François Szabowski – Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur

Aux Forges de Vulcain, 365 pages.

François Szabowski - Il n'y a pas de sparadraps pour les blessures du coeurVoici la suite et la fin des aventures de François Chabeuf, copiste sans le sou qui se rêve écrivain. Plus long, plus fort, plus délirant, l’histoire prend une ampleur qui a ravi Le Tigre. Sous couvert d’un style simple et d’un humour pince-sans-rire, Szabowski a justement touché la condition de l’écrivain en herbe, voire de l’artiste en général, cet éternel incompris.

Il était une fois…

François Chabeuf, après avoir été lâché par Clémence (cf. roman précédent), s’installe chez Rose, soixantenaire sexuellement active dont le mari avait été éloigné par le héros. La vieille à lutiner ; les jeunes jumelles de Clémence à utiliser en tant que voleuses ; faire attention à l’éditeur toujours prêt à l’entuber ; gérer une nouvelle histoire d’amour ; chasser un éléphant (si si), le héros est sur tous les fronts. Avec la mauvaise foi et les odieuses manœuvres qu’on lui connaît, Chabeuf (qui prend le nom de Szabowski au passage) va tenter de concilier activité artistique, logement décent, approvisionnement d’alcool et apport d’argent régulier. Parce qu’il ne savait pas que c’est impossible, notre héros l’a fait.

Critique de Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur

Autant vous prévenir, L’éditeur m’avait promis que ce roman est un des meilleurs (pour l’instant) de cet écrivain. Relativement échaudé par le premier tome, j’étais un poil sceptique. Mais c’est sans compter le scénario qui prend une tournure résolument déconnante, entre péripéties improbables et éléments de biographie savamment transformés.

Car François Chabeuf envoie du très lourd question mauvaise foi exacerbée. N’importe quel comportement normal de ses contemporains est analysé à l’orée de son petit univers de cynisme et d’incompréhension. Si cet état d’esprit peut fonctionner avec les « marginaux » (les punks polonais ou Jules), en très peu de temps il parvient à faire tourner à l’aigre toute péripétie qui se présente bien.

Quant au style, c’est à la fois efficace et parfois difficile à suivre. Je m’explique : il faut savoir que ces 360 pages sont découpées en 75 chapitres (contre 180 pour le roman précédent) d’une rare densité – qui confine au « bloc de lecture ». Heureusement que les phrases, sèches et avares en complexes circonvolutions, se laissent lire. Quant au vocabulaire du bon François, le lecteur aura beau chercher, simplicité ne signifie pas tournures répétitives, il y a une richesse littéraire insoupçonnée dans ce roman.

En guise de conclusion, le talentueux Szabowski a non seulement terminé en beauté sa dilogie (fin violente et triste, j’adore), mais il nous donne aussi envie de poursuivre ses autres œuvres. A cela il faut rajouter les titres de chapitres, superbes maximes qui dénaturent, par le rire, quelques poèmes. Florilèges :

Un bon argument est moins convainquant qu’un coup de pied. Un enfant qui pleure a toujours quelque chose à se reprocher. Celui qui n’a jamais connu que la pluie se méfie du soleil. Le malheur d’autrui fait toujours chaud au cœur. Les enfants ont un QI de poulet. L’alcoolisme transcende les classes sociales.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Dans la continuation de l’opus précédent, le héros est un adepte aguerri de la manipulation sous toutes ses formes. Il va même jusqu’à transformer de mignonnes jumelles en ados rebelles radasses sur les bords – quel salaud. Sauf que, pour une fois, un autre protagoniste (en la personne de Vera, personnage fort intéressant) saura se jouer de l’homme d’ascendance polonaise comme l’URSS traitait Varsovie. Car la femme en tient aussi une belle couche, toutefois pas aussi gratinée que François S. – disons qu’elle est dépassée par la monstruosité qu’elle a entretenue.

Ce qui a marqué Le Tigre est l’introduction progressive de la réalité dans la fiction. Dès que Chabeuf adopte le nom de Szabowski, j’ai sur que j’allais me régaler de nombreux clins d’œil ici et là. Car certains projets et réalisations du héros sont trait pour trait ceux de l’écrivain : en effet, Il n’y a pas de sparadraps… est aussi le parcours, dans la douleur, de la rédaction d’une œuvre qui n’entre pas dans le projet littéraire de son rédacteur. Et, lorsque le héros expliquait de quoi va parler ce titre en plus de nous donner des grilles de lecture, Le Tigre a tout de suite reconnu Il faut croire en ses chances (en lien), publié peu de temps après. L’air de rien, voici un bel exemple de métaroman.

Mieux encore, François Szabowski s’est permis, outre se moquer gentiment de son vrai éditeur (ancien déontologue dans la gendarmerie), d’établir un cross-over avec un autre romancier de la maison d’édition. Vers le dernier tiers du titre, l’éditeur présente à François Chabeuf un professeur de Sciences-Po, fin politologue, historien et éminence grise des puissants. Il ne s’agit ni plus ni moins du grand Fernand Bloch-Ladurie qui est sur le point de voir sa biographie (en lien) publiée. Et Fernand ne fait pas qu’une vulgaire apparition, il se révèle précieux et bien intégré dans le scénario peuplé d’affabulateurs de génie.

…à rapprocher de :

– Comme je le disais, les aventures de l’infâme commencent avec Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent. Lire cet opus est conseillé mais pas obligatoire – d’autant plus que je l’avais moins aimé. D’ailleurs, on retrouve certains proverbes des titres dans La famille est une peine de prison à perpétuité (illustrations d’Elena Vieillard).

– De François S., il y a Les majorettes, elles, savent parler d’amour, roman que le héros du présent roman tentait d’abord d’écrire.

– Ensuite, Silhouette minuscule (coécrit avec Anna Reese) et Une larme de porto contre les pensées tristes se laissent lire. Surtout qu’à la page 122 du présent roman, le héros fait référence à cet alcoolisme notoire qui consiste à noyer ses pensées dans un tel breuvage.

– Dans la catégorie des romans feuilletons, avec une touche définitivement « pulp », il y a Vincent Virgine et ses Marvin (première saison ici et deuxième par là).

– Sinon, il faut savoir que l’auteur n’utilise AUCUN paragraphe. Des phrases qui s’enchaînent, le lecteur peut craindre le pire…sauf qu’à l’instar de Bloc Party (excellent roman de Millward), le tout est d’une confondante fluidité.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici. Ou via le site de l’éditeur (passez plutôt par là, et demandez une dédicace tant qu’à faire).

7 réflexions au sujet de « François Szabowski – Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur »

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