Alexandre Soljenitsyne – Une journée d’Ivan Denissovitch

Robert Laffont, 227 pages.

Alexandre Soljenitsyne - Une journée d'Ivan DenissovitchVO : Один день Ивана Денисовича (ai toujours rêvé de faire péter des caractères cyrilliques sur mon blog). Classique de la littérature « concentrationnaire » russe d’après-guerre, un essai édifiant et dur sur ce que l’humanité peut faire de pire. Pas évident à lire, toutefois l’ouvrage reste unique en son genre et passer à côté serait presque criminel.

De quoi ça parle, et comment ?

Ivan Denissovitch Choukhov, c’est un Russe condamné à dix ans de camp de travail pour avoir été fait prisonnier au cours de la seconde guerre mondiale (soupçonné alors d’être un espion). Il s’ensuivra un long séjour, de 1948 à 1956, dans l’enfer d’un goulag ici conté en une journée.

Si ça se peut se lire comme un documentaire, Le Tigre a été relativement déçu par ce titre. Le style m’a semblé assez lourd et difficile à lire. Le tout est certes instructif et prenant, mais le vocabulaire particulier de Soljenitsyne (familier par endroit) et l’aspect décousu de la journée (sans compter quelques phrases à rallonge, voire n’ayant aucun rapport entre elles) ont failli me faire arrêter la lecture une cinquantaine de pages avant la fin. Bref, ça ne colle pas toujours.

En fait, il ne doit sûrement pas s’agir d’une journée type puisque chaque jour doit apporter son lot d’horreurs imprévisibles. Plutôt un condensé de ce qu’a pu vivre l’essayiste pendant ces huit longues années dans le camp. Pour quelqu’un qui a vécu tant de temps dans les goulags et a réussi à pondre un titre aussi court et dense à partir de ses notes, il semble alors normal que le lecteur a parfois l’impression d’être perdu dans le déroulement des péripéties.

Dernière remarque pour la forme. Le Tigre voulait absolument lire un essai qui, je le pense, doit fièrement trôner dans toute bibliothèque qui veut paraître sérieuse. « Fièrement » est le mot adéquat, puisque incapable de trouver une édition poche j’ai du me rabattre sur l’éditeur Bob Laffont : à 227 pages, en format moyen (entre le poche et le roman broché), le tout pour près de 20 €, Le Tigre a eu le désagréable sentiment de s’être fait royalement tondre.

Ce que Le Tigre a retenu

Trivialement, il y a l’horreur quotidienne et presque inénarrable (Alexandre S. y est parvenu) du système mis en place par les autorités soviétiques. Je ne parviens à m’imaginer concrètement cette journée tellement c’est violent : températures extrêmes, brimades incessantes, travail forcé d’une rudesse inouïe, comment se battre et survivre une journée de plus ? La dignité n’a plus court en ces contrées, où du système D à la corruption rien n’est logique ni prévisible. L’incertain, la monotonie qui n’en est pas vraiment une, la mort omniprésente, voilà ce qui différencie (entre autres hein) un système pénitentiaire « classique » d’un goulag.

Outre le gâchis humain d’une telle structure, Le Tigre a été particulièrement sensible à l’absurdité économique de tout ce foutoir. Les internés sont forcés de travailler une grosse partie de la journée, et on ne peut pas dire que leurs accomplissements ont réellement aidé la glorieuse URSS. J’ai souvenir notamment (pas dans cet essai) du fameux canal de Baltic-Belomorkana creusé par des prisonniers et responsable de la mort de milliers d’entre eux. Hélas ce canal s’était révélé trop court. « Faire et défaire, c’est toujours travailler » dit-on, cependant qu’il n’en reste rien est une insulte supplémentaire qui vient se rajouter à la mémoire de ces pauvres hères.

…à rapprocher de :

– Les essais/romans sur les camps soviets ne manquent pas, comme Les Neiges bleues de Piotr Bednarski (pas encore lu), voire quelques passages de Vert-de-gris, de Philip Kerr (pas le meilleur).

– Pour saisir un peu mieux ce que je nomme (facilement il est vrai) « l’âme russe », vous pouvez vous rabattre sur l’essai d’une politologue russe Que reste-t-il de notre victoire ?

– Ou alors, la vie romancée d’un Russe hors du commun, c’est Limonov de Manu Carrère.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici. 

7 réflexions au sujet de « Alexandre Soljenitsyne – Une journée d’Ivan Denissovitch »

  1. En effet, ce livre est un condense de multiples anecdotes de la vie d’un simple ZEK… Pour une version plus musclee (2000 pages je crois) il y a Les recits de la Kolyma de Chalamov. Plusieurs petits recits sur le quotidien au Goulag. Glacant. A lire en plein ete car les -50 degres decrit glacent les os.
    Les autres livres de Soljenitsyne sont aussi pas mal pour avoir une vision de l’URSS dans les annees 50/60 (Le premier cercle, Le pavillon des cancereux).

    Et sur l’ame russe… ahhh je prefere ne pas me lancer sur ce sujet mais une grosse pepite de la litterature russe du debut 20eme s’appelle Nicolas Leskov (De nombreux Russes le considèrent comme « le plus russe de tous les écrivains russes ») et Le Vagabond Ensorcele est vraiment magique. Et cela fait moins de 200 pages. Les auteurs russes peuvent arriver a ne pas produire des paves calant les meubles.

  2. Bonjour le Tigre,
    Pour moi ce livre, que j’ai lu à l’adolescence (il y a une petite trentaine d’années), était, et reste, une des plus belles leçon d’optimisme qui soit !
    Ivan Denissovitch trouve du bien et de la lumière au fin fond de la nuit concentrationnaire sibérienne… ça aide à réfléchir quand on a nos petits soucis quotidiens…
    C’est dailleurs le 1er présent que j’ai fait (à l’age de 18 ans) à celle qui est devenue mon épouse.
    Je le classe encore dans mon top 10 !

    • Je l’ai lu plutôt tardivement, toutefois l’optimisme ne m’a pas sauté à la figure. Y ai surtout vu de la résilience, et montrer le potentiel presque infini du corps et de l’esprit dans une telle absurdité.

  3. Bonjour,

    Pardonnez de remonter ce sujet déjà vieux de quelques mois mais j’y suis arrivé par votre billet sur le livre de Natalia Narotchnitskaïa (copié / collé :-).
    Pour une vision quelque peu différente sur cette vie des goulags, je me permet de vous conseiller les Neiges bleues de Piotr Bednarski, plus simple et surtout plus poétique.
    Et merci pour vos billets que je viens de découvrir.

    Rufus

    • Pas de souci Rufus : contrairement aux blogs de lecture « classiques », celui du Tigre n’a aucune vocation chronologique (à part la page d’accueil). Je peux recevoir des commentaires sur des billets datant d’un an, ça me fera toujours toujours plaisir. Et merci pour le bon plan littéraire.

  4. Ping : Natalia Narotchnitskaïa – Que reste-t-il de notre victoire ? | Quand Le Tigre Lit

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