidement, sur la SF militaire il y a les excellents Wang (Bordage) ou La guerre éternelle (Haldeman).

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Nicolas Jaillet - SansalinaAttention petit bijou littéraire ! Nicolas Jaillet a du talent, et le lecteur sortira sonné après à peine 300 pages de violence inouïe dans un environnement quasiment onirique. L’excès sous toutes ses formes, avec la vie d’un être qui d’enfant martyrisé acquiert le statut d’un beau salopard, et tout cela sous une écriture svelte plutôt surprenante.

Il était une fois

Pablo Zorfi est le maître de Sansalina, dans le Mexique des années 20. Sa vie n’a beau être que violence et règlements de comptes, toutefois les idéaux qui animaient le jeune Zorfi avaient une certaine noblesse au début. Vendu par son père, maltraité dans une ferme, puis vivant chichement dans un bordel, Pablo a de quoi avoir la rage au ventre. Aussi lorsqu’il estime que la seul chose qui peut le redresser est la jolie Dolores, amie d’enfance qui a fondé, loin de Sansalina, une bibliothèque. Or, ladite bibliothèque vient d’être sauvagement brûlée, et Dolores n’a guère le choix que de retourner dans la fournaise…

Critique de Sansalina

Une vraie perle douce-amère qui m’a laissé sur mon séant tellement je ne m’attendais pas à une telle histoire de la part d’un écrivain français. Et c’était relativement mal parti, en effet les premiers chapitres m’ont paru délicats à lire dans la mesure où rendre compte du Mexique des années 20 n’est pas la meilleure approche pour happer le lecteur.

Et en fait si, Le Tigre n’a pu refermer ce roman qu’une fois terminé. Le scénario est double, et Jaillet a effectué un correct parallèle entre la jeunesse de Pablo et le temps présent. Pendant que Dolores est contrainte de retourner à Sansalina, lieu de son enfance qui ne lui a pas laissé un souvenir particulièrement heureux, on revit l’évolution de Pab’ Zorfi. De pauvre hère confronté à la violence du monde, s’esquisse progressivement le portrait d’un fou furieux qui va tenir d’une main de fer (dans un gant du même matériau) la ville.

Sur le style, c’est du brut de chez brut : écriture sèche  et non dénuée de poésie, quelques passages sont très violents et pourront en choquer plus d’un. Car le Pablo a une marre de sang entre les mains, notamment celui de son propre père. Dans l’ensemble, l’univers imaginé par l’écrivain prend très vite forme dans l’esprit ; être ainsi immergé dans ce monde où se mélangent l’amour (sexe même), la revanche (vengeance surtout), le sang et l’amitié a été un pur plaisir.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vengeance. Le jeune Zorfi est une mauvaise graine, dès l’école on sent qu’il va faire de belles étincelles. Et c’est rapidement qu’il est vendu par son père à un ignoble esclavagiste au coup de fouet passablement leste. Il le tuera. Puis retournera dans sa ville natale s’occuper de son père. Une réelle petite boule de haine accueillie par Raquel (ou Rachel), prostituée qui l’aide à devenir le boss de l’hôtel où elle officie. Plus que de l’ambition, on pressent que le héros (anti héros en fait) a une revanche à prendre avec la vie. Après des années de dénuement, place à l’entassement de richesses et aux parades dignes d’un paon.

La montée en puissance de Zorfi a été rendue possible grâce à quelques amis (les frères Mendes) avec qui ils ont vu des vertes et des pas mûres. Sauf que plus le gang prend des galons, plus leur amitié semble partir en quenouille. Les protagonistes principaux ont un grain il est vrai, et à l’instar d’un Tony Montana ils deviennent de plus en plus paranoïaques. L’amitié peut-elle alors survivre à la folie d’une personne ? Je ne spoilerai pas sur ce coup-là, mais le tableau que nous présente Nicolas J. est pessimiste, avec une tension virant à l’insupportable entre le Pablo et ses « amis » qui complotent joyeusement.

…à rapprocher de :

– De la part de Jaillet, Le Tigre a reçu La maison. C’est toutefois trop court mais le tout reste d’excellente facture.

– Un monde impitoyable, en Amérique du Sud partiellement, avec un enfant traumatisé qui se venge à un degré too much, c’est la bande dessinée Baron samedi de Dog Baker.

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qltl-bodyguardDégoter un titre à cette illustration n’a pas été aisé, et Le Tigre n’est pas peu fier de sa trouvaille. Car Bodyguard, c’est tout à fait le genre de film dont je connais parfaitement la BO mais que jamais je ne supporterais de regarder en entier. Sauf si ma copine le souhaite, évidemment (et si je peux discrètement bloguer en même temps). Vieux film du début des années 90, croyez moi ou non à l’époque Costner (le coûteur, il mérite bien son nom) était un acteur coté avant la catastrophe que fut Waterworld. La référence du titre ne vise alors que la posture du noble félin, protégeant avec sérénité un précieux ouvrage. Apparemment il n’y a pas de danger à l’horizon : ni voleur à l’affût ni emprunteur aux doigts sales qui pourtant est déjà prévenu par un autre billet.

