Sofi Oksanen – Purge

Le Livre de Poche, 429 pages.

Sofi Oksanen - PurgeVO : Puhdistus. Oksanen, écrivain finlandaise ayant d’évidentes souches estoniennes, livre un ouvrage assez poignant sur l’histoire de l’Estonie des années 40 jusqu’à la chute de l’URSS. Roman âpre et dur, Le Tigre a eu le temps de trouver le temps long, même si l’ensemble est de fort bonne facture. Ne vous attendez ni à de l’humour ni à de la fantaisie.

Il était une fois…

Fin année 1992, Estonie. Une jeune femme, Zara, échappant à ses macs la prostituant en Allemagne, échoue dans une ferme tenue par la vieille Aliide. Cette dernière est plus que méfiante eu égard aux bouleversements géopolitiques en cours dus au départ des Russes. Pourtant la jeune prostituée va se faire accepter, progressivement le lecteur découvrira le lien très spécial unissant les deux femmes, sur fond de résistance estonienne et de trahisons en tout genre.

Critique de Purge

429 pages, ça peut sembler court et pourtant l’immersion est parfaite. Se concentrer sur un petit pays d’Europe et suivre quelques personnages sur une cinquantaine années, peu d’ouvrages peuvent se targuer de faire de même. Le titre laisse songeur. On pense tout de suite aux purges que le père Staline affectionnait particulièrement, mais aussi au fait de purger son esprit de tout ce qui peut ronger les protagonistes.

L’histoire est loin d’être rose. Une vieille femme craintive et seule, une jeune fuyant l’esclavage moderne. Tour à tour victime ou bourreaux, le lecteur suivra ces deux personnages, surtout Aliide, à des moments particuliers de leur existence. Et l’histoire de l’Estonie avec.

La narration est loin d’être chronologique, et le lecteur étourdi qui oubliera les dates indiquées au début de chaque chapitre ne passera pas un bon moment. Le Tigre a cru parfois sauter du coq à l’âne, impression fugace qu’il manque quelques chapitres au roman. L’histoire s’accélère dans les cent dernières pages, rendant le chapitrage un peu plus court, voire plus digeste.

Car le style, hélas, est loin d’être parfait. A moins que ça ne soit la traduction, où l’estonien et le Russe se mélangent. Sophie (il m’arrive de franciser les noms) Oksanen expose un sujet qui semble lui tenir à cœur (l’explosion d’une famille sous un régime dictatorial), et Le Tigre a eu parfois du mal à suivre ses envolées lorsque notamment une des héroïnes est au bord du désespoir. Sans parler des miséreuses descriptions des faits et gestes de la vieille, sacrément longues, et de l’omniprésence des odeurs.

Au final l’histoire de Zara semble être surtout un faire-valoir destiné à faire écho à celle d’Aliide, et le déséquilibre entre les scénarios de ces deux protagonistes est évident. Quant aux « rapports » des services soviétiques livrés à la fin de l’œuvre, soit j’ai zappé quelque chose, soit je deviens de plus en plus difficile sur les révélations dans un roman.

Bref, à lire sans grande conviction, et surtout en moins d’une semaine.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le Tigre n’hésite pas à honteusement piller deux thèmes soufflés par le 4ème de couverture.

Les totalitarismes, surtout le communisme dans un petit pays qui tente tant bien que mal de lutter. Pays assez anti-communiste dans les années 30, la République d’Estonie a eu très peu de moments de pure liberté, un peu à l’image de la Pologne. Le totalitarisme à l’échelle du pays est ici peu abordée, on est avant tout dans la répression vue par une famille. Rumeurs, suspicions qui ne partent que d’un détail, interrogatoires au cours desquels les tchékistes laissent s’exprimer leurs bas instincts, c’est révoltant tellement l’existence ne tient à pas grand chose.

La prostitution. L’histoire de Zara, plus courte car bien plus jeune qu’Aliide, n’en est pas moins bien construite. Promesse de travailler à l’Ouest, (très) loin de Vladivostok, désillusion, difficile apprentissage du métier, dette vis-à-vis de ses deux patrons qui n’est pas censée se résorber, passeport confisqué, clients douteux, blessures (physiques et psychologiques), honte réprimant la force de fuir, détachement progressif, usage de drogues pour tenir, on attend de lire les épisodes sordides, ceux-ci arrivent en temps et en heure, sans fard.

La trahison, et la peur en résultant. L’histoire d’Aliide est celle de la jalousie, de l’envie et au final du coupable silence. Tout ça en famille ! Et derrière la convoitise la poussant à de tels actes, c’est un engrenage de mensonges et d’actions encore plus moralement douteuses pour ne pas plonger dans la catastrophe. Le sentiment de culpabilité, la peur du retour des déportés, les raisons de mal dormir ne manquent pas. Sans spoiler, on peut dire que l’histoire de Zara et son arrivée chez la vieille dame permet en partie de « purger » la dette de la vieille femme envers les siens. D’où peut-être le titre.

…à rapprocher de :

– Sur la vie même sous le totalitarisme soviétique, il y a d’excellents extraits dans La trilogie des jumeaux, d’Agota Kristof. Encore plus sombre.

– Des flashbacks historiques sur fond d’empire soviétique, le tout mâtiné d’une petite trahison, Le Tigre se souvient du Club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia, roman un peu plus haletant.

– Pour comprendre un peu mieux l’URSS, et pourquoi les soviétiques ont, entre autres, « satellisés » sans vergogne les pays baltes, je vous renvoie à Que reste-t-il de notre victoire ?, de Natalia Narotchnitskaia.

– La méthode de double narration temporelle n’est pas sans rappeler L’homme du lac (auteur islandais).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

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