Collectif - Batman : No Man's Land Tome 1VO : idem. [contient trop de chapitres pour que je les indique ici]. Premier opus d’un arc de grande ampleur mettant en scène une ville de Gotham dévastée, il y a de quoi passablement repenser tous les protagonistes gravitant autour du Chevalier noir. Le Chapelier, Pingouin, Oracle, Huntress, que du beau linge en perspective. Scénario et illustrations inégaux, le début fut hélas loin d’être satisfaisant.

Il était une fois…

Gotham est au plus bas. La ville a été presque entièrement détruite par un tremblement de terre, et le bordel est tellement immense que les États-Unis ont tout simplement décidé de la laisser livrée à elle-même. En considérant que Batman, écœuré, a préférer se retirer, je vous laisse imaginer ce qu’il bien pu advenir. Une vraie chiennerie moyenâgeuse d’une rare violence. Et lorsque notre héros se décide à revenir, il a du pain sur la planche. Non : une industrie boulangère entière.

Critique du premier tome de Batman : No Man’s Land

Un gros pavé avec les aventures de Batounet, ça ne se refuse pas. Surtout lorsque la configuration de l’univers des protagonistes est changée à jamais : Gotham a beau avoir été défendue devant le Congrès par le héros, celui-ci a pris la décision de laisser tomber la ville alors considérée comme irrattrapable – catastrophe naturelle, maladie, criminalité, etc. La criminalité, en particulier, a fait son lot de chemin puisque personne (même pas les flics) n’a été en mesure d’assurer un semblant d’ordre.

Cet album propose une demie-douzaine histoires plus ou moins indépendantes (différents scénaristes), et illustrées par autant de dessinateurs. La première tend à planter un sombre décor, à savoir la ville sous l’emprise de groupes criminels – rien à dire, c’est l’excitation du début. Ensuite, il est question de l’Épouvantail, qui prend progressivement possession d’une paisible communauté chrétienne, que seule Huntress semble pouvoir arrêter. S’ensuit Du pain et des jeux, qui signe le réel retour de Batman au sein de la populace gothamite en perdition : celui-ci se prépare à foutre une retentissante branlée au pingouin.

Collectif - Batman No man's land extrait1Puis le très Mosaïque, très sombre puisqu’une sorte de secte terroriste la ville, et leur allure générale n’est point engageante – sans compter quelques révélations sur le nouvel ordre mis en place par le chevalier noir. Enfin, une brève saynète avec l’agent Montoya, qui n’arrive pas, en ces temps troubles, à parfaitement se reposer. J’ai dû oublier un ou deux chapitres, mais en zapper un ne vous fera point perdre le fil : en effet, bien que certaines idées sont bien trouvées, j’ai trouvé ces péripéties trop foutoir dans l’ensemble, en tant que touriste fini j’ai cherché à lier tout ça – alors que c’est sans doute peine perdue.

Quant aux illustrations, à part la troisième histoire, c’est trop sombre (pourtant Buddha sait si j’aime ça) et brouillon, le manque d’espace dans les cases ne m’a pas aidé à apprécier ni les personnages, encore moins les textes – souvent imparfaits. Et oui, Le Tigre s’est presque emmerdé (à quelques exceptions près) à finir ce tome. Gageons que les suites se passeront mieux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La première chose qui surprend dans la cité américaine est ce que Barbara Gordon nomme le « low-tech ». Plus d’électricité, les grands bâtiments détruits, la topologie de la cité est complètement modifiée, obligeant nos protagonistes à agir différemment. Celle qui en chie le plus est la petite Gordon (vexée en plus qu’une nouvelle Batgirl fasse son apparition), qui a terriblement besoin de ses artefacts technologiques. Quant à Batman, celui-ci est presque cloué au sol car comment voler de toits en toits si ceux-ci sont branlants ? Bref, la situation contraint à mettre les mains dans le cambouis. Pas étonnant que le Pingouin, méchant plutôt souterrain, s’en tire particulièrement bien.

Ainsi, et presque naturellement, le lecteur assiste à la déchéance d’une « civilisation » à l’échelle d’une ville. Le système clanique reprend ses droits, et c’est pire qu’au Moyen-Âge – croyez-moi, j’ai lu du Umberto Eco. Les différentes factions se déploient dans les blocs de rues, et dès le début du comics est dessinée une carte de Gotham avec, en couleurs, les possessions de chacun. C’est comme voir la répartition des cartels à la frontière américano-mexicaine. Le plus inquiétant est que la perte de repères touche les flics. Plus tard, même le Batman tague les bâtiments pour asseoir sa puissance – et il aime ça le salaud.

Les individus ne sont pas en reste, l’homme primitif ressort parmi chaque habitant. Se rendre compte que trois litres d’eau (ou une pomme) valent plus que trois kilos d’or, ou que vous pouvez échanger vos quatre piles contre une montre de luxe, ça donne une idée de la pertinence de la pyramide des besoins chère à Maslow. Le retour aux sources, c’est aussi la peur : peur primaire de la nuit (sans lampes torches, imaginez), puis la peur en général, sur laquelle certains s’appuient. Le Chapelier, en particulier, jongle avec les craintes d’une petite communauté (normalement paisible) qui tragiquement s’engage vers le chemin de la violence la plus pure.

Bref Gotham traverse une crise : car, comme le disait je ne sais plus qui, une crise est un état entre la disparition d’un ordre ancien, et l’ordre nouveau qui n’est pas encore apparu. Mais ça ne saurait tarder.

…à rapprocher de :

– Le deuxième tome est bien meilleur (en lien).

– Au lieu de foutre des liens un peu partout vers d’autres Batman (déjà bien présents sur le présent blog), je préfère vous rediriger vers Gotham Central (premier tome ici, second tome par là et troisième tome là) qui se situe après la présente saga.

– Il faut juste savoir que le tremblement de terre et le joli charivari qui a suivi sont contés dans Batman : Cataclysme.

Enfin, si votre librairie à comics est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Pierre Seron - Le Trou blancSur-titre : une aventure des Petits Hommes. Je n’y connais que goutte aux p’tits hommes, et pourtant cet album fut une délicieuse lecture. Plus haut, plus loin, plus fort, Pierre Seron sort des sentiers de la BD strictement franco-belge pour nous livrer une délicieuse dystopie mâtinée de science-fiction apocalyptique. Bienvenue dans un monde en noir et blanc.

Il était une fois…

Dans une aventure précédente, Cédille, Renaud et Vendredi revenaient de leur épopée sur la Planète Ranxérox. Sauf que leur vaisseau est entraîné dans un objet particulier : un trou blanc – voilà pour justifier le titre. Au-delà du fameux trou, ils trouvent une terre assez différente de la nôtre : tout est en noir et blanc et des robots tueurs en plastoc sillonnent la planète.

[hélas oui : c’est la suite d’une histoire déjà bien entamée. Mais ne vous inquiétez donc point, je n’ai pas lu les opus précédents et c’est passé comme une lettre à la poste.]

Critique du Trou blanc

Le Tigre a, une fois de plus, abordé une bande dessinée en ignorant tout des héros et de l’univers attaché à la série. Pour faire simple, j’ai cru comprendre que les Petits Hommes sont devenus minuscules à cause d’un mystérieux météore aux propriétés fascinantes. Comme si la petitesse était associée à une intelligence grandissante, les protagonistes ont su développer une technologie supérieure.

Les héros de cet opus sont au nombre de trois (Lapoutre apparaissant tardivement) : le beau gosse de base, à savoir Renaud (malgré son prénom) ; la belle blonde un poil nunuche qui gueule dès qu’elle a peur ; et le black finaud avec un accent à couper au couteau et une gouaille plutôt savoureuse. Voilà pour les personnages. Quant à l’univers où ils atterrissent, il faut avouer que le scénariste s’est fait plaisir : le lecteur se retrouve dans un monde en pleine guerre dans un style de la saga Terminator.

Par de nombreuses (quoique bien dosées) péripéties, nos gentils petiots vont découvrir que l’endroit est extrêmement dangereux et qu’une guerre sourde fait rage. Des militaires peu subtils (qui les capturent dans un premier temps) sont aux prises avec des robots qui semblent dompter la gravité. En remontant l’origine de cette menace, Renaud et ses potes vont faire la connaissance d’une immense cité faite de blocs de plastique au sein de laquelle se planque la solution à quelques un de leurs problèmes – en particulier comment rejoindre leur monde originel.

La première chose qui m’est venue à l’esprit, concernant les illustrations, est que l’auteur ne s’est définitivement pas foulé le pouce droit : presque tout est en noir et blanc ! Mais plus les planches déroulent, notamment à partir de la seconde moitié, plus le dessin se fait léché : outre la gueule bien travaillée des soldats, l’architecture de la ville de robots est une petite pépite qui vaut à elle-seule le fait d’ouvrir la BD. A bon entendeur…

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pierrot Seron a su nous faire entrer dans un monde suffisamment intriguant pour vouloir continuer la lecture. L’absence de couleurs (et ce depuis toujours dans la planète parallèle) est associée à des blocs de plastique qui ne sont pas sans rappeler des Lego – une mer faite de cet assemblage, il fallait y penser. L’atmosphère se fait alors plus oppressante. Tout ceci participe à l’impression d’être dans un environnement à la fois fade et comme pixelisé (regardez l’image de couverture), ce qui ajoute une touche de malaise. Franchement, personne ne souhaiterait habiter pareil endroit.

