DodécaTora, Chap.MT : 12 écrivains suicidés trop tôt

Le Tigre Editions, pas de pages.

DodécaTora« Salut mon tigrounet en sucre d’orge. Je m’emmerde sec avec les artistes visuels qui ont se sont bousillés la santé, sans compter que mon purgatoire consiste à visionner des films où j’apparais. Je souhaiterais que tu me donnes quelques noms d’écrivains qui trainent dans les limbes réservés aux suicidés, histoire que je m’aère l’esprit. Bisous. Romy S. PS : tu n’aurais pas une ordonnance de xanax à m’envoyer ? »

Des écrivains qui auraient pu continuer à écrire

Il n’est vraiment pas évident de correctement nommer un tel DDC. Car ce billet ne doit confondu avec d’autres, proches, dont je traiterai un beau jour. Par exemple, les écrivains « bêtement » morts jeunes (donc pas de leur propre main) ne seront pas abordés ici. Tout comme les auteurs qui ont un pied dans la tombe et écrivent avec l’autre. De même que ceux qui accusent un honorable âge et ont décide à en finir : Kawabata, Hunter S. Thompson, Koestler, Hemingway, beaucoup ont décidé de précipiter le tragique destin de leurs maladies.

Outre les très vieux qui se suicident, Le Tigre a également écarté certains dont le tragique décès n’est pas, littérairement parlant, catastrophique. Je me garderai bien de citer des noms. Car la question qui nous taraude, dans ce billet, est la suivante : quels fabuleux romans auraient pu écrire certains si leurs problèmes personnels n’avaient pas pris le dessus ? Pire : est-ce que leur état dépressif était la principale raison de leur génie littéraire ?

Voilà donc quelques auteurs dont le suicide laisse des questions ouvertes. Comme je suis organisé, j’indiquerai leur année de décès, l’âge qu’ils avaient et la manière dont ils ont mis fin à leurs jours – si j’ai le courage d’aller chercher. Et, surtout, pourquoi un tel départ précipité est dommage.

Tora ! Tora ! Tora ! (x 4)

1/ John Kennedy Toole

Kennedy Toole, c’est avant tout un roman exceptionnel qui a bien failli ne pas voir le jour. En effet, La conjuration des imbéciles a été publié après son décès, grâce à la mère de l’auteur dont les refus répétés des éditeurs lui avaient sérieusement entamé le moral – c’est légitime, eu égard le chef d’œuvre écrit. S’est gazé avec sa voiture (pot d’échappement relié à l’habitacle) le 26 mars 1969, à 31 ans seulement.

2/ Heinrich von Kleist

Auteur, dramaturge et poète allemand, Heinrich est dans la veine des doux rêveurs romantiques qui, par patriotisme (pour la Prusse), ne se sont guère sentis pisser – je parle en termes de pages. Et le résultat est impressionnant, les écrits du bonhomme sont éclectiques et laissaient présager des ouvrages aussi exaltés que la période napoléonienne. Il se tue le 21 novembre 1811, à 34 ans, après avoir abattu Henriette Vogel, sa maîtresse – une femme mariée, tant qu’à faire bonne mesure.

3/ Yukio Mishima

Yukio, c’est le petit chouchou du Tigre. Un Japonais qui n’a pas vraiment été dans son temps, étant abreuvé de culture poético-samuraï avec un zeste d’homosexualité. Quelques essais, mais surtout des romans troublants qui auraient justifié un Nobel de littérature (accordé à son compatriote Kawabata). Mishima commet un retentissant seppuku le 25 novembre 1970, à 45 ans. Rien que les circonstances de ce suicide justifient de découvrir l’écrivain.

4/ Dhan Gopal Mukerji

Né en Inde dans une caste privilégiée (celle des prêtres et autres avocats), Dhan est le premier Indien à avoir été reconnu en Amérique. Il a étudié au Japon, puis est allé aux États-Unis (Frisco d’abord) où il n’était point totalement intégré – malgré quelques succès. Moins d’une vingtaine de titres, et Le Tigre soupçonne Mukerji d’en avoir sous la pédale. N’a hélas pas eu le temps de le démontrer, le mister se pend le 14 juillet 1936, peu de temps après son 46ème anniversaire.

5/ Tristan Egolf

Le Tigre a été proprement soufflé par le Seigneur des Porcheries, immense roman dont le vocabulaire chatoyant sert une histoire qui ne l’est pas moins. Si le titre qui a suivi était pas mal non plus (sans plus), il est normal de se faire plaisir en imaginant quelles suites aurait pu pondre Egolf l’incompris. Résidant de Lancaster (EUA), Tristan s’est tiré une balle le 7 mai 2005, à 34 ans.

6/ Charles Williams

Attention, il ne faut pas confondre Charlie l’Américain avec Charles Walter Stansby Williams, écrivain british de son état. Car Williams (le bon), figure emblématique du hard boiled cynique et décomplexé, accuse une productivité toute délicieuse. Il aurait pu continuer sur une quinzaine d’années supplémentaires, hélas il s’est arrêté trop tôt. C’est comme si Frédéric Dard se tuait au 120ème SA, alors que les derniers opus étaient (à mon sens) les meilleurs. Williams en finit un 7 avril 1975, à 65 ans.

7/ Romain Gary

Un des auteurs français préférés du Tigre, rien que ça. Humaniste s’il en est, l’écrivain a fait le tour de force de rafler deux fois le Goncourt – sauf si le jury avait de la merde dans les yeux, c’est signe d’une richesse de style à peine croyable. Il y a une belle flopée de titres de Romain sur ce blog, aussi je me limiterai à signaler le troublant Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, qui traite magistralement de la diminution physique (de l’homme). Gary se suicide par balle, le 2 décembre 1980, à 66 ans. Encore alerte à cet âge, il aurait pu encore produire de belles feuilles – sous son nom ou sous un autre.

