Mark Z. Danielewski – La Maison des feuilles

Denoël, 752 pages.

Mark Z. Danielewski - La Maison des feuillesVO : House of leaves. Comment dire ? Génial et improbable, violent et parfois insupportable, Tigre comprend que l’auteur américain a mis dix piges pour pondre cet OVNI littéraire. Sous couvert de l’exploration d’une baraque labyrinthique et piégeuse (cf. la couverture, presque une toile d’araignée), ce roman est l’alpha et l’oméga de la puissance de la littérature.

Il était une fois…

Johnny Errand, grâce aux bons soins de son pote Lude, récupère un curieux livre chez un aveugle clamsé, Zampano. Ce dernier a écrit un essai sur un film documentaire bien particulier intitulé The Davidson Record. Il s’agit de leur expérience quand la famille de Will Davidson (sa magnifique épouse et les deux gosses) emménage dans une maison en Virginie. Et la mansarde a tout d’une maison hantée dans la mesure où une pièce y paraît infinie.

Critique de La Maison des feuilles

En ouvrant ce roman, j’ai su tout de suite que j’allais avoir une expérience littéraire unique et violente. Ouvrir une page au hasard, et forcément quelque chose cloche. En effet, ça entube les conventions sans arrêt, comme si l’auteur voulait tout tenter, tout faire, en une seule œuvre. Non seulement ça pique les yeux d’un point de vue graphique (même pour un roman), mais en plus la forme est indissociable du fond.

On distingue deux scénarios intimement liés : Davidson, d’une part, qui s’entête à explorer une pièce infinie de sa maison achetée en Virginie. Cela commence par remarquer que l’intérieur est plus grand de quelques mm de l’extérieur, puis il découvre une porte menant à un couloir noir comme le trou du cul du diable, et se décide à faire appel à Holloway (un explorateur professionnel) et son équipe.

Johnny (qui bosse dans un salon de tatouage), d’autre part, lit l’essai en rapport avec la vidéo et donne ses impressions. Sauf que plus il avance dans la lecture, plus il semble perdre la boule. Ce protagoniste a beau mener une vie dissolue (gringues monumentales, baisouille un peu partout), les hallucinations et son état empirant n’ont rien à voir avec les drogues qu’il s’administre.

La perfection n’est pas de ce monde, cependant dans La Maison des feuilles je me suis demandé si l’auteur n’a pas sciemment provoqué quelques défauts. Le rythme de lecture, déjà, est imprévisible. On peut peiner trois heures pour avancer de soixante pages (en lisant tout) comme en parcourir une trentaine en trois minutes. Malgré la richesse du vocabulaire, le félin a plus d’une fois eu l’impression de tourner en rond. L’histoire du minotaure, la psychologie sous tous ses angles, un pauvre choix de mot, tout est bon pour que Zampano digresse dans les grandes largeurs et nous abreuve d’interminables et verbeux enseignements.

En conclusion, une claque littéraire que le félin a appris à détester tellement La Maison des feuilles m’a fait perdre du temps parfois. Si j’ai déploré un tarissement de l’intérêt de l’intrigue vers la 400ème page, j’avoue qu’un ouvrage tel que celui-ci est tout bonnement unique. Et impossible à mettre en page dans un format de poche.

Applaudissements nourris enfin pour Claro qui s’est attelé à la traduction qui semble respecter le délire ambiant, le mec a dû passer de sacrés nuits à bûcher comme un moine dans sa cave.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il faut avouer que le terme « roman d’horreur » peut qualifier en premier lieu ce que je viens de lire. Sauf que ça va au-delà de la stricte épouvante (la maison qui fait des siennes), il y a tout un univers développé autour dont même le gros Stephen King (invoqué d’ailleurs dans la Maison des Feuilles) ne parviendrait pas à rendre compte. L’horreur, ce n’est pas que cette maison ou les errements de Johnny Errand, c’est également le labyrinthe narratif qui perdra plus d’un lecteur. Tigre n’a jamais fait autant d’allers et de retours en lisant un roman, et jamais le félin n’a autant cru perdre le fil narratif avant que ce dernier ne se rappelle violemment et clairement à lui.

Puisqu’il faut bien en parler à un moment, c’est la forme qui fait de ce quasi chef d’œuvre toute sa force. Il y a trop à dire, toutefois voici quelques exemples : le mot « maison » (et ses traductions) invariablement écrit en bleu ; des textes en langues étrangères ; lecture à l’envers qui force à retourner l’objet dans tous les sens (comme si je n’avais pas assez l’air con dans les transports) ; des centaines de typographies et de polices d’écriture différentes, etc. On ne peut rêver mieux comme hommage au cinquième (c’est bien ce foutu numéro ?) art.

