Emmanuel Carrère – La Classe de neige

Folio, 147 pages.

Emmanuel Carrère - La Classe de neigeAu sein d’une paisible classe de neige, le mystère s’invite peu à peu, jusqu’à l’horreur subite, comme un coup au plexus. Roman court et poignant, heureusement que l’auteur ne s’est pas épanché, ça aurait pu devenir chiant. Emmanuel Carrère a le don de nous entraîner dans son univers en apparence banal, mais au sein duquel un tel ronronnement ne saurait durer.

Il était une fois…

Nicolas n’est pas vraiment à la fête. Ses camarades partent en classe de neige, et dès le début il se fait salement remarquer : déjà, son père tient absolument à l’emmener lui-même en voiture – ça lui permettra de rester dans le coin au cas où en plus. Ensuite, le daron a oublié de lui laisser sa valise. Déjà que Nic’ est plutôt timide et taciturne, la disparition d’un gosse du village environnant est l’occasion pour le jeune héros de laisser libre court à son univers imaginaire d’une glauquitude certaine. Mais la réalité dépassera sa propre fiction.

Critique de La Classe de neige

Le Tigre croit bien que ce fut le premier Emmanuel Carrère lu, et le félin ignorait que l’auteur a publié des romans bien meilleurs depuis – avis tout personnel je le reconnais. Néanmoins, avec La Classe de neige, il y a matière à être surpris.

Le petit Nicolas (rien à voir avec Goscinny, mais pas du tout) est un gosse relativement mal dans sa peau, le genre d’enfant qui a du mal à s’imposer et reste étouffé par un père omniprésent à qui rien ne semble pouvoir être refusé. C’est dans cet état naturel qu’il arrive dans la colonie scolaire, et s’apprête à être encore plus à la ramasse dans un groupe où faire preuve de différences (arrivé en retard, oubli de ses affaires) est mal vu.

Parallèlement, le petit René disparaît, et tout s’agite autour des écoliers : les gendarmes en vadrouille et les villageois qui établissent des suppositions font qu’il plane dans l’atmosphère quelque chose de très vilain et dont le lecteur sent, presque malgré lui, que Nicolas n’est pas totalement étranger à ce qu’il va advenir. Mais qu’est-ce donc ? L’écrivain français, avec des chapitres courts et un style limpide, va faire basculer le lecteur vers quelque chose d’intensément sombre et choquant (j’éviterai dans ce paragraphe de spoiler).

Très gentil, sobre et limite ennuyeux au début, le roman bascule donc lentement mais sûrement vers l’inénarrable, pour finir en apothéose. Une excellente surprise qui amène à repenser ce titre à l’aune du terrible dénouement, quitte à vouloir le relire pour déceler, ici et là, quelques indices – je n’ai pas réussi pour l’instant .

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La peur, la vraie. Nicolas est, plus qu’à son tour, transi de trouille face aux aléas de son statut d’enfant (la dizaine d’années, pas plus). Peur d’être rejeté, peur d’être ridiculisé par ses camarades, sa peur est tellement forte qu’il arrive à se pisser dessus le premier soir – si ce n’est vous-même, qui n’a jamais eu un camarade s’oubliant dans son pieux en classe de neige ? Vous imaginez sa mortification alors?

Chez Nicolas, ce mal-être entraîne le renfermement vers soi, la création de scénarios qui ressemble à un nihilisme assez inquiétant chez un gamin de cet âge : son fantasme morbide d’être reconnu en tant que victime (par exemple disparaître à l’instar de René) est dérangeant au possible, l’écrivain sait réveiller le petit garçon apeuré qui sommeille en chacun de nous.

Sauf que ces peurs infantiles sont, en fin d’ouvrage, violemment balayées par le dur monde adulte qui s’invite. Le chef Hodkann autoproclamé parmi les jeunes, c’est de la pisse de nouveau-né par rapport à ce qu’il est arrivé à l’enfant disparu, et la révélation du nom du tueur présumé a de quoi faire froid dans le dos. [SPOIL !] Si les pires craintes de Nicolas ne se matérialisent pas, c’est qu’un évènement qu’il n’aurait pu imaginer a de quoi dépasser ses cauchemars les plus intimes – comme, par exemple, le fait que son père soit un dangereux psychopathe. [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

– D’Emmanuel Carrère, disons que Le Tigre a dévoré pas mal de romans : L’Adversaire (mouais), Limonov (pas mal), etc.

– Claude Miller a adapté ce roman en film, je vous promets de le regarder un de ces quatre mes amis.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

4 réflexions au sujet de « Emmanuel Carrère – La Classe de neige »

  1. Ping : Emmanuel Carrère – Limonov | Quand Le Tigre Lit

  2. Ping : DodécaTora, Chap.TM : 12 romans qui finissent mal | Quand Le Tigre Lit

  3. J’ai lu ce petit livre sur les conseils de ma mère.. qui, elle, n’a pas pu aller jusqu’au bout ! Terrifiant. Encore une fois, Tigre, vous avez tout dit. Bravo.

  4. Ping : Emmanuel Carrère – L’Adversaire | Quand Le Tigre Lit

Répondre à CALHY Annuler la réponse.