James S. A. Corey – La Guerre de Caliban

Actes Sud, 715 pages.

[Sous-titre : The Expanse 2. VO : Caliban’war]. La fin du premier tome avait laissé le lecteur sur sa faim, plein de questions demeurant sans réponses. Et la menace réapparaît sous une forme plus inquiétante, avec des kidnappings de gosses utilisés comme cobayes. Plus politique, plus fin sur les descriptions d’un conflit froid (qui se réchauffe certes), moins SF sans doute, mais quel joyau.

Il était une fois…

Une partie du quatrième de couverture résume bien le topo. Pour le rappel du 1er tome, un dangereux virus E.T. dont on ignore le but (la protomolécule) a bousillé un astéroïde entier et ses habitants. Derrière cette expérience ayant mal tourné, une firme terrienne qui aurait fait amende honorable depuis. Quant au héros et son équipage, ils sont employés depuis des mois par l’Alliance des Planètes Extérieures pour chasser du pirate. Mais ça ne durera pas : « Sur Ganymède, devenue grenier à blé pour les Planètes extérieures, un sergent des Marines de Mars assiste au massacre de sa section d’élite par un supersoldat monstrueux. Sur Terre, une personnalité politique de haut rang s’évertue à éviter un conflit interplanétaire. Sur Vénus, la protomolécule extraterrestre a investi la planète entière, menaçant de propager l’indicible dans tout le système solaire. Et à bord du Rossinante [le vaisseau de nos héros], James Holden accepte d’aider un scientifique de Ganymède à la recherche de sa fillette enlevée. »

Critique de La Guerre de Caliban

J’ai enfin pris de l’avance avec l’adaptation télévisuelle, dont la fin de la saison 2 correspond à peu près au milieu de ce tome ! Si la narration est globalement la même que l’opus précédent, avec les protagonistes qui à un moment donné se retrouvent tous ensemble à lutter contre des hybrides humains « protomoléculés », le lecteur suit non deux mais quatre personnages.

Holden, le héros tout désigné, le chevalier servant désireux d’exposer à tous les manipulations d’une partie du gouvernement des Nations Unies (la Terre), qui se retrouve comme par hasard près de Ganymède (satellite jovien) lorsqu’y survient un conflit assez trouble entre Mars et la Terre. On y apprend plus grâce au sergent Roberta Draper (Bobby de son petit nom), marine martienne qui a vu de près le genre de monstre qui a attaqué son unité sur Ganymède. Marine de l’espace, tactiques de combats, combinaisons surarmées, furieux désir de trouver les responsables, Bobby ajoute une touche définitivement « hard SF militaire » à l’ouvrage. De même, on suivra Prax, ingénieur agronome qui assiste impuissant à l’enlèvement de sa fille (porteuse d’une maladie génétique nécessitant des soins constants) et à l’inéluctable déchéance de l’implantation humaine sur le satellite en raison de la déliquescence (sous la forme de cascades d’évènements) des différents systèmes qui formaient un parfait équilibre. Avec le Dr. Prax, le lecteur aura de la SF écologique relativement réaliste.

Le dernier personnage, celui qui apporte une dimension supplémentaire à ce roman, est sans conteste Avarasala, assistante au sous-secrétaire d’État Erringwright, second poste le plus important dans la politique terrienne. Car le récit de la vieille dame nous entraîne dans les arcanes de la pure politique, là où les factions se tirent la bourre  – bellicistes menés par l’amiral Nguyen, grand taré s’il en est, contre des groupes plus pacifiques dont Avarasala fait partie – et où les réseaux, la communication de crise, les renvois d’ascenseurs, les négociations tendues et autres sont de mise.

Avarasala, en fin animal politique, mène rapidement le jeu en accaparant d’autres protagonistes, notamment Bobby dont elle fait son assistante personnelle. D’agent de liaison Terre/Mars dans un premier temps, la Martienne voit son rôle dangereusement flirter avec la trahison pour sa patrie, tandis que les évènements qui se succèdent (et où il apparaît qu’une faction du gouvernement a un labo planqué avec la protomolécule) contraignent également Avarasala à se placer en dissidente.

Il en suit un roman plutôt dense, avec des subtilités qui renforcent la profondeur des personnages, en particulier la liaison entre James Holden et Naomi. Amos le mécano bourrin et Alex le pilote flegmatique complètent un équipage dont l’avenir est souvent remis en question : que sont-ils, comment fonctionner, et quel but doivent-ils poursuivre ? Les dernières pages, où la protomolécule sur Vénus semble créer une mégastructure (fin du monde ou nouvelle opportunité ?), laisse penser que l’équipe aura du pain sur la planche…

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Que vient foutre Caliban dans le titre ? C’est la manie de l’auteur, de faire des références littéraires, que ce soit la bible (le Léviathan) ou, ici, à Shakespeare. Caliban, dans La tempête, est un monstre doublé d’un serviteur opprimé. Et renvoie, dans le présent roman, aux enfants enlevés et transportés sur Io (un autre satellite de Jupiter) aux fins de leur inoculer la protomolécule avec un programme « de contrainte » pour qu’ils gardent leur forme humaine. Sauf que ces « serviteurs » (qui ont vocation à être utilisés comme puissantes armes) sont évidemment incontrôlables et attaquent sans discrimination. Caliban, enfin cannibale, quand on connaît la propension de la molécule extra-terrestre à absorber toute matière organique présente afin de…faire quoi au juste?

Un autre thème saillant est la gestion de l’urgence et du stress. Stress post traumatique pour Bobby à la suite d’une escarmouche dont elle n’a rien compris ; colère mal contenue de Holden qui soupçonne un temps Fred Johnson, le boss de l’APE, d’être derrière une nouvelle fuite de protomolécule ; terrible inquiétude de Prax dont la fille est comme dans une boîte de Shrödinger, et qui une arme à la main ne parvient pas à maîtriser ses émotions ; jonglage politicien de la part d’Avarasala qui doit composer avec des abrutis (les va-t-en-guerre, un chef d’entreprise – Jules-Pierre Mao – sournois, les représentants de Mars) et des moyens souvent limités pour empêcher une guerre ; bref tout le monde est mis à l’épreuve lorsqu’il faut réagir au quart de tour alors que l’information accuse 30 minutes de retard en raison des distances. La dernière bataille est une parfaite illustration, les belligérants (Mars, le vaisseau des héros, des navires terriens renégats, d’autres loyaux) ne sachant pas réellement sur qui tirer. Résultat : un beau ballet politico-militaire qui a plus du cafouillage (avec la musique de Benny Hill en toile de fond) que de la bataille conventionnelle.

Question gestion de stress, il faut signaler que dès que la protomolécule fait son apparition, la raison se carapate derrière le cerveau reptilien (Holden qui voit les funestes filaments noirs, ou l’amiral Nguyen pétant une durite en fin de bataille).

…à rapprocher de :

– Il faut hélas commencer par le premier tome, L’Éveil de Léviathan, avant d’envisager de lire ce tome. La suite, La Porte d’Abaddon, est moins bonne.

– La référence à Caliban m’a rappelé la dense histoire Ilium, suivie d’Olympos de Dan Simmons, mélange de SF et de littérature classique qu’il convient de lire une fois dans sa vie.

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