Donc au lieu de vous entretenir sur ce nav…euh film ou sur le plaisir de reposer son derrière dans un grand livre ouvert, je vais plutôt vous parler de l’illustrateur. Car il ne s’agit pas de « San », mais cette fois-ci d’un professionnel aguerri dont la maîtrise de l’anatomie féline n’a d’égal que la gentillesse. On le voit au premier coup d’oeil d’ailleurs (outre la signature), cet improbable saut qualitatif. En effet, José Correa a accepté de me faire un dessin sur le thème « tigre et littérature », et voilà le résultat. Je me sens encore tout chose, c’est de la musique pour les yeux.

Cette superbe illustration a été rendue possible car monsieur Correa s’est occupé de la partie « bande dessinée » de certains ouvrages de l’éditeur BDMusic, ce dernier proposant des coffrets mêlant une BD sur une partie de la vie de l’artiste et un double CD de ses meilleurs morceaux (idée de cadeaux assez originale au passage). Et lors d’une séance de dédicace, Tigre est arrivé avec ses gros sabots, quémandant avec des trémolos savamment dosés une légère esquisse pour abonder le présent blog. J’ai dû être convaincant, parce que l’esquisse en question est conséquente. Peut-être si j’avais versé une larme j’aurais eu de la couleur…

Pour conclure, grand merci à José. Vous aurez compris que les iconographies de QLTL sont ouvertes à tous, de l’amateur du dimanche au dessinateur de compétition. Surtout les derniers hein. Dès qu’il y a un tigre dans une situation plus ou moins culturelle (les rapports cinématographiques étant appréciés), c’est validé. En sus, un scan me suffit, vous pouvez garder l’original.

Tetsuko Kuroyanagi - Totto-chanSous-titre : La petite fille à la fenêtre. VO : Madogiwa no Totto-chan. Encore un coup de cœur du Tigre qui a dévoré cette courte autobiographie de la tendre enfance d’une Japonaise d’exception. A travers plusieurs souvenirs s’esquisse la présentation d’une éducation scolaire qui vend du rêve, quelque chose de grandiose qui renforce l’âme.

De quoi parle Totto-chan, et comment ?

Le Tigre a presque honte d’avoir adoré cette œuvre, car ni la couverture ni la présentation au dos du livre ne semblaient constituer les friandises que j’ai l’habitude de m’envoyer régulièrement. Mais magie de la littérature, attraper les yeux fermés un produit dans une librairie peut s’avérer payant. Ainsi je n’imagine même pas les petites merveilles qui attendent que je les bouffe sans autre forme de procès.

Totto-chan (le « chan » étant le diminutif accordé à un enfant), c’est Tetsuko Kuroyanagi qui nous conte quelques années de sa jeunesse dans l’école de Tomoe. La dame, née l’année pendant laquelle un certain Hitler a accédé au pouvoir, est une animatrice radio assez cotée qui m’a l’air fort sympathique. Sans aucun doute l’influence de l’école où elle a évolué dans la mesure où en fin d’ouvrage le lecteur découvrira ce que sont devenus ses camarades. Et il appert que tous, en plus de réussir pour la plupart, sont heureux. Tout simplement. Cette postface donne une explication sur le pourquoi de l’écriture de cette expérience, puisque Tetsuko avait fait une promesse d’enseigner dans l’école. Promesse largement tenue grâce à la diffusion de ce livre.

La biographie commence par le « cas Totto-chan », ou une fille qui n’arrête pas de taper la discute quitte à déranger toute une classe en attendant, debout face à la fenêtre (d’où le titre), que des musiciens publiques passent. Un comportement déviant de trop, Totto est virée de son école (elle ne le saura que bien plus tard) et sa mère la présente à Kobayashi, directeur d’une école particulière car infiniment libre (cf. infra). L’entretien avec le vieux monsieur partiellement édenté, au cours duquel la petite déblatère pendant 4h (première fois que ça lui arrive, bon premier feeling), se passe à merveille. C’est donc parti pour de nouvelles aventures dans des wagons en guise de salle de classe.

Et là l’auteur a pondu une belle pétée de chapitres, chacun ne dépassant pas quatre pages. On peut en zapper, on peut sauter à la 200ème page comme revenir en arrière, ça se lit presque indépendamment ! En outre, c’est plus qu’aisé à parcourir comme prose : vocabulaire simple, à chaque terme que Le Tigre n’a pas compris une note de bas de page était là pour me guider. Bref, une agréable surprise que je ne saurai trop vous conseiller. Notamment par les thèmes abordés dans les paragraphes qui suivent.

Ce que Le Tigre a retenu

Le thème principal de La petite fille à la fenêtre est l’éducation presque parfaite et comment un unique homme a su rendre des centaines de personnes épanouies. Kobayashi (de grâce, ne rajoutez pas « Maru » comme mon esprit volage, Star Trek n’a rien à voir) a beaucoup voyagé, et a décidé de faire de Tomoe (il a également donné ce nom à son fils) une institution où l’écolier est intelligemment choyé : la pratique est préférée à la théorie avec de nombreuses balades, campings et autres jeux ; l’erreur est grandement tolérée tant que celle-ci ne résulte pas de la méchanceté (tous naissent bons, selon le directeur), bref le fun est au menu mais on apprend à vitesse grand V.

