DodécaTora, Chap.RS : 12 romans qui ont fait scandale

Le Tigre Editions, pas de pages.

DodécaTora« Bien le bonjour, é-lecteur félin. Écoute, mon parti politique et moi-même sommes dans la mouise. On ne peut plus vraiment parler de scandales qui nous éclaboussent, on nage dedans désormais. Si tu peux rappeler qu’il arrive à la littérature de foutre autant la merde que nous, ça permettrait à mes pigeo..euh administrés de passer à autre chose. Vive la république, vive ton site. Signé : [écriture illisible] »

Douze titres qui ont provoqué la polémique

Des ouvrages qui ont fait scandale, il y en a trop pour s’arrêter à une petite douzaine. C’est pourquoi le fauve a décidé (entre autre) de poser quelques frontières : je n’évoquerai que les romans, aussi des recueils comme Les Fleurs du mal, qui ont à l’époque plutôt bien émoustillé la populace, seront écartés. Ensuite, je tâcherai d’éviter les écrivains qui ont particulièrement pris cher à cause du scandale – ça fait l’objet d’un autre billet intitulé « 12 écrits qui ont posé problème à leur auteurs », en lien.

Enfin, je ne m’intéresserai qu’au scandale provoqué par un auteur uniquement à cause d’un ouvrage particulier. D’une part, il existe quelques gus, à l’instar de Maurice G. Dantec, qui remplissent lentement mais sûrement le vase qui débordera sur un énième titre provocateur. D’autre part, l’écrivaillon qui fout un indescriptible daroi en raison d’activités « connexes », j’en fait fi. L’écrivain maudit qui se balade la queue à l’air ou assassine quelqu’un (voire, plus modestement, un Beigbeder qui s’encanaille) ne seront pas ici abordés.

Tout ça pour monter que chaque siècle et chaque décennie dressent quelques tabous plus ou moins moraux qu’un indélicat peut (plus ou moins sciemment) sauvagement violer. Sans verser dans une philosophie de bas étage, la mesure du scandale est un bon indicateur sur l’état d’une société – quelle qu’elle soit.

Comme je le répète à mon chat : « après le Code pénal, ce sont les livres jugés scandaleux qui représentent le curseur moral d’une civilisation ». A ce moment, mon matou cligne des yeux en signe d’assentiment. Un vrai sage. Place à la littérature.

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Gustave Flaubert – Madame Bovary

Difficile de commencer ce DDC sans le sieur Flaubert – et Le Tigre le fait avec d’autant plus d’aisance qu’il n’a jamais lu un de ses romans. Premièrement publié sous forme de feuilletons jusqu’au milieu du 19ème siècle, il n’a pas fallu longtemps pour que l’opinion s’étrangle en lisant les aventures de la cocufieuse Bovary qui finit par commettre un suicide. D’ailleurs, Flaubert et son éditeur n’ont pas eu le temps de dire ouf qu’ils se sont retrouvés face à un juge mécontent. Well done, boys.

2/ Vladimir Nabokov – Lolita

Un siècle après, un Russo-américain publiait les odieuses pérégrinations d’un héros qui entretien une relation avec Dolores Haze. Ça aurait pu figurer dans une énième bibliothèque rose si miss Haze n’affichait pas douze ans au compteur. Nombreuses censures, mais gros succès au rendez-vous, le genre que j’appelle le « succès de curiosité ». C’est le même principe que l’embouteillage de curiosité : pédophilie et inceste, pouvoirs publics qui paniquent, franchement ça donne envie de se le procurer.

3/ James Frey – En mille morceaux

Raconter des choses terribles et extrêmement dures sur la condition de drogué (alcoolo depuis ses treize ans, crack addict), à la rigueur ça passe au début du 21ème siècle. En revanche, vendre ça en tant qu’autobiographie alors que la fiction dépasse largement la réalité, ça le fait moins. Surtout quand James F. est passé dans les plus grands talks shows américains avant que la supercherie ne soit découverte. Il aura beau se justifier maladroitement, la polémique n’a pas dégonflé pour tant. N’est pas Christiane F. qui veut.

4/ David Herbert Lawrence – L’Amant de lady Chatterley

Le mari d’une aristo (Lady Chatterley, si vous ne l’avez pas deviné) est impuissant car paralysé. La miss s’envoie donc en l’air avec le jardinier – nombreux détails croustillants à l’appui. Bah, dans les années 20, curieusement le Royaume-Uni et les États-Unis n’en voulaient pas sur leurs territoires (pendant plus de 30 piges quand même). Trop obscène (notamment le f** word), le roman sera diffusé dans ces pays après le décès de son auteur.

5/ Arthur Schnitzler – La Ronde

Je franchis presque les frontières posées pour parler d’une pièce de théâtre qui peut toutefois se lire comme un roman. L’auteur autrichien se plaît à décrire la capitale cosmopolite de son pays en mettant en scène deux individus tapant la discute en plein ébat sexuel. Or, en ce début de 20ème siècle, faire coha-biter (hu-hu) les différentes classes sociales, c’est mal. Si on rajoute les vociférations de certains parce que l’auteur est juif, je vous laisse imaginer les proportions que cela a pris.

6/ Henri Miller – Tropique du Cancer

Dans cette autobiographie, le bon Miller raconte, par le menu, sa condition de wanabee écrivain dans le Paris des années 20 et 30. Tropique du Cancer, sorti rapidement en France, a été interdit dans plusieurs Etats fédérés de l’Amérique jusqu’en 1964 (pour une publication en 1961), avec des luttes doctrinales assez savoureuses. Globalement, il fut progressivement jugé que ce bouquin n’était pas obscène – et pour avoir lu quelques passages, il n’y avait en effet pas quoi fouetter un chaton à peine né.

