Serge Brussolo – Frontière barbare

Folio SF, 432 pages.

Serge Brussolo - Frontière barbareTrop court et trop dense, plus de 400 pages pourtant, comment est-ce possible ? Ce roman peut se dévorer en une journée et laissera plus d’un lecteur KO face aux nombreuses problématiques abordées. Un Français qui fait de la très bonne SF, c’est toujours plaisant, et Brussolo a une imagination de dingue (qu’hélas il n’est pas toujours en mesure de dompter).

Il était une fois…

Dans un futur indéterminé, David Sarella est ce qu’on appelle un exovétérinaire. Pour faire simple, il est dépêché par l’Organisation des planètes unies sur des mondes éloignés afin de soigner des grosses bêtes de guerre (comme celles en couverture) dopées aux amphétamines et qui font n’importe nawak. Car il faut laisser les locaux s’entre-tuer mais avec courtoisie, c’est-à-dire dans des conditions telles que ça n’abîme pas la planète. Par exemple, dans des grandes salles souterraines de cinq kilomètres de long. Accompagné de sa femme Ula (pas tout à fait humaine) dans une énième mission, le bordel ambiant est un peu plus grave que d’habitude.

Critique de Frontière barbare

Mon premier Brussolo, joie ! Je pensais le gus plutôt porté sur le thriller, or Tigre ne mange guère cette nourriture lorsque produite en France. Et là, j’en ai eu pour mon argent. Frontière barbare, ce n’est ni de la hard SF, ni du space opera, seulement un roman d’anticipation bien (trop ?) conçu qui ne s’encombre pas de descriptions inutiles scientifiques. Seul comptent les hommes et leur misérable existence dans un univers souvent moribond.

Il n’est pas évident de ne pas spoiler dans ce roman, toutefois il faut savoir que la femme du héros occupe une place centrale. Dans la première moitié de l’œuvre, on apprend qu’elle possède une partie des gênes « New Viking » (du nom d’une race E.T. fort bagarreuse), aussi elle a un impétueux besoin de s’engager dans des activités pourvoyeuses d’adrénaline (du gang-bang bien dégueu à participer à un conflit ouvert) en plus d’émettre des phéromones qui excitent son entourage. On se doute que ça va mal finir.

La seconde partie du roman, à mon sens, prend corps quand justement « ça finit mal ». En effet, notre héros se verra assigner un nouveau but, et les embûches rencontrées auraient mérité une saga complète. Nom de Zeus, avec le nombre d’idées géniales qui fourmillent dans ce roman, il y avait matière à en faire dix. C’est comme un morceau de musique d’Infected Mushroom, y’a assez pour faire un album entier. Et là réside en partie le problème.

Tout ceci est trop dense, que ce soit les considérations sur l’art de la guerre par les autres races à la traversée d’un désert vers une cité d’anciens, tout en passant par la description d’un village « maléfique » fait de nanoparticules, Tigre s’est régalé mais aurait paradoxalement préféré que cela dépasse 500 pages (ou la sortie en plusieurs tomes).

Une excellente expérience littéraire, toutefois une amère saveur de survol sans aller au fond de problématiques fascinantes (surtout la fin, vite expédiée).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La gestion froide et médicale des sentiments. D’un côté, il y a le nécessaire. Comme les doses de cheval que s’administre David (et qu’il donne à ses deux gosses) pour éviter l’hyper agressivité et la dépendance à ce que sécrète Ula. Ou alors les produits fortement conseillés pour éviter le chagrin, considéré comme inutile dans le futur. De l’autre côté, il y a ce qui choque, comme la disparition programmée du lien parental puisque les enfants peuvent choisir de ne pas être élevés par leurs géniteurs. Les efforts pitoyables de David vis-à-vis de ses enfants sont immensément tristes à lire.

Le métier du héros, qui est aussi un éthologue de talent, permet de comprendre l’Homme au travers d’autres paradigmes. Ses discussions avec un membre d’une espèce (un Anabassi) sont édifiantes, par exemple comment ne pas pouvoir s’adonner au noble art de la guerre signifie la perte d’un élan vital.  En outre, il faut dire que l’Humanité fait montre, dans le futur, de défauts bien contemporains, notamment par le biais d’Akênon, prêtre d’une religion toute puissante que tout lecteur apprendra à détester (alors qu’il œuvre pour quelque chose d’assez grand au final).

Pour me la péter et enculer les mouches en guise de conclusion, voici ma modeste analyse du titre. La frontière barbare, ce ne sont que les territoires bordéliques et guerriers où exerce le héros. Il s’agit également de sa femme qui n’est plus vraiment humaine et qu’il tentera de ressusciter d’après ses souvenirs sur une planète astucieusement nommé Memoriana. Ce geste, provoqué autant par l’amour que le manque physique, est mûrement réfléchi mais foireux par essence. Car se comporter, même brièvement, comme une divinité, n’est pas conseillé lorsqu’on reste un barbare.

…à rapprocher de :

– Ce roman est, à mon sens, infiniment meilleur que son recueil Trajets et itinéraires de la mémoire (trop vieux).

– Dans la catégorie des espaces qui blessent, Tigre pense au village visité par un des protagonistes dans le premier roman des Cantos d’Hypérion, de Dan Simmons.

– La quête finale m’a rappelé, très brièvement, l’intrigue de Simetierre, de Stephen King.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

6 réflexions au sujet de « Serge Brussolo – Frontière barbare »

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  4. Je vais tacher de trouver ça d’urgence!
    Sur la densité des idées et le regret que ce soit trop court, ça me rappelle « La Mort du Roi Tsongor » de Laurent Gaude. Beaucoup trop court compte tenu des idées survolées, et des aventures éludées au tractopelle…

    • Lu sur ton conseil Cher Tigre.
      J’avoue que j’ai été très moyennement emballe. Le personnage principale qui chouine tout le temps. Un scenario ultra-lineaire (une simple succession de problèmes résolus des le chapitre précédent), une quête un peu pathétique et inutile et une fin qui sent le bâclé.
      J’oublie les scenes et evocation de sexes qui tiennent plus du racolage qu’autre chose.
      Et une foule de personnages sans caractère qui apparaissent et disparaissent sans aucune raison narrative, avec des détails et des comportements qui ne sont absolument pas exploites ensuite.

      Bref, desole cher Tigre, mais j’ai trouve ca super bof. Le bouquin n’a tenu sa survie dans mes mains qu’a l’aura dans laquelle tu l’avais emballe.

      • Que c’est joliment dit ! Désolé de t’avoir induit en erreur, ce n’est pas pour le style ou la structure narrative que j’avais pleinement apprécié ce roman. Seulement pour les idées qu’on peut y puiser. Y’a des scènes de sexe ? J’avions point remarqué. Pour me faire pardonner, va donc taper du côté d’Alastair Reynolds : question quête ultime, tu seras servi.

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