La paralysie du sommeil : pourquoi et comment ?

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les textes du TigreAlors on reste bloqué en pleine nuit, mi-réveillé mi-rêveur ? Des sons bizarres vous entourent et des formes plus ou moins menaçantes sont à votre chevet ? C’est même terrifiant ? Aucune crainte, c’est une paralysie du sommeil tout ce qu’il y a de plus bénin. Cela m’arrive souvent. Et cet état explique bien des choses en ce bas monde…

Paralysé et flippé

Nous nous souvenons tous de notre première fois. Pour ma part, c’est arrivé dès le début des vacances. Je ne parle pas de mon dépucelage, mais quelque chose de (presque) aussi fort.

Après une année à parcourir et devoir retenir des milliers d’informations tel un bœuf sillonnant laborieusement des hectares de cultures (ça s’appelle des classes prépa), mon cerveau avait besoin de ne rien faire pendant au moins trois semaines. Hélas, même dans la maisonnée familiale où tout n’est que bien-être, calme et copieux diners agrémentés d’un savoureux rosé des dunes, il est difficile de décréter une pause à la machine intellectuelle du félin – cette dernière adorant lancer à son hôte de nouveaux défis.

Et je me serais bien passé de ce que mon esprit fécond m’a concocté.

Première nuit d’un mois d’août de détente, donc. Le fauve se coucha après un tarot à cinq endiablé aux termes duquel il affichait un score négatif de (1 200). Faut dire que j’ai fait péter une garde contre avec un atout dans le chien en appelant le seul roi qu’on possède – pas vraiment une stratégie communément enseignée dans les cercles autorisés. Seul dans son lit, votre serviteur plongeait alors dans un sommeil aussi profond que mérité. Malgré la fessée prise au jeu de cartes.

Au milieu de cette nuitée de pleine lune (ce putain de détail aurait dû m’avertir), je me réveillai et regardai autour de moi. In petto, voici ce que je me disais :
– Rien à signaler en apparence, c’est bien ma chambre.
– Tiens, la lune est pleinement ronde ? Pourquoi pas. Mais alors comment se peut-ce que je la vois de mon pieu ?
– Volets et porte ouverte, mouais j’ai pourtant souvenir d’avoir tout fermé. C’est bizarre, le jardin est étonnamment net, l’herbe est trop nette et aucune touffe ne dépasse. Comme dans un jeu vidéo. C’est lugubre même. Manquerait plus qu’une nuée de chauve-souris passe dans le ciel.
[à cet instant précis, formidable souffle suivi d’un bon millier de ces bestioles volant dans le jardin]
– Oh merde, keskecèke cette chierie ? Y’a pas de chauve-souris dans cette région ! C’est un cauchemar. Pas de panique. Je n’ai qu’à me réveiller.
– Bordel à queue, je suis déjà réveillé mais ne peux bouger.
– Oh…c’est quoi ce truc qui a grondé dans mon cerveau ? Et qui est venu par vague ?
– Calme-toi, ça va passer. Un cauchemar qui se situe dans ma chambre. Sauf que je SUIS dans ma chambre, celle-ci est trop réelle pour que ce ne soit qu’un rêve. Je vois même mon tee-shirt posé sur la table de chevet. Une telle précision est louche.
– Heureusement qu’il n’y a pas des souris squelettiques qui se baladent sous mon lit, ça m’aurait bien fait flipper ça.
[là, vous savez ce qu’il est advenu. Un froufroutement organique s’est fait entendre, et une marée de choses noirâtres a filé de dessous mon lit jusqu’au jardin]
– Okaaaaayyyy…on va arrêter de penser à des trucs louches. Ne penser à rien. Laisser filer. Ne rien imaginer d’original ou d’inquiétant. Éviter, par exemple, de se représenter le Baron Samedi coiffé d’antennes en aluminium, faisant des cercles un segway et qui ricane des versets de la Bible tout en me fixant d’un œil borgne bioluminescent.
[là, je ne peux pas vous décrire ce que j’ai vu. Enfin si, je viens de vous en parler ci-dessus. Et, franchement, la vision était formidable. J’ai cru qu’il allait me bouffer]

Après dix bonnes minutes de ce régime, le vide total suivi d’un réveil, un peu groggy, vers dix heures du matin. Quelque chose m’était arrivé, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Ce n’est qu’après le déjeuner que tout m’est revenu, et sur le coup cela m’avait paru bien anodin. Au fil de la journée, j’avais du mal à croire ce dont je me souvenais. Tout à fait l’inverse d’un rêve.

