La gueulante du Tigre : changer le nom d’un parti politique

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les textes du TigreLe Tigre ne parle que de littérature. C’est-à-dire de mots qui se suivent et cherchent à faire naître un sentiment, un univers, bref quelque chose qui émeut. Le félin ne se risque pas à évoquer la chose politique, faut savoir rester dans son domaine de prédilection. Mais quand la politique empiète sur les mots, je me dois de remettre les choses à leur juste place.

Changeons le nom, ne changeons rien d’autre

Salut mon ami,

Permet moi de te tutoyer et de t’imaginer en tant que mâle dominant éructant ton antienne dans tous les médias mainstream de notre Royaume. Impossible que tu sois une femme, ce qui est en jeu ne peut être l’œuvre que d’un homme – ce qui explique notamment pourquoi je ne suis pas homosexuel. Sinon, nul besoin de m’introduire. Représente-toi seulement un esprit libre, un peu (certains susurrent beaucoup) con sur les bords, qui n’écoute rarement ce que les autres lui disent, à plus forte raison quand l’interlocuteur porte une cravate.

Mais je m’égare. Si je prends le clavier en ce moment, c’est pour te donner mon modeste avis sur une tendance francophone qui me navre – et ce d’autant plus que j’ai parfois le sentiment d’être le seul à gueuler comme un putois dans mon coin.

Avant de te parler de cette fâcheuse habitude, je vais t’entretenir brièvement d’un sujet qui m’est cher : la presque intangible signification des mots. Pour faire simple, quand je parcours un roman (en français ou en mandarin – ah merde, ce dernier exemple ne fonctionne pas), je sais ce que « maison » signifie. Mieux, certains termes qui décrivent des notions plutôt que des objets restent globalement stables dans le temps. C’est d’ailleurs pourquoi les dictionnaires ont tendance à ajouter de nouveaux mots qu’à redéfinir des anciens – à la rigueur, l’ajout d’un adjectif tel que « argentique » pour rappeler qu’il existait quelque chose avant le numérique question appareil photo. Et ne m’entourloupe pas avec le mot « libéral », terme que vous avez plus maltraité que les libertés fondamentales, ça va m’énerver.

Revenons au sujet principal de ce billet : tu veux changer la dénomination de ton parti politique. Je t’ai certes entendu dire bon nombre d’âneries, toutefois cette dernière constitue la douce confirmation que tu es un indécrottable opportuniste. Du genre à porter chance quand on marche dessus du pied gauche. Mais qu’est-ce qui ne cloche pas chez toi ?

Je n’ignore pas que les nobles idées que l’Homme Politique prend sous son aile sont changeantes, que tout dépend de l’environnement présent, voire des personnes clé qui composent le parti. Cette même formation est, quoiqu’on en dise, au centre du débat sociétal d’un pays. Celle-ci occupe les principaux titres des journaux (papier ou TV), le citoyen du monde un peu renseigné sait de quoi on cause au premier coup d’œil.

Et toi, tu veux biffer (j’ai failli dire « bifler ») quinze années d’histoire politique de ton pays, et pour quels motifs ?

Tu invoques, sans ciller, l’exigence de « rompre avec le passé ». Savoureux, quand toi-même représente ce passé honni. A moins de virer tout le staff en poste (profites-en pour t’autolicencier) et recruter de nouvelles gueules, l’artifice que tu proposes va faire illusion pendant six mois au grand max. Vois ton parti comme une entreprise. Soit tu liquides la boîte et en recrée une nouvelle ex nihilo (un certain Général l’avait fait), soit tu choisis la facilité : changer de nom. Mais personne ne sera dupe. Regarde Blackwater, la société de mercenaires. Ils avaient beau renommer leur compagnie plus souvent que tu déclenchais une guerre, et les juges n’ont pas pour autant stoppé leur poursuite.

Ne crois pas que le fait de nommer différemment ton organisation va provoquer un heureux détachement des nombreuses casseroles qui lui collent au cul – imagine sinon le florissant business consistant à trouver des nouveaux noms de syndicats.

Je t’entends déjà couiner un chevrotant « mais tous les autres le font ! » . Petit con, ce n’est pas que tes incompétents d’amis au centre ou à l’opposé de ton spectre politique changent le nom de leurs engins (je m’y perds moi-même) qu’il faut les copier. Pose tes œillères deux secondes et contemple les States, l’Allemagne ou la Suisse. Des formations politiques vénérables dont certaines ont le même sigle depuis le 19ème siècle. La grande classe. Mieux, succombe aux leçons chinoises ou singapouriennes : un parti, un seul nom, et en route pour la croissance Simone !

Tant qu’à rigoler, pourquoi ne pas renommer l’agence nationale pour l’emploi en un truc vaseux du style pôle-de-compétences-pour-l-emploi, tu crois que ça aidera les chômeurs ?…oh, attends voir…non, rien.

