VO : Conte cruel de Manhattan. Voici l’histoire de la belle Florence Evelyn Nesbit (on ne rit pas je vous prie), jeune Américaine qui au début du vingtième siècle a somptueusement défrayé la chronique. Nathalie Ferlut, à l’aide d’illustrations parfaitement adéquates, a su rendre compte d’une époque et d’un état d’esprit caractérisant la riche populace des États-Unis avant la première guerre mondiale.
De quoi parle Eve sur la balançoire, et comment ?
Voilà qui est rigolo comme tout : j’ai dévoré ce roman graphique d’une traite en me jurant de regarder si la fameuse Eve a réellement existé, et Nathalie Ferlut a devancé ma démarche en fin d’ouvrage : elle a livré les éléments nécessaires (photos, biographies, presque une mini-encyclopédie) pour jauger de l’histoire telle qu’elle s’est vraiment déroulée. Du coup, comprenez que Le Tigre a classé cet ouvrage dans la catégorie des essais.
En effet, Evelyn Nesbit, née en 1884, est réellement arrivée vers 1900 (avec sa daronne) à New-York depuis son agricole Pittsburgh. Emportée par l’ambition démesurée de sa mère, Eve a commencé à poser pour de menus peintres, jusqu’à être repérée par le grand Stanford White, architecte de renom aux mœurs qualifiées (à l’époque) de dissolues. L’ingénue, plutôt bien au courant de ses charmes, parvient à brièvement évoluer dans la société jusqu’à la fin, forcément tragique.
Cette tragédie est annoncée dès le début puisque l’essai graphique oscille entre l’existence d’Eve de 1901 à 1906 et une cour d’assises (à NYC) en 1907. Intelligemment, l’auteure livre quelques indices sur les tenants et aboutissants de ce dont il va être question lors des audiences, sachant qu’on propose à la miss une somme conséquente pour orienter son témoignage. Femme frivole qui couche à tous les râteliers (oh, joliment formulé) ; dommage collatérale d’un mari jaloux ; victime de personnes peu fréquentables ? Un peu des trois – même si Le Tigre pencherait pour la première analyse.
Bien évidemment, rien n’est parfait dans Eve sur la balançoire dans la mesure où 1/ Le lecteur peut trouver le temps long sur quelques planches (le rythme s’en ressent parfois) et 2/ L’histoire n’est pas vraiment la came du Tigre. En revanche, il faut avouer que le dessin est agréable à l’œil : l’auteure a opté pour une sorte de tons pastels, avec ce que cela peut comporter en termes d’onirisme ou de mise en page des sentiments des protagonistes. C’est de temps à autre un poil brouillon, toutefois rien de méchant.
En guise de conclusion, je justifierait honnêtement la bonne note attribuée à l’ouvrage de Ferlut parce que, je ne sais plus comment, le félin a en sa possession un exemplaire dédicacée. Putain oui, je ne vais jamais traîner mes guêtres aux salons de bouquins et pourtant ce truc a été signée à mon nom. Quoiqu’il en soit, une bonne petite découverte. Me suis cultivé en tout cas.
Ce que Le Tigre a retenu
L’histoire de la belle Eve est, comme je le disais, édifiante : maquée rapidement à un gros dégueulasse (Mr. White), la pépée a renversé quelques cœurs tel celui de John Barrymore (jeune artiste dans l’âme qui déclamait Shakespeare dans un resto pour payer sa note) ou Harry Thaw. Parlons-en de ce dernier. Le gars, désespérément amoureux d’Evelyn, va lui mener une cour effrénée en balançant des scuds de romantisme comme les fleurs, déclarations, bijoux, voyage. Sauf qu’il est plus que glauque, entre ses prises régulières de drogues, son aspect cadavérique et sa jalousie dévorante. D’ailleurs, cette dernière sera la raison d’un retentissant procès en 1907 pour meurtre…
Les coutumes de l’époque sont finement restituées, notamment la maman d’Eve qui fait, de manière à peine éhontée, office de marieuse, sinon de maquerelle. Non seulement elle veut assurer la prospérité sur la famille (surtout sur sa petite personne), mais en plus elle tend à vouloir donner à sa fille l’existence dont elle aurait rêvé (sans lui demander son avis). Lorsque tout semble bien se dérouler au début, la rencontre avec Stanford White dérègle irrémédiablement la machine mise en place par la petite famille.
Tant qu’à expliquer le titre, la fameuse balançoire de l’héroïne (le rapport avec la drogue prise par Thaw mérite d’être rappelé) représente la douce période de gloire où Eve survolait la Grosse Pomme en tant qu’égérie publicitaire très demandée. Jusqu’à la chute vers le statut d’une femme sulfureuse, sinon salope sur les bords parce qu’elle est loin d’être vierge. Être belle, célèbre, riche et respectable paraît bien impossible pour l’époque – hélas, est-ce que cela a changé au XXIème siècle ?
…à rapprocher de :
– Harry Thaw, par sa douce folie et le rapport bizarre entretenu avec sa môman, m’a plus d’une fois fait penser à Norman Bates. Vous savez, le taré de Psychose ?
Aucune idée de titres semblables pour l’instant. Toute aide est la bienvenue.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce essai graphique en ligne ici.