La gueulante du Tigre : lettre à un ami des tigres

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les textes du TigreVoici une courte missive à l’attention de ceux qui voudraient, par extraordinaire, se procurer un produit à base de tigre. Il y en a qui ne doutent de rien. Non seulement ça ne sert strictement à rien, mais en plus ça contribue à provoquer la disparition de cette superbe espèce. Pas envie que le seul tigre sur cette planète soit un hélicoptère militaire ou, pire, moi.

Laisse donc tranquille les tigres

Très cher ami,

Je suppose que tu es un homme déjà. Je sais les femmes trop intelligentes pour ne serait-ce qu’envisager ce qui va suivre.

Quelqu’un m’a dit que tu aimes les tigres. Figure toi que ça tombe bien, moi aussi.

tigre-produitsCette même personne (allez, appelons-là mon petit doigt) a susurré à mon oreille que tu serais prêt à aligner des dizaines de milliers de yuan/dollars/euros/livres/rials/yen pour posséder des fragments de ce noble animal.

Moi non plus. Mais qu’est-ce qui peut bien clocher chez toi ?

Je ressens le besoin pressant de t’insulter comme si tu venais de violer la tombe de ma grand-mère – même si tu auras du mal, incinérée qu’elle est, toutefois con comme t’es tu serais capable de jouir dans de la cendre. Mais pour l’instant je vais tâcher de deviner tes motivations. Sans trop me foutre de ma gueule. Enfin ça dépend de toi.

Reconnaissons-le, posséder un tigre empaillé, c’est la classe. A la limite, une dent du bestiau que tu accroches avec fierté à ton cou. On en rêve tous, de ce petit bijou qui pend à une chaine en or de piètre facture. Du badass pur jus, y’a carrément moyen que les nanas tombent sous ton charme et, sans plus attendre, entreprennent rapidement une danse du ventre face à l’artefact pendouillant gracieusement sur ta poitrine. Pourquoi crois-tu que j’ai choisi tel avatar ? Laisse-moi toutefois te prévenir : si le côté félin les amuse au premier abord, tu tomberas rapidement dans la zone de la beauferie la plus vile mâtiné d’une consternation face au lolilol des chats. Demande à ma copine, elle me trouve plus ridicule qu’autre chose.

Considérons qu’attirer la donzelle n’est pas ton premier objectif et que tu préfères en mettre plein la vue à tes potes. Soit. Néanmoins tes amis ne sont obligés de savoir que tu disposes d’un vrai tigre empaillé chez toi. Pour cent fois moins cher tu peux créer l’illusion et te la raconter avec la même assurance. Ton pays, qui est sûrement un indécrottable adepte du mensonge et de la dissimulation, t’a appris le principe de « double vérité » et nul te t’empêche d’étaler le même genre de schizophrénie. A force de te dire que tu as payé un vrai tigre au prix fort, tu te surprendras progressivement à y croire réellement.

Rien de tout ça ? Mais alors…attends, ne me dis pas que tu crois sérieusement que ta santé va s’améliorer en consommant un quelconque organe du félin ? Si ? Merde, t’es bien plus niais que prévu.

Donc les os broyés et consommés te donneraient vigueur et force ? Du calcium, du cartilage, un peu de moelle à la rigueur, et avec ça tu comptes péter le feu et survivre à trois générations. Sûr que tu peux faire confiance en tes croyances ancestrales à ce sujet. Les mêmes qui t’ont asséné, avec une exemplaire régularité, que la terre était plate et qu’au-delà des océans des chutes d’eau sans fond t’emmèneraient vers la félicité la plus totale. Bordel, si on n’était pas au XXIème siècle tu m’aurais fait rire. Dire que ronger les ongles des pieds de ta bourgeoise produit le même effet…

Ah, tu me parles des poils. Il est vrai que la fourrure tigresque, de feu et de sang, semble offrir à qui en ferait un thé à 16 heures de puissantes propriétés. Rien à voir avec tes cheveux (s’il t’en reste) filasses qui obturent la bonde de ta douche italienne. Sauf que ni la couleur ni la solidité augurent de quoi que ce soit. C’est comme les chips : belles, pimpantes et dorées, leur apport nutritionnel est aussi utile qu’un préservatif dans un couvent. Cependant, si tu y tiens vraiment, je te conseille de faire comme moi : prélève les poils que ton chat laisse un peu partout, déverse dessus des colorants alimentaires (l’E125 et l’E110 sont tout indiqués) et mange-les à ta guise.

pénis de tigreReste l’épineuse (sans jeu de mots) question du pénis. Sur ce point, franchement tu ne tournes pas rond. Déjà, tu as vu la taille de la bite d’un tigre ? Broyer le royal organe ne te donnera pas le tiers du centième des besoins en protéines nécessaires à ta survie. De toi à moi, mange plutôt la queue d’un âne (voire, si tu as très faim, d’une baleine), il y a de quoi te faire trois repas au moins. D’un point de vue médicinal, je te rappelle qu’il existe des petites pilules de couleur bleu susceptibles de dresser un chapiteau au niveau de ton bas ventre. Sans faire de publicité quelconque, sache juste qu’en sanscrit, « tigre » se traduit par « vyaaghra ». 

Entendons-nous bien, copain. Je ne te reproche aucunement tes croyances, moi-même je fais preuve de ridicule superstition (mon fétichisme du 12, par exemple). Hélas, à un moment, il est doux de se rendre compte quand tes penchants nuisent à autrui. Or, quand tu es disposé à aligner d’indécentes sommes pour un misérable flacon de sang de tigre, des personnes ne gagnant pas un rond sont prêtes à commettre l’irréparable pour améliorer leur ordinaire. En déréglant de la sorte le système économique d’une province riche en tigres, tu salopes son environnement aussi sûrement qu’en déforestant à tout-va avant de déverser de l’agent orange.

Je finirai en t’annonçant qu’il m’est arrivé, une fois, de te comprendre. Lors de mes pérégrinations asiatiques, je me suis plusieurs fois retrouvé en face de cet animal. Et comme toi, j’ai ressenti le fameux eye of the tiger, cet instant particulier où j’ai été littéralement tétanisé face au regard de la bête. Transpercé de part en part face à la magnificence apaisée et assumée de l’Empereur de la jungle, j’ai mis quelques heures à m’en remettre. Puis je me suis dit qu’un tel moment ne pouvait s’éteindre, il me fallait absolument avoir une miette de ce formidable pouvoir – peut-être qu’une part de son énergie  même infirme, se déverserait sur moi.

Mais à l’inverse de toi, j’essaie de rester à ma place. J’ai appris qu’un félin ne se possède pas, sinon tu le perds à jamais. Et c’est ce qui risque d’arriver avec les tigres.

6 réflexions au sujet de « La gueulante du Tigre : lettre à un ami des tigres »

  1. C’est très vrai ce que tu écris , et très raisonnable , et moi , Tigre de métal , je te remercie au noms de tous mes frères. Mais voilà , tu essaies de jouer sur la raison , hors l’homme est tout sauf rationnel, sinon il n’aurait pas démoli le monde comme il l’a fait depuis…la nuit des temps.

    • Merci…de la part d’un rat des bois (pauvre de moi). L’homme est rationnel, l’interaction avec ses semblables et son environnement l’est moins hélas – en un mot : une foule, c’est con.

      • Enfin , ça dépend des hommes , entre ceux qui sont persuadés que la destruction de l’environnement sera compensé par la technologie et les « après moi le déluge » il y a peu de place pour ceux qui voient un peu plus loin que le bout de leur nez et qui crient dans le désert.

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