Joe Haldeman – La guerre éternelle

J'ai Lu SF, 282 pages.

Joe Haldeman - La guerre éternelleVO : The Forever War. On a conseillé au Tigre de lire ce petit livre de SF, petit car en moins de 300 pages seul Asimov peut faire mieux pour aussi court.Et ça se lit très bien et en plus provoque des réflexions sur l’avenir de l’Humanité assez poussées. Plus que tout, on s’aperçoit rapidement les séries ou films de nos jours n’ont rien inventé. Tout est là.

Il était une fois…

La guerre éternelle, c’est celle que va se livrer pendant des siècles l’humanité contre des êtres dont on ne sait pas grand chose. A part qu’ils ont détruit un astronef. Le déplacement par sauts dans des trous de verre rendu possible, la Terre et ses colonies mobilisent rapidement toutes ses ressources. Et le lecteur va suivre William Mandella, lors de quatre périodes séparées par plusieurs décennies à chaque fois, dans l’affrontement contre les Taurans (puisqu’ils viennent de la constellation du Taureau). Seul survivant et montant en grade, ce sont toutes les facettes d’une guerre qui n’en finit pas que Mandella va subir.

Critique de La guerre éternelle

Attention petit chef d’œuvre, et le Tigre n’a pas l’habitude de dire ça. Réellement superbe. De la SF militaire de bonne facture, et surtout qui vieillit pas trop mal. Relativisme, notion de guerre juste, embrigadement inutile au service d’une chimère, c’est à court d’haleine que le lecteur suit la guerre vue d’une même personne tour à tour soldat, sergent, lieutenant et commandement des troupes toujours en premières lignes.

Encore mieux, ce sont trois âges de l’humanité qui sont imaginés par Haldeman, tous pire les uns que les autres (cf. infra). Chose amusante, les délais d’Haldeman (tout commence en 1997) méritent d’être encore un peu repoussés. Mais l’exposition des étapes successives, bien expliquée, constitue pour le lecteur comme pour le héros autant de surprises. Et celles-ci contraignent à un petit temps d’adaptation pour comprendre les nouvelles motivations de l’espèce humaine. De l’anticipation sociale avant l’heure, Le Tigre ronronne.

La note finale est optimiste, nous montrant une humanité apaisée et tolérante, prête à laisser ceux qu’ils veulent vivre différemment le faire dans des planètes-réserves. En conclusion, un petit bonheur rapide à lire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

On parle de SF militaire, mais le ton d’Haldeman est résolument antimilitariste. Tous les travers d’une guerre à grande échelle et ce au cours des âges sont développés :

Tout d’abord la notion de guerre juste se pose, à savoir ce pour quoi les soldats se battent. Et puisque les motifs sont quelque peu vaseux, l’embrigadement psychologique est ici de mise. Les soldats n’ont rien contre les Taurans, mais quand ceux-ci débarquent, le conditionnement par hypnose produit des merveilles, en amenant d’horribles images (fausses bien sûr) provoquant une fureur sans nom aux personnages.

Ensuite les raisons de s’embrigader. Des siècles se passent à force de voyages dans les trous de ver, et la solde multipliée n’offre que quelques mois de répit aux soldats survivants. Si l’armée fait tout pour que ceux-ci ne soient pas intégrés (les ANPE locales refusent leur dossier, ils sont vite à court de tunes), alors le soldat rempile rapidement.

Enfin la désinformation totale. La société-spectacle distille des mensonges tellement gros que ça en devient risible, et personne ne semble s’en offusquer. Il transpire des individus une forme de patriotisme désuet aussi fascinant que fascisant. Par exemple, les interviews finales des soldats sont honteusement coupées et grossièrement reformulées, pour correspondre au mieux à l’esprit guerrier des généraux.

Quant à l’humanité, Haldeman nous la présente sous trois étapes qui sont assez radicales mais permettent d’en dégager les inconvénients : une société des loisirs faite de chômeurs, une dictature qui promeut l’homosexualité et empêche toute reproduction naturelle (contrôle des naissance optimisé), et enfin une humanité faite de clones qui a tout l’air d’une énorme ruche où les disparités sont gommées. Cette dernière configuration, heureusement, permettra de faire enfin la paix avec les Taurans.

Dès le début on le sent, tout va vers une dés-individualisation du soldat, puis du citoyen, et ce pour le bien de tous. Ça commence par l’obligation de dormir avec une camarade de chambrée différente chaque nuit chez les troufions, et finit par des milliards de clones asexués en guise d’Humanité.

Petite précision : outre le coût humain de la guerre (les pertes, même en temps d’exercice, sont inimaginables), c’est le coût financier qui paraît extravaguant : 60% du PIB consacré à la constitution d’armes et d’armées qui ne servent à rien au final, est-ce réellement le prix à payer pour unir l’humanité derrière un ennemi commun ? Vous me direz que cela reste préférable que se cantonner à taper indéfiniment sur son voisin comme dans le génial 1984.

…à rapprocher de :

 – Sur la nature des ET avec qui se bat l’humanité depuis des siècles, leur système me fait penser à celui des doryphores dans Le cycle d’Enders, d’Orson Scott Card. Grande saga humaine à l’image du présent roman.

– Sur les problèmes de relativité temporelle lorsqu’on se balade à très grande échelle, certains passages de L’espace de la révélation de Reynolds offrent des illustrations poignantes, comme ce couple séparé qui jamais ne pourra se retrouver dans les mêmes conditions : distances trop longues pour communiquer, un des amants aura forcément quelques décennies d’avance sur l’autre en cas de retrouvailles. House of Suns, qui traite d’échelles encore plus immenses, doit être aussi lu.

– Pour l’aspect purement militaire, lisons ensemble les Aux, de David Gunn. C’est un peu plus du n’importe quoi, peut-être est-ce parce que c’est plus récent.

– Un spectacle miliaire qui dénonce les dérives de la guerre, l’emploi de personnes douées en tant que chair à canon, une désinformation constante pour motiver les troupes,… très proche (mais plus critique) au final du film Starship Trooper, tiré du roman d’Heinlein, Etoiles, garde-à-vous !.

– Haldeman a publié deux suites, je m’y mets au plus vite. Un jour.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman sur internet ici.

8 réflexions au sujet de « Joe Haldeman – La guerre éternelle »

  1. Ping : Robert Silverberg – Les Monades urbaines | Quand Le Tigre Lit

  2. Ping : Orson Scott Card – La Stratégie Ender | Quand Le Tigre Lit

  3. Ping : David Gunn – Offensif | Quand Le Tigre Lit

  4. A noter qu’Haldeman est un vétéran du Vietnam et qu’à ce titre, La guerre éternelle est une transposition de ce qu’il a vécut : ennemi inconnu et incompréhensible, les méthodes d’embrigadement de l’armée, le retour à la vie civile difficile avec vos proches qui ne vous comprennent pas…

    • Merci pour l’info, en effet je suis passé à côté de cet aspect et l’ai délaissé (mon quota de mots étant dépassé pour ce titre) ! Avec votre bénédiction je modifierai une ligne ou deux pour rendre à César ce qui est à Joe.

  5. Ping : Alastair Reynolds – House of Suns | Quand le tigre lit

  6. Ping : Adam Roberts – Gradisil | Quand le tigre lit

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