En revanche, je n’avais aucune idée du pourquoi du comment du déclenchement de cet évènement si particulier. Je ne m’étais ni drogué, ni converti, et aucune pathologie connue aurait pu justifier tel désordre neurologique. Qu’est-ce qui avait changé en moi ? Rien. Rien de neuf dans ma chambre ? Non…à moins que…le responsable naturel de tout ce bordel ne pouvait être que l’attrape-rêve que sœur-panthère venait de m’offrir.

J’imaginais que cet artefact maudit avait été mal assemblé par des petites mains amérindiennes qui ont inversé l’ordre des mailles ou interverti les plumes entourant la toile, voire (pire) remplacé lesdites plumes par les poils de cul d’un chaman notablement colérique. Il en aurait alors résulté le contraire de ce pourquoi l’attrape-rêve avait été conçu : emmagasiner tous les cauchemars à dix kilomètres à la ronde, faire mijoter le tout en un rêve éminemment puissant puis l’inoculer au couillon le plus proche.

Je savais que cette explication était foireuse – notamment parce qu’il s’agissait de MES cauchemars. Malgré l’effroi naissant, je venais de vivre l’expérience la plus intense de ma vie – et ne venez pas me rappeler pas que c’était parce que j’étais puceau à l’époque.

Dès la rentrée, j’ai cherché à en savoir davantage sur cette chierie nocturne. Je n’ai pas mis longtemps à mettre un mot (merci les moteurs de recherche) sur cette affection, et ai pu profiter du check-up médical annuel pour solliciter l’avis du bon docteur. Lequel, en apparence ravi d’apprendre que je faisais parti des heureux élus, m’a tout de suite proposé de passer quelques nuits dans un hôpital pour mener quelques études – non rémunérées, cela va de soi. Toutefois, j’ai pu glaner quelques renseignements sur la paralysie du sommeil. C’est fascinant.

Parce que Le Tigre est aussi bien organisé que l’armée soviétique au lendemain de l’opération Barbarossa, je vous propose d’étudier les causes puis les manifestations de ce type de paralysie (appelons-là P.S.). Avec une rigueur scientifique aussi prégnante qu’un roman SF de scientologue.

Pourquoi le cerveau produit des hallucinations la nuit

Laissez moi vous conter ce qu’il se passe quand vous dormez. Pour grossir le trait, votre sommeil est constitué de plusieurs cycles, tous pareillement ordonnés. A l’acmé de ces cycles, il y a ce qu’on nomme le sommeil paradoxal, équivalent de la défragmentation de l’inénarrable disque dur qu’est votre esprit.

D’une durée d’une vingtaine de minutes, cette étape présente des signes d’activité particulièrement prononcés : mouvement désordonné des paupières, ondes têta au maximum, atonie musculaire, etc. D’ailleurs, quand on se souvient de ses rêves, c’est parce que nous nous réveillons en plein milieu d’une telle phase de sommeil – pas étonnant puisque le sommeil paradoxal a tendance à prendre de plus en plus de place à chaque cycle.

Maintenant, représentez-vous la situation suivante : votre cerveau vient de lancer la phase paradoxale et s’apprête à ouvrir les vannes de votre esprit torturé. Tout est paré pour le feu d’artifice neuronal qui, chaque nuit, a lieu de façon automatique. Aucune inquiétude, le process est bien rôdé. Sauf que…léger contretemps…vous vous réveillez. Le truc con. Le félin ne sait pas pourquoi votre corps décide de se mettre en branle, mais le résultat est là : yeux ouverts, sens en éveil.

Qu’à cela ne tienne : la procédure du sommeil paradoxal est initiée et ne saurait s’interrompre pour un si petit détail. Malgré votre état de conscience totale, les vannes de l’inconscient sont lâchées. La fête peut donc commencer.

Voilà donc la situation : le ciboulot se permet de se mettre dans un état associé à votre sommeil, sans avoir pris en compte de l’état d’éveil qui est le vôtre. Mais pourquoi ne pas se réveiller franchement ? Sans doute que vous êtes trop crevé, et votre inconscient n’a certainement pas envie de reporter à plus tard la phase paradoxale tant attendue – à l’instar du chiard qui préfère se pisser dessus qu’attendre d’être aux WC.