A mon humble avis, l’intrigue relève de la dystopie la plus pure et, pour un album datant du milieu des années 80, le scénariste était dans l’air du temps. Il est question d’une apocalypse terrible qui a sévi sur la planète, et consistant à la prise de pouvoir par les machines. On aurait pu s’arrêter là, toutefois la cité en plein milieu de l’océan révèle quelque chose de plus terrible : [Attention SPOIL] le créateur, l’être humain responsable de tout ce bordel est décédé depuis des lustres, et les robots ont su s’épanouir sans lui. Et oui, il est tout simplement question de la survenance de la singularité. Chapeau. [Fin SPOIL]

…à rapprocher de :

– Franchement, aucune idée pour l’instant.

Saul K. Padover - JeffersonSous-titre : un militant de la liberté. VO : Jefferson : A Great American’s Life and Ideas. Cet essai sur la vie et l’œuvre de Thomas Jefferson, troisième Président des Etats-Unis, ne manque pas d’attrait, et le lecteur en sortira grandi. Malgré un début poussif et un parti pris manifeste de la part de l’essayiste (qui le blâmerait ?), la lecture reste globalement agréable.

De quoi parle Jefferson, et comment ?

Écrit au début des années 50, je ne sais pas comment cet antique essai (prix en anciens francs, quelques fautes de typo dignes de la France d’après-guerre) s’est retrouvé entre mes mains. Surtout que, de vous à moi, une biographie d’un des pères fondateurs de l’Amérique n’est pas la première chose qui me viendrait à l’idée de lire.

Comme tout lecteur normalement constitué, j’ai su zapper la préface du Maréchal Juin (de l’âaacadémie française), deux pages dont l’utilité me paraît contestable. Ensuite, le très cartésien Padover a divisé son ouvrage en une succession de chapitres chronologiques aux titres pleins d’emphase, commençant par La jeunesse (depuis 1743) jusqu’à Le sage (jusqu’à sa mort, le 4 juillet 1826, 50 ans après la déclaration d’indépendance), en passant par Le rebelle, Le philosophe, Le spectateur, etc – quelques chapitres semblent improprement titrés, mais on l’a tous fait dans nos dissertations.

Ensuite, le style. Du bel ouvrage académique, la traduction de Maurice Fould est plus que correcte…trop sans doute, il y a comme un malaise dans les premières pages : la jeunesse et la tendre éducation du grand Thomas Jefferson, personnage vif d’esprit avec un air un peu « paysan », est traitée à coups de remarques lénifiantes assez ennuyeuses. En outre, il est quelques circonvolutions lexicales (ou circonlocutions) assez marrantes pour dire que Jeff’ était un sacré coincé du cul qui ne parvenait pas à aligner deux mots face à la gent féminine.

Enfin, Saul K.P. est tout acquis à l’héritage du bon Jefferson, quitte à soutenir chacune de ses actions (et vilipender ses opposants) avec une insistance qui m’a plus d’une fois étonné. A moins que ce ne fût souhaité, il est dommage qu’un tel essai, remarquablement documenté il est vrai, fasse preuve d’une telle subjectivité – il est question du « génie » de Jefferson, de comparaisons avec Goethe,…ad nauseam. Si la prise de recul avec l’époque traitée est réelle, Jefferson est plus qu’à son tour décrit comme l’auguste individu qui s’élève, tel avec quelques alliés (Madison par exemple), de la fange de certains de ses contemporains. Mais où est donc sa putain de part d’ombre qui doit bien exister ?

Bref, Le Tigre ne cherche pas particulièrement à trouver des poux dans la tête bien faite de feu Padover, néanmoins son bouquin n’est pas le genre de trucs que je me taperais sur la plage ou au coin d’un feu. Car Jefferson est idéal pour tout thésard en quête d’informations sur un homme politique de premier plan à cette époque ou toute personne désireuse d’en savoir plus sur la politique des EUA pendant les guerres napoléoniennes (vente de la Louisiane, embargo), ce dont Tigre n’est point.

Ce que Le Tigre a retenu

Tellement à dire, si peu de place…

J’ai été surpris d’apprendre que Jeffy était un esprit accompli dont la curiosité était insondable. Travailleur manuel hors pair ; gestionnaire de sa grosse exploitation (menues remarques sur la micro-économie du personnage dont l’essayiste ressort les chiffres des dépenses quotidiennes) ; versé dans la mécanique, l’architecture (il a dessiné le bâtiment principal de l’Université de Virginie), la flore locale, la musique ; lisant et parlant plusieurs langues, bref le gus aurait pu exercer mille métiers. Et c’est tout naturellement qu’il s’est tourné vers la politique.

L’activité d’administrateur était en ces temps assez ingrate, du moins Padover l’a présenté ainsi. Thomas J. s’est presque ruiné (la fin de sa vie est d’une rare tristesse sur ce point) à exercer à deux reprises la magistrature suprême, et souvent il a occupé un poste important presque à son insu – il a appris sa désignation comme Secrétaire d’État en ouvrant un journal. Pour ma part, les atermoiements et silences de l’animal politique pendant que ses amis le pressent de se présenter sont la marque d’une personne très maligne, qui, en plus de se faire désirer, sait plus ou moins être le seul recours disponible – et à juste titre.

A l’instar d’autres grands politiciens, la vie familiale de notre héros ne fut guère facile. Femme décédée à la suite d’un accouchement douloureux, nombreux enfants décédés (dont une de ses filles, à 26 ans), c’est un homme souvent seul – moins que Lincoln certes. A signaler le rapide coup de foudre (à sens unique) avec Mme Conway, rencontrée à Paris. Il lui écrivit une lettre enflammée et ridicule, tellement que l’essayiste avoue, à demi-mots, que celle-ci est « longue, prolixe et assez peu subtile » – c’est le moins que l’on puisse dire.

Quant aux idées politiques du personnage, c’était un réel démocrate (chef du parti républicain contre les fédéralistes aux idées plus « élitistes ») qui ne portait pas la classe cléricale dans son cœur. Ayant eu une relation particulière avec la France qui a aidé l’Amérique dans son combat pour la liberté, Jefferson a toutefois gardé un esprit critique et sévère contre la vieille Europe menée par d’incapables dynasties. C’est parti pour la citation, lorsqu’il écrivit à un gouverneur d’un État fédéré :

Les Européens ont des gouvernements de cerfs-volants qui volent au-dessus de pigeons. Les meilleures écoles de républicanisme sont Londres, Versailles, Madrid, Vienne, Berlin, etc.

…à rapprocher de :

– Au détour d’un chapitre, il arrive que d’autres essais sont invoqués par l’auteur…et là, magie, il s’agit de l’influence du pamphlet de Thomas Paine, intitulé Le Sens commun. Cela avait fait grand bruit à l’époque, un vrai best-seller.

Valerio Manfredi - La dernière légionVO : L’Ultima Legione. Encore un roman entraînant et ambitieux, où distinguer la fiction des faits historiques est plus que difficile. Entre la chute de Rome et l’essor de la culture britannique, qu’a-t-il bien pu arriver ? Aventure, combat, road-trip antique, un peu de bons sentiments tout y est – malgré quelques longueurs que le lecteur aguerri parviendra à rapidement passer.

Il était une fois

En 476, après des siècles de bons et loyaux services, l’Empire romain touche tranquillement à sa fin : envahis et allumés de partout, les Romains ne sont que l’ombre d’eux-mêmes. Oreste, général qui a pris le pouvoir, a promu son fiston empereur. Sauf que le règne de Romulus Augustule, à l’instar de ses prédécesseurs, sera bien court. Orestre a engagé Odoacre, mercenaire gaulois victorieux mais susceptible. Ce dernier décide d’envahir Ravenne (la capitale, après Rome et Milan) et zigouiller toute la famille. Mais pas Romulus, qui pourrait éventuellement lui servir. Oreste l’assigne alors à résidence, avec son précepteur, dans une petite île (Napoléon avant l’heure…), cependant c’est sans compter Aurelius, ancien légionnaire déterminé à protéger son empereur.

[je tiens à signaler que le quatrième de couverture de mon édition est une infamie. Déjà le gros spoil, relatif certes. Mais Tigre n’est pas censé savoir que le dernier empereur d’Occident aurait participé à la légende arthurienne, et qu’Excalibur serait l’épée de César forgé en Anatolie…se serait retrouvé en Grande-Bretagne. Ensuite, les raccourcis éhontés pour vendre l’ouvrage m’ont presque fait rendre mon déjeuner]

Critique de La dernière légion

Le titre renvoie à la Legio Drago, légion du nord de Britannia qui protégeait les incursions venant au-delà du mur d’Hadrien, légion brièvement reconstituée pour les besoin du roman. Mais également à la Legio Nova Invicta, légion mise en place (plus ou moins en cachette) par le général Oreste pour apporter une nouvelle fierté aux Romains qui, alors, n’embauchaient que des mercenaires et incorporaient des Barbares en tant qu’officiers.

