DodécaTora, Chap.CU : 12 contre-utopies en littérature

Le Tigre Editions, pas de pages.

DodécaTora« Salut Camarade félin. Écoute, je suis un peu sur la sellette en ce moment. Je sens bien qu’on se fout de la gueule de mon idéologie moribonde. J’aurais besoin que tu montres à d’autres comment de plus ou nobles idées peuvent partir en quenouille. En littérature si possible. Ciao tovaritch. Karl M. PS : je suis désolé pour le pavé Das Kapital, je n’ai pas eu le temps de faire court »

Des dystopies à lire

Définissons un peu les termes, voulez-vous ? L’utopie, c’est un monde sans défaut, un petit paradis où tout le monde il est content, tout le monde il est gentil. Aussitôt qu’on fout le préfixe « contre-« , c’est qu’il faut s’attendre à de sérieuses déconvenues. Une contre-utopie est alors une organisation sociétale faite de telle sorte que personne (à peu de chose près) ne trouve le bonheur. On parle aussi de dystopies.

Pour le peu de titres que Le Tigre a lus, disons que la dystopie trouve deux sources. D’une part, il peut s’agir d’une noble idée (le libéralisme, la science à tout prix, la génétique, le déterminisme génétique, etc.) traitée sous la forme d’une fable politique en montrant les effets pervers – à croire que l’Humanité profondément en paix ne suffit pas. D’autre part, l’écrivain peut préférer sortir l’artillerie lourde et verser directement dans la dégueulasserie la plus immonde avec une dictature bien grasse – ou une minorité qui se fait plaisir.

Très souvent, et pour ne pas se faire chier sur le « mais comment en est-on arrivé là ? », l’auteur feignant aime bien imaginer une grosse apocalypse (du fait de l’Homme ou non) pour faire des institutions politiques table rase et imaginer son anti-paradis littéraire. C’est alors que l’étiquetage par défaut « Science-fiction », voire « cyberpunk » est injustement apposé – même problème que pour l’uchronie, alors qu’anticipation ne signifie pas technologie supérieure à aujourd’hui.

Voilà donc quelques exemples, et pour ce DDC Le Tigre ne s’est guère cassé le derrière : le principe d’une idée utopique est de montrer comment celle-ci tourne vite au cauchemar. Décrire une civilisation parfaite serait d’un chiant, laissons ce genre littéraire à nos hommes politiques qui rédigent leurs programmes…

Tora ! Tora ! Tora ! (x 4)

1/ George Orwell – 1984

La base. Le classique dont tout le monde a (en principe) entendu parler. Voilà une des sociétés les plus choquantes que la littérature a pu imaginer. La guerre pour maintenir une paix sociale immonde, la fin de l’Humanité comme on la lit jamais et un héros qui se fait tranquillement retourner le cerveau. Et encore, c’est pire parce que Winston Smith a encore quelques bons souvenirs du passé, où y’avait encore un peu de bonne bouffe.

2/ Stephen King – Running man

Le chantre de l’horreur s’essaie à un peu de SF bien dure, et faut dire que ça envoie du bon cauchemar comme il faut. Ben Richards, chômeur, participe à un jeu truculent au cours duquel il se fera traquer. Les dés sont pipés bien évidemment, et les États-Unis en dictature impitoyable et ludique fait froid dans le dos. La dystopie, c’est aussi la perte des être proches – en plus d’un final qui a tout d’un 11 septembre apocalyptique.

3/ William Gibson – Lumière virtuelle

Premier roman d’une trilogie d’un auteur que je ne maîtrise guère, le scénario se déroule en Californie en l’an de grâce 2006. Ne rigolez pas, ce roman aux allures de cyberpunk a été écrit au milieu des années 90 ! Chevette Washington est un héros malgré lui dans un San Francisco tout ce qu’il y a d’excessif, à savoir des entreprises privés qui tiennent le haut du pavé.

4/ Robert Siverberg – Les monades urbaines

Autre classique à mon sens. Ces monades ne constituent pas une contre-utopie comme les autres : ici, le lecteur semble être dans un monde parfait où la liberté est à son paroxysme, avec une civilisation organisée autour d’un maître-mot qui ferait s’étrangler de rage le gros Malthus en personne (« Croissez et multipliez-vous »). Cette perfection n’est pas au goût de tous, notamment Slater qui va découvrir qu’une autre vie, différente (et meilleure), est possible.

