Fernand Bloch-Ladurie – Georges-Guy Lamotte, le dernier des socialistes

Aux forges de Vulcain, 252 pages.

Fernand Bloch-Ladurie - Georges-Guy LamotteAttention, objet politique non identifié. Une biographie acide et tout en fantaisie, faite par un pseudo historien d’une rare incompétence et au phrasé pompeux à un point que ça en devient hilarant. Livre à destination d’un lectorat français et porté sur la vie politique, c’est aussi une petite bouffée d’air littéraire assez savoureuse.

De quoi parle Georges-Guy Lamotte, le dernier des socialistes, et comment ?

Cet essai est celui des « ou pas ». Georges-Guy Lamotte, né en 1929 et décédé en 2007, fut un acteur incontournable de la vie politique française. Ou pas. Son existence, injustement oubliée par notre monde médiatico-politique, a pu être retranscrite par Monsieur Bloch-Ladurie (ci-après « FBL »), intellectuel de renom qui sévit comme professeur à Sciences-Po. Ou pas.

Ainsi, c’est la vie d’un individu fantaisiste mais terriblement crédible que le lecteur va suivre. De sa naissance (avec moultes descriptions de son « pedigree ») à sa mort, une vie dédiée à la politique mais aussi à ses délicieux petits à-côtés. ENA, juge administratif, création d’un parti, un peu de corruption, du sexe et une pincée de drogues, l’incontournable traversée du désert, quelques maladresses, la girouette idéologique, Georges-Guy Lamotte est l’alpha et l’omega du politicien.

Contrairement à ce que peut annoncer le 4ème de couv’, nous n’en profiterons pas vraiment pour revisiter 70 ans de l’histoire du socialisme : les quelques évènements historiques ne sont là que pour souligner l’influence de Lamotte et ses interventions parfois maladroites, souvent hilarantes (les négociations avec les communistes sont à se taper le cul par terre).

Quant au style, ce n’est certes pas un chef d’œuvre d’écriture. Mais FBL (du moins ceux qui écrivent en son nom) se fait largement plaisir, usant de remarques corrosives et d’adjectifs lénifiants. Ce qui suffit amplement pour ce type d’ouvrage. Copier-coller, l’air de rien, un couplet d’une chanson de Starmania par exemple, c’est toujours sympa. Asséné avec un certain aplomb, Le Tigre a mis trois lignes avant de le découvrir.

Enfin, là où le lecteur sera servi (et ravi), c’est au sujet des innombrables notes de bas de page plus délirantes les unes que les autres : la maîtrise de l’exercice est parfaite, et à y regarder de plus près rien n’est sérieux, tout n’est que clin d’œil. Archives départementales poussiéreuses (où vivent des fonctionnaires honnis par FBL), discours historiques, PV de conseils municipaux, auteurs tels que BHL, Bruckner, ou même Lamotte… Jamais lire lesdites notes n’a été aussi distrayant pour Le Tigre.

Bref, le lecteur régulier du Canard enchaîné ne sera pas déçu par Le dernier des socialistes.

Ce que Le Tigre a retenu

L’œuvre étant un exercice de style « queneausien » mais à grande échelle, il existe quelques thèmes sous-jacents assez intéressants à décortiquer malgré le ton franchement décalé utilisé.

Tout d’abord, la vie du sieur Lamotte est riche en péripéties, qui sont autant d’échos à la médiocrité des hommes et de leurs actes. Lâche pendant la guerre, résistant de la dernière heure, usant et abusant de ses relations à des fins personnelles (entrée à l’ENA zum Beispiel), n’hésitant pas à trahir amis (qui tiennent une sacré couche d’ailleurs) ou femme, c’est un politicien scandaleux mais touchant au final. Touchant lorsque le personnage voit la plupart de ses projets se terminer devant la barre d’un tribunal, ou alors quand il tente d’aller à l’encontre des grands courants historiques (mai 68, élection de Mitterrand,…). Un homme seul avant tout.

Ensuite, la pensée politique de Lamotte. C’est là que Le Tigre s’est marré, puisque le « collectisme » (doctrine révolutionnaire du socialiste) n’est que du vide au service du pouvoir (pour paraphraser Karl Zero). Ajoutez à ça les hochements de tête approbatifs de l’universitaire / auteur, on est alors en présence d’un grand n’importe quoi qui n’est pas sans rappeler quelques jaillissements intellectuels de « vrais » politiciens. Le tout rappelle un peu le bon Henri Queuille (notamment l’assise locale), figure incontournable de la IVème république dont le leitmotiv était il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout.

Enfin, Fernand Bloch-Ladurie représente une caricature à l’excès de tous les travers de l’historien. La prise de recul avec l’objet de son étude est presque nulle, d’ailleurs la raison du choix de Lamotte comme sujet d’étude (expliquée sur la fin du roman) est loin d’avoir la noblesse qu’on pourrait attendre. Malgré les évidences historiques, les faits bruts, l’historien fait corps avec la version de Georges-Guy, quitte à le défendre contre toute l’éthique la plus triviale. Même si dès le début le pseudo scientifique annonce son admiration pour Lamotte, ses flagorneuses interventions se font de moins en moins discrètes au fil des chapitres.

…à rapprocher de :

– FBL a un blog, et fournit sur celui-ci de très fines (hum) analyses sur l’actualité, et ce avec la verve et l’impertinence qu’on retrouve dans le roman.

– Il faut savoir que FBL intervient dans le roman Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur, où par bonté vis-à-vis des petites gens il aide le héros à retrouver l’identité du préfet du sous-préfet du Loiret – ne me demandez pas pourquoi…

Si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici. Ou, mieux, via le site de l’éditeur.

4 réflexions au sujet de « Fernand Bloch-Ladurie – Georges-Guy Lamotte, le dernier des socialistes »

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