Quand deux bonnes copines aux inclinaisons saphiques passent une semaine dans un camping nudiste/libertin, y’a moyen que ça canarde dans tous les sens. Mais lorsque leurs extases sexuelles les font sauter des niveaux de pensée, on peut légitimement se demander si un petit malin n’a pas versé des hallucinogènes dans l’eau des pâtes. Indubitablement à lire au second degré…à moins que vous vouliez croire en la méditation (et la transcendance) par le sexe.
Il était une fois…
L’avantage, avec les quatrièmes de couverture des bouquins édités par des indépendants, c’est que ceux-ci sont sobres et ne survendent pas la marchandise. Exemple ici :
« Charline et son amie Groseille vont passer leurs vacances au Ran du Chabrier, un camping naturiste du sud de la France. Ensemble, elles vont se livrer à de multiples orgies, des rencontres sexuelles inédites, qui leur feront découvrir bien plus que le plaisir issu de la mécanique des corps.
Car Groseille, habituée des lieux, a une idée en tête. Elle souhaite initier son amie à des jouissances qui surpassent celles de la simple chair. Elle sait que les rencontres débridées se déroulant dans ce lieu magique permettent d’accéder à une dimension spirituelle de la sexualité. »
Critique d’Orgasme cosmique au Ran du Chabrier
Soyons organisé…par quoi commencer ? L’auteur, tiens. A l’origine, Sylvain Lainé est un peintre dont les thèmes paraissent porter sur l’érotisme. Un bon vivant porté sur la chose, qui au cours de ses pérégrinations libertines a certainement eu matière à raconter. Parmi ces voyages sensuels, j’imagine que le gars a passé un trrrrèèès agréable séjour au Ran du Chabrier, camping naturiste aux mœurs légères au cœur de l’action de son ouvrage – endroit qui existe pour de vrai, sans faire de publicité.
Evoquons ensuite le style d’un bouquin écrit par ce primo-écrivain. Le félin n’a pas peur de dire que c’est de la franche pornographie à l’intérêt littéraire relativement limité. Les termes sont crus (c’est moite, ça jouit, ça tamponne le fond de la cage à trésor, ça y va de ses commentaires grivois mais globalement respectueux) mais…en même temps Sylvain L. écrit comme s’il rendait hommage à la bibliothèque rose des éditions Arlequin avec des tournures de phrases et réflexions profondes des protagonistes – tout en insistant avec un décalage entre un Paris froid et distant et le sud libre, sensuel et chantant.
Parlons enfin de nos deux héroïnes et de la manière dont leur esprit s’élargira autant que leurs…enfin vous m’avez compris. Groseille, la pulpeuse brune cochonne sur les bords, convie sa jeune amie Charline (réelle héroïne du roman), fille sensible qu’on devine blonde légèrement coincée sur les bords. Pas tant que ça puisqu’à peine sur la route nos deux ingénues chaufferont un vieux restaurateur pour qu’il leur broute le minou – scène à peine catapultée qui a eu le mérite de me titiller le bas ventre. Quant au Ran du Chabrier, les plaisirs de la chair sont si puissants que certains participants, dont les chakras explosent de bonheur, se mettent à débiter des conneries new-age.
C’est à ce moment que le lecteur qui a su garder le contact avec l’ouvrage après une centaine de pages aura deux réactions. Soit vous vous pissez dessus d’ennui face aux réveils macroscopiques des consciences vers un infini déifié où tout n’est qu’amour, partage et communication astrale ; soit vous trouvez extrêmement intéressante l’approche du bonheur de certains à l’aide d’expériences sexuelles libertines où l’orgiaque, le BDSM et la douce camaraderie se mélangent dans cette zone hors de l’espace et du temps.