7/ Victor Kravtchenko – J’ai choisi la liberté

Le sous-titre vous dit de quoi il retourne : La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique. Deux ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, le commissaire politique (qui a fait défection au pays de l’Oncle Sam) voit son ouvrage traduit en France. Dans un pays où le P.C. local, appuyé par de nombreux intellectuels, fait péter d’indécents scores électoraux. Très logiquement, la polémique devient éminemment politique, puis l’affaire prend une tournure judiciaire impressionnante avec un procès fleuve.

8/ Catherine Millet – La Vie sexuelle de Catherine M.

Le 3ème millénaire a démarré sur les chapeaux de roue, et ce en partie grâce aux aventures sexuelles de Catherine : partouzes avec plus de 100 personnes, échangisme au bois de Boubou,…une telle liberté sexuelle affichée (et également théorisée) avait de quoi en choquer quelques uns. Énorme succès littéraire de 2001, les descriptions sans fards ont provoqué chez Le Tigre plus d’un émoi.

9/ James Joyce – Ulysse

Publié par Olympia Press, l’éditeur qui a bien voulu sortir Lolita, on sent bien que certains individus le font exprès. Sanction du roman de Joyce : plus de dix années de censure. Tout cela à cause de quelques scènes de sexe ou de considérations assez dures contre la religion. En relatant une journée de l’existence des Irlandais Leopold Bloom et Stephen Dedalus, James Joyce a pondu un impressionnant pavé qui me fout une trouille pas permise dès que je l’ai entre les mains – donc pas lu jusque là.

10/ JT LeRoy – Le Livre de Jérémy

Il s’agit d’une polémique assez complexe, et j’avoue ni avoir lu le bouquin incriminé, ni avoir tout saisi à ce joyeux charivari. Grosso merdo, Jeremiah « Terminator » LeRoy a publié une biographie très crue sur sa condition de (accrochez-vous) enfant abusé, drogué, prostitué et transsexuel. Quelques journalistes (sur la base d’incohérences sur l’histoire) ont enquêté sur cet auteur qui s’est avéré être Laura Albert, écrivaine qui a peu de chose à voir avec le héros du roman. Le scandale a été monté en béarnaise dès lors que des contrats ont été annulés à cause de ce dol.

11/ Gabriel Matzneff – Mes amours décomposés

Cet ouvrage a beau être une biographie, sa publication au début des années 90 a achevé la réputation sulfureuse de son auteur. Gab’ avait déjà ouvert les hostilités en 1974 avec Les Moins de seize ans, où le vilain coquin s’épanchait sur sa passion des jeunes garçons. Rien à voir avec un Frédéric M. (à part la même destination dans un pays d’Asie du Sud-Est) ou un Daniel C.B., la pédophilie de Matazneff est autant assumée qu’il tente de la justifier. Une belle dégueulasserie qui a fait couler beaucoup d’encre.

12/ Dominique de Villepin – Le soleil noir de la puissance, 1796-1807

Finissons par une énième plaisanterie. Le bouquin, en soi, je m’en tamponne. Tout comme ses autres essais et poèmes publiés dans la même période. Il faut juste remarquer que l’ouvrage sur Napoléon fait plus de 500 pages, et que Galouzeau était aux commandes du gouvernement français. Donc, on a un ministre (puis PM) qui, en plus de bosser comme un exalté, se bat contre un rival pour être le prochain président. Magie du personnage, il parvient à écrire un roman, sûrement entre deux réunions vitales pour le pays. A moins que Domi soit un négrier en puissance, avoir autant de temps m’interpelle grandement.

Mais aussi :

Le Tigre sait qu’il existe des centaines de romans à scandale, toutefois j’ai préféré parler de ceux dont j’avais (vaguement, pour certains) entendu parler. Sinon, vous l’aurez remarqué, c’est à cause du sexe que le scandale pointe le bout de son museau. Il est alors possible de donner comme exemple contemporain Michel Houellebecq et son Plateforme : le tourisme sexuel dans ce qu’il a de plus cynique et nihiliste, les méchants islamistes qui y vont de leurs violentes réactions, pour un résultat troublant et violent.

Les Protocoles des Sages de Sion, de Matveï Golovinski, est particulier : le scandale, ici, tient au fait que ce texte créant de toute pièce un complot juif de grande ampleur et rédigé par un agent secret de l’Empire russe (tout début du 20ème siècle), a été invoqué et cité par des dingues de tout bord à l’appui de leurs théories délirantes.

En conclusion, et comme je le signalais, ce Dodéca ne doit pas être confondu avec la liste tigresque des romans qui ont posé problème à leur auteur (en lien).

4 réflexions au sujet de « DodécaTora, Chap.RS : 12 romans qui ont fait scandale »

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  2. « 6/ Henri Miller – Tropique du Cancer »
    Pas lu, me suis trop ennuyé dès le début.
    Par contre lu le bouquin dont la préface de Delfeil de Ton parlait de Miller (et aussi de Flaubert et Nabokov):
    « J’irais cracher sur vos tombes » de Vernon Sullivan alias B. Vian.
    Violent, brutal, procès dès la sortie, et son auteur qui meurt d’un arrêt cardiaque lors de la première projection de l’adaptation de son œuvre au cinéma.
    Boum.
    L’histoire d’un noir à peau blanche, un métis, qui décide de venger son frère lynché en tuant deux blanches. Avec la crasse et la scène des Etats du Sud, avec le bordel pédophile, avec les noirs lynchés et la jeunesse blanche friquée.
    Un style d’écriture efficace et concis. C’est bien raconté, c’est bien écrit, en prime!

    PS: les autres Vernon Sullivan sont moins trash et plus déconnants. Plus Boris Vian…

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