Les différences. L’héroïne découvre l’altérité, que ce soit un ami atteint de polio ou des cours de danse qui n’ont rien à voir avec ce qu’elle pouvait imaginer. Ode à la tolérance et à l’acceptation en général de soi, puis des autres (l’exemple de tous les gosses à poil dans la piscine est surprenant), c’est généreux et terriblement simple. Quant au « racisme » dont parle le quatrième de couverture, à part le jeune Coréen qui crie à Totto sa nationalité comme si c’était une insulte (triste, n’est-ce pas ?), il n’y a rien d’autre.

L’air de rien, l’auteur fait quelques allusions progressives à la guerre qui fait rage contre les Américains. Ça commence par quelques rappels géopolitiques (notamment l’apprentissage de l’anglais qui disparaît), puis certains protagonistes obligés de filer au font, notamment le concierge déjà âgé. Le pire, au final, est le bombardement de Tokyo et la victime collatérale qu’est l’école, brûlée en une nuit sans espoir de reconstruction.

…à rapprocher de :

– Pour le modèle éducatif proposé dans cette autobiographie, Le Tigre ne voit hélas que certains passages du Petit Nicolas, de Goscinny. Oldschool, point de vue de l’enfant, mignon aussi, mais moins bon que son homologue nippon.

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qltl-textes-tigreTigre se livre parfois et vous propose d’entrer dans son univers impitoyable. Voici un court texte, à la première personne, sur des souvenirs presque imaginaires du jeune félin. Pour des raisons que vous comprendrez tout a été modifié, des personnages à l’environnement. Et si ça vous rappelle la politique, vous faites forcément fausse route. Ou vous avez mon imagination.

Éloge du tricheur (ou « La fable du Tigre et de l’Autruche »)

« Vous avez une heure trente, puis on reprendra le cours sur les datifs pluriels ! ». Voilà comment cette honteuse journée a commencé, à huit heures pétantes. La voix stridente de l’Autruche, notre professeur de linguistique aviaire, annonçait le début des hostilités pour ce devoir sur table mensuel. Comme tout fier tigre qui se respecte, j’avais coché lors de mon entrée au lycée les mentions Sciences sociétales de la savane et Afrique / Asie en ce qui concerne la langue. Pouvoir baragouiner avec les poules et autres piafs incapables de prendre leur envol m’avait semblé à l’époque constituer un indéniable plus qui ferait fureur sur mon CV. Je me consolais de la sorte en tout cas, les cases ayant été cochées par la main ferme de papa-tigre.

24 étudiants, un par table ; j’étais stratégiquement positionné derrière un ours blanc passablement bougon du fait du premier exercice de traduction qui ne l’inspirait guère. Stratégie en effet, car la veille, sur un coup de tête, j’avais minutieusement inscrit sur une étroite feuille de papier l’intégralité des verbes irréguliers sur lesquels une partie du devoir portait. Je n’ai jamais su correctement apprendre par cœur, et ma maîtrise de la langue aviaire était loin d’être suffisante pour sentir lorsque j’écris une connerie dans ce dialecte. Ainsi me voilà, l’objet d’un délit potentiel dans la trousse, à suivre plus que de raison les va-et-vient de la prof dans la salle d’examen.

Avoir concocté cette magnifique antisèche (appelons un chat un chat, et je ne m’étais pas appliqué de la sorte depuis des mois) semblait surtout relever de l’orgueil. Sans me faire mousser, nous étions déjà avec mon ami le Lion les rising stars du cours de l’Autruche. Les deux mecs à l’aise et rigolards à qui il arrivait au premier rang de parfois se retourner pour regarder le tableau. On se payait même le luxe de bavarder en aviaire, et la vieille prof allait jusqu’à nous citer en exemple pour ce manque de respect, mais en aviaire. Puisqu’on se talonnait depuis des semaines, j’avais furieusement envie d’arracher un beau 18 (au moins) pour qu’entre nous disparaisse enfin cette compétition larvée. Et comme ces foutus verbes devaient, selon moi, s’apprendre sur le tas au pays, c’était forcément une moindre triche.

Hélas le drame survint à la 36ème minute du devoir. Je n’avais même pas attaqué le troisième exercice (celui pour lequel l’antisèche était faite) que l’Autruche faisait un énième passage dans ma rangée. Or, je venais d’utiliser un effaceur et ma trousse, béante, offrait le spectacle d’une lamelle de papier délicatement entortillée sur elle-même. Le genre de truc qui ne trompe pas son monde, l’équivalent d’une balise may-day pour un prof pas encore atteint par ses antidépresseurs. Et moi, comme un beau con, d’esquisser un geste de protection à l’instant même où le volatile passait à mes côtés.

Sans doute peu habituée par l’empressement et la brusquerie dont j’ai fait montre, je vis littéralement l’Autruche s’arrêter net, tordre sa tête vers ma trousse dans un mouvement de retrait dont seul cet animal est capable. « Oooohhh, Tigre, mon cher Tigre, que cachez-vous donc là ? Si si, montrez-moi ! Roooooo, est-ce que ce serait…oui, oui, mais vous trichez…j’ai du mal à l’imaginer, venant de vous…vous me décevez ! Donnez donc moi ça, je vais réfléchir jusqu’à la fin de l’épreuve à une sanction ». Et le tout suffisamment fort, délivré avec un gloussement mi-roucoulant mi-choqué qu’on n’avait jamais entendu de sa part.