Mark D. (désolé, son nom est trop complexe) en profite pour se foutre allègrement de la gueule des us et coutumes des ouvrages académiques. Les textes dans de nombreuses langues, traduits à la va-vite, ça fait marrer. Y’a même des notes de notes de notes de bas de page, imaginez ! Mais l’histoire même de Johnny, livrée justement via des notes de fin de pages, sont désopilantes au possible. Celle-ci aurait alors la même valeur que d’autres notes « académiques », qui ne sont que des références improbables et inouïes. Florilège : Nupart Jhunisdakazcriddle et son tuer mal, mourir sage ; un snuff movie intitulé La Belle Niçoise et Le Beau Chien (qui n’a jamais existé, mais ça donne envie de vérifier), etc. J’ai rapidement tenté de savoir si quelques références existent, la réponse est niet.

La question en suspens, reste bien « mais comment lire ce roman ? ». Le Tigre, en élève poli et taiseux, a essayé de tout lire au début. Putain, presque tout. Et il est impossible de s’y tenir, entre des pages de noms de famille, des centaines d’exemples de bâtiments, des passages en hébreux ou d’autres inventaires qui ne servent à rien. Car Mark D. m’a appris, malgré moi, à ne plus regarder les notes de bas de page et à séparer le bon grain littéraire de son ivraie délirante. Apprendre à reconnaître ce qui importe dans un texte de ce qui est pur verbiage, voilà une autre leçon de maître à l’efficacité troublante.

Au risque de passer pour un illuminé, cette fameuse maison se rapproche le plus de ce que certains appellent « Dieu ». Quoiqu’il en soit, Mark Z. Danielwski a un grain. Que je soupçonne d’être extrêmement gros d’ailleurs. Merci à lui.

…à rapprocher de :

Je n’ose comparer ce monstre à un autre roman qui ne le mériterait pas de toute façon. Néanmoins, sur les romans profondément bizarres, Tigre peut vous renvoyer vers un billet spécialement dédié à cette catégorie.

– Tiens, juste pour les notes de bas de page idiotes et qui renvoient à n’importe nawak, il y a l’essai de FBL sur Georges-Guy Lamotte.

– Dans la catégorie des livres extrêmement exigeants, il faut signaler Confiteor, de Jaume Cabré, que je n’ai pu terminer – et à relire dès que je m’en sentirai capable.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce monstre en ligne ici.

8 réflexions au sujet de « Mark Z. Danielewski – La Maison des feuilles »

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  4. J’ai tout ressenti comme Le Tigre : le projet me semble un peu noyé par des passages chiantissimes (comme l’Echo ou le Minotaure… sérieux quelqu’un a lu ces digressions jusqu’au bout ?) mais reste très bon dans son récit tarabiscoté du Navidson Report… Je reste tout de même dubitatif quant au « culte » qui entoure le bouquin.
    La réflexion tigresque sur la capacité du lecteur de séparer le bon grain de l’ivraie est pertinente… (mais bon, moi aussi je suis capable de coller des passages wikipedia dans Guerre et Paix hein).
    Paraît-il que les autres oeuvres de l’auteur sont moins réussies et particulièrement difficiles à lire…

    • Cher Président, Wikipedia fait référence au séparage du bon grain et de l’ivraie ou c’est par rapport aux monstrueuses listes délivrées par l’auteur ? Pour tout avouer, jusqu’à la 400ème page j’ai tenté de tout lire (du moins regarder, au cas où), ensuite j’ai appris à ignorer. Sur le culte, ça ne m’étonne franchement pas, mais ne compte pas lire d’autres titres de Mark Z.D. : le gars a tiré son gros missile, je ne l’imagine guère avoir encore la ressource pour bisser.

  5. Haha! Je savais bien que j’étais pas la seule à m’être sentie débile avec mon livre à l’envers et un mot par page dans le métro!
    Ce cadeau de Nowel s’est révélé être prenant mais épuisant, et curieusement, c’est toujours quand je me disais que l’intrigue et l’horreur étaient noyées par le flot de notes et l’effort mental à faire pour suivre un paragraphe coupé par 15 digressions et annotations sur 4 pages, que j’étais surprise par l’accélération de mon rythme cardiaque.
    Bref, j’ai même pas réussi à me faire un avis, la lecture de ce livre s’étant révélée être une expérience unique et vraiment particulière.
    A lire? A éviter? Je sais pas, j’en sais rien je sais plus rien au secours….

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