5/ Maurice G. Dantec – Babylon Babies

L’avenir est loin d’être rose avec cet auteur polémique qui distille volontiers ses convictions politiques – en rajoutant l’héroïne du roman qui fait péter le transhumanisme à des niveaux rarement atteints. Double problème dans ce roman : l’action se situe en 2013 dans un futur sombre comme tout (tsss) ET, s’il vous plaît, oubliez cette putain d’adaptation cinématographique. Sinon, les suites (le cycle Liber Mundi) vont encore plus loin dans l’avenir glauque de la planète, et ce à cause d’un islamisme rampant – évidemment.

6/ Jean-Christophe Rufin – Globalia

Globalia, c’est un État-monde bien sécurisé et nivelant les besoins et la culture de ses habitants par le bas. L’abondance existe, certes, mais au prix d’une vicieuse privation de libertés fondamentales – du moins pour ceux qui vivent dans l’hémisphère nord. A la façon de 1984, le héros sera manipulé pour devenir un ennemi commun à la dictature soft, un vilain épouvantail prêt à terroriser la bonne populace. Sinon, roman un peu fade à mon sens.

7/ Ray Bradbury – Fahrenheit 451

Encore un classique de la littérature qui fait la part belle à un infernal futur. Le style et les protagonistes sont loin d’être parfaits, mais pour le message universel ça mérite d’être lu. Voici un monde futuriste et totalitaire où tout livre doit être brûlé et la populace abrutie par les écrans, et toute découverte des plaisirs de la littérature sévèrement punie.

8/ Philippe K. Dick –  Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

En 1992 (sic), la Terre a été dévasté par un holocauste nucléaire. Le plus important, dans le scénario, est que les Terriens restant sur la planète ont mis en place une société où les signes de richesse diffèrent (avoir un animal), et le progrès dans la robotique est tel que les distinguer des humains est délicat (même le héros, Deckard, se fait berner). C’est une dystopsie dans la mesure où les questions posées par l’évolution des droïdes sont effrayantes. Le film tiré de cette œuvre tient la route – quelques menues différences, pas de quoi hurler au scandale.

9/ Véronica Roth – Divergent

Premier tome d’une trilogie dont semblent particulièrement fanas les adolescents, Divergent a lieu dans une ville de la côte Est des EUA après une énième apocalypse. Parce que les Hommes apprennent de leurs erreurs (hum), ils n’ont rien trouvé de mieux que de classer la populace en 5 grandes factions qui représentent autant de traits psychologiques – genre les casse cous, les culs bénis ou encore les culturés. L’héroïne, Beatrice Prior, est bien évidemment une divergente, une femme qu’on se saurait étiqueter. Mouais.

10/ Will Self – Le Livre de Dave

Quand un de mes auteurs préférés s’essaye à la contre-utopie, ça envie forcément du très lourd. Dave, c’est un connard pur jus de notre monde – raciste, idiot, méchant. Tellement énervé qu’il déverse sa bile dans un journal intime qu’il enterre quelque part. 500 années plus tard, après un vilain déluge, sa prose est découverte. Et voilà que les écrits de Dave sont considérés comme parole d’évangile. Je vous laisse imaginer à quel point la marche du monde, fruit de la volonté de cet homme, est cocasse. La religion en prend pour son grade.

11/ Kōshun Takami – Battle Royal

Un manga fondateur, quelques films de basse extraction, il ne faut guère s’attarder sur l’aspect purement gore. Car Batlle Royal est plus qu’une lutte kawaï entre adolescents pour récolter des statistiques sur la populace à venir. En effet, l’univers du manga décrit ce qu’aurait pu être la sphère de coprospérité japonaise si les États-Unis n’avaient pas occupé le pays à l’issue de la WWII. Et la société voulue par les militaristes nippons a tout de la contre-utopie .