Après d’intenses réflexions, je crois avoir compris d’où vient cette détestable propension :

Premièrement, le système politique français pousse à la personnification. A chaque institution est attaché un personnage politique, un être qui a su s’imposer dans le pays à un instant charnière pour mieux le sauver. Avouons-le, tu aimerais bien notre homme providentiel de ce début de siècle qui aura son gros chapitre dans les bouquins d’histoire des générations suivantes. Hélas, tu sais que ce sera impossible, alors tu te contenteras d’apposer à ta formation politique une marque au fer rouge. Ce sera ta contribution au débat public, mes félicitations-

Deuxièmement, et corollairement ai-je envie de rajouter, il faut convenir que le compatriote kiffe bien ces nouveautés. Un petit coup de peinture sur le rafiot étatique, ça occupe facilement 30% du temps d’antenne – les mauvaises langues diront que ça laisse un certain répit. Notre Grande Nation adore expérimenter, jouer avec la Constitution, inventer de délicieuses initiales pour d’inventifs impôts, légiférer sur des faits divers pour calmer la populace, voire renommer nos Conseils généraux. C’est un peu plus modeste, cependant l’intention y est – et puis c’est trop tard pour changer de République. Quant à un nouvel empire, le fait que ce serait le troisième exclut de facto cette fabuleuse idée (je vois d’ici la gueule de nos voisins outre-Rhin).

Bref, avec des clampins de ta trempe, l’U.E. aurait déjà eu quatre acronymes différents.

Troisièmement, et étant donné que je ne suis pas totalement de mauvaise foi, je dois reconnaître que le blaze de l’organisation de bras cassés (toi au sommet) est bien mauvais, il était temps de passer à autre chose. Franchement, dès qu’il est question de République, de Mouvement, d’Union, de Rassemblement, de Populaire, ça fleure bon le consensuel de bas niveau destiné à regrouper un maximum de moutons qui flippent leur race dès que ça clive un peu trop. Sans compter les vilains jeux de mots qui sabordent votre message, quel gâchis.

En outre, j’arrive à comprendre que l’ancienne dénomination, choisie par un immense rival politique, justifie de lui faire un gros bras d’honneur – à défaut de tuer le pèr..euh mentor.

Le gros souci reste que tu accordes aux mots un pouvoir qui n’est pas le leur. Ça s’appelle du verbalisme, et c’est une manie peu recommandable. Réveille-toi, prononcer les syllabes de ton parti ne te fera pas gagner plus de voix, même Rowling n’en parle pas dans l’univers d’Harry Potter. Et ce n’est pas parce que les temps sont troubles et que ton parti n’est pas au beau fixe qu’une mesure symbolique renversera la vapeur.

Allez, tentons une dernière comparaison que Marcel m’a récemment glissée dans le bistrot de ma ville : ta formation, c’est une rue bien pourrie (disons une avenue, vu les moyens dont tu disposes) : celle-ci est mal fréquentée, les impasses qui la perpendicularisent sont des coupe-gorges fréquentés par tes seconds couteaux ; le tout à l’égout n’a pas été installé vu les immondices qui débordent du caniveau, les habitants jetant leurs ordures directement par la fenêtre ; les fondations ne sont guère fermes, une magistrale (tu saisis le jeu de mots ?) inondation de plus rendrait la zone infréquentable ; et que dire des copropriétaires de l’avenue qui règlent à peine leurs charges de copropriété (t’obligeant à solliciter d’exceptionnelles participations) ? Tu vois le topo ? A ta place, je déménagerais ou entreprendrais une politique de grands travaux. Mais non, tu te contentes de dévisser la plaque et renommer ta rue. T’as tout compris, y’a pas à dire.

Un tel changement se justifierait une fois que vous en auriez fini avec vos mauvaises habitudes, ou au moins quand votre doctrine politique (s’opposer n’est pas une doctrine, attention) sera plus clairement définie. Prends conseil auprès de Lolo F. qui a choisi son prénom (décrivant une partie de son anatomie) après être passée sur le billard. Je sais que ce n’est pas facile pour les individus de votre espèce, mais tente d’être logique. Dis toi qu’un parti, c’est comme un navire de guerre : si tu le renommes, celui-ci n’aura que des avaries. Et tu t’apprêtes simplement à descendre sur la poupe du bateau, ton pinceau à la main, alors qu’une dizaine de torpilles se dirigent vers ce-dernier.

Puisque tu fatigues de me lire et que tu aimerais connaître le fond de ma pensée, le voici : au lieu de modifier l’appellation de ton parti, dégage de celui-ci et créé le tien, à ton image. Non seulement tu mangeras un râteau comme un certain ancien premier ministre à particules, mais en plus tu laisseras à des nouvelles têtes l’opportunité de changer de nom ET de façon de faire de la politique.

Je plaisante, tes successeurs seront aussi bêtes que toi, ils ne mettront pas très longtemps à étaler leur merde sur le nouveau logo.

Si j’étais à leur place, et quand j’utiliserai ton parti de merde pour être au pouvoir, je profiterais évidemment du moment de grâce automatiquement attribué à tout nouveau gouvernement pour renommer la formation. Ce ne sera pas une « machine à gagner les élections » comme vous vous plaisez à le repéter, mais plutôt un mouvement fugace qui foutra un bordel monstre dans le pays avant de disparaître. Tu seras tellement heureux de voir quelqu’un faire ce que tu n’as jamais osé entreprendre que tu poseras ta rolex quelques secondes afin de flatter la demie-molle qui naîtra dans ton slip.

Tiens, figure-toi que j’ai déjà un nom pour la formation. Mais ça, je t’en parlerai dans un autre billet.

Sur ce, je t’autorise à reprendre une activité normale. Du genre sucer le derche de ton banquier pour demander le financement de ta très cosmétique décision. Et va pas dépenser 40 000 euroboules dans une agence de design, étonnamment dirigée par un pote, et qui ira pomper un Comic Sans Serif couleur bleu roi – ça fera encore désordre.

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