8/ Philippe Jullian

Voilà un touche-à-tout de génie qui ne sévissait pas que dans le monde littéraire – qu’il chroniquait avec verve. Un auteur certes, mais également un graveur et illustrateur de nombreuses œuvres d’immenses auteurs. Philippe J. est connu pour un style grotesque et dérangeant, quelque chose qui ne peut laisser indifférent. Pour avoir plus « vu » (aperçu serait plus correct) ses productions que les avoir lues, Le Tigre imagine un style truculent à souhait. Se pend le 25 septembre 1977 à 58 ans.

9/ Paul Celan

Encore un poète dans ce billet, il faut croire que l’automortalité est exacerbée chez ces individus… Passé par les camps nazis (où ses parents ont trouvé la mort), Paul Pessach Antschel a commencé par le métier de traducteur. Rapidement il se met à écrire, devenant une des plus grands poètes de langue allemande d’après-guerre. Une écriture vive, écorchée et d’une insoutenable pureté. Paul se jette dans la seine autour du 20 avril 1970. Il avait 50 berges – désolé.

10/ Vladimir Maïakovski

Maïakovski n’est pas que le chantre d’un genre particulier, à savoir le futurisme. Le Russe était aussi un dramaturge accompli doublé d’un poète, sans compter ses incursions dans le cinéma (en tant qu’acteur et scénariste) et ses peintures/affiches à profusion. Staline dit de lui qu’il était le « poète de la révolution », c’est dire. Hélas, l’artiste inconsistant se tire une balle (vraisemblablement en poussant le hasard à la roulette russe) le 14 avril 1930 à 36 ans. Mais son histoire n’est pas finie, Vlad’ sera tour à tour honni, réhabilité, censuré, etc. bref, un héritage changeant à la sauce soviétique.

11/ Robert Ervin Howard

Le Tigre ne connaît cet auteur que grâce à ses écrits avec Conan Le Barbare (dont les adaptations en comics se tiennent, par exemple ici), personnage haut en couleur qui est un des premiers représentants de la fantasy – certes burnée et volontairement déconnante. Conan a été « inventé » au début des années 30, et des milliers de brouillons non développés font légitimement croire que l’écrivain américain comptait poursuivre les aventures de son héros. Il se tire également une balle dans la tête le 11 juin 1936, à trente ans.

12/ Lao She

老舍 pour les intimes, enfin un écrivain chinois ! Romans, nouvelles, pièces de théâtre, Lao est un homme complet qui a notamment enseigné en Europe. D’habitude, Le Tigre termine par une petite blague. Ici, c’est la condition du « suicide » de l’écrivain, qui de partisan de Mao s’oppose à la révolution culturelle – alors qu’il écrivait de plus en plus. Erreur fatale, sa baraque est vite investie par les gardes rouges, et le pouvoir annonce qu’il s’est suicidé le 24 octobre 1966 (à 67 ans). Mais oui.

…mais aussi :

S’il y a beaucoup d’artistes qui ne sont pas (que) écrivains dans cette liste, c’est parce que Le Tigre a souhaité mettre en lumière les hommes dont le mal-être, souvent, leur fait toucher à tout. Des hommes, car il n’y a aucune femme dans ce DDC, et ce n’est pas faute d’avoir cherché. Sinon, il y a également :

– L’immense Primo Levi, qui à 67 ans fait une malencontreuse chute dans sa cage d’escalier. Souffrant de dépression, la thèse du suicide est privilégiée – pour reprendre les éléments de langage d’un procureur.

– Vincent La Soudière, sorte d’écrivain maudit issu d’une famille nombreuse d’ascendance aristocratique. Tourmenté par le fait même d’écrire, grand lecteur devant l’éternel, La Soudière n’a hélas laissé derrière lui que trop peu de textes, ses séjours en HP n’aidant pas. Après quelques tentatives foirées, il parvient à quitter notre monde en 1993 à 53 ans. Suivant.

– Richard Brautigan, écrivain et poète américain chantre de la contre-culture.

– Édouard Levé qui s’est fait plutôt tardivement connaître d’un point de vue littéraire – une poignée de romans sur les cinq dernières années de sa vie. 10 jours avant de mettre fin à ses jours, il avait envoyé à son éditeur son dernier manuscrit, intitulé…Suicide. Si.

Jerzy Kosinski, Malcolm Lowry, etc.

7 réflexions au sujet de « DodécaTora, Chap.MT : 12 écrivains suicidés trop tôt »

  1. Brautigan…
    Son « Privé à Babylone » me laisse les poils des bras au garde à vous 35 ans plus tard…
    Un humour désabusé, vison de sa propre chute, perle d’humour noir qui malheureusement pouvait laisser présager la suite… Néanmoins très très drôle.
    Ô monTigre préféré, si tu le rencontres au coin d’un bac souviens-toi du vieux Krabay, craque et rends compte!
    RIP, Richard. Les autres aussi d’ailleurs. Le Bon Dieu aime à bien s’entourer et fait montre parfois d’une regrettable impatience. Moi qui croyais qu’il avait le temps, Lui…

    • Cela ne changera rien pour eux, les portes du Nirvana leur sont de toute façon définitivement fermées. Je pourrais faire un billet sur ces auteurs, mais tirer sur ces ambulances n’est point l’apanage du félin [clinc].

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