Robert Harris – Fatherland

Pocket, 424 pages.

Robert Harris - FatherlandVO : idem. Classique du noble genre littéraire qu’est l’uchronie, encore une fois l’Allemagne nazie est sortie (quasiment) victorieuse du dernier conflit mondial. Le lecteur, en suivant les pas d’un policier tout ce qu’il y a de plus normal (problèmes familiaux compris), sera au cœur d’une terrible machination. Le Reich aurait commis des choses pas catholiques dans le passé – vraiment ?

Il était une fois…

Sauf erreur de ma part, les quatrièmes de couv’ des différentes éditions spoilent gravement – même si on se doute du fin mot de l’histoire. Voilà la version tigresque, naturellement expurgée :

Nous sommes au beau milieu des années 60, et le troisième Reich se porte plutôt bien. La capitale millénaire, Berlin, se prépare à fêter l’anniv’ de ce bon vieux Hitler (plus de 70 berges au compteur, avec les amphèt’ prises depuis les années 30 c’est peu crédible…), et le führer aimerait bien conclure un traité de paix significatif avec Kennedy (pas celui qu’on connaît). Les Juifs ont été dégagés vers l’Est, et la résistance soviétique ne consiste qu’en quelques actes de guérilla. A côté de ça, il y a le subalterne Xavier March, inspecteur de la police chargé d’enquêter sur les meurtres de deux grosses huiles SS de la période de la guerre. Xav’ sent qu’il met le doigt (puis le reste) dans un bourbier pas possible, mais il est loin d’être au bout de ses surprises…

Critique de Fatherland

Voici l’archétype parfait d’un roman uchronique teinté d’une correcte intrigue policière, tout ça dans un environnement suffisamment oppressif pour donner quelques sueurs froides. Tellement classique, d’ailleurs, que Le Tigre s’autorisera à survoler l’intrigue pour livrer une analyse plus personnelle – cf. partie suivante.

Le héros est tout ce qu’il y a de plus normal, jusqu’à ce qu’on lui confie une mission en apparence banale : savoir qui a occis deux officiers nazis ayant eu des postes à responsabilités pendant la seconde guerre mondiale. Sauf que ce vers quoi se dirige notre ami est en parfaite contradiction avec les visées géopolitiques du grand Reich dédiabolisé : Kennedy s’apprête à rendre visite à Hitler en vue de conclure une paix honorable, toutefois les actes que s’apprête à lever l’enquêteur sont de nature à horrifier le monde – si j’évoque de la conférence de Wannsee, vous voyez ce que je veux dire ?

Quoiqu’il en soit, Xavier March, malgré les diverses pressions qu’il subit, remonte tranquillement le fil d’une partie infâme de l’Histoire, jusqu’à partir du grand Berlin (reconstruit par les bons soins de Speer) pour visiter la Suisse (qui est restée neutre). La fin, prévisible et qui aurait mérité un traitement moins « happy ending », n’empêche pas de trouver ce roman globalement bien foutu – aidé par un chapitrage savamment dosé. Peu de risque à se le procurer donc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

On sent que l’auteur britannique a suivi ses cours d’Histoire et est parvenu à bien cibler la culture nazie et ses nombreuses manifestations. Politique, culture, société, Harris a pensé à presque tout les aspects de ce que pourrait être un monde gouverné par une des pires (la pire, même) idéologies fascistes qui a, pour l’instant, jamais existé. Ce serait presque un livre d’histoire.

De manière plutôt intelligente (je m’en suis rendu compte après), l’auteur a laissé quelques zones d’ombres à l’attention du lecteur. Qu’est-il advenu de Staline ? Qu’en est-il avec l’Afrique ? Comment est gérée la résistance russe à l’Est du pays ? A quoi sert l’Amérique du Sud ? Ces questions en suspense, et bien d’autres, ont laissé au Tigre une marge d’imagination, ce qui a finalement constitué un léger plus – en outre, je me doute que ça a grandement arrangé l’auteur.

Le dernier thème concerne la crédibilité générale du présent titre. Deux remarques, notamment, sur ce qui peu faire une uchronie à laquelle il est difficile de croire. D’une part, comment l’Allemagne peut-elle réussi à cacher l’holocauste ? Je ne dis pas que c’est impossible, le négationnisme possède des ressources presque infinies. Mais de là à supprimer la rumeur de l’exécution en masse (pour la remplacer par une déportation), à peine vingt ans après les faits, Tigre n’y croit guère. Il ne suffit pas de décapiter les officiers généraux pour taire cela, cacher la shoah aurait (à mon sens) nécessité de tuer des milliers d’Allemands – et ça se serait remarqué.

D’autre part, il fut difficile au félin de saisir l’acharnement du héros à vouloir, coûte que coûte, trouver le fin mot de l’histoire. La SS, les politiques, tous lui font comprendre qu’il devrait rebrousser le chemin de son enquête. Que dalle, il continue à ses risques et périls (et ceux de sa famille). Sans vouloir passer pour un lâche, je ne peux m’empêcher de penser que March, s’il était sain d’esprit (il en a tout l’air pourtant), aurait dû gentiment  fermer sa gueule et chasser le criminel de droit commun plutôt que des assassins engagés par Hitler.

…à rapprocher de :

– Ze référence en la matière reste Le Maître du Haut Château, de Philip K. Dick. Point barre.

– L’Allemagne nazie en passe de gagner la guerre, et en BD, c’est Block 109 (de Brugeas & Toulhoat) et ses suites.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

5 réflexions au sujet de « Robert Harris – Fatherland »

  1. J’ai vu le téléfilm tiré du roman, et qui est franchement très sympathique. Par contre on peine en effet à rester crédule lorsque le twist final est révélé aux personnages. Seule l’émotion sur la pellicule permettant de maintenir l’illusion.

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