Parmi les soldats de cette légion composée avant tout d’italiques, il y a Aurelanius Ambriosius Ventidius (Aurelius, pour faire simple), protagoniste principal du roman. Ce héros, fermement attaché à l’armée romaine (sa seule famille), parcourra un impressionnant voyage pour, d’une part, aller trouver l’adolescent Romulus ; et, d’autre part, le mener à bon port – dans le grand nord, là d’où vient le maître Ambrosinus, précepteur de Rom’ au savoir druidique.

Ce road-trip sera d’autant plus périlleux que la garde rapprochée du méchant, commandée par l’inquiétant Wulfila (qui, s’il a réellement existé, n’avait rien à voir avec cette intrigue), a plutôt intérêt à les retrouver dare-dare. Le soldat Aurelius sera aidé par quelques compagnons d’armes, mais surtout Livia, femme étonnante engagée par un Sénateur qui, à l’origine, voulait ramener l’empereur d’Occident à Constantinople auprès de Basile – en effet, ce dernier étant rapidement détrôné. Vous suivez ? Non ? Bon, je finis :

Hélas, j’ai trouvé que l’intrigue n’évoluait pas bien vite. Valerio M. a de belles qualités d’écrivains, ça oui, mais La dernière légion manque un peu de finesse narrative par rapport à d’habitude. Héros sont trop gentils (et inversement), ce manichéisme de bon aloi ne sied guère à la complexité de l’époque. En outre, les péripéties sont attendues, tout comme certains poncifs dans lesquels l’auteur s’est grassement vautré – le sauvetage des amis d’Aurelius dans l’arène, l’épée facilement trouvée, le soldat bourru qui tombe amoureux de la belle Livia, etc. A ce sujet, ne lisez surtout pas à voix haute les fleurs que s’envoient les deux tourtereaux, c’est du glurge comme on en lit rarement.

En fait, s’il y a un monde entre Dan Brown et Val’ Manfredi, ça n’empêche pas de ce dernier de faire quelques putassiers clins d’œil à l’attention des lecteurs du premier. Je ne conseille donc pas particulièrement ce livre, mais sachez que j’ai eu envie de le terminer.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La fidélité est une constante de l’œuvre, et ce pour plusieurs raisons : fidélité à l’Empire et à ce qu’il représente à l’origine (la paix, les lois, l’honneur, tout ceci ayant disparu alors que certains soi-disant « barbares » se comportent avec plus de classe) ; fidélité à ce qu’on pense devoir être l’avenir (que ce soit son petit copain ou à une communauté pleine de promesses, à l’instar de ce qui sera, plus tard, la Sérénissime Venise) ; fidélité enfin à soi-même, illustrée par le passé trouble d’Aurélius, qui est rongé par ses actes passés.

Plus important, La dernière légion me semble être avant tout une formidable leçon d’Histoire : les civilisations naissent et meurent, et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Si les historiens s’accordent à dire que l’Empire romain s’est éteint en 476, l’écrivain italien rappelle que pour les habitants de l’époque ce n’était qu’une péripétie comme ils en vivaient depuis des décennies. Au lieu d’en faire un méga fromage et à vouloir à tout prix ressusciter une autorité moribonde, l’homme sage accompagnera les changements et, si cela lui est possible, saura être un des acteurs d’une civilisation naissante.

Dans l’époque traitée, une ou plusieurs autres cultures (indéterminées) vont se substituer à la culture romaine, une civilisation n’apparaissant pas ex nihilo, mais sur les ruines encore fumantes d’une autre – Rome était, depuis des décennies une putain à la démarche d’une jument en fin de vie. Plus symboliquement, un représentant impérial romain avec un nom mythologique bien connu (Romulus, rien de moins) qui s’allie avec la mythologie druidique (notamment le bon Merlin) pour donner vie à celui qui sera le roi Arthur, avouez que c’est too much et trop beau pour y croire.

…à rapprocher de :

– De Valerio Manfredi, Le Tigre vous conseille surtout sa grandiloquente trilogie Alexandre Le Grand, et La tour de la solitude (ce dernier est excellent).

– On compare souvent Manfredi à Umberto Eco, mais de ce dernier je n’ai rien lu se rapprochant du présent titre.

– Une civilisation est définitivement sur le déclin lorsqu’elle fait appel à des mercenaires. A bon entendeur…

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Chat jeté dans l'eauRésumé de l’épisode précédent (en lien) : Madame Fortin, qui bosse dans une obscure boîte en rapport avec le net (ISEOSEM, mais on s’en tamponne), veut absolument mettre en place un partenariat « profitable pour nos deux sites ». Une conversation de sourd s’est progressivement mise en place, et j’ai bien peur que le deal ne puisse ne conclure. Zut alors.

On veut à tout prix échanger des liens avec vous, que faire ?

A la suite de quelques échanges de courriels, Le Tigre n’était pas plus avancé sur ce que demandait sa petite Agnès. Il était question de foutre des liens depuis QLTL vers des sites de casino, et très honnêtement je ne voyais pas comment cela aurait pu être possible. Ce n’est pas que je n’en ai pas envie, loin de là, mais avouez qu’un lien vers un site de jeu en ligne au beau milieu d’un de mes billets serait passé aussi inaperçu qu’un mot de plus de quatre syllabes dans un roman de Guillaume Musso. Déjà qu’on ne me prend guère au sérieux, ça aurait été encore pire.

Mais plus j’essaie de savoir où est mon intérêt, plus Agnès se faisait évasive, allant jusqu’à même balbutier un incompréhensible galimatias. Et, surtout, j’ignorais totalement ce que j’aurais eu en échange. Heureusement (c’est selon), un nouveau courriel m’informe ce qui attend Le Tigre s’il lui venait à coopérer :

De: agnes.fortin@iseosem.com
à: Le Tigre
Date: 1 juillet 2014 13:05
Objet: Re: Proposition d’échange de liens gratuits

Salut,
Pouvez-vous s’il vous plaît placer mes liens de texte … En retour, je peux vous offrir ce bon site de PR ..

[lien vers le « site de PR »]

S’il vous plaît laissez-moi savoir si vous êtes intéressé

Cordialement,
Agnes

Nous y voilà. Pour ne pas encore plus charger la barque, j’ai effacé du corps du mail le nom du « site de PR » qui était indiqué. Cela étant dit, ce mail appelle deux remarques.

Premièrement, ce n’est non sans plaisir que je note que mon interlocutrice craque. Trois phrases, deux supplications à coup de « s’il vous plaît », j’ai bien peur d’avoir poussé Miss Fortin à bout. Lisez ce mail en prenant l’accent de votre concierge qui vient vous réclamer ses étrennes fin décembre, et vous aurez une bonne idée de l’état d’esprit de mon interlocutrice – c’est gratuit, je vous prie de m’excuser.

Deuxièmement, et même si je le subodorais déjà, Agnès Fortin se fout gravement de ma gueule. Elle veut que je place ses « liens de texte » sans même préciser lesquels – on dit liens hypertexte en français, de là à croire au traducteur automatique il n’y a qu’un pas. C’est comme si un restaurant vous vendait son plat du jour sans vous dire ce que c’est – oh…wait…non, mauvais exemple. Mais vu la teneur de notre conversation, je m’attends à un genre de site où trois fenêtres pop-up vous sautent à la gueule par seconde, vous invitant à 1/ gagner 5 000 € sans bouger de chez soi 2/ rencontrer des cougars dans sa région 3/ agrandir votre clito à l’aide d’une pompe à pétrole.

Le félin étant un animal excessivement curieux, je suis allé voir à quoi ressemble ce « bon site de PR ». ATTENTION : pour des raisons de sécurité, je n’ai pas cliqué comme votre tante cliquerait sur un fichier .exe reçu par un inconnu sous prétexte que c’est une lettre d’amour. Après avoir vérifié que le lien menait bien à un site internet, je suis allé sur celui-ci en utilisant le programme « bac à sable » (sandbox) de mon ordinateur – un genre d’espace sécurisé où un virus aurait du mal à s’épanouir.

Ces vérifications faites, j’ai découvert un monde magique, quelque chose que je ne pensais pas pouvoir exister : couleurs fades et typographie Comic Sans MS (si si) ; page unique et statique sans rien d’autre (amusant pour un nom de domaine en .fr) ; texte d’une vingtaine de lignes aussi plat qu’inintéressant et parlant vaguement de bouquins ; que des balises h1 vides de sens (pour les connaisseurs) avec des méta-descriptions à éviter (sauf si on cherche à se faire sanctionner), bref de la daube en boite que même mon chat refuserait de bouffer.

Le fauve étant particulièrement masochiste, je n’ai pas répondu tout de suite et y suis retourné quelques jours après. Encore plus magique : le site avait changé du tout au tout, il était cette fois-ci question, en anglais, d’une page d’accueil de la compagnie bêta-zéta-12 de boy-scouts de je ne sais quel État fédéré américain. Une semaine après, le site était indisponible.