Néanmoins, il est quelques contingences qui font que cela vous arrivera plus souvent qu’à votre tour. Principalement si vous êtes stressé ou en position de faiblesse. Cela peut être le fait de dormir dans un nouvel environnement, de subir les affres du décalage horaire ou d’avoir un sommeil peu régulier. Ainsi, les périodes délicates à l’école/boulot et les changements conséquents de votre petite existence (déménagement, se faire larguer et dormir seul, un enfant qui vient de naître) sont susceptibles de contribuer à l’apparition d’une paralysie du sommeil.

Cela étant dit, comment déterminer si vous êtes victime d’une P.S. et non d’un cauchemar comme on en fait des milliers ? La réponse tigresque tient en trois mots : vous le saurez. Sérieusement, l’expérience est tellement forte que celle-ci est difficilement comparable à n’importe quel (piètre) délires de rêveur.

Les E.T. n’existent pas, c’est la paralysie du sommeil

Dis moi ce que tu ressens pendant une paralysie du sommeil, je te dirai qui tu es.

Mes félines excuses pour cette phrase putassière, mais ce n’est pas loin d’être le cas.

A la différence d’un rêve conscient qui se déroule au beau matin avant le réveil (et est facilement contrôlable), la P.S. consiste avant tout à un rêve éveillé. C’est-à-dire que votre inconscient, qui a les rênes sur vos sensations, risque de faire apparaître ce qui a une certaine importance à vos yeux. Hélas, étant donné que vous flippez à cause de ce qui arrive, ce sont plutôt vos peurs les plus primaires qui se pointent pour vous faire un petit coucou.

Pour ma part, mes premières hallucinations sont restées assez basiques. Cela consistait en la porte de ma chambre qui claque, suivi d’un souffle de vent très perceptible. Puis, la voix rocailleuse de ma prof de mathématiques qui disait quelque chose dans le genre « rangez votre cours, prenez une feuille ». Le stress ultime de l’interrogation surprise qui précède l’humiliation de la feuille restant désespérément blanche. Parfois, c’était la silhouette de cette même professeure qui se rapprochait de mon lit, tout en déclamant « Tigre, au lieu de regarder votre montre, allez donc au tableau, j’ai quelques questions à vous poser ».

Voilà pour l’auguste Tigre.

Maintenant, mettez-vous deux secondes à la place d’un paysan vivant au milieu du 15ème siècle dans un patelin paumé dans le Nord du Royaume de France. Le brave type. Appelons-le Jacques (si vous vous demandez d’où le mot jacqueries provient…). Jacques passe ses journées, dos baissé, à alternativement ramasser de l’orge et à nettoyer les godilles du seigneur local. Le mec qui écoute, chaque dimanche, les sermons du curé de la paroisse. Qui prie avec une régularité d’horloger, en particulier lorsqu’il se sent patraque. Le barbu dont l’univers personnel ne va guère au-delà de la trentaine de kilomètres à la ronde.

Lorsqu’une paralysie du sommeil tombe sur notre bon Jacques, il est légitime que celui-ci panique. D’où peut venir une chose aussi inconnue et délirante ? Comment l’expliquer ? Une pression terrible, l’ombre mouvante,… Dans l’esprit de Jacquot…mais oui…cela ne peut être qu’un fantôme…ou la vieille du coin qui se révèle être une sorcière…ou…pire…le diable en personne venu prélever son âme. Quoiqu’il en soit, l’intervention ne peut être que surnaturelle.

Dans le cas où Jacques est une figure d’autorité dans le patelin, il n’est pas impossible que, dès le lendemain de cette traumatisante expérience, il ne se sente plus pisser, décroche son biniou de la cheminée, sonne l’olifant et déclare à ses contemporains que des forces maléfiques œuvrent dans la zone. Et qu’il faut brûler quelques sorcières pour faire bonne figure – hypothèse la plus sage. Étant donné que les paralysies n’arrivent rarement deux soirs d’affilée, Jacquot y verra la confirmation du bien-fondé de ce qu’il a entrepris.

Si la personne est dans de très bonnes dispositions psychologiques, elle va plutôt y voir une œuvre bienveillante. Voilà pour les apparitions divines.

Tigre va terminer avec une dernière petite histoire. Avançons de cinq siècles, de l’autre côté de l’Atlantique. Le Nouveau Monde. Représentez-vous un Américain moyen (nommons-le Jack) dans un État central des States. Le genre qui a appris à craindre le péril rouge. Mais les cocos sont loin. De toute façon, Jack ne risque rien dans son paisible bourg qui n’a même pas de drive-in theater. En revanche, les phénomènes surnaturels sont légion dans son pays. Mais Jack ignore que son gouvernement teste toute sorte d’aéronefs et lance des ballons-sonde tel un gosse des pétards un 4 juillet. Aussi, Jack tend à croire les théories de visites extra-terrestres, plutôt en vogue à la fin des années 40. Faut dire que c’est nettement plus bandant qu’un banal avion ou d’assommantes explications scientifiques sur des phénomènes atmosphériques.

