Les Sutras du Tigre .66 : les anathèmes littéraires

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les Sutras du TigreD’habitude, on associe peu le noble adjectif « littéraire » à un terme aussi dur que « anathème ». Le Tigre saute, comme il se doit, le pas. Si possible en faisant le plus de bruit possible. L’anathème en matière de livres, c’est une légère croisade contre les auteurs qui n’ont plus l’heur de nous plaire. Et ce pour des raisons plus ou moins valables.

Les écrivains qui déçoivent

Qu’est-ce qu’un anathème ? Le Tigre, en plus de parler latin mieux que Cicéron, sait le grec. Je pourrai écrire ce sutra dans ces deux langues mais à part les trois pèlerins du Vatican et quelques agrégés de langues classiques mon audimat est six pieds sous terre. Revenons à nos moutons galeux (je ne parle pas des Grecs, ne vous méprenez pas). « Anathêma » signifie le substantif « suspendu ». A partir de là, tout est dit.

Et oui, Le Tigre préfère expurger toute la saveur religieuse de ce terme. Ni sentence de malédiction en promettant l’enfer le plus pur, ni fatwa agressive contre l’écrivain qui s’égare. Juste montrer du doigt, toujours avec courtoisie, le quidam qui à un instant donné a perdu toute grâce aux yeux du lecteur.

En effet, il est arrivé à tout le monde, en regardant quelques vieux bouquins traîner dans la cave humide, se poser la question suivante : « mais comment ai-je pu les dévorer avant ? J’étais vraiment le dernier des cons ». L’auteur dont vous attendiez impatiemment les dernières publications en harcelant votre pauvre libraire, maintenant un frisson de dégoût parcourt votre échine rien qu’en lisant son nom dans une publicité mal photoshopée de journal gratuit.

Comment en arriver là ? Comme le dirait un avocat, les torts sont plutôt partagés. Entre l’écrivain qui a gravement déconné et le lecteur qui fait des siennes, la fan-attitude a ses fins. Toutefois le pourquoi de l’anathème ne saurait souffrir une explication si succincte.

Pourquoi ne lit-on plus un auteur ?

Pour faire simple et carré, Le Tigre a (encore une fois) dégagé quatre types d’anathèmes, en affublant l’auteur d’un titre tout ce qu’il y a d’inglorieux (pour traduire Tarantino). Et comme j’aime les crescendo mélodramatiques, je vais aller du plus anodin au plus grave. Quant aux exemples, si toi auteur te sens plus ou moins directement concerné, sache qu’aucun de ces anathèmes n’est irréversible. A bon entendeur…

1/ Le pote un peu débile

Imaginez, enfant vous aviez l’habitude de jouer avec une personne mentalement déficiente. Ces courts séjours où il était présent n’étaient que joie, un adulte ayant les mêmes points d’intérêts (cache-cache, sauter dans les flaques) que vous ! Toutefois ça ne dure pas, vous ne mettez pas longtemps à saisir que si vous évoluez dans vos activités, votre « ami » ne suit pas. Et souvent hélas, le désintéressement va de pair.

Il en est de même avec des auteurs dont les titres ne s’adressent qu’à une certaine génération. Le R. L. Stine et sa collection chaire de poule, la série du club des cinq (pour les plus vieux), à un moment ça va bien. Vous avez mûri, rien de plus normal qu’abandonner ces lectures. Et les offrir à vos enfants. En outre, il peut arriver que vous vous reprochez de ne pas avoir lâché le personnage plus tôt, terrible reflet de votre naïve jeunesse.

2/ Le copain qui tourne en rond

Cette catégorie est relativement similaire que la précédente, mais à la grande différence que l’auteur s’adresse à tous les publics. Au début la découverte de ses œuvres est un petit plaisir de tous les jours, il y a des thèmes nombreux et variés qui y sont abordés, bref vous alignez fièrement ses romans en grand format. Cependant, vous devenez comme gavé.

Vous pressentez en effet que l’écrivain se fout légèrement de votre gueule en ne proposant que le même style d’écriture, avec les mêmes formats (nombre de pages,…). Souvent au centre de l’attention des médias, l’individu semble indétrônable dans les têtes de gondoles de supermarché. Mauvais signe. Or nos goûts s’affûtent et l’envie d’aller voir ailleurs devient réalité. Sans compter préférer lire quelque chose, au vu de tous (métro, famille), d’original. Au final, vous ne touchez plus à ses nouveaux romans, et attendez à peine la sortie poche du titre.

Cela est arrivé au Tigre avec de nombreux auteurs : Fric-Emmanuel Schmitt, Amélo Nothomb, Nanard Werber, Max Chattam, je les ai enrichis pendant de nombreuses années. Seulement leurs structures narratives me semblent inchangées, impression amplifiée par la monotonie de leurs titres et couvertures attachées (le même éditeur à chaque sortie). Rien à voir avec un Dan Brown qui a trouvé, le temps d’un été, un juteux filon, certains scribes pondent leurs trucs à chaque rentrée littéraire à un rythme de métronome. Exaspérant.