Honteux, même furieux, je l’étais triplement. Tout d’abord, les épreuves écrites de la baudruche sont connues à travers le lycée pour être un lupanar d’antisèches et autres moyens de triche. Les animaux allaient jusqu’à tester les dernières filouteries imaginées avant de les appliquer ailleurs. En dix ans de mémoire d’étudiant, personne ne s’était fait griller. Grâce à moi, les dix prochaines années seront pareilles, à la différence qu’une fois « un couillon a réussi à se faire goaler ». Je m’imaginais déjà les prochains étudiants se demandant si je ne l’avais pas fait exprès. Ce pourrait même être le point de départ d’une surveillance accrue de la part de l’Autruche, et là plus de tests grandeur nature !

Ensuite, mes con-camarades se foutaient royalement de mon museau. Hyène et Chat, ça ne m’étonnait pas, ces deux salopards se jetaient sur n’importe quels travers de leurs copains comme la vérole sur le bas clergé breton. Et je les distinguais, pendant qu’ils ricanaient bruyamment, s’échangeant leurs brouillons. Celui qui m’a fait particulièrement mal est Rhinocéros, notre délégué de classe élu par défaut. L’inélégant m’a pointé du doigt en rappelant à l’Autruche l’attachement de la classe à la probité en général. J’avais entendu un autre son de cloche lorsqu’il tapait allègrement dans les bouteilles de mousseux après la soirée du lycée. Entre fermer ma gueule en assumant et pleurnicher un « mais tout le monde le fait ! », j’optai pour le premier comportement.

Enfin, et sans aucun doute le plus douloureux, c’est que je ne comptais pas me servir de l’antisèche. Il est facile de le dire après coup, mais c’était la stricte vérité : en écrivant avec moulte application ces verbes irréguliers, ces derniers s’étaient durablement inscrits dans mon cerveau tigresque. En parcourant rapidement l’exercice de ce sujet, tout m’était revenu avec une clarté à peine croyable. J’avais poussé la confiance jusqu’à le garder pour la fin. Et vu comment l’épreuve se présentait (j’avais fait les deux tiers en une demie heure), j’oubliais presque qu’une vilaine fraude faite il y a plus de douze heures (donc très vieille) se cachait dans mes affaires.

L’injure suprême est celle faite par mon corps. Les trois raisons de ma colère entraient gravement en résonance dans mon esprit paniqué. Non seulement je virais pourpre en revivant chaque seconde de l’infâme scène, mais d’inquiétants soubresauts étaient en train de me gagner. Puis la première larme. La seconde. Me disant qu’éviter de cligner des yeux arrangerait la situation, la clim’ hélas me fait pleurer pour de bon. Je ne pouvais creuser plus profond. Non seulement j’avais gravement déconné et méritais la vindicte publique qui s’abattait sur ma souple échine, mais en sus je jouais mon rôle de clown au-delà des espérances du zoo dans lequel j’étais.

Vous voulez savoir la morale de cette histoire ? Je garde souvent le meilleur pour la fin. Non, le pire. A savoir la sanction de l’Autruche, qui m’est apparue comme une double claque d’une violence inouïe : la gentille vieille qui avait confisqué le bout de papier (normal) a divisé ma note par deux, tout en me faisant part de sa décision seul à seul, loin des quolibets du zoo. Au final, je m’en suis tiré avec un neuf sur vingt, en restant au-dessus de la moyenne générale. Sanction infime de la part d’un professeur qui avait compris que je m’étais superbement puni, comme un grand : avec une réputation lourdement entachée, je n’étais plus le blondinet à la belle fourrure à qui on donnait le bon Dieu sans aucune forme de confession. Ce fameux jour allait alors indignement représenter la branche d’Al-Qaïda d’une scolarité sans accroc majeur.

Sauf que je ne possédais pas non plus la sulfureuse saveur du bad boy (comme le Tapir, la grande gueule qui attirait tant les gazelles). Je donnais seulement l’image du gentil benêt qui a eu la malchance (la maladresse surtout) de s’être fait prendre le petit doigt dans un gros pot de confitures alors que la moitié du lycée en avait fait sa piscine depuis longtemps. Et oui, l’offense finale portait un nom, celui de la pitié. Deux heures après l’incident, j’aurais grandement préféré que l’Autruche fasse un flamboyant exemple de mon cas. Un petit walk of shame jusqu’au bureau du proviseur, endroit que je n’ai jamais visité au demeurant. Je voulais être châtié, que mon égarement suscitât une indignation infinie qui, plus que de marquer les esprits, aurait été le point zéro d’une politique anti-triche draconienne et impitoyable. Il n’en fut rien. Trois jours après, personne ne m’en parlait.

A considérer que c’en est un, le fin mot me paraît pessimiste : j’ai fauté. A la différence des autres, ai été pris la main dans le sac. Une heure de pilori dont je garde un souvenir ému. Pitié de l’Autruche et sanction finale indécente eu égard la gravité de mon acte (elle m’a cru quand je lui ai expliqué ne plus avoir besoin de l’antisèche, vous aussi d’ailleurs). Papa et maman-tigre même pas tenus au jus. Je n’ai quasiment plus triché depuis. Mes camarades n’ont pas changé leurs habitudes. J’ai eu honte pour le zoo, mais bien plus tard. Car ce sont tous des potes, et l’apparence de notre classe est restée sauve. L’élite, ceux qui bouffaient des mathématiques en plus du latin et autres menus cours prestigieux. C’est bien le plus important, non ?