Après une telle démonstration de n’importequoïsme assumé, j’aurais dû en rester là et ne pas donner suite. Toutefois, étant joueur, je n’étais pas contre prêter une pelle à la Fortin pour qu’elle creuse un peu plus profondément le trou dans lequel elle pourrait mettre la réputation de ses prestations. J’ai opté pour une réponse succincte, faut pas trop se dépenser non plus :

Bonjour,

qu’entendez-vous par « offrir ce site de PR » ? En outre, je viens de cliquer sur le lien, et le site n’est pas disponible.

Bien à vous

Et bien, vous savez ce qu’il m’est arrivé ? RIEN ! Je sue comme un goret qui a couru toute la sainte journée derrière une poule pour rédiger mes aventures avec Agnès, et celle-ci lâche l’affaire dès que ça se complique un peu. Je n’arrive pas à comprendre comment il est humainement possible de proposer de tels échanges de liens lorsqu’on est infoutu d’assurer, derrière, un minimum de crédibilité. Sur le coup, j’ai sérieusement eu l’impression qu’elle n’en avait rien à cirer, que le fait que je pose des questions (et perde ainsi mon temps) lui suffisait. A moins que…Agnès F. est un programme informatique, auquel cas je tire mon chapeau au concepteur.

Rien que pour la manière dont les mails sont rédigés, je serais tenté d’envoyer à Fortin et à sa boîte de parvenus numériques une proposition de rédaction un peu plus sérieuse (moyennant finances) de leurs propositions d’arnaque.

Voilà, Le Tigre a encore échoué à bâtir une négociation constructive et potentiellement utile à son site. C’est malheureusement fini. Fini ? Presque…

Le lendemain, je m’aperçois qu’un mail a été dirigé dans ma boîte à pourriel. Prêt à le supprimer, un détail attire mon attention. Rigolez un peu avec moi :

De: Lucille Bolduc <Lucille.Bolduc@freferencement.com>
à: Le Tigre
Date: 4 juillet 2014 14:18
Objet: [SPAM] Proposition d’échange de liens gratuits

Bonjour,

J’aimerai me présenter. Mon nom est  Lucille Bolduc,

Étant donné que je dispose d’un nombre important de sites de jeux et de casino, j’aimerais vous proposer un échange gratuit de liens avec quandletigrelit.fr ou avec l’un des divers sites que vous possédez.

Vous serez sûrement heureux de savoir que j’ai beaucoup d’idées pour des échanges de liens, qui, j’en suis sûr, nous seront à la fois profitables et parfaitement appropriés pour notre classement dans Google.

Merci de me faire savoir si vous êtes intéressé par plus de détails ou si vous avez d’autres questions à ce sujet.

Dans cette attente je reste à votre entière disposition,

Lucille Bolduc
http://www.freferencement.com/

Mais…euh…ouiiii…le clone d’Agnès vient me rendre visite ! Pour une fois, ma boîte mail a tout de suite compris qu’il s’agissait d’un spam. Pas trop tôt connasse – pas Lucille hein.

Lucille Bolduc, je ne t’attendais pas si tôt. Le site pour lequel tu travailles est du même acabit que celui de ta copine, tu ne peux imaginer à quel point je me sens tout de suite en confiance. Ton prénom est original, et même très joli – à titre personnel, je préfère « Lucile ». Quant à ton nom de famille, la similitude avec « Botul » m’informe tout de suite du sérieux de ta démarche. Lucille, je crois que nous allons énormément nous amuser ensemble.

Voilà ce que je lui ai donc répondu :

Bonsoir Madame Fortin,

Je vous remercie de votre proposition. Comment avez-vous eu connaissance de mon site ?

Toutefois, mes nombreux sites internet n’ont trait qu’à la littérature et ses accessoires, et pour l’instant je n’ai pas encore fait de chroniques sur des livres abordant les jeux ou les casinos.

Cela étant dit, en quoi consisterait cet échange de liens ?

Cordialement,

Le Tigre

Jusqu’à maintenant, je n’ai eu aucune réponse. C’est bizarre, j’espérais un peu plus de diligence de sa part, cela dénote une légèreté dans le suivi des spams.

Et…merde…j’ai compris. Dans l’excitation, j’ai copier-coller une de mes anciennes réponses en veillant à demander comment Botu…euh Bolduc a découvert Quand Le Tigre Lit. Sauf que j’ai oublié de changer le nom de mon interlocutrice. Un lapsus numérique comme on en fait souvent, et Lucille a du penser que je me moquais d’elle – ce qui n’est guère la façon tigresque de traiter ses partenaires en devenir.

Grâce à ma petite Agnès, j’ai pu rédiger deux billets à moindre frais. Vous ne savez pas le meilleur ? Lucille est revenue. Si. Putain, c’est trop bon, j’ai du refaire toute son éducation. C’est ici.

Iain M. Banks - InversionsVO : idem. Deux histoires qui se passent sur une planète indéfinissable, deux scénarios prenant qui prennent la couleur d’une fable politique sur l’autoritarisme et la folie des hommes – plus généralement, la bêtise induite par l’excès de pouvoir. La Culture n’a jamais été aussi loin de ce monde qu’on pourrait trop vite qualifier d’arriéré, et pourtant son influence est prégnante.

Il était une fois…

D’un côté, il y a Vosill, une femme médecin en charge de la santé du roi Quience, qui règne pépèrement sur son royaume un poil conservateur. A côté de ce pays, il y en a État rival mené d’une main de fer par le Protecteur Urleyn. DeWar est le garde son corps de cet individu qui rêve d’envahir le royaume de Quience. Hélas, au sein des deux territoires, les traîtres et comploteurs ne chôment guère, et chacun devra survivre dans cet environnement hostile.

Critique d’Inversions

Ce roman de SF, mâtiné de fantasy, est à part dans la bibliographie de l’auteur britannique. En outre, vu la manière dont les scénarios se déroulent et le twist final qui n’en est pas vraiment un, il y a de quoi être à la fois perdu et enchanté – si si, c’est possible avec Iain M. Banks.

Le roman se décompose en deux histoires qui s’enchevêtrent au gré des chapitres. En premier lieu, le lecteur suivra Vosill, le médecin du roi, et ce grâce à Oelph, son apprenti qui rédige des comptes-rendus à l’attention d’un « maître ». Sauf qu’il n’est pas aisé, pour la doctoresse (une femme, beurk…), de survivre au milieu de gens jaloux et haineux – dont les noms exotiques ne sont pas restés dans ma mémoire. Les intrigues se succèdent à grande vitesse, et Vosill usera de son intelligence pour que sa tête ne se désolidarise pas trop tôt de son corps.

En second lieu, il y a le solide gaillard DeWar, dont l’histoire est contée par un narrateur qu’on devine omniscient. DeWar est au service du boss du Protectorat de Tassasen (pas un vrai royaume donc) et assistera, non sans impuissance, à la sauvagerie qui habite l’endroit – ce qui arrive à son amie Perrund étant une belle illustration. Les chapitres passeront d’un protagoniste à un autre, ces deux-là ayant plus en commun que prévu – notamment une certaine intelligence situationnelle.

Que ce soit DeWar ou Vosill, l’écrivain maîtrise totalement son environnement, le félin a été pris au jeu et a eu du mal à sortir d’un monde qui, progressivement, est devenu familier. Suivre les deux protagonistes au sein d’une société moyenâgeuse est réellement passionnant dans la mesure où, occupant des postes à responsabilité, le lecteur est aux premières loges des luttes claniques sur une planète où le chaos règne malgré un verni d’ordre – qui s’écaille à la moindre difficulté. Du bel ouvrage.

En conclusion, c’est une œuvre bien étonnante de la part de Banks. Il est permis au lecteur de toucher un aspect particulier de la Culture car appréhendé par une civilisation « inférieure ». C’est à la fois toute la beauté d’Inversions, et sa principale faiblesse : si vous ne connaissez pas l’auteur, de grâce ne commencez pas par ce roman. Quelques références vous passeront au-dessus de la tête et vous pourriez trouver l’histoire un peu fade – ma première pensée, surtout par rapport à l’orgie de bonnes idées d’autres opus.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Attention, je révèlerai dans cette partie ce qu’il est vraiment de nos deux héros, alors ne venez pas pleurer dans les commentaires.

Il apparaît que ces deux individus appartiennent à la section des Circonstances Spéciales (ou la section Contact, ça dépend), qui doit juger de la capacité d’un monde à intégrer la Culture, civilisation pan-galactique utopique en tout point. Inversions parle donc de deux agents de la Culture qui évoluent dans un monde encore mal préparé au grand saut civilisationnel, et leur expérience est loin d’être concluante – il en serait de même de la Terre.

Pour le lecteur averti à l’univers de ce cycle, les indices existent. Pour ma part, outre le fait que les deux héros sont bien plus fins qu’il le laissent paraître, dès le gosse d’Urleyn tombe malade j’ai su à quoi m’en tenir : le garde du corps lui conte une histoire sur un monde magnifique où chacun est roi et chacune reine – son monde, en quelque sorte.