Pour ma part, le dernier tiers du roman part tellement haut dans la sucetterie (cf. dernier thème) que je me suis demandé si Lainé ne se foutait pas un peu de ma gueule. Après l’avoir lu à voix haute à sa tigresse, votre serviteur est parvenu à l’endormir assez rapidement – elle faisait un drôle de bruit en dormant, mi-ronflement mi-gloussement. J’ai cru voir dans l’écriture de l’auteur un second degré, ou du moins une parabole sur l’utilisation excessive de LSD dans les rave parties et la manière dont un accroc du sexe se justifie auprès de sa conquête afin que celle-ci mélange ses fluides avec le premier venu. En parlant de fluide, heureusement que la narration l’est, la manière dont les concepts fumeux en apparence coulent dans le cerveau est plus que surprenante.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Comme l’explique le quatrième de couverture, le Ran du Chabrier est en effet le temple de l’amour libre, celui qui ne connaît ni jalousie ni possessivité. Chacun est libre de baiser (et de ne pas coucher), les partenaires rencontrés par Groseille et Charline étant d’abord enclins à leur offrir du plaisir. La femme, en retour, s’offre sans entraves aux mâles qui ne manquent jamais de s’extasier devant ses qualités. Certains peuvent même ressentir un vertige (voire de la peur) face à un appétit gargantuesque dont ils ne voient pas le fond. Un personnage particulièrement original, Louise, rappelle assez simplement le pouvoir de la prostituée-prêtresse dans les grandes civilisations, et le rôle fondamental que la féminité exacerbée joue dans l’ordre naturel – même s’il est permis d’avoir des avis divergents sur le comportement à adopter en conséquence.
Concernant l’orgasme cosmique, on retrouve naturellement l’idée de toucher dieu du doigt par une intense méditation accomplie en plein acte charnel. Les étapes de cette transe orgasmique sont grossièrement esquissées par l’auteur qui ne s’attache qu’aux impressions des protagonistes sans livrer de mode d’emploi pratique. On passe alors d’un picotement débouchant sur sensation d’union de pensées avec son conjoint à une NDE (near-death experience) au cours de laquelle les esprits (ceux des deux poules et du beau Stéphane) s’envolent vers un vaisseau spatial tenu par des êtres de lumière, dont un représentant répond au doux nom d’Unakite, et qui les invitent à participer à une orgie trans-espèces qui dure depuis des siècles tout en leur dévoilant les grands secrets de l’univers.
En fait, tout dépend de votre ouverture d’esprit et de ce que vous attendez d’un roman pornographique. Car on est au-delà de l’érotisme : le cul est à la fois désacralisé dans les mots et représente un véhicule pour quelque chose d’inattendu et auquel le félin ne pensait pas être confronté.
…à rapprocher de :
– Du même éditeur, y’a Fourreurs nés d’Hugo Drillski. Plutôt bien écrit eu égard l’âge de l’auteur, histoire marrante qui vire progressivement au glauque.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Merci Le tigre d’avoir lu mon roman. Merci aussi pour cette critique pleine de verve. Je vois que vous vous êtes posé beaucoup de questions. Vous avez en effet été confronté à quelque chose d’inattendu : je ne voulais pas écrire un récit pornographique sans y intégrer les notions d’énergie sexuelle et d’expansion de conscience. Rassurez vous, ce n’est pas du foutage de gueule, ni l’effet d’une surdose de LSD. A chacun ses angles de vue, et comme vous le dîtes si bien : « … à moins que vous ne vouliez croire en la méditation (et la transendance) par le sexe. »
Sylvain Lainé.
Merci d’avoir répondu à ce billet, évidemment que vous n’êtes pas du genre à vous foutre de la gueule des lecteurs. L’approche ésotérique, exacerbée à mon humble avis, fait de cet ouvrage un objet littéraire difficilement identifiable. Dans ces cas, le félin évite de se prendre trop au sérieux – comme vous l’avez remarqué.
Tu m’as deja eu avec Fourreurs Nes. Je me ferais pas avoir une seconde fois! 😉
Mot pour mot ce que m’a gazouillé la tigresse. Surtout la seconde phrase.
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