Pierre Bordage - WangDilogie science-fictionnesque de qualité écrite par un auteur français plutôt prolixe, on est dans la valeur sûre. L’histoire d’un jeune homme embarqué dans une histoire mêlant stratégie militaire et géopolitique, mâtinées d’un tableau vivant de la misère d’un tiers-monde moyenâgeux. Happy end un peu décevant, mais on ne va pas chipoter pour si peu.

Il était une fois…

Au 23ème siècle (ben voyons), l’Humanité est divisée en quatre gros blocs. Le plus riche, l’Organisation des Nations Occidentales (ONO), regroupe les États-Unis (qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes) et l’Europe occidentale, largement influencée par la puissance de la France (re-ben voyons). Pour se protéger des dictatures voisines (notamment l’empire sino-russe), l’ONO a mis en place un rideau électromagnétique (le REM) presque infranchissable. Car ce dernier s’ouvre parfois en Bohème, et pour Wang, jeune Chinois à peine majeur qui vit misérablement en Pologne, c’est l’unique opportunité d’échapper aux clans qui lui en veulent (une sombre histoire de loi clanique). Accompagné de la belle Lhassa, qu’arrivera-t-il à notre héros une fois de l’autre côté ? Personne n’est jamais revenu de l’Ouest, à peine si d’étranges jeux militaires avec des humains utilisés comme de la chair à canon sont évoqués.

Critique de Wang

Je reconnais que la présentation de l’œuvre dans le paragraphe précédent est relativement longue, mais pour un pavé de 800 pages aussi dense faire plus court aurait été criminel. Pas vraiment un pavé d’ailleurs, puisque Pierre Bordage a subdivisé son texte en deux romans, mais cela se lit comme un tout.

Le premier titre, Les Portes d’Occident, fait référence au rideau qui sépare l’Occident opulent mais fade (Wang qui doit se taper Delphane, par exemple, a l’impression de niquer une poupée glabre sans vie) de l’univers de notre héros, totalitaire et dangereux car soumis au bon vouloir de groupes criminels. En parallèle le lecteur suivra Frédric Alexandre, jeune stratège de talent qui réussit une à une les manches des Jeux uchroniques (cf. thèmes abordés), qui se jouent au début sur ordinateur.

Dans la suite, Les Ailes d’Orient, Wang qui est parvenu à passer à l’Ouest devient progressivement la star des Jeux militaires. Car fini les ordis, ça se bat pour de vrai et les enjeux de cette compétition s’avèrent être énormes. Le but de notre Chinois, faire tomber le REM, devra composer avec la volonté de ne pas créer une guerre mondiale et retrouver la petite Lhassa qui loge chez un vieux monsieur assez sympa au demeurant (l’équivalent du vieux sage occidental épris de liberté).

C’est grand, c’est beau, le scénario est cohérent dans un univers cyberpunk finement décrit même si le chauvinisme français de l’auteur insulte un peu l’avenir. La lutte entre le français et l’anglais, d’accord, mais l’Hexagone en tête de file d’un Occident tout-puissant, ça fait doucement ricaner. Cela n’a pas empêché Le Tigre de passer un excellent moment, le style de l’auteur étant d’une fluidité à toute épreuve, notamment le rendu des scènes de bataille où Wang s’illustre.

Le meilleur moyen à ce jour pour se familiariser avec le père Bordage (Abzalon n’est pas mal non plus), puisque ses autres cycles m’ont paru trop « ésotériques », voire versant dans le fantastique, ce qui ne plaît pas forcément au Tigre. Avec Wang, rien de cela, juste une vision pessimiste et originale d’un avenir qui a peu de chance de se manifester (ou alors quelques éléments ici et là).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La stratégie et la tactique militaires. Ces fameux Jeux uchroniques sont bien pensés : deux compétiteurs, un défenseur et un attaquant ; une bataille historique rééditée pour la plus grande joie des spectateurs, et en avant la musique ! Le fin Frédric fait des merveilles en changeant le cours normal de l’histoire telle qu’on la connaît (d’où l’aspect uchronique) grâce à un sens inné de la tactique, notamment utiliser Wang comme élément d’improvisation. Bordage nous permet alors de revisiter quelques illustres champs de bataille (souvent antiques, mis à part le Viet-Nam) avec la liberté d’écriture de l’auteur débordant d’imagination.

Les inégalités. Si Le Tigre parle de cyberpunk, c’est que le monde imaginé par Pierre B. est plus sombre que jamais. D’une part, l’environnement polonais du début avec Wang n’envoie pas du rêve, on dirait celui de Bean jeune dans la Saga des ombres de Scott Card : jungle urbaine, confiance limitée (sauf au sein de la famille), anarchie apparente, bref un peu du struggle for life in the future. D’autre part, l’Occident semble tout propret (à part le respect de l’être humain) et bien froussard. Car le sujet prégnant est la façon dont une civilisation, par peur ou pour éviter d’avoir à aider ses voisins, décide de se retrancher derrière un mur de Berlin inversé.

…à rapprocher de :

– Sur la stratégie militaire des siècles à venir, il faut absolument lire le premier tome de la saga Ender, d’Orson Scott Card. Et les romans en parallèle de la saga de l’ombre : La Stratégie de l’ombre, et ses suites.