Du coup, le titre du roman évoque l’obligation presque morale, parfois, d’inverser les rôles qui avaient été assignés aux deux « agents secrets ». La docteur sera contrainte de protéger plus activement ceux qu’elle ne devait que soigner, et usera même de moyens de défense, inimaginables pour les locaux, mis à sa disposition. Quant à DeWar, son rôle évoluera vers celui d’un prescripteur avant que le pire n’arrive, avant que son métier de garde du corps l’oblige à agir franchement et à prendre les devants.

…à rapprocher de :

– De Banks, dans le cadre de la Culture, je vous enjoints fortement à découvrir (dans le désordre le plus complet) : Excession, L’homme des jeux, Une forme de guerre, L’usage des armes, La Sonate Hydrogène, etc.

– Les auteurs de SF qui font de remarqués passages dans la fantasy existent, outre Banks il faut signaler la sublime Trilogie du Vide, de Peter F. Hamilton. Longue mais passionnante.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les textes du TigreParfois l’envie d’écrire une petite fable politique me prend. Tigre va tenter de faire court, et Vishnou en personne sait si cela n’est pas aisé. Enfin, pour faire dans la dentelle, la présente nouvelle est couplée à une autre, que j’ai tout simplement nommé Le Matriarche. Sinon, toute ressemblance avec des personnes ayant…bla bla bla.

La Patriarche (ou La Dilogie des Héros, Pt.1)

Rien ne la destinait à devenir la femme la plus puissante du monde. Oh que non.

Acte I – La discrétion

Franchement, provenir d’un milieu social prolétarisant dans cet État, c’est déjà se voir fermer une carrière, et passer dans la classe supérieure requiert (à ce niveau) une volonté que peu ont. La gouaille de la populace, le franc parler ouvrier associé, c’est sacrément rédhibitoire dans les sphères hautes de la société.

En outre, jetez un œil aux photos de l’époque de sa tendre enfance : brune haute comme trois pommes, regard fuyant, cheveux presque hirsutes, et si maigre. Tellement anémiée, d’ailleurs, que le docteur familial avait exigé que les parents de Madame X déménageassent [imparfait du subjonctif, check !] vers un pays plus clément en termes de climat.

Le niveau de la famille étant ce qu’il est, ils ont dû se rabattre vers une destination où leur langue est parlée. D’une métropole froide et intimidante, les voici dans une petite communauté qui aurait pu servir de cadre à une série télévisuelle aussi champêtre que pastorale.

C’est dans cet environnement détonnant que Madame X s’est graduellement épanouie : déléguée de classe à de nombreuses reprises, porte-parole du quartier (20 âmes), représentante au conseil de son école, élue au conseil d’administration des jeunes de sa ville, elle ne ménage pas ses peines. Cela lui permet de mettre, jusqu’au coude, ses petites mains dans le cambouis, et, oui, elle aime ça. Être l’intermédiaire entre les petites gens et les décideurs, porter de modestes projets (qui d’un panneau stop à installer, qui d’une compétition de rugby entre classes du lycée) à bien, bref faire des choses concrètes et qui ont une visibilité immédiate lui donne quelques coups de fouet.

Sa majorité pas encore fêtée, Madame X est tellement remontée par ses modestes exploits locaux que son corps se transforme concomitamment. Non, il ne s’agit pas de coquetterie ou d’attractivité d’ordre sexuel (le contraire étant admis parmi les experts plasticiens d’ailleurs). Disons qu’elle s’est correctement remplumée, comme si chaque victoire locale lui donnait littéralement une couche supplémentaire de protection. Assez (mais point trop) pour envisager un retour dans la patrie.

Acte II – La révélation

Le retour au bercail a été précipité grâce à un homme politique, qui, en pseudo-voyage d’agrément, a flashé sur l’étudiante sélectionnée pour l’accueil des huiles de la métropole. Cet homme, nous l’appellerons, trivialement, le Mentor.

Il s’agit d’un vieux briscard de la politique qui ne se fait plus trop d’illusions sur son pays déclinant. Dans les arcanes du pouvoir depuis quelques décennies déjà, le Mentor s’est cassé les dents, une par une, pour tenter de remettre sur pied une vieille nation. Le peuple indocile lui a fait payer ses velléités réformatrices, et cela est resté au travers de sa gorge. La soixantaine dépassée, le Mentor se cherche un potentiel successeur, et si possible une femme – il se dit que, puisque ses premiers dauphins ont un à un perdu leurs couilles, autant choisir quelqu’un qui en soit naturellement dépourvu.

Et cette personne est devant lui. Madame X ne peut être que la bonne, c’est une perle rare comme on peut seulement en dégoter au fin fond du trou du cul du monde. Il l’embauche, sans attendre, comme assistante parlementaire, afin de la façonner (comme il aurait voulu être) avant de la lâcher dans le système telle une bombe politique pour la prochaine décennie.

L’éducation de Madame X fut rapide et efficace, il faut convenir qu’elle est devenue une élève étonnamment assidue et motivée – être présentée à tous par le Mentor en personne aide. Au menu des cours enseignés, c’est tout un art de vivre : participer activement au cabinet fantôme ; ne rien prendre personnellement ; afficher un détachement vis-à-vis de la presse ou de ses alliés et adversaires politiques tout en étant empathique avec le peuple ; parcourir le pays à la rencontre des strates sociales, rien n’est laissé de côté.

Rien, pas même la vie personnelle de Madame X à qui il faut attacher une famille. De façon presque logique, le Mentor lui a « trouvé » un mari effacé et aux revenus confortables, avocat discret qui ne croule pas sous les dossiers. En moins de trois années, Madame X accouchera de deux filles qui (contrairement à elle) prendront le nom de l’époux.

Le Mentor a tout préparé. Même la séparation. Rattrapé par d’obscures affaires de financement, il est décidé, d’un commun accord au sein du parti, de lui faire porter toute la responsabilité. Quitter définitivement la politique de façon aussi infâme ne gêne plus le Mentor dès lors que le scandale n’éclabousse pas sa prometteuse pouliche au passage. Celle-ci, qui n’a plus rien à apprendre, s’éloigne, non sans fracas, de son maître à penser. Sans donner l’impression d’un rat quittant un navire en plein naufrage, Madame X coupe avec élégance le cordon la liant avec son vieil ami – qui décède peu de temps après.

La voie est libre.

Acte III – La montée en puissance

Grâce à l’incompétence notoire du parti au pouvoir, l’opposition a l’équivalent du Strip de Vegas pour les prochaines élections. Madame X, qui s’est naturellement imposée au sein de sa formation, est élue au premier tour de l’élection. Un cas unique.

Dès les premières semaines de son accession au pouvoir, le ton est donné. Par son discours d’intronisation, elle fait subtilement comprendre à ses administrés que la fête du slip est terminée. Le pays se serait trop longtemps reposé sur ce qu’elle estime être des acquis indus, aussi il est grand temps de se sortir les doigts du fondement. Ce genre de propos n’est pas du goût d’un grand syndicat qui mettait sur place, par tradition après une élection, une petite manifestation.

Sauf que cette association syndicale est colère. C’est la première fois qu’un politicien annonce vouloir tenir ses promesses de campagne. Un tel casus belli ne peut que se régler par une grève monstre, de quoi bloquer durablement le pays. C’est avec autant de violence que de dédain que Madame X traite ce genre de difficultés.

Dans sa logique, les éléments perturbateurs (un dixième de la population, tout de même) représentent un gosse qui fait sa crise d’adolescence. Le chiard ne veut pas grandir, et, plus grave, il a oublié qui commande dans la maisonnée. Telle une marâtre digne des pires contes de Dickens, Madame X décide de priver le gamin de dîner, de bisous, de tout en fait, et peu importe les désagréments provoqués par sa crise. L’Histoire retiendra surtout que le gosse, piteusement, est revenu le lendemain dans la salle à manger. La tête basse, il mangé la nouvelle soupe que la patriarche lui a concoctée. Sans broncher.

Mater l’enfant le plus chiant de la famille a définitivement calmé les autres. A partir de ce triomphe, Madame X se permet toutes les réformes envisagées : chaque catégorie socio-professionnelle voit, à tour de rôle, son cas abordé. Chose intéressante, le plaisir que prend un enfant à observer ses frères récolter une raclée est supérieur à la tristesse due à sa mise au régime.

La population, acquise à la cause de son leader, l’élit naturellement pour un second mandat.

Acte IV – La chute

Hélas, c’est le mandat de trop. Celui de tous les excès. Malgré le fait que notre héroïne a mené à bien son lourd projet de réformes, elle a pris goût à l’exercice du pouvoir. N’ayant plus rien à prouver sur le plan national, Madame X se comporte vis-à-vis de ses homologues étrangers (normalement partenaires) comme s’il s’agissait de ses électeurs gâtés pourris du premier mandat.

Son action sur la scène internationale suscite une certaine forme de gêne dans la mesure où elle obtient des autres États ce qu’elle veut, et pour le bien de la nation. C’est bonus, mais à quel prix. Elle, et, plus grave, son pays, passent pour des petits boutiquiers de troisième zone aussi fiables qu’une munition de la première guerre mondiale.

