Wajdi Mouawad – Anima

Actes Sud, 395 pages.

Wajdi Mouawad - AnimaVO : idem. Superbe. Presque un chef-d’œuvre. Livre original et traitant de sujets difficiles, voilà de quoi passer un excellent moment. Un homme à travers le Canada et les États-Unis à la recherche de la vérité, avec des révélations toujours plus troublantes. Poignant et humaniste comme on en lit rarement.

Il était une fois…

Waach, la trentaine, mène une vie paisible avec Léonie, sa femme. Jusqu’au jour où elle est assassinée dans d’effroyables conditions (le lien avec la copulation des termites est atroce). Le héros se lance alors sur les traces du meurtrier, un Indien mohawk, des réserves indiennes jusqu’au far west américain. Cette poursuite s’accompagne de questionnements supplémentaires sur l’enfance de Waach, témoin très jeune du massacre de Sabra et Chaila, au Liban.

Critique d’Anima

Il arrive au Tigre de résumer un titre grand format, souvent c’est parce qu’un ami le lui a prêté (question de place). Et là, Anima a été dévoré en moins de deux jours. Quelle maestria, quel exercice de style, quelle culture !

L’aspect « magique » de ce roman, ce qui fait qu’on ne tient pas un ouvrage lambda, c’est la narration multiple selon les animaux présents dans le lieu de l’action. Qui un chat, une coccinelle, un oiseau, un chimpanzé, une araignée, un lapin, un boa,…chaque chapitre de la première partie (deux bons tiers du roman) est raconté par un protagoniste animalier. Ses impressions (le poisson rouge dans un bocal qui croit son territoire infini et grandiose), ses croyances, ses paradigmes, tous ont un style qui leur est propre même si la poésie est partout présente.

Premier défaut : si c’est délicieux de découvrir le point de vue d’un animal, les titres de chaque chapitre (certains de plus de dix pages, certains qui tiennent en une phrase) correspondent au nom scientifique de l’observateur. Or un danaus plexippus (à vos souhaits), une lasionycteris (rapport avec la nuit ?) noctivagans (et oui), ou un larus ridibundus (merde, on croirait un sort tiré d’un livre d’Harry Potter), aucune idée concrète de ce que c’est. Le Tigre est cultivé, et a apprécié le challenge de deviner le bestiau par rapport à ce que celui-ci détecte, hélas je ne suis pas sûr que tous aimeront. Une note de bas de page qu’on peut décider de ne pas lire (comme en regardant QPUC), voilà ce qui manque.

Sur le scénario, ce qui appert être l’accident d’un psychopathe présent au mauvais endroit au mauvais moment se révèle une aventure (du style « roman d’apprentissage ») pour un individu aux racines incertaines. En recherchant le tueur comme pour se persuader qu’il n’a pas tué sa femme, le héros va mettre le doigt dans un engrenage impitoyable où se mêlent les intérêts de tribus indiennes (survivre et espérer garder une dignité disparue avec les anciens), des polices du Canada (qui ne semblent pas pressées d’attraper le vilain) et d’individus (plus ou moins recommandables) rencontrés sur le bord de la route.

L’écriture m’a emporté, un peu moins sur la dernière partie racontée par un « homo sapiens sapiens ». D’ailleurs il y a un « sapiens » de trop selon la terminologie actuelle, est-ce une erreur ou parce que le narrateur, un coroner d’une sagesse exemplaire, le mérite ? Quoiqu’il en soit, à mettre entre toutes les mains. Toutes ? Pas vraiment, des passages (je pense à la guerre au Liban, cf. infra) sont à la limite de l’insoutenable et l’adolescent risque d’être passablement choqué.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’humain et l’animal. Ce qui ressort d’Anima, c’est que l’Homme n’a jamais aussi été plus proche en littérature de l’animal. Les protagonistes ont tous leur « totem », leurs instincts primaires qui sont compris, explicités, défendus ou abhorrés par les espèces qui les observent. Le chimpanzé qui étudie la posture de « mâle alpha » de son maître, le chat qui pressent quels secrets se cachent au plus profond d’un homme, c’est magnifique à lire.

Corollaire du précédent thème, la seconde partie est contée par Mason-Dixon Line, chien monstrueux qui a fait de Waach son maître. L’amour et la fidélité du clébard pour son « humain référent » est correctement rendue (un chat n’a pas de telles pensées), si bien même que le héros n’en devient que plus humain à nos yeux.

La guerre au Liban. Voici un thème qui s’invite progressivement dans la partie, comme pour nous rappeler les origines de l’auteur. Le Tigre ne spoile pas, et dira juste que l’ultime quête du héros est terrible en plus de nombreux symboles renvoyant au meurtre de sa femme. Violent, glauque, infiniment triste et dérangeant, nous touchons au crime de guerre (et contre l’Humanité) dans sa pire définition.

…à rapprocher de :

– Sur le massacre perpétré par les phalangistes chrétiens contre les Palestiniens, il y a le film (et la BD) Valse avec Bachir. Beau et triste à la fois.

– Une pièce de Mouawad a été superbement adaptée au cinéma. C’est Incendies. J’ai versé mes petites larmes à la fin, c’est dire…

– Dans le comportement des animaux, sans aller à l’excellence de ce titre, on pense tout de suite à L’histoire de Pi, de Yann Martel, avec l’éthologie de l’animal « pantera tigris ».

– Quant à la déshérence des Indiens d’Amérique, il y a le polar de Kem Nunn, Le sabot du diable, qui explique (à sa manière) les difficultés rencontrées par certaines tribus californiennes. A ne pas manquer.

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2 réflexions au sujet de « Wajdi Mouawad – Anima »

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