Gregory Mion – La littérature nazie en France

Autopublié, 209 pages.

Gregory Mion - La littérature nazie en FranceAvec une prose considérablement (excessivement ?) abondante et des descriptions difficilement soutenables, ce recueil de nouvelles n’est pas à laisser entre toutes les mains. Effrayante bouffée d’air littéraire qui ne saurait laisser indifférente (en bien ou en mal), la dénonciation de la fascination pour les idéologies criminelles n’a jamais aussi bien utilisé les armes de l’ennemi. Encore un coup de cœur du Tigre.

Il était une fois…

Un nobliau producteur de films zoophiles ; un sororicide suivi d’une fuite en Amérique du Sud ; Marcelle, amante de Maurice Papon ; un prof de tennis arabophobe qui maltraite ses élèves ; un ouvrier à cheveux et idées courts qui veut buter la « voix » de la SNCF car elle serait juive ; une Française devenue gardienne d’un camp nazi, etc. : bienvenu dans l’Hexagone outrageusement raciste et dérangé.

Critique de La littérature nazie en France

Avant de démarrer ce dithyrambique billet, il faut savoir que le félin est habitué à la prose de Gregory Mion et a, parfois, l’honneur d’entretenir avec lui une relation numérico-épistolaire. Aussi, lorsque l’auteur m’avait entretenu du présent projet littéraire, je n’ai guère attendu pour dévorer (il n’y a pas d’autres mots) son œuvre. Voilà pour l’aspect subjectif.

En outre, la seconde chose à retenir (et qui est rappelée dans la préface) est l’esprit du titre du recueil : La littérature nazie en France se veut (à un niveau plus modeste) le rejeton de La littérature nazie en Amérique, livre de Roberto Bolaño qui recense des écrivains fictifs de tendance extrême-droitière sévissant sur le continent américain. Mion, ainsi, s’est attaché à conter l’existence d’une vingtaine d’individus hautement méprisables à cause de leur pedigree intellectuel – haine de l’Autre en premier lieu.

Et, malgré quelques points communs (le vice exacerbé, la folie, la littérature – du moins des éructations scripturales), il y en a pour tous les goûts ! Chaque nouvelle, dont le titre est la présentation du protagoniste à la mode « pierre tombale » (prénom-nom-dates de naissance/mort), est une pépite prenant la forme d’un documentaire omniscient, éloquent mais furieusement déconnant. D’un pauvre chauffeur qui pète un plomb (réjouissant à lire) à un homme de bonne famille qui verse dans la zoophilie scatologique la plus immonde, les textes s’attaquent à la vie d’individus aux origines sociales et capacités intellectuelles éclectiques – comme pour montrer que l’idéologie fascisante, outre ses différentes manifestations, touche indifféremment la population.

Même si j’en parle plus longuement dans la partie suivante, le style de l’écrivain présente tout ce qui à l’heur de me plaire : la richesse du vocabulaire et certaines tournures savamment ampoulées (sans verser dans le vulgaire), associées à des descriptions froides du fascisme intellectuel de certains, provoquent un malaise grandissant qui peut justifier vouloir faire une pause dans la lecture. Néanmoins, Gregory M. va au-delà d’une analyse méthodique puisqu’à certains moments surgissent, comme en embuscade, des termes d’une rare violence dénonçant des jugements de valeur assez triviaux, au mieux des prises de positions tranchées – à ce titre, certains lecteurs pourront regretter d’impromptus changements de champs lexicaux, notamment l’apparition soudaine de termes franchement orduriers et visiblement gratuits.

Pour conclure, voici le genre d’œuvre qu’aucun éditeur (qui tient à sa réputation) n’oserait jamais publier. Un recueil qui viole, avec allégresse, quelques conventions littéraires et dans lequel certaines personnalités en prennent plein la gueule, il y a matière à être choqué – ce mélange d’autant plus confondant lorsque les protagonistes imaginaires, sinon légendaires, fricotent avec d’autres bien connus. Parce que Gregory appuie là où ça ne cicatrise jamais avec un style reconnaissable entre mille, le félin a été conquis.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les qualificatifs sont nombreux pour juger d’une telle œuvre, et selon votre sensibilité cela pourrait aller de « barré » à « intéressant », en passant par « glauque » ou autre « dégueulasse horreur scatologico-vandale ». En ce qui me concerne, un adjectif s’est finalement imposé pour décrire ce que j’ai lu : c’est de la littérature monstrueuse :

D’une part, le sujet traité se concentre sur des monstruosités dont les replis du cerveau sont gangrénés par un racisme viscéral qui impressionnerait même le gros Hitler. Dans la droite lignée d’une banalité du mal chère à Arendt, l’auteur décortique des individus, tels que vous et moi, et qui ont à un instant donné définitivement mal tourné. Le pire (sûrement un autre défaut de cet ouvrage) est que le « basculement » vers l’innommable n’est que peu explicité par l’auteur, il semble acquis que la notoriété (certes fictive) des personnages autorise la simple description, sans trop chercher le pourquoi de telles déchéances – même si on repère qui des influences familiales, qui d’un traumatisme en apparence insignifiant.

D’autre part, le style est monstrueux car formidable. Dans son sens originel (du latin formido : terreur), c’est-à-dire que la structure littéraire, extraordinaire, a chez moi inspiré une admiration confinant à la crainte. Mais où, putain, va-t-il donc chercher tout ça ? Près de 200 pages excessivement denses, une imagination débordante, l’effroi qui succède au rire (ou les deux en même temps), les situations décrites par le menu, cette littérature s’est imprimée dans mon esprit avec la puissance, en mots, de la persistance rétinienne après une exposition solaire. En fait, Gregory Mion fait partie de cette poignée d’auteurs qui me foutent la trouille.

…à rapprocher de :

Pour un exemple de nouvelle, il y a Bastien Gadenne (1971-1999) disponible sur le blog.

L’Amérique cinquante et des Poussières, du même écrivain, reste évidemment meilleur que ce qu’on trouve dans les têtes de gondole des librairies. Idem pour L’arracheur des petites âmes.

Avec l’assentiment du reptile, grosse nouvelle (ou petit roman) qui fait état d’un style volontairement emphatique, jusqu’à une savoureuse boursoufflure.

– Gregory Mion, par les horreurs qu’il conte, me rappelle certains auteurs de grande envergure, à l’instar de Chuck Palahniuk et son A l’estomac, dont l’une des idées originales est reprise.

– Enfin (et naturellement), La littérature nazie en Amérique, de Roberto B. Certains gimmicks de langage de Gregory Mion sont facilement reconnaissables, et je devrais sûrement lire « l’original » en guise de comparaison.

Enfin, ce condensé de littérature dérangeante est disponible en ligne ici.

9 réflexions au sujet de « Gregory Mion – La littérature nazie en France »

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    • Hélas les éditeurs « papier » n’osent pas le publier, et c’est seulement dispo en numérique. Moi aussi j’aurais préféré un bon pavé à laisser négligemment sur un banc pour effrayer les petits.

      • Je suis totalement numérico-compatible mais pas sur Kindle. Et je n’ai pas réussi à trouver un site qui vende une version epub compatible avec ma liseuse. Si tu as l’occasion de demander à l’auteur si c’est dispo dans ce format lors d’un prochain échange, ça lui fera une vente de plus.

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