Ça aurait pu s’arrêter là, hélas Madame X semble de plus en plus intolérante et sourde aux revendications dans son propre pays, même celles qui apparaissent bien légitimes aux yeux des experts les plus avertis. Ces derniers dénotent une lassitude grandissante chez la population qui souhaiterait définitivement tourner la page.

Face à ces tendances, le parti au pouvoir se doute de la déculottée électorale à venir. Associer son emblème à Madame X n’est plus si séduisant, il n’y a qu’à voir les affiches et spots publicitaires lors d’élections intermédiaires – on y cherche, sans succès, son visage. Les cadres du parti franchissent, à un an des élections générales, le rubicond : la femme au pouvoir est mise en minorité au sein de sa propre formation, et dégagée sans autre forme de procès.

Acte V – La fin

Madame X s’attendait à un tel revirement, et ne leur en veut pas. Elle avait agi pareillement avec son Mentor. Elle a eu ses années au pouvoir, et ce fut suffisant pour faire « évoluer » le pays, se faisant plaisir au passage en bottant l’arrière-train des récalcitrants (publiquement de préférence). C’est la sérénité même.

Le plus délicieux, pour elle, est le double discours tenu par ses contemporains. D’une part, tous la honnissent et la citent comme contre-exemple d’une société apaisée et heureuse. Une compilation de chansons paillardes dont elle est le sujet est même en tête des bacs. Mais d’autre part, et malgré les glapissements de l’opposition pendant ses mandats, elle voit bien que celle-ci, désormais au pouvoir, détricote avec parcimonie ses mesures phares.

De son point de vue, les successeurs de Madame X sont comme ses prédécesseurs : une génération politique poussive, voire perdue. Trop heureux que quelqu’un ait fait le sale boulot à leur place, les politiques qui l’ont remplacé se contenteront d’atténuer les effets les plus pervers des réformes qu’elle a engagées, mais sans les remettre en cause .

En fait, ce qu’ils pourront bien faire, elle n’en a plus rien à foutre. Contrairement au Matriarche, elle n’a pas attendu trois décennies pour accéder au pouvoir, et a fait dans l’exercice de ses fonctions tout ce qu’elle avait prévu. Elle ne souhaite aucun rappel du public, aucun poste prestigieux qui troublerait son repos du guerrier pendant de longues années à venir.

Sauf que son corps ne lui en laisse pas le temps. Les objectifs de Madame X ont été atteints, et ce n’est pas son mari ou ses enfants (qui se sont éloignés) qui lui donneront un nouveau but. Et, tel un logiciel à destruction programmée, Madame X s’éteint.

Marc Dugain - La Malédiction d'EdgarMarc Dugain s’attaque à un monument américain de la vie politique et policière du 20ème siècle, et tel un bon élève nous rappelle les grandes lignes de celui qui a gouverné le FBI pendant une cinquantaine d’années. Intéressant pour qui ne connaît guère Hoover, décevant pour le lecteur averti qui aurait voulu avoir une biographie romancée.

Il était une fois…

De 1924 à 1972, John Edgar Hoover fut à la tête d’une jeune institution qui prendra de plus en plus d’importance : le FBI. Grâce aux moyens humains et financiers dont ils disposait, John a su être indétrônable, les Présidents successifs des États-Unis ayant une peu bleu de lui – faut dire qu’il avait quelques savoureux enregistrements à leurs propos. La prohibition, Al Capone, le conflit mondial, la chasse aux communistes, l’essor de la mafia, Hoover était toujours dans les parages.

Critique de La Malédiction d’Edgar

Habitué de Dugain, Le Tigre sait que rarement la lecture sera chiante ou laborieuse. En romançant la vie de Hoover en tant que boss du Federal Bureau of trucmuche, l’auteur français est parvenu à nous faire un récapitulatif de l’état de l’Amérique pendant un demi-siècle – récapitulatif correct certes, mais peu fouillé au final.

Classer ce titre dans la catégorie des essais aurait été une erreur dans la mesure où l’écrivain, même s’il se rapporte à des faits (et suppositions) tout ce qu’ils ont de plus réel, n’hésite pas à apporter un peu de fiction et distiller son avis sur les agissements de Hoover – qui est dépeint comme un impitoyable intriguant éloigné de l’idéal du bien commun. En outre, nous nous éloignons parfois du protagoniste principal pour aller en étudier d’autres, plus particulièrement John F. Kennedy qui occupe une place non négligeable – de son accession à son décès, en passant par ses scandaleuses frasques.

L’approche narrative de Marc D. est plutôt originale parce qu’il fait intervenir, comme narrateur omniscient, Clyde Tolson, fidèle ami (amant, selon certains) de Hoover et numéro 2 du FBI. Intégré dans le saint des saints, Clyde livrera une vision assez froide au final, avec des descriptions captivantes, néanmoins cela manque de chaleur. Le lecteur pourra avoir l’impression, sur ce demi-millier de pages bien aéré (la lecture n’est que peu ennuyeuse), que le narrateur empile les faits d’armes de son cher patron sans vraiment parler de ses moments intimes.

En guise de conclusion, le roman laisse progressivement place à un essai plutôt bien rédigé. Cependant, aucun apport nouveau n’est à souligner d’un point de vue historique, notamment cette question qui taraude Le Tigre depuis si longtemps : Clyde et John se galochaient-ils, amoureusement, entre deux considérations sur l’avenir du pays lors de leurs longues soirées d’hiver ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’air de rien, Edgar illustre le risque à laisser un seul homme s’accaparer trop de pouvoir. Le numéro 1 du FBI, telle une fourmi consciencieuse, a progressivement amassé un nombre incroyable de documents en tout genre (photos, retranscriptions, etc.) qui sont autant de bombes potentielles contre les hommes politiques en place. Parallèlement, sa vie privée était jalousement protégée, ce qui le rendait inatteignable. A partir de là, il a pu faire avaler des couleuvres grosses comme des boas à ses contemporains : la menace communiste exagérée, la presque inexistence de la mafia dès les années 50 (alors qu’elle était toute puissante), ou son inaction fautive dans l’assassinat de personnalités – JFK ou Martin Luther King.

Plus généralement, ce que savait Edgar est un bon indicateur sur la folie qui habitait (qui habite, tant qu’à rester lucide) les grands hommes contemporains. Hoover, déjà, était un individu paranoïaque et colérique, capable de prendre des décisions délirantes pour combattre ce qu’il aimait nommer les « subversions » – il en voyait partout. Plus impressionnant est le comportement de John Kennedy, Président instable dont le lecteur saura (quasiment) tout : priapique érotomane qui donnait du travail supplémentaire à ses gardes du corps (qui devaient s’assurer que Jacky Kennedy ne le grillera pas) ; multipliant les conquêtes sans clairement se séparer d’elles, le Président d’origine irlandaise avait tout en lui pour exploser bruyamment en vol – il en a pas eu le temps, et l’auteur soutient à ce titre la théorie du complot.

…à rapprocher de :

– De Dugain, Tigre a largement préféré Heureux comme Dieu en France  ou Une exécution ordinaire (dans une moindre mesure) ou En bas les nuages (là on est à la limite du bof). Quant à Avenue des géants, peu emballé j’ai été.

– Puisque JFK était à l’honneur, autant lire Marilyn et JFK, du journaliste François Forestier.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Morris & Fauche & Léturgie - Les Dalton à la noceSur-titre : Lucky Luke. Remake dessiné d’un célèbre film, le rôle du cow-boy solitaire serait presque secondaire malgré la couverture qui tend à montrer le contraire. Les Dalton, qui s’évadent (oui, encore) de leur pénitencier, ont une affaire à régler avec le dernier shérif qui les a capturés. Si, au passage, ils peuvent descendre Luke, pourquoi alors se priver ?

Il était une fois…

Par l’intermédiaire de Ma Dalton, les quatre brigands apprennent depuis leur prison que le shérif Samuel Parker est sur le point de se marier avec la jolie Adeline. Parker, c’est le flic qui a dernièrement expédié les quatre idiots en zonzon. Parvenant à s’échapper, les Dalton prennent le premier train pour Haddley City afin de se venger. Lucky Luke, ami de Parker, saura-t-il le sauver ?

Critique de Lucky Luke : Les Dalton à la noce

Encore une vieille BD qui trainassait dans mon grenier, et pour le coup celle-ci s’était mise sur son 31 ! En effet, et sans jeu de mots, il s’agit de la trente-et-unième aventure du cow-bow accompagné de son canasson. Ici, c’est un autre personnage qui sera à l’honneur.

Parker, donc, a promis à sa jeune épouse (petit coquin, il doit bien y avoir trente ans d’écart entre les deux tourtereaux) qu’il raccrocherait armes et étoile de shérif après son mariage. Lorsqu’il apprend la venue des Dalton, il est sur l’autel et n’a donc pas épousé en bonne et due forme sa dulcinée – qui est un peu colère de voir que les Dalton importe plus qu’elle. Il s’ensuit de nombreuses péripéties entre Lucky, Samuel et les quatre affreux, que ce soit la scène d’anthologie du train qui arrive à des simulations de décès grâce à des balles à blanc.