L’Homme des jeux, de Ian M. Banks, est similaire à Wang dans la mesure où un jeu de stratégie détermine la position de chacun dans la société.

– De Bordage, Tigre a aimé Abzalon, et un peu moins Porteurs d’âmes.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici : premier tome, puis second opus.

Alice Quinn - Un palace en enferSous-titre : au pays de Rosie Maldonne. Légèreté, humour (même si je reste sceptique), voilà quelque chose qui se lit vite sans grosse prise de tête. Mais alors pas du tout, au risque de survoler cette improbable histoire. Rosie, jeune mère sans le sou sur qui les improbables aventures tombent, reste plutôt attachante malgré un style global qui parfois a gavé Le Tigre. Ni grande littérature mais ni catastrophe littéraire.

Il était une fois…

Rosie Maldonne est une jeune (23 piges il me semble) mère de trois chiards dans le dénuement le plus total. Elle vit d’allocations dans une miteuse caravane mal placée. En fait Rosie, qui préfère se faire appeler Cri-cri, a le verbe chantant et un cœur gros commak. Et un beau jour, tout va s’accélérer : elle découvre des dizaines de milliers d’euros dans des poubelles ; fait la rencontre d’un vieux poète ; sa meilleure amie disparaît ainsi que le bébé de cette dernière,… Bref, la miss est au milieu d’un joyeux bordel où se mêlent mafia, corruption et mystérieuses disparitions.

Critique d’Un palace en enfer

Cette œuvre se présente sous la forme d’un e-book qui a été gracieusement envoyé par un auteur autopublié. Tigre a dû ainsi télécharger un émulateur de liseuse afin de voir ce qu’il en est. Et je préfère être tout de suite honnête, mon sentiment sur Un palace en enfer sera très éloigné de commentaires élogieux présents sur un site de vente en ligne très connu.

Le titre fait référence à la bonne fortune qui va tomber sur la gueule de l’héroïne, compliquant énormément le cours de son existence. Et dès le premier chapitre (une petite dizaine calquée sur les jours de la semaine), toute cette manne trouvée dans des poubelles (plus de 100.000 euros), c’est forcément louche. Corruption d’élus, doubles jeux de pas mal de protagonistes, ça rebondit dans tous les sens que ça en devient too much. Presque du roman de gare version numérique, comme si Harlan Coben un poil fatigué avait repris le phrasé de la plèbe.

Le style n’est en effet définitivement pas mon truc : vocabulaire familier (encore, ça colle au personnage), descriptions minimales, transitions hasardeuses, ce n’est pas fameux dans l’ensemble. Et pourtant…on arrive à bien se représenter quelques scènes. Bon, c’est loin d’être repoussant certes, cependant quelques fautes d’orthographe (sans gravité) ont de plus légèrement piqué les yeux du Tigre. Ce qui est bon, avec l’e-book, est que cela sera sûrement vite corrigé.

Au final, si vous avez deux heures devant vous et qu’il n’y a vraiment rien d’autre à faire, allez-y. Ce sera toujours mieux qu’un magazine. Le tout ne maque pas de sel et quelques surprises finales sont à prévoir. Hélas, le fan de polar ou de roman sociétal (nullement la prétention de l’écrivaine) pourra passer son chemin. Sans regrets.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La gouaille. La Rosie a le franc parler de la fille à qui on ne la fait pas, et même dans les situations les plus dangereuses sa répartie reste assez savoureuse (bien qu’inimaginable en l’espèce). Imaginez le bout de femme que c’est : plutôt belle, la marmaille à gérer, peu discrètement habillée puisqu’elle récupère les très flashy vêtements d’une copine, en fait Le Tigre a plus d’une fois pensé au sketch Les pétasses des Inconnus. « Le lampadaire, c’est Cri-cri ! ». Lourd à la longue toutefois.

La culture de la débrouille. Cri-cri est ce qu’on pourrait nommer une « maman tout-terrain » : récupérer quelques euros pour nourrir ses trois (puis quatre) gosses, travailler au black tout en composant avec les sorties de l’école, chapeau à une femme qui ne se laisse rarement démonter (au sens propre comme figuré). Question culture, on peut également saluer les références musicales à chaque début de chapitre, paroles à l’appui : Rosie croit que les airs écoutés dans ses rêves sont envoyés par feue sa mère et sont autant d’indices quant à la teneur de la journée à venir.

…à rapprocher de :

– Dans la catégorie « je déconnes sur les bords et m’adresse au lecteur », vous préférez sûrement quelques San-Antonio. Celui-ci par exemple.

– Dans une catégorie légèrement au-dessus (et encore, j’insiste sur le légèrement), Tigre tient à signaler La petite fêlée aux allumettes, de Nadine Monfils. Pas terrible, comme quoi être édité par une grande maison ne veut rien dire.

Les Sutras du TigreLe Tigre est résolument moderne, et ne pouvait passer à côté des merveilles technologiques peuplant le fabuleux quotidien du lecteur. Dont la possibilité d’avoir des milliers de titres dans un seul objet. Or cet artefact ne saurait être considéré comme un livre classique, sinon de vilaines déconvenues sont à prévoir. Voici donc 27 exemples pour remettre les pieds sur terre.

Pourquoi ?