Lorsque Jack est en proie à une P.S., sa première interprétation a de grande chance d’être la moins adéquate. L’ombre ne met pas longtemps à se transformer en chose vaguement verdâtre avec des gros yeux et un visage en V. Dès la deuxième vague qui inonde son cerveau, un deuxième être venu des étoiles peut se montrer. Troisième vague, pourquoi pas un autre ? Et tout ce petit monde s’approche, inéluctablement, pour l’étudier. Quatrième vague paralysante, l’Américain se demande ce qu’il pourrait lui tomber sur la gueule. D’après ses références culturelles, c’est plus ou moins le moment pour être transporter dans un vaisseau spatial. Par téléportation. A que cela ne tienne ! Le cerveau de Jacky est capable de tout. Aussi sa chambre se mue en une immaculée salle d’opération d’une foudroyante blancheur.

Voilà comment subir un enlèvement par des extra-terrestres. Le plus beau, à mon sens, reste que ces personnes y croient dur comme ma gaule. Ainsi, les détails sont suffisants et relativement permanents pour que Jack soit, par exemple, interrogé sur une chaîne de TV grand public et asséner, avec un aplomb digne d’un politique, qu’une bande de petits bonshommes à la peau verte ont fait mumuse avec votre corps.

Fin du fin : si ce cher Jack est plus ou moins constipé (voire refoulé d’un point de vue de son orientation sexuelle), je vous parie que son abduction a notamment consisté en quelques expérimentations où il a été question d’une sonde anale ou tout autre délicieux instrument d’inspection. Un truc forcément malsain qui triture le fondement sous le regard désabusé de scientifiques non-humains aussi passibles qu’un chirurgien pratiquant sa cinquième vasectomie de la journée – tout en appréciant, l’air de rien, le spectacle.

C’est bien connu : les E.T. adorent faire aux humains ce que ces derniers justement craignent qu’on leur fasse.

Conclusion pétrifiée

Ombre menaçante se dirigeant vers vous, souffles rauques à quelques centimètres de votre visage, environnement immédiat qui se met en branle, ne cherchez plus : vous faites partie des happy fews qui se payent une paralysie du sommeil. Fierté.

En ce qui concerne le félin, au bout de la cinquième il n’était plus aussi fier. Il commençait même à en avoir sa claque. Et supputait que quelque chose pouvait être entrepris par rapport à ces « terreurs nocturnes » – attention, cette dernière expression renvoie à quelque chose d’autre et dont le sujet ne se souvient pas.

Dans un billet à venir, Tigre s’adressera aux pauvres hères victimes de P.S. Pour leur « enseigner » comment les gérer et en faire de fabuleuses expériences que vous attendrez avec gourmandise.

2 réflexions au sujet de « La paralysie du sommeil : pourquoi et comment ? »

  1. Bonjour.

    Pour ma part ma première (et pour l’instant derniére) PS était plus simple. Bon, il faut dire que mes plus grandes peurs étaient de ne plus jamais pouvoir bouger ou communiquer.

    Comme c’est déjà le cas à ce moment, mon être conscient tentait de toute force de forcer le corps à sa volonté, tandis que mon connard de cerveau faisait de l’obstruction.

    Pour les petits hommes verts, il y a une autre explication (non exclusive), qui consisterait en de micro phases de réveil lors d’une opération. Tout y est, la salle blanche, les hommes (en) vert, les sondes désagréables et l’incapacité de bouger et de comprendre du au cocktail alors présent dans votre sang.

    • J’avais déjà lu cette théorie, laquelle par ailleurs complète le billet : un patient peut subir un stress post-opération des années après, et les souvenirs enfouis de ces micro-réveils surgissent avec une étonnante clarté lors d’une phase de P.S. Mais il faut, à mon humble avis, un épisode de paralysie du sommeil pour rendre l’expérience plus « réelle » – sinon, il s’agit d’un banal cauchemar.

      Si ça vous reprend, laissez couler. A la lutte corps/esprit, et peu importe lequel des deux gagne, vous serez toujours perdant.

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