Il faut savoir également que le shérif est un homme fier, et fera tout pour capturer seul les méchants. Le cow-boy se retrouvera, parfois, face à un antagoniste supplémentaire lui mettant des bâtons dans les roues, et malgré cela reviendra à la charge comme un gentil saint-bernard pour le tirer de l’ornière. Bref, tout ça pour dire que l’histoire reste bien rythmée, avec quelques running gags dont on ne se lasse guère (le barman et le croque mort, pour changer) et juste ce qu’il faut d’émotion – la petite Gretel pleurant sur la tombe de Luke.

Quant aux illustrations, Le Tigre n’a que peu de commentaire à donner, si ce n’est que la famille Blossom (celle de la mariée) a été plutôt bien travaillée : il y a certes la belle Adeline, dont la sœur est un mini-portrait craché. Mais ce sont surtout les parents qui sont savoureux à souhait, entre une Gertrude style grande pimbêche froide et chiante et son Wurst (« saucisse », en allemand) de mari, petit grassouillet et somme toute sympathique. Rien de renversant en conclusion, mais trop court également pour s’ennuyer.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pour un Lucky Luke, je vais tâcher de ne pas trop enculer les mouches. C’est part :

L’amitié est au centre de cet opus dès lors que le héros fait la tournée des amis de Samuel Parker afin qu’ils puissent l’aider. Et tous, à leur manière, ont des excuses bien maigres pour ne pas être présent à la gare lorsque le train amenant les Dalton débarquera. L’ambiance est mortifère, renforcée par le croque-mort qui déjà prend les mesures, sans compter que le meilleur ami de Samuel, l’horloger, est également aux abonnés absents. Du coup, les vrais amis ne sont pas forcément ceux qui sont proches, mais ceux qui le restent (ou reviennent) en cas de coup dur – oui oui, c’est niaiseux comme analyse.

Par rapport à bon nombre d’épisodes de cette série, j’ai trouvé que la mort s’invitait avec insistance. Les Dalton à la noce a des côtés glauques, que ce soit l’intention affichée de Joe de tuer les deux protagonistes principaux (exemple parfait de guerre asymétrique, vu que lui ne risque que la prison, un peu comme Le Joker), ou les pendaisons auxquelles les protagonistes échappent in extremis. C’est d’autant plus choquant que nous sommes en plein dans un mariage, et je trouve qu’à ce titre Joe Dalton manque particulièrement de correction – bête et méchant, comme d’habitude. Mais tout se termine bien, naturellement, et comme le dit Lucky Luke à une de ses fans : « Les héros sont éternels ».

…à rapprocher de :

– Vous ne devez sans doute pas l’ignorer, mais cette BD est une parfaite adaptation du film Le train sifflera trois fois, de Fred Zinnemann.

– Y’a tout un tas de Lucky Luke qui traine dans mes bibliothèques, pour l’instant Le Tigre n’a traité que Le Grand Duc ; Chasseur de primes et L’Amnésie des Dalton.

William Lashner - L'Homme marquéVO : Marked Man. On prend les mêmes et on recommence ! Après un léger passage à vide, William Lashner nous régale à nouveau avec un héros avocat encore plus mal que jamais. Lorsque plusieurs intrigues se mêlent et que le lecteur pressent, à juste titre, que le final enverra du lourd, ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin.

Il était une fois…

La vie de Victor Carl, avocat un poil borderline, n’est pas au beau fixe. Outre le fait qu’il sorte avec un agent immobilier (la pire des espèces), son associée Beth a de graves problèmes personnels. Il est sur le pint de se retrouver seul et, fatalement, se la colle sévère dans un bar. En se réveillant, à part une jolie gueule de bois, il a souvenir d’une femme…mais rien de plus. Ah si : son costard est en mauvais état et, sur son torse, un tatouage est apparu [si ça peut expliquer le titre]. Sur ce tatoo, le nom « Chantal Adair » est écrit. Mais que se passe-t-il ?

Critique de Dette de sang

Lashner n’est pas loin de la valeur sûre, et avec sa saga de romans mettant en scène Victor Karl, Le Tigre en a généralement pour son argent. Si les ouvrages de l’auteur américain sont globalement bons, il convient de remarquer que L’Homme marqué dépasse en taille, et en intensité, ce qu’il a produit depuis.

Merde, il va être difficile de bien résumer l’ouvrage sans spoiler ici et là. Disons que l’histoire s’articule autour de trois scénarios, dont deux (je vous laisse deviner lesquels) vont se joindre. Tout d’abord, Zanita, une vieille femme à l’article de la mort fait appel à notre héros afin qu’on retrouve son fils, en cavale depuis des décennies – celui-ci a des raisons, disons que pas mal de gens lui en veuillent. Ensuite, l’associée et amie de Carl, son soutien de toujours, est sur le point de quitter le cabinet – ce qui signifierait mettre la clé sous la porte.

Enfin, il y a ce fameux tatouage sur la poitrine, avec inscrit dessus le nom d’une personne mystérieusement disparue. En rajoutant l’inspecteur Slocum prêt à foutre la merde, le reporter Harris avec qui Victor C. s’entend très (hum) bien ou le détective Skink bossant pour le protagoniste principal, comprenez qu’il faille s’accrocher pour ne pas perdre le fil. Or, le premier tiers passé, tout coule de source, la lecture est d’une rare fluidité, difficile de ne pas lâcher ce bouquin une légère pointe d’humour est la bienvenue.

En conclusion, un des meilleurs de Lashner (pour l’instant). Long et passionnant, il faut mieux lire ceci en moins d’une semaine, au risque de perdre le fil. Disparition, meurtres, vols en tout genre, sans compter la faculté du héros comme toujours de gérer des situations apparemment inextricables. Un plaisir pour lecteurs exigeants.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Très bêtement, le tout début m’a fait penser à un certain film où les héros, se réveillant d’une biture pas croyable au cours d’un enterrement de vie de garçon, voient que quelque chose ne va pas – ou manque. Ici, c’est peu ou prou la même chose : Victor émerge d’une mémorable soirée avec un indice gravé sur le corps. A partir de là, il va devoir réexaminer ce qu’il a pu se passé dans la soirée…jusqu’à fouiller plus profondément le passé des autres.

Le titre peut sembler évident, toutefois une double lecture reste possible. L’homme marqué n’est pas que le héros, peu fier de son nouveau tatouage, mais également Charles Kalakos. Ce gus court comme un poulet décapité pour échapper à des individus plus ou moins recommandables. Meurtre, vols, qu’est-ce qu’il a bien pu faire avant pour mériter tel acharnement ? Plus important, est-il frappé à jamais du sceau de ses actes passés, et peut-il se racheter ? Comme toujours avec l’écrivain, la réponse consiste en une savante teinte de gris à laquelle le lecteur ne pourra qu’adhérer.

…à rapprocher de :

– De Lashner, Le Tigre a dévoré toute la petite famille. Ça démarre (du moins chez cet éditeur, sauf erreur de ma part) par Vice de forme, puis Dette de sang, Rage de dents, le présent titre, puis Le baiser du tueur. Il faut signaler que ce roman, contrairement à d’autres de l’auteur, ne se déroule guère dans une salle d’audience, aussi l’aspect juridique est bien moindre.

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Malcolm Butt - Sid ViciousVO : Sid Vicious, Rock’n’roll Star. Sous-titre : chronique d’une rock star suicidée. Court essai sur une carrière aussi fulgurante que bruyante de l’Anglais qui a incarné un certain esprit du punk, c’est fort instructif. On rit au début, puis l’effroi nous saisit face à un tel gâchis – voire par rapport à l’importance exagérée attribuée à un chieur fini incapable d’atteindre le légendaire cap des 27 ans.

De quoi parle Sid Vicious, et comment ?

Le Tigre, à sa grande honte, avoue ne strictement rien savoir de l’essayiste. Malcom Butt est un parfait inconnu dans mes nombreuses références littéraires, je sais juste qu’en 1977 la biographie du bon Sid a été publiée. Sid Vicious (une histoire de rat serait à l’origine du prénom), c’est l’Anglais turbulent admis au sein des Sex Pistols, groupe qui hélas a fait long feu, un peu à l’image de celui qui était en passe de devenir son leader – s’il fallait justifier la taille du bouquin.

Pour faire court, le lecteur se verra confirmer la personnalité suicidaire de Sid qui avait décidé de ne pas vivre longtemps – volonté renforcée après le décès de sa bien-aimée, Nancy, détestée par tous. En l’espace de 21 mois, un adolescent de 19 ans se transformera en une pauvre loque souffreteuse et geignarde, ressemblant à un vioque de 40 berges, et réclamant ses doses de méthadone et d’héroïne à la fois. Associé trop tôt au succès, Sid a vu ses chevilles explosées, ce qui n’a pas aidé à améliorer son comportement capricieux et bagarreur – jusqu’à aller en prison, Rickers Islands pour la plus connue.

