Agota Kristof – La trilogie des jumeaux

Points, environ 3x160 pages.

Agota Kristof - La trilogie des jumeauxLu presque par hasard, parce que trouvé dans la bibliothèque d’un de mes amis, Le Tigre a pris une journée pour lire ces trois romans. Les débuts furent exceptionnels, durs et captivants. Hélas à la moitié la compréhension de l’histoire devient de plus en plus difficile, jusqu’à un dénouement certes fort joli mais abscons.

Il était une fois…

Trois bouquins, trois parties en somme, trois résumés. Joie !

Le grand cahier : Lucas et Klau, jumeaux, sont envoyés par leur mère dans un endroit tranquille, loin des affres de la guerre. Ça sera chez leur grand-mère, qui ne sera pas tendre avec eux. Pour les aider, nos jumeaux rédigeront un cahier, qui retranscrira leur évolution.

La preuve : Claus est parti à l’Ouest, laissant son frère plus que désemparé. Lucas survit tant bien que mal à cette séparation, et continue de survivre dans son petit village. Il aidera une femme, ouvrira une librairie, tout ça dans un pays loin d’être libre …

Le troisième mensonge : le frère parti à l’étranger revient au pays, seulement sa famille ne le reconnaît pas. Progressivement d’autres versions de l’histoire des jumeaux se font connaître, moins glamour mais tout aussi terribles.

Critique de La trilogie des jumeaux

Premièrement, je m’interrogeais sur l’opportunité de sortir trois romans distincts, alors qu’un pavé de 500 pages aurait fait l’affaire. Toutefois la police d’écriture, le chapitrage, voire le style sont différents d’un livre à l’autre et en un seul roman ça aurait fait vraiment bizarre. Oeuvre originale aussi parce qu’aucun indice n’est donné sur la guerre, les pays ou villes dont il est question, même si la Hongrie pendant la seconde guerre mondiale et la « libération » par les Russes s’imposent, eu égard l’origine de l’écrivaine.

Deuxièmement, sur la trilogie même, le résultat est assez mitigé. Le premier tome est un vrai régal : chapitres très courts (jamais plus de trois pages), style dépouillé et « enfantin », mise en scène parfois dure avec des détails pas jolis-jolis, ça se lit à toute allure. Quant au second, ce n’est pas mal du tout non plus. Évolution d’un des jumeaux seul dans la petite ville, les gens dont il s’occupe sont encore plus à plaindre que lui. Parvenant à faire son bout de chemin, Lucas est touchant dans son désespoir et abnégation. Chapitres plus longs, on revient vers de la littérature « standard ».

Hélas Le Tigre a beaucoup moins apprécié le dernier tome. Aussi long que les autres, mais tellement plus dense et incompréhensible, ça en devenait douloureux. Déjà on change les prénoms (de Claus à Klaus, ou l’inverse), ensuite on ne sait plus qui est qui au final, enfin les évènements se mélangent à un point que le lecteur peut rapidement être perdu. Peut-être est-ce le but de ce dernier opus, en tout cas missions accomplie. C’est fort dommage, cela avait si bien commencé…

Troisièmement, nonobstant le brouillard complet dans lequel le lecteur peut se trouver à la moitié de la trilogie, l’univers rendu par Mme Kristof est très sombre, glauque malgré quelques étincelles de bonté ici et là. Déjà, regardez sa photo dans le 4ème de couv’, ça en dit beaucoup sur son état d’esprit. Achetez au moins le premier opus, vous verrez si l’envie de continuer vous prend, sachant que s’arrêter à ce stade ne constituera guère un crime de lèse-littérature.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vie dans les campagnes lors d’une la guerre. Disons que ce n’est pas la panacée. Déjà la grand-mère est à la limite de la sorcière, ce qui fait que nos héros vont s’endurcir de manière drastique. Travailler dès 5 ans pour manger, gérer un petit commerce de marché noir, pratiquer le chantage envers les puissants, on n’est cependant loin du guide de survie tellement les deux jeunes font parfois montre d’une logique (et immoralité) sans bornes.

La littérature comme exutoire, et permettant de s’échapper durablement de la réalité. Le grand cahier, c’est une sorte de journal intime mis en place par les jumeaux pour surmonter la dureté de la vie et l’ennui dans la campagne. Ils y noteront toutes leurs expériences, que ce soit les exercices de jeûnes, d’insensibilité à la douleur, lectures de la bible, entre autres. Sans spoiler, ce cahier a également un autre but, relatif à l’ennui, que je ne vous développerai pas plus.

Le déracinement mâtiné de totalitarisme. Comme si la vie menée par nos deux héros n’est pas assez dure, il faut en plus qu’il y ait séparation. C’est comme la perte d’une partie de son identité, un déchirement de première classe qui laisse Lucas en proie à une terrible dépression, jusqu’à ce qu’il se redresse. Cerise sur le gâteau, l’époque choisie par Agota, à savoir la guerre mondiale (la seconde donc) et les horreurs qui l’accompagnent (le passage sur le décès de la mère est assez poignant d’ailleurs). Une fois le conflit terminé, les libérateurs (les Russes, arf) sont comme on peut l’imaginer dans les pays satellites de l’Europe centrale et orientale…

…à rapprocher de :

 – Un pays de l’est de l’Europe en proie aux totalitarismes, Le Tigre vous renvoie aimablement vers Purge, de Sophie Oksanen. Entre la Russie et l’Estonie, roman plus dense et « classique ».

– Pays indéterminé, anonymisation des personnages et des villes, histoire dure et belle sur le déracinement, Le Tigre se souvient aussi de La petite fille de Monsieur Linh, de Claudel.

– Concernant la triste réalité qu’on peut embellir en s’inventant une histoire, un ami, relisons encore une fois L’histoire de Pi, de Yann Martel.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette trilogie roman via Amazon ici : Le grand cahier, La preuve, Le troisième mensonge.