Aldous Huxley – Le Meilleur des mondes

Pocket SF, 284 pages.

Aldous Huxley - Le Meilleur des mondesVO : Brave New World. Exemple de dystopie dans toute sa splendeur, bienvenu dans une civilisation qui a l’air d’être la meilleure ayant jamais existé dans la mesure où tout le monde il est content – mais à quel prix. Première partie fort intéressante, hélas au fil des chapitres l’intérêt se fait moins grand – au moins l’écrivain a eu le tact de faire court. 

Il était une fois…

Dans un avenir plus ou moins distant (sachant que le bouquin écrit dans les années 30), et après une terrible guerre qui aurait fracassé une bonne partie de la Terre, l’Humanité vit dans une curieuse harmonie où ses habitants sont classés dans des castes, et ce avant même leur naissance. Grâce à une drogue qui envoie correctement planer la population (à peine un bémol : l’espérance de vie est raccourcie), celle-ci accepte non sans joie son sort. Au milieu de cette ignominie savamment organisée, des hommes « normaux » sont entreposés dans des réserves.

Critique du Meilleur des mondes

Cela faisait si longtemps que je n’avais pas (re)lu ce roman que me suis octroyé trois coups de fou…euh trois dizaines de minutes pour le relire en diagonale. Et la première impression du jeune Tigre n’a pas changé : c’est bon, généreux, presque scientifique, mais je ne me le retaperai pas pour autant. Sans compter que l’exagération de l’univers/protagonistes décrits fait entrer l’œuvre dans les anticipations sociales détonantes plutôt que la science-fiction.

Ce qui peut surprendre dans les premiers chapitres sont les descriptions somme toutes sommaires, on dirait un essai d’un politicien plein de morgue qui pose sur la table des débats non pas sa paire de couilles mais des tonnes de chiffres pour démontrer son bon droit – ouais, Huxley est le Balladur de la littérature d’anticipation de la première moitié du XXème siècle. Mais il faut convenir que c’est diablement intéressant : les castes Alpha à Epsilon, l’alcool distillé dans les fœtus pour saloper le cerveau des petites mains, et l’existence de « sauvages » dont le lecteur attend, non sans gourmandise, la confrontation avec la partie policée/totalitaire de l’Humanité.

Hélas, le félin a bien failli s’emmerder dans une seconde partie qui se veut plus romancée mais qui m’a guère ému. Déjà que les bases scientifiques du Meilleur des mondes ont pris un sacré coup de vieux, que dire des péripéties de Bernard (Marx de son nom) et Lénina (Oulianov aurait pu être le sien…) qui sentent un peu trop la naphtaline ? C’est notamment la différence avec un 1984 plein de rebondissements et dont la comparaison arrive trop vite sur les lèvres. Au surplus, dans le roman d’Orwell, la terreur est maîtresse tandis qu’Huxley a conçu une utopie qui n’est dégueulasse que de notre point de vue : le peuple est en effet heureux et ne trouve rien à dire, certes grâce à la médication et techniques hypnotiques. Mais bon, allez me dire la différence avec les anxiolytiques et les médias de nos jours…

Il n’en reste pas moins que ce titre est un classique dès lors que le lecteur veuille bien laisser de côté (putain, j’ai eu du mal) les nombreuses invraisemblances pour se concentrer sur les symboles, que ce soient les noms des protagonistes ou le personnage de John le Sauvage, élément perturbateur au lourd potentiel qui sera forcément gâché. Pour un roman publié avant la première guerre mondiale, faire la fine bouche serait malvenu face à une telle preuve de lucidité littéraire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pour cette partie, le fauve va plus que d’habitude se concentrer sur son ressenti (tellement de choses intelligentes ont été dites sur ce roman qu’une connerie de plus ou de moins sur la toile ne fera pas de mal).

Le Meilleur des mondes dresse un tableau de ce que le scientisme le plus con (et le plus mal avisé), poussé à son paroxysme, serait en mesure de faire. Ce n’est plus un plan quinquennal que nous avons, mais une suite de plans générationnels. Le métier et l’avenir de chaque bambin est préparé avant sa naissance, et les conditionnements mis en place en feront un citoyen parfait qui 1/ sera immensément heureux de son sort et 2/ respectera les castes supérieures tout en conchiant ceux en-dessous (même s’il les sait utiles au bien-être de la cité). Le défaut de ce système ? Mais qui est finalement à la tête de tout ce bouzin qui semble automatiquement fonctionner ? Voilà sans doute le vrai mal : personne ne semble directement responsable.

La force d’Huxley est finalement de montrer une société humaine qui n’en est plus une – pour d’autres, ces criardes invraisemblances rendent notamment le bouquin peu intéressant. Il n’est plus question de négation de l’individu (les éléments non standardisés sont vite écartés), mais de l’être humain en général qui est rabaissé à un produit utilitaire. Comme un enclos de poules qui n’ont pas le droit de penser, pas le droit de baiser pour procréer, et dont l’objectif suprême est de nourrir quelque chose – chez l’auteur anglais, il est question d’obtenir la stabilité : sûrement le trauma après une guerre qui a failli éteindre l’Humanité.

…à rapprocher de :

– Huxley semble être atteint de la même malédiction qu’Orwell : je n’ai aucune idée des autres romans qu’il a bien pu écrire.

– Puisque j’en parle souvent, allez lire 1984. O-bli-ga-toi-re. Voire Les monades urbaines (avec les « sauvages » locaux, le sexe libéré et le bonheur obligatoire), de Silverberg.

– La drogue que s’enfile la populace, le monde totalitaire à la suite d’un terrible conflit, le film Equilibrium n’aurait pas pépom le présent roman ?

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

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