Cet essai suit, fort classiquement, une narration chronologique, de la naissance de John Simon Ritchie (mère droguée qui s’installe brièvement à Ibiza) à sa logique overdose, en passant par d’impressionnantes frasques à se taper sur les cuisses. Néanmoins, les premiers chapitres ne sont pas plaisants à lire, Tigre a même failli ne pas continuer : mister Butt (sérieusement, c’est son nom ?) aère peu son essai (malgré quelques photos ici et là). Malcolm McLaren (leur manager), John Lydon, Steve Jones, Glen Matlock, Paul Cook (les membres), et tant d’autres, parfois je ne se souvenais plus trop qui était qui.

Au début, j’ai déploré, outre les nombreux noms balancés ici et là, des péripéties qui se suivent sans grande logique ni prise de recul, sans compter que Sid Vicious n’est pas le réel héros de l’essai – plutôt les Sex Pistols. Heureusement, dès le second tiers, le style (et la tournure dramatique prise par l’existence du protagoniste principal) se décante, provoquant une lisibilité certaine qui fait que le lecteur arrivera, trop vite, au dernier chapitre. Un épilogue, enfin, sur la triste fin de la môman du musicien maudit : Anne Beverley, seule, découverte morte avec une seringue dans le bras.

Je crois bien, malgré moi, que ce sont surtout les édifiantes – et souvent dégueulasses – anecdotes qui relèvent l’intérêt du bouquin, à l’instar de la création du bogo (Sid, petit, qui sautille devant la scène pour mieux voir ses potes) ou les concerts catastrophiques du groupe. Car les « musiciens » font avant tout leur show, et entre matériel branlant et accords de guitares approximatifs, le public n’allait pas les voir pour les écouter. 150 pages qui méritent d’être lues rien que pour ça – et les photos d’époque.

Ce que Le Tigre a retenu

Grâce à Sid et les Sex Pistols, le félin a pas mal appris sur l’état de la musique au Royaume-Uni pendant les années 70. Les Sex P., c’est un peu le mouvement punk dans ce qu’il a de plus pur, donc pire : volonté de tout détruire, accoutrement reconnaissable 24h sur 24, comme si le côté sombre de tous les personnages de StarMania s’étaient matérialisés en une bande de cinq (puis quatre) jeunes adultes un peu paumés – avis tout personnel, j’en conviens.

Car les Sex P., ce sont avant tout une bande de gosses braillards qui s’en foutent de la musique (ils ne savent pas chanter), l’essentiel étant de provoquer le chaos. Et Sid, qui trônait autour d’eux en faisant un bordel pas possible, était dans l’esprit. Il faut savoir qu’il est entré (ou a remplacé Matlock, selon les versions) assez tardivement (début 1977), après avoir été leur groupie pendant un certain temps. Et il s’est illustré pendant cette période, par exemple en balançant une bouteille de verre (à destination d’un autre groupe) qui s’était écrasée plus loin, provoquant la perte d’un œil d’une femme présente.

A partir de là, Sid entraînera (et sera encouragé) le punk band dans les plus beaux excès. Bourrés à longueur de journée, crachant (ou vomissant) sur le public, insultant ou pétant en pleine interview, le respect avait pris des vacances prolongées dans l’Angleterre punk. Il n’y a qu’à lire le compte-rendu de la signature du contrat chez A&M (ils avaient été virés d’EMI) : une journée d’anthologie faite de dépravation et de provocations. Quelques jours après, le contrat est dénoncé par la maison de disques. Ce qui permettra au groupe anglais de toucher 125 000 livres de dommages…

Ce qui m’a enfin marqué, ce sont les mauvaises influences que les deux femmes de la vie du héros ont eu sur lui. Sa mère, droguée et passablement dépressive (perte d’un second mari dans la douleur), a été trop gentille avec lui. Elle ne lui a rien refusé, notamment la dernière dose d’héro qui lui sera fatale. Quant à Nancy Spungen, c’est sûrement la pire chose qui lui soit arrivé. Sid a certes troué l’amour, mais à quel putain de prix. Groupie de New-York qui voulait absolument lever un Sex Pistols, Nancy se rabattra sur Sid. Relation amour/haine, du genre à être la seule présente lors de l’épisode hépatique du chanteur, mais à tailler des pipes à des blacks au coin de la rue et à la vue de son amoureux pour récolter de quoi se shooter.

Deux femmes, deux héroïnes, autant de drogues qui l’ont perdu.

…à rapprocher de :

– Si le fauve n’a pas été très disert au sujet des Sex Pistols, c’est que l’éditeur a publié Sex Pistols : Rotten par Lydon, de John Lydon en personne – plus subjectif, mais sûrement plus instructif.

– Sid & Nancy, d’Alex Cox, sorti en 1986 est un film assez bien foutu sur ce couple qui a tout de Roméo & Juliette moderne – avec Gary Oldman dans le rôle titre.

– Si le félin n’a pas plus parlé du mouvement punk en général, Destroy! L’Histoire définitive du Punk, par Alvin Gibbs – d’ailleurs, devinez qui est sur l’image de couverture ?

Enfin, si votre librairie, vous pouvez le trouver en ligne ici. Ou, mieux, via le site de l’éditeur.

Paul Cleave - Un employé modèleVO : The Cleaner. Dans une communauté en Nouvelle-Zélande, un homme bossant au commissariat commet tranquillement ses meurtres, sans être inquiété. Si l’idée est, au premier abord, originale, l’auteur s’enfonce vite dans un n’importe quoi certes réjouissant – mais dont la crédibilité est mise à rude épreuve. Il y a mieux dans ce genre de thriller.

Il était une fois…

Allez zou, partiel copier-coller du quatrième de couverture :

« Célibataire, aux petits soins pour sa mère, Joe Middleton travaille comme homme de ménage au commissariat central de la ville. Ce qui lui permet d’être au fait des enquêtes criminelles en cours. En particulier celle relative au Boucher de Christchurch, un serial killer accusé d’avoir tué sept femmes dans des conditions atroces. Pourtant, même si les modes opératoires sont semblables, Joe sait qu’une de ces femmes n’a pas été tuée par le Boucher de Christchurch. Il en est même certain, pour la simple raison qu’il est le Boucher de Christchurch. Contrarié, Joe décide de démasquer le plagiaire. Et, pourquoi pas, de lui faire endosser la responsabilité des autres meurtres… »

Critique d’Un employé modèle

Pour tout vous avouer, Le Tigre a été assez ravi par le début du roman. Un ravi de la crèche (un peu malade sur les bords) qui s’avère être un impitoyable tueur pour la bonne cause – selon lui -, reconnaissez qu’il y a de quoi faire… Sauf que l’auteur néo-zélandais veut divertir avant de faire peur et/ou réfléchir, et il est allé trop loin – à mon humble avis.

Joe, qui passe auprès des autres pour un pauvre et brave type, s’aperçoit un beau jour que quelqu’un a trucidé une bonne femme avec le même mode opératoire que le héros. Il se met donc à la recherche de cet assassin, dont le lecteur connaît déjà l’identité – là dessus, pas de problème, le suspense reste intact. Puis se greffent d’autres personnes, d’autres dingues (notamment l’archétype de la femme fatale) qui font du roman un charivari plaisant quoiqu’excessif.

Le style, enfin, est loin de déplacer des montagnes, le moins que l’on puisse dire est qu’Un employé modèle se lira plutôt vite. Chapitres secs et courts, situations attendues (sauf la fin peut-être), humour noir qui souvent tombe à l’eau, je ne suis pas certain que cet ouvrage restera dans les annales de mon cerveau limité.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La dissimulation est au cœur de l’intrigue, avec la double vie menée par Joe Middleton. Celui-ci s’enorgueillit de passer entre les gouttes, mais à mon sens il n’y a guère de quoi pavoiser : certaines péripéties sont tellement rocambolesques, les indices qu’il laisse sont parfois si énormes que c’est à se demander si le commissariat de Christchurch n’est pas occupé par une bande de consanguins dégénérés. Même le second protagoniste fait partie de la maison, alors ça ressemble plus à une comédie de boulevard qu’à un polar – ce qui est visiblement assumé par l’écrivain.

Pour une fois, un ouvrage met en scène pas mal de tueurs en série (dont deux chevronnés), aussi le lecteur aurait pu espérer tirer un quelconque enseignement sur la manière dont un individu bascule vers une telle folie. A la question « Qu’est-ce qui fait un tueur en série ? », les réponses de Paul Cleave sont immensément décevantes. Comme je le disais, la soi-disant intelligence du héros est contre-balancée par l’impressionnante connerie de la populace locale (à la manière des romans de Tom Sharpe). Et concernant le passé des protagonistes, il n’y a seulement que le rapport ambigu avec la mère, ce qui est bien maigre.

…à rapprocher de :

– Le bon Cleave a continué avec Un Père idéal (titre assez proche, certes) puis Nécrologie. Je ne compte pas vraiment les lire.

– Tigre sait que vous attendez la référence, alors la voici : Un employé modèle est juste le parent pauvre de Dexter, de Jeff Lindsay – qui consiste en plusieurs tomes.

– La fin du roman [SPOIL] fait penser à celle de Fight Club, de Palahniuk : Joe tente de se tirer une balle dans la tête, se rate lamentablement, terminant dans un état plus proche du légume que d’un être humain.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.