Depuis le temps qu’on me bassine avec les liseuses, j’en ai emprunté une pour le week-end à un ami. Tigre la lui a rendue dans le même état global que prêtée, de toute façon avec les daubes littéraires dedans je ne risquais pas de faire grand mal à celle-ci. Toutefois j’ai pu déceler quelques différences d’utilisation par rapport à mes bons vieux pavés.

Attention, ce Sutra n’est ni un billet sur les avantages comparatifs entre ces deux modes de lecture, ni un énième avis du style « pour ou contre l’e-book ? », article que je laisse volontiers au Journal du dimanche. Dans notre cas, juste un pot-pourri de moyenne facture sur la modeste expérience de votre serviteur.

Ce qu’il faut retenir de ce billet est que si le confort de lecture paraît tendre vers celui d’un livre « normal », il est dangereux d’oublier qu’on ne tient pas un truc en papier entre les pognes. Voici donc ce qu’on peut faire subir à ses vieux bouquins mais qui semble soit impossible, soit peu recommandable à faire à un e-book. Dans le désordre évidemment.

Ce qu’on peut faire à un livre papier et pas à une liseuse

1/ Se le faire dédicacer. A part prêter un pyrograveur à l’écrivain et prier pour que le gus ne grille pas connement une diode au passage, je ne vois pas.

2/ Allumer le feu avec.

3/ Le balancer aux indélicats. Il m’est arrivé un beau jour de me faire houspiller en pleine lecture, au milieu d’un passage piéton. J’allais m’excuser lorsque j’ai vu le petit bonhomme vert me confirmant être dans mon bon droit. Pourtant le chauffard continuait à gueuler et a accéléré brutalement. Aussi j’ai pris le seul truc sous la main (le  bouquin) et ai effectué un lancer digne d’un joueur de baise-ball. Délices du hasard, je lisais Une ordure.

4/ Le déposer à la va-vite dans un sac destiné à aller dans la soute d’un avion/car. Pourquoi la soute ? Imaginez que les rayons X de la sécurité détruisent vos infos (très probable certes)…

5/ Le faire tomber dans la cuvette des chiottes. Et s’en foutre royalement.

6/ S’assoir par mégarde dessus sans entendre un sinistre craquement. Oui c’est solide, mais le quintal du Tigre qui marche dessus n’entre pas dans la garantie constructeur.

7/ Le prêter à un ami. Sinon imaginez votre accroche : « Tiens, voilà 744 livres, fais-toi plaisir. Oh, tu me le rendras quand tu auras fini ». Malaise.

8/ Le laisser sur le sable pour aller faire trempette sur une plage méditerranéenne. Et ne pas avoir à jeter un œil dessus toutes les deux minutes.

9/ Le surligner comme un exécrable sagouin. Les e-books permettent certes de surligner et place d’autres post-it un peu partout, toutefois rien ne remplacera la page gondolée et annotée de partout. De Villepin en parle même dans la bande dessinée Chroniques du Quai d’Orsay.

10/ Lire le truc dans son bain sans fredonner du Claude François.

11/ Cracher dessus lorsque c’est vraiment mal écrit. Ou un autre liquide (ce n’est pas ce que vous croyez).

12/ S’en servir comme une cale pour une table passablement bancale ou une armoire qui vous rappelle que trop souvent que votre plancher n’est pas droit.

13/ Draguer avec comme je l’ai expliqué dans cet édifiant billet.

14/ S’amuser à faire un autodafé. Même si Le Tigre a sa version contemporaine (et rieuse) de ce terrible geste.

15/ Passer avec dans un aéroport, une plume dans le derrière, en faisant biper les portiques le moins possible.

16/ Se le faire voler, avec le sourire. Sauf les exemplaires dédicacés peut-être. Si vous ne perdez pas le contenu avec une liseuse (votre sauvegarde étant intacte ailleurs), vous restez dépouillé d’un objet plutôt cher.

17/ L’abandonner sur un banc et suivre sur internet le sympathique voyage de la chose. Des sites le permettent.

18/ Caresser la couverture amoureusement telle la fourrure d’un majestueux tigre.

19/ Se la raconter en société. Un des plaisirs du Tigre est de faire prendre l’air à un obscur auteur japonais pour faire semblant de le lire en arrivant chez la baronne. Ou dans le métro. Succès garanti. Pérorer avec un ebook est sensiblement plus délicat, disons qu’au moins vous pouvez laisser le voisin lire par dessus votre épaule/

20/ Le lire sous la pluie sans craindre qu’il ne s’éteigne. Ou pire, prendre une châtaigne.

21/ Le lancer négligemment en revenant chez soi. C’est-à-dire sans viser expressément le canapé similicuir qui vous a tant coûté.

22/ S’en servir comme matière première pour un ball-trap. Comme dans un vieux film du début des années 90 dont je ne me souviens plus du  nom.

23/ Le perdre dans un lieu public et ne pas songer une seule fois à contacter le service des objets trouvés (ce qui ne changera rien soit dit en passant).

24/ Pouvoir lire des heures au beau milieu de l’île de Bornéo sans penser une seule fois à trouver une prise pour le recharger.

25/ Savoir, rien qu’en apercevant la couverture, en touchant le papier ou en parcourant rapidement le quatrième de couv’, si ça mérite d’être lu.

26/ Souffrir de lire la police d’écriture (et sa taille) douteusement choisie par l’éditeur.

