VF : Sorcyaires (traduction respectant l’orthographe foireuse). Un mal aussi vieux que terrifiant ronge une petite contrée où s’installe une famille qui cache quelques secrets peu reluisants. Les sorcières existent bel et bien et n’ont rien des petites vieilles s’excitant autour d’une marmite avec le sempiternel chat noir à leur côté. Premier opus aussi choquant que diabolique, il y a de quoi avoir de solides sueurs froides.
Il était une fois…
La famille Rook change de vie. La fille, Sailor, aurait tué une de ses camarades qui la harcelait. Pour fuir cette ambiance délétère, la smala s’installe dans une petite bourgade à l’orée d’une forêt. Hélas, un mal ancien peuple ces contrées et semble en vouloir à la petite Sailor à qui un chancre pousse dans le cou.
Critique du premier tome de Wytches
Bordel à queue. Il est rare que je lise deux fois d’affilée une bande dessinée, c’est dire la qualité de celle-ci. Scott Snyder est parvenu à s’approprier le mythe de la sorcière pour en faire une créature d’une dangerosité toute flippante. Monstres sans âges aux pouvoirs terrifiants, vivant dans des repères souterrains auxquels on accède en traversant des arbres, sortant récupérer quelques chérubins pour les bouffer, brrrr. Sérieusement, c’est même dérangeant sur les bords à mesure que les six chapitres se déroulent et développent, entre deux souvenirs, des problématiques d’envergure sur la notion du mal à l’état pur.
Sauf que l’auteur ne nous plonge pas directement dans le bain des sorcyaires. D’abord, la présentation d’une fragile famille. Lucy, mère paraplégique clouée sur un fauteuil ; Sailor, jeune fille au caractère bien trempé mais qui a la sensation de perdre la tête (et d’entendre des voix) en raison de l’apparition d’un gros bouton dont elle ne peut se défaire. Et Lucy se fait enlever. Ça sent le sapin. Heureusement, le père Charlie sera aidé (coaché) par une femme chauve qui a déjà eu affaire aux Wytches. Crème d’invisibilité, indications quant aux actions à mener, indices sur la psyché de l’ennemi, le protagoniste aura bien besoin de ces conseils dans la mesure où ces êtres tiennent sous leur coupe une belle partie de la population – quelques belles surprises dans les deux derniers chapitres.
Parlons maintenant des illustrations. Parce que le père Jock, parfois aidé de Matt Hollingsworth à la couleur (si je ne me trompe pas), a eu la main particulièrement heureuse : aquarelle, acrylique, crayon négligé, tâches baveuses aux couleurs ocres et jaunâtres ? Un peu de tout mon général ! La lisibilité en prend cependant un petit coup, aussi ne cherchez pas une logique dessinatoire dans certaines scènes qui peuvent paraître excessivement ternes – Le Tigre pense au passage dans la grande roue qui m’a correctement fait bailler. Paradoxalement, le trait sait se faire plus limpide, à la limite de la ligne claire lorsque l’horreur pure (celle qui ne met pas forcément en scène les monstres) se dévoile et laisse le lecteur hagard. Bref, c’est varié et reconnaissable entre mille.
Ajoutez à cela un texte simple et parfois emberlificoté dans différentes narrations (flashbacks ou instant présent, les dialogues s’appliquent en même temps), le malaise est complet. Une totale réussite qui est sans doute due à votre serviteur : ce premier tome a su titiller une peur primale du félin. Gosse, j’avais une trouille bleue des sorcières, et ai mis un temps anormalement long à ranger ces bestioles dans la catégorie des gentilles histoires. Toutefois, Snyder et ses compères ont réussi à réveiller quelques phobies tigresques avec cette histoire réaliste – malgré des scènes too much comme la descente dans le chaudron ou l’aspect cauchemardesque, ou arachanocentré, des créatures.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’impressionnant pouvoir des sorcières repose notamment sur le péché d’envie qui habite tous les humains. Comme une idée tenace, pire que le suicide, qui colle à l’esprit de toute personne en plein désespoir. Et cela se sent chez les Wytches qui rappliquent pour vous proposer leur aide moyennant une « promesse » que vous regretterez bien vite. Cette capacité à exaucer n’importe quel vœu est mise en parallèle, par Snyder, grâce au jeune héros imaginé par Charly à qui rien n’est refusé : le garçon ne met pas longtemps à se rendre compte que la vie perd de sa saveur et devient sans objet dès lors que rien nous ne résiste – savoureuse mise en abîme sur laquelle aurait pu davantage jouer l’auteur.
La violence égoïste (voire l’inhumanité) ne se situe pas que du côté que des sorcyaires, les personnages humains croisés restant le vecteur naturel des bassesses de ce monde. En effet, nourrir les monstres n’est possible que grâce à la trahison de certains qui ont préféré pactiser avec le démon par facilité. Et il est vrai que la tentation est grande. Le deal proposé à Charly en fin d’ouvrage est séduisant en diable, plus d’une personne pensera que se soumettre est la solution naturelle. Le douloureux rappel des précédents comportements du père vis-à-vis de sa fille entretient la faillibilité des personnages qui ont tous quelque chose à se reprocher. Tous ? Sailor semble bien être la seule exempte de reproche et mérite sûrement de monter sur le podium des héros d’une aventure qui ne laissera personne indemne – physiquement, je ne sais pas, mais moralement, les tâches sont indélébiles malgré ce que promettent les sorcières.
…à rapprocher de :
– Heureusement que des BD parlent de sorcières victimes qui ne demandent qu’à vivre en paix : Silence, de Comès, se doit d’être lu.
– Il faut convenir qu’avec Snyder et Jock, on est en droit de s’attendre à du glauque et des frissons. Même avec un héros comme Batman dans le comics Sombre reflet (âmes sensibles s’abstenir).
– Un autre scénario moite et sale, pour un héros qui ne met pas vraiment à l’aise, c’est la saga Swamp Thing de Snyder encore (tome 1 et tome 2 sur le blog).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.
Ping : Snyder & Paquette – Swamp Thing, Tome 2 : Liens et Racines | Quand Le Tigre Lit
Ping : Snyder & Paquette – Swamp Thing, Tome 1 : De Sève et de Cendre | Quand Le Tigre Lit
Ping : Snyder & Jock & Francavilla – Batman : Sombre reflet | Quand Le Tigre Lit