12/ Suzanne Collins – The Hunger Games

Encore un dernière blague pour terminer ce DDC. La disparition des nations a laissé la place, en Amérique du Nord, à la dictature de Panem, qui à la base repose sur une idée sympa : chaque État est spécialisé dans un type de production. Là où ça devient moins finaud, c’est dans cette l’histoire de jeux gréco-fascistes où chacun apporte son jeune champion pour qu’il aille se faire trucider. La structure intellectuelle sur laquelle repose la trilogie est bancale comme jamais, et Le Tigre reste poli en omettant de discourir sur les films…

…mais aussi :

– Putain, j’ai oublié Le Meilleur des mondes d’Huxley (en lien). Boulet que je suis.

– Y’aurait le roman La planète des singes, mais je ne l’ai jamais lu (et ne compte pas le faire).

N’hésitez pas à balancer au Tigre quelques titres.

Parlons un peu cinéma. Mais pas trop. Sur les contre-utopies, au débotté je pense à :

Soleil Vert, de Fleisher, pour le classique ; THX 1138, pour la claque ; Equilibirum pour les combats ; Idiocracy, enfin, pour la blague. Grosse plaisanterie ce dernier film. Aussi mal tourné que débile.

10 réflexions au sujet de « DodécaTora, Chap.CU : 12 contre-utopies en littérature »

    • En effet, ce livre est l’une des meilleures dytopies à lire !

      Lord of the Flies (Sa Majesté des Mouches) de William Golding est également une sorte de dystopie sans le coté SF qui mérite d’être lue.

      En film il y a également Brazil de Terry Gilliam qui vaut réellement le coup ainsi que Gattaca d’Andrew Niccol.

  1. Dans le genre dystopie pour ados, il y a la série Uglies de Scott Westerfeld. En gros, c’est le culte de la beauté, et tu est à l’acmé de ta vie après ta chirurgie esthétique obligatoire.
    Ah oui. Pendant la chirurgie, on ampute une partie de ton cerveau pour te rendre stupide. Parait qu’on y est déjà avec les stars d’Hollywood.
    Dans un autre genre, il y a Dune de Frank Herbert où tout le monde se shoot avec une épice et se battent tous pour avoir leur dose.

    • La littérature pour ados est hélas hors de ma portée, et je m’en désole. Concernant Dune, c’est comme d’autres titres de SF : trop éloigné dans le temps, et à part l’épice (qui ne concerne qu’une planète), le reste de la populace semble bien se porter non ? [on retrouve cette notion de drogue obligatoire dans La cité du gouffre, de Reynolds]

  2. Tous ces livres sont excellents (Silverberg <3).

    A noter l'étrange histoire de Running Man. A la sortie du film, le réalisateur du prix du danger (Yves Boisset), film de 82 sur le même thème, attaque le réalisateur pour plagiat (et il est vrai que…). Celui-ci se défendit, en signalant qu'il adaptait Stephen King qui signala qu'il s'inspirait d'une nouvelle des années 50, qui elle même avait déjà été adaptée au cinéma… Un bon gros micmac qui se termina par une victoire de Boisset en cassation, qui récolta quand même la bagatelle d'un million de francs de dédommagement… A cause d'un plagiat de film adaptant un livre plagiant un autre livre déjà adapté en film, donc 😀

    • Tiens, j’ignorais cet aspect. C’est marrant, King n’a pas eu à payer le romancier des années 50 pour plagiat, mais dans le cinéma ça ne semble pas être dans les habitudes de la maison. Et le film de 1982 se tient ? Parce que quand un Américain passe derrière (sans jeu de mots), ça peut parfois être salutaire (cf. True Lies).

  3. Dosadi de Franck Herbert remplacera avantageusement Divergente dans votre liste. Mr Odieux Connard a écrit un bon article Hunger Games / Divergente, plutôt drôle.

    • Le cycle des Saboteurs me semble hélas trop loin dans le futur pour prétendre à postuler dans ce DDC. Mais vous avez raison, Divergente (d’alu) sera la première référence à sauter – ai lu cet excellent post, je n’ai pas commenté car la dernière fois je m’étais fait troller ^^.

  4. J’ai « Le Livre de Dave » dans ma bibliothèque, mais jamais eu occasion de le lire encore. Ton article me fait dire qu’il serait temps d’avoir un avis sur la bête.

    • De mon côté, il faudrait que je le relise, j’avais lâché le lourd bestiau au quart – il fait plus de 600 pages. Faut s’accrocher en fait, paraît que ça vaut le coup.

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