Art Spiegelman – Maus : L’intégrale

Flammarion, 296 pages.

Art Art Spiegelman - Maus : L'intégraleVO : idem (entendez, ça n’a pas été traduit). Shoah, devoir de mémoire, question de la transmission orale, Art Spiegelman mérite bien son prénom. Un dessin original (zoomorphisme notamment) au service d’une histoire terrible et touchante, c’est un petit chef d’œuvre dont je m’enorgueillis chaque jour de la présence dans ma bibliothèque.

 

De quoi parle Maus, et comment ?

Le quatrième de couv’ est un modèle de sobriété que certains éditeurs seraient fort inspirés de suivre :

« Maus nous conte l’histoire de Vladek Spiegelman, rescapé de l’Europe d’Hitler, et de son fils, un dessinateur de bandes dessinées confronté au récit de son père. Au témoignage bouleversant de Vladek se mêle un portrait de la relation tendue que l’auteur entretient avec son père vieillissant. »

J’ai eu le plus grand mal à écrire ce billet. En effet, double difficulté de parler d’un tel monument. Déjà, c’est une magnifique œuvre que Spiegelman a produite, le travail d’une vie en moins de 300 pages. En sus, tout semble avoir été dit et redit sur cette œuvre (à quoi sert alors ce post ?). Enfin, dans quoi classer ce truc ? Essai autobiographique ou roman graphique ? J’ai opté pour l’essai, prix Pultizer obtenu oblige.

C’est donc un essai graphique grandiose que nous offre l’auteur / illustrateur sur l’holocauste, raconté par Vladek. Celui-ci a vécu pendant de longs mois l’enfer dont le souvenir reste vivace. Spiegelman junior oscille entre la description de cette période et celle, contemporaine, des discussions qu’il a avec son père hypocondriaque sur les bords. Au-delà de l’émotion qui ressort de ces pages, nous aurons en sus la possibilité de goûter à l’humour juif dans toute sa splendeur.

Quant au dessin, j’ai rapidement été conquis. Noir et blanc, trait large qu’on croirait à tort tremblotant (pas régulier, mais la ligne reste globalement droite), nombreuses cases et texte relativement rare, le tout fait dense. Heureusement que le texte sait se faire discret, sinon on aurait frisé l’oppression. Toutefois, le tour de maître d’Art a été de choisir des animaux pour représenter les humains, comme pour souligner l’inhumanité de cette période historique. Les nazis en chats qui pourchassent les souris (juifs), les porcs en Polonais, grenouilles françaises, etc.

Bref, avec un prix Pullitzer et nombreuses traductions, c’est un bel ouvrage (fond comme forme, couverture solide) à posséder. Mais surtout le genre de BD à offrir ou prêter à ses aïeux pour montrer que la BD sait se faire historique et émouvante. Avec Taniguchi, vous convertirez n’importe qui au 9ème art.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’holocauste est rendu dans ce titre de manière à la fois exhaustive et intime. Exhaustivité car c’est de nombreuses années (prise du pouvoir par Hitler jusqu’à de nos jours) du père de l’auteur que nous vivons. L’immersion est puissante et en laissera plus d’un groggy à la fin de ce pavé. Intimité, car racontée par une seule personne qui n’a pas l’habitude de tant se livrer. Presque Maus devrait être au programme des lycées. Mais pas avant, eu égard la dureté de certains passages.

Le sujet principal m’a semblé être la transmission d’une telle expérience à son prochain. Car le fiston doit « secouer » son père pour qu’il daigne expliquer, par le menu, ce qu’il lui est arrivé. En outre, Art a parfois du mal à supporter les lubies de son géniteur qui ne semble pas facile à vivre. Si bien que le dialogue, difficile, illustre parfaitement les antagonismes de la relation père / fils. Et pourtant, et pourtant…Vladeck a beau se sentir parfois coupable d’avoir eu un sort final plutôt envieux, Art Spiegelman parvient à surmonter les réticences du padre. Un témoignage supplémentaire d’une sombre période de l’Histoire, bravo.