3/ La vieille connaissance qui a mal tourné

Cette connaissance, elle écrit comme vous aimez, vous l’adorez, et caressez même l’espoir de faire dédicacer l’intégralité du fruit de son imagination. Cinq kilos de papiers, votre valise est prête au cas où… Et là, patatras ! Comme je l’ai déjà expliqué ici, votre auteur préféré peut avoir des pannes d’inspiration. Rien de méchant. Plus grave est celui qui change de style pour « coller » à un lectorat jugé plus porteur. C’est un peu l’amère expérience que j’ai eu avec Douglas Kennedy qui avait sorti un thriller d’une rare audace (Cul-de-sac) avant de devenir « l’écrivain des mamans ». Quel dommage…

Autre cas rencontré, celui qui délivre, lentement mais sûrement, des ouvrages qui ressemblent à autant de caricatures de ce qu’il a pu faire avant. Le gus qui, plutôt content de son art, décide de voir jusqu’où il peut aller. Tirer sur la corde comme n’importe quel gouvernement tire sur celle à impôts. Mauvaise idée. L’exemple, non, l’alpha et l’omega de l’auteur dont les titres partent de temps à autre en sucette, c’est Maurice G. Dantec. Si ces premiers jets étaient plus que corrects (Babylon Babies, la Sirène rouge), le reste m’a perdu (Satellite Sisters) à des niveaux que Le Tigre tente encore de quantifier.

Pour refiler la métaphore, cet ami passe du statut de copain à celui de vague connaissance. « Lui ? Oui, oui, je le connaissais. Mais bon, je ne l’ai pas vu depuis longtemps, je ne sais pas ce qu’il est devenu. Drogué, kleptomane et copéiste ? Je l’ignorais » vous entendons dire dans les dîners en ville. Quelle désolidarisation, quelle anguille de lecteur.

4/ L’ami qui sort de ses gonds

Le pire, donc le meilleur, pour la fin. Le plus dur à détester hélas, car ce n’est pas pour des raisons littéraires que vous allez frapper l’auteur au porte-monnaie. Dans ce dernier cas, celui-ci est sorti de son domaine et gambade en roulant du cul dans un champs de mines. Pas très fin de sa part, mais parfois l’écrivain veut s’affranchir de sa basse condition de conteur et peser dans le vaste monde.

Tel un David Douillet du livre ou une Brigitte Bardot des lettres, l’individu ne s’est plus senti : Il a fait pipi partout pour établir, tel un tigre, ses marques sur un nouveau territoire. Pire que tout, il ne s’y est pas franchement illustré. Plus prosaïquement, WTF ? Le monde économique, mais surtout la politique, tendent à récupérer dans leurs rangs de très connus écrivains (misant sur leur notoriété et la sympathie qu’ils inspirent).

N’est ni Malraux, Zola ou Camus qui veut en effet. Certes quelques auteurs annoncent dès le début un quelconque engagement, telle Dominique Manotti qui ne cache pas son militantisme de gauche, mais s’écarter de sa voie au beau milieu d’une carrière en surprend plus d’un. Le Tigre ne préfère pointer du doigt personne, de peur de heurter les idéologies ou croyances de chacun. Les sutras, c’est relatif aux livres. Point barre. Et donc n’importe qui est susceptible de réagir selon ses idées, et ce jusqu’à ne plus vouloir soutenir une personne que pourtant on apprécie en tant qu’auteur(e). Cruel paradoxe.

Conclusion au bûcher

L’anathème littéraire n’est point que déception. Selon moi, c’est avant tout la formidable opportunité de passer à autre chose et découvrir d’insoupçonnés plaisirs littéraires. Changement d’herbage réjouit le troupeau des lecteurs. Si Le Tigre cite très peu d’écrivains, c’est aussi pour ne pas prématurément se faire trop d’ennemis.

Et sinon, pourquoi le sutra #66 ? Le presque chiffre de la bête, et oui. Puisque l’anathème a pris au cours des siècles une tournure sympathiquement religieuse.

4 réflexions au sujet de « Les Sutras du Tigre .66 : les anathèmes littéraires »

  1. Bonjour.
    Je viens de cliquer sur votre site, suite à un lien fourni par un « Libénaute » et favorablement apprécié par d’autres. Une perle! Excellentissime!
    Soutien inconditionnel.

    • Libé ? C’est original, même si Le Figaro (un exemple, hein) m’aurait plus surpris. Merci pour votre soutien, je tâche de maintenir le rythme. Le lien pointait sur ce Sutra ou le site en général ? [petite enquête marketing au passage :)]

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