Joseph Kessel ne cessera d’étonner Le Tigre. Félix Kersten, le dernier des justes, masseur du chétif Himmler, devenu son ami et confident, qui est parvenu à sauver des milliers de personnes ? L’histoire est édifiante, et grandement servie par la prose de l’académicien. La question qui se pose après la lecture est terrible : est-ce vraiment un essai biographique ?
De quoi parle Les mains du miracle, et comment ?
Félix Kersten est un masseur hors du commun. Ce personnage rondouillard porté sur la bonne chère et au savoir-faire impressionnant (il a été l’élève d’un maître tibétain) va rapidement être très connu dans son domaine. D’où les demandes insistantes de personnalités européennes pour le soigner. Notamment celle d’Heinrich Himmler, Reichsführer de son état, proposition qu’il ne pouvait décemment pas refuser.
Or, Kersten est au long de ces années dans une situation plus que délicate. Né en Estonie, pays annexé par la Russie soviétique après la « Der des der », il a pris la Finlande comme pays d’adoption. Mauvais choix, il a du combattre les vilains Popov avant de choisir, comme pays d’élection, la Hollande. Cette dernière occupée par l’Allemagne, la réputation de Kersten sera très mauvaise dans la mesure où les fachos de ce pays lui en veulent à mort à cause de son amitié avec le roi et la reine (Wilhelmine), qu’il a brièvement soignés.
Entourés d’ennemis (au sein même des SS), le père de de famille va se lier d’amitié avec Himmler en n’hésitant pas à jouer la corde sensible du personnage : faire appel à son intelligence, le comparer aux grands héros germaniques moyenâgeux (Henri l’Oiseleur), et surtout le soigner aux bons moments. Le héros profite de ces moments privilégiés (sic) pour obtenir quelques menus avantages qui d’une liste de personnes à libérer, qui de faire travailler des prisonniers dans son domaine, et jusqu’à des actes plus conséquents (relevant de l’espionnage). Avec comme point d’orgue la rencontre entre Himmler et le membre du congrès juif mondial et la signature d’un « contrat au nom de l’Humanité ».
Sur le style de l’essai, bah ça reste du Kessel (donc c’est excellent). L’immersion est quasiment parfaite, l’auteur parvient à rendre compte d’une époque et d’enjeux de grande ampleur au travers du prisme d’un homme presque acteur malgré lui. Kessel a eu la chance de s’entretenir avec Félix Kersten juste avant qu’il ne décède, cet essai aurait bien pu faillir ne jamais voir le jour.
Ce que Le Tigre a retenu
Quelques mots sur Heinrich Himmler d’abord. La santé du malingre bonhomme est exécrable, son corps frêle est une boule de nerfs mal agencée. Son masseur, malin, joue avec ses douleurs et explique qu’il « psychosaumatise » les terribles missions confiées. Par exemple, il parvient à retarder (indéfiniment) la déportation du peuple hollandais vers la Pologne (pour l’anniv’ du Führer) en expliquant que cette tâche va le tuer. Dès qu’Himmler accepte cette idée, Kersten le soigne vraiment. Sinon, j’ai tilté devant la description de la bibliothèque d’Heinrich qui présente tous les textes religieux : ce dingue était censé constituer une nouvelle religion pour le Reich millénaire.
Ensuite, le lecteur apprendra deux-trois trucs sur le Führer en personne. Et c’est encore pire que ce que Le Tigre imaginait : syphilitique en phase presque terminale dont le cerveau atteint relevait de la maladie mentale ; brusques accès de colère où la dépression succédait à l’engouement ; enfin nihiliste total qui souhaite que tous, même le peuple allemand, soient exterminés. Les propos que rapportent Himmler de son maître sont hallucinants, c’est à se demander si Kersten n’a pas exagéré sur les bords.
Enfin, Le Tigre a eu un entraperçu du « bordel organisé » qu’est l’organisation SS. Bordel, parce que les ordres affluent de toute part et un coup de fil peut sauver, comme condamner (surtout ce dernier cas) des milliers d’innocents. Organisé toutefois, derrière l’agitation au siège de l’organisation on pressent l’implacable hiérarchie où tout ce petit monde doit bien rester à sa place. Le vieux Himmler qui gueule comme une pucelle quand Kersten lui propose d’aller à l’encontre d’un ordre du Führer est pitoyable, quand ça ne fait pas froid dans le dos. Quant aux glorieux plans du Reich millénaire, plus la débâcle avançait, plus les idées deviennent tarées (dépecer la France en transformant son nom, déplacement massif de populations, extermination de partout, etc.).
…à rapprocher de :
– Les essais sur le nazisme sont légion, et il convient de remarquer que ce sont avant tout les Anglo-saxons qui ont sorti les plus édifiants. Kessel semble, à mon sens, l’exception.
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