…à rapprocher de :

– Sur les bandes dessinées faisant appel au zoomorphisme, il y a les épisodes de Blacksad. Beaucoup présents sur ce blog, ici, ou encore par ici. Tiens, aussi.

– BD + Essai + Zoomorphisme = La pieuvre aussi. De Parodi. Plus ennuyeux, mais un sujet grave également.

– Sur la transmission du savoir dans la culture juive en ces temps sombres, il y a Le retour au pays de Jossel Wassermann, de Hilsenrath. Ai eu un peu plus de mal hélas, même si c’est souvent beau.

– Dans le domaine de la BD documentaire, il convient de découvrir Valse avec Bachir, qui évoque une partie de la guerre au Sud Liban en 1982. Film à visionner également.

– Dans le domaine de la BD de fiction, il convient de dévorer Elmer (Alanguilan) qui parle, à sa façon, des systèmes concentrationnaires.

Blankets, de Craig Thompson, est aussi sobre et honnête sur les souvenirs d’enfance (en plus de la claque littéraire que le roman graphique représente).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré en ligne ici.

21 réflexions au sujet de « Art Spiegelman – Maus : L’intégrale »

  1. C’est l’ouvrage que je fais toujours lire à ceux de mes amis et connaissances qui me disent que la BD est un art mineur. Pour l’instant, 100% ont changé d’avis après sa lecture…
    C’est à mon avis le témoignage le plus bouleversant sur les camps de concentrations nazis avec « Si c’est un homme » de Primo Levi.
    Je recommande également « Meta Maus », le making off de la BD, qui montre bien à quel point la simplicité narrative de l’ouvrage, si agréable au lecteur, représente un énorme travail pour l’auteur.

  2. Ping : Folman & Polonsky – Valse avec Bachir | Quand Le Tigre Lit

  3. Je ne saurais que te conseillée Meta Maus, making of de cette histoire qui hante Spiegelman.
    Concernant les rapports à Vladeck, je dirais que ce livre parle de résilience, cette thématique qui fait le beurre des épinards de Cyrulnik. Il montre à quel point ce qui a permis à Vladeck de survivre à Auschwitz ( au delà de la chance hein, car il ne suffisait pas d’être rusé pour rester en vie) , ces mêmes qualités rendent la vie impossible à son fils. Il dit de mémoire qu’à bien des égards, il est l’archétype du radin juif !
    La force de Maus vient de là ! Il permet plus q’un « simple » récit sur la Shoah mais bien d’interroger la vie ordinaire des rescapés et de leur famille des décennies après la sorti des camps.

  4. Ping : DodécaTora, Chap.GM : 12 BD que grand-mère aimera | Quand Le Tigre Lit

  5. Ping : Vaughn Bodé – Dǎs KämpF | Quand Le Tigre Lit

  6. Ping : Craig Thompson – Blankets | Quand Le Tigre Lit

  7. Merci pour ce billet sobre et intègre sur ce chef d’œuvre. Je viens de le lire moi aussi, il y a une semaine, et je suis déjà terrifiée de commencer à découvrir l’abominable masse d’insultes, incompréhensions, utilisations, rattrapages : non-lectures ou dé-lectures dont ça a fait l’objet.
    Je n’étais pas naïve avant, je suis née bien après le déni et bien après que d’autres génocides aient été perpétués (j’ai grandi pendant) dans l’occultation générale, mais, c’est la première fois que je peux arriver à cette histoire. Sans soap, sans point de vue imposé (sans maître), sans biais : sans biais, par son biais. C’est ..
    Merci, merci, merci, merci à Art Spiegelman, merci à tous ceux qui n’en parleront pas mal, merci à tous ceux qui le liront et qui s’en rappelleront.

  8. Ping : Canales & Guarnido – Blacksad : Quelque part entre les ombres | Quand Le Tigre Lit

  9. Ping : Antony Beevor – La Seconde guerre mondiale | Quand Le Tigre Lit

  10. Ping : Yann Martel – Béatrice et Virgile | Quand Le Tigre Lit

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  12. Ping : Gerry Alanguilan – Elmer | Quand Le Tigre Lit

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