27/ L’inénarrable satisfaction de le ranger, après lecture, dans sa bibliothèque.

Conclusion numérique

Quand je parlais de ma « modeste expérience », vous aurez remarqué qu’il s’agit avant tout d’expérience de pensée. A titre d’exemple, si l’idée du ball-trap est plus que séduisante, n’importe quel cerveau ayant de vagues connaissances de balistiques se douterait qu’envoyer un livre dans les airs ne constituera pas une cible de premier choix. Les feuilles risquent de ralentir l’objet, il faut en effet garder celui-ci sous plastique.

En outre, certains comportements vis-à-vis du livre papier me sont totalement étrangers dans la mesure où je reste un incorrigible maniaque. Enfin, Le Tigre n’acceptera ni remarques ni conseils d’ajouts de la présente liste. Je ne veux pas me risquer à devoir un jour changer le numéro du Sutra. Et oui, habituellement attaché à mes billets en trois parties, je me devais pondre quelque chose en 3x3x3 points…

Enfin, je vous signale qu’un sutra inverse a été rédigé. Le format numérique, ça a du bon parfois.

Christopher Reich - Compte numérotéVO : Numbered Account. Acheté (une fois de plus) au pif, voici un très correct polar mêlant criminalité financière et roman d’apprentissage. Suspense certes entretenu, toutefois des passages descriptifs certes bienvenus mais un peu longuets de temps à autre. Bienvenue dans le monde interlope des banques suisses.

Il était une fois…

Nicholas Neumann a un brillant avenir devant lui le chanceux : il vient de sortir d’Harvard, est maqué à une jolie nana, et s’apprête à commencer son nouveau job dans une institution financière suisse des plus reconnues. C’est dans cette boîte que son père, décédé il y a près de 20 ans, travaillait en outre. Et lorsque les graines du doute quant à la possible implication de la banque dans cet assassinat s’installent, le petit Nicholas (désolé, c’est plus fort que moi) fait face à un terrible choix.

Critique de Compte numéroté

Aaaah, enfin un thriller dans le monde de la finance qui est crédible, il n’est pas difficile de croire que mister Reich a lui-même travaillé dans ce genre d’établissement en Suisse. Réaliste, édifiant, ce serait parfait si notre auteur n’avait pas décidé d’en faire un pavé de 700 pages, ce qui m’a semblé un poil excessif.

Nicholas, le protagoniste principal, prend donc son temps pour s’installer dans la ville, prendre ses marques, retrouver quelques réflexes (par exemple, 2 minutes de douche glacée après s’être lavé, Le Tigre a essayé une fois et ne recommencera plus), avoir quelques dîners romantiques, etc. Sauf que le souvenir de feu son papa est omniprésent, et au fil des semaines notre héros se doute que Newmann Sr avait levé quelque chose de peu glorieux dans la banque.

Sur le style, Christopher R. s’est attaché à faire complet et bien documenté. Le résultat est une écriture dense, des chapitres un peu longs et la difficulté de savoir si on peut zapper tel ou tel passage sans être perdu par la suite. Pour conclure, si l’écrivain aurait pu boucler son roman en moins de 500 pages pour le même plaisir de lecture, l’immersion dans ce monde qui fait l’objet de nombreux fantasmes est fort satisfaisante. Nul besoin d’être un crack dans le domaine de l’économie souterraine ou en mathématiques, ça reste un thriller plus qu’abordable.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le roman d’apprentissage. Notre jeune héros, Nicholas Newmann, va commencer une nouvelle vie avant d’aller de surprises en surprises. Son arrivée à Zurich, l’apprentissage (ou l’amélioration) de la langue allemande (même si la plupart des clients bossent en anglais), les heures passées à contacter les actionnaires en vue d’une assemblée mouvementée, les trahisons amoureuses plutôt choquantes, le lecteur peut facilement s’identifier à l’ingénu qui s’apprête à être déniaisé. Si on rajoute la quête relative au meurtre du paternel, le tout prend des proportions presque bibliques d’une noble quête.

Les dérives de la finance dite « de qualité ». Il faut rappeler que Compte numéroté a été écrit en 1998, donc bien avant les délires de grandeur de certaines banques ayant amené à la crise financière de 2008. Je crois me souvenir d’une paire de prises de distance avec la légalité : d’abord, certains avoirs possédés par la banque proviennent d’activités criminelles. Le responsable de l’institution, pleinement complice, nous conte toutefois comment il a été piégé au début, avec un odieux chantage (photos à l’appui) survenu après une soirée où il a été drogué.

Ensuite, pour contrer l’OPA d’une société concurrente, Nicholas s’aperçoit que la tune des clients est investie dans la banque où il travaille. Conflits d’intérêts de partout, pas sûr que l’investissement effectué soit en outre un pari sur l’avenir. La problématique du roman, en fin de compte, est la lutte latente entre l’institution qui se considère comme « respectable » avec ses placements pérennes et équilibrés, contre les banques qui ne songent qu’à faire du profit en spéculant à tout-va.

…à rapprocher de :

– Pour ce qui est du « thriller financier », à part cet idiot de Paul-Loup Sullitzer je ne vois pas grand chose. Ah, peut-être les I.R.S., mais en BD.

Pour finir, puisque ce titre est rare à débusquer, vous pouvez éventuellement le trouver sur Amazon ici.