Boris Vian – Les morts ont tous la même peau

J'ai Lu, 155 pages.

Boris Vian - Les morts ont tous la même peau

Vian a fait fort à l’époque, la fin des années 40 a du grandement apprécier ce travail d’artiste. Un mulâtre (ce terme est assez bizarre à écrire) qui pète plusieurs durites à cause de la potentielle irruption d’un secret. Violent, amoral, d’une noirceur sans pareil, le petit twist final, ce fut un agréable moment. Sans plus toutefois.

Il était une fois…

Dan est un heureux videur dans une boîte de nuit en plein New-York. Père d’un tout petit et mariée à une belle femme, sa vie se résume à péter la gueule de quelques clients récalcitrants et baiser deux-trois michetonnes dès que l’envie lui prend. La good life, jusqu’à ce que Richard, son frère, se manifeste. Or ce dernier est noir, et est susceptible de révéler au monde le quart de sang noir de Dan.

Critique des Morts ont tous la même peau

Un des rares romans que j’ai lu lire en entier à nouveau en vue de pondre un billet pas trop dégueulasse aux entournures, et je pensais en prendre plus dans le cerveau. C’est bien, certes, mais la grande claque littéraire n’était pas aux rendez-vous. Disons que l’immersion n’est pas optimale, il semble manquer quelques éléments de description de Big Apple.

L’histoire, on la connaît presque tous : Dan est immensément troublé par le chantage de son frère (de lait, mais on l’apprendra à la fin), et perd progressivement les pédales. Tout s’accélère lorsqu’il se met à coucher avec une noire, il appert rapidement que Dan n’est plus en mesure d’honorer sa belle femme (blanche) sans avoir des images d’Afro-américains forniquant à tout-va. Pris dans un manège qu’il ne peut maîtriser, l’anti-héros ira jusqu’à commettre l’irréparable (les irréparables, plutôt).

Le style est plaisant : précis (sauf sur la ville, comme je l’ai dit), dense, la narration à la première personne passe comme un recommandé à la poste. Pour un roman écrit après la guerre, il faut convenir que c’est sobre et intense (c’est-à-dire sans fioritures ni dialogues longs comme un dimanche en Angleterre). Vian innove même en changeant, sur les derniers chapitres, le point de vue narratif (signalé parce que le chapitre en entier est en italique) afin de nous offrir de nouvelles voix.

Ah oui, j’allais oublier, je suis impardonnable ! Vers la 130ème page le roman s’arrête, et le lecteur découvrira une vingtaine de pages intitulées Les chiens, le désir et la mort. Souvenirs d’un chauffeur de taxi sur le point d’être exécuté, ce dernier développe la rencontre de celle qui le perdra, une dingue hypersexuelle qui lui fait faire n’importe quoi en caisse. En conclusion, un classique à lire au moins une fois dans sa vie.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le racisme est fort prégnant dans l’univers du héros, lui-même en est victime et à la fois le bourreau. Toute sa vie il s’est efforcé de devenir « blanc », se comporter ainsi en assénant mandales à ses pairs et coups de vit aux femmes mariées. Hélas, au fond de lui, il sait avoir du sang noir et cela lui pose un sacré problème dans cet environnement « racialisé ». Le regard de l’autre est d’une importance capitale, cela étant confirmé par exemple avec ces quelques mots du flic justifiant le comportement des Afro-américains : il a du sang noir tout de même. Cela explique bien des choses. [Attention mini SPOIL]. La dénonciation du racisme ambiant par Vian sera d’autant plus forte que Dan n’est pas noir pour un sou, ayant été trompé par un maître chanteur. Tout est alors dans l’auto-suggestion. [Fin SPOIL].

Corolaire de cet état d’un cul entre deux chaises, l’abaissement de Dan a comme résultat (selon lui) la manière dont il se livre aux joies du sexe avec une prostituée noire, puis plusieurs. Se vautrant dans la luxure la plus sordide (du moins pour l’époque), le narrateur se sait irrémédiablement atteint : son incapacité à faire l’amour à sa femme et les artifices utilisés en vue d’y remédier (alcool, voyeurisme) démontrent le lien étroit entre le racialisme et le sexe. Pour faire simple, il s’imagine être confronté à cette peur primaire du black qui n’ose toucher une femme à la peau claire, d’où la perte de moyens.

…à rapprocher de :

– De Vian, il faut que je me mette à sérieusement les relire, notamment J’irai cracher sur vos tombes.

– Sur la condition d’un noir aux States, il y a l’édifiant Dans la peau d’un noir, de Griffin, pour mieux se rendre compte.

– C’est drôle, mais la dernière nouvelle me rappelle le thème de Crash, roman tout aussi glauque et dérangeant de Ballard.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce petit classique via Amazon ici.

3 réflexions au sujet de « Boris Vian – Les morts ont tous la même peau »

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  2. Vian a écrit de belles et bonnes choses, terriblement violentes parfois (surtout pour l’époque !), des choses aussi plus poétiques. Il faudrait le lire tout en l’écoutant trompetiser … Après Mai 68, il était au programme de nombreux cursus d’études de lettres. Souvenirs souvenirs.

    • Même a ceux qui n’ont pas connu cette glorieuse époque, Vian arrive parfaitement a donner le sentiment d’un grand coup de pied dans la fourmilière. Un très élégant coup de pied. Un coup de pied grande classe. Violent mais pas jamais vulgaire.

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