Les Sutras du Tigre .03 : voler un livre en grande surface

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les Sutras du TigreLe Tigre pose deux secondes son bouquin, prend une cagoule de séparatiste nivernais et compte vous expliquer, par le menu, comment chaparder avec classe un livre dans votre magasin culturel préféré. Afin d’éviter quelques exploits d’huissiers (les seuls dont ils sont bien capables), je vous rappelle que ceci est une expérience de pensée. Ne reproduisez pas ce billet chez vous.

Qu’est-ce que le vol littéraire ?

Cette partie fera office de déni…euh d’avis de non responsabilité. Comme vous le savez tous, Le Tigre a, encadré dans le mur gauche (celui sur lequel le soleil tape) de ses chiottes, le diplôme de criminologie signé du père Bauer en personne. La crimino, ce n’est pas que du droit, de la socio ou regarder des snuff movies dans les amphis, c’est une noble science qui m’a beaucoup apporté.

Je sais donc de quoi j’écris (ça passe ?), et notamment les aspects purement juridiques. Pour faire court, le vol est défini par l’article 311-3 du Code pénal. Les chiffres donnent dans l’ordre : livre 3 (le livre 2 est relatif aux crimes & délits contre les personnes, plus importantes. Imaginez, avant le livre 2 parlait des crimes contre l’État, c’est dire la mentalité). Titre premier (appropriations frauduleuses, comme l’escroquerie ou l’extorsion). Ensuite chapitre 1 (le vol à proprement parler, ce qui est large). Enfin section 1 (vol simple et aggravé, sans les dispositions relatives aux personnes morales notamment).

Le vol, c’est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Trivialement, l’élément matériel est aisé à comprendre : soustraction (donc ni don, ni vente, etc.) de la chose d’autrui (un bien donc, c’est pourquoi le vol d’électricité est précisé dans l’article qui suit). L’élément moral tient en un mot : frauduleux. Le suspect doit savoir qu’il commet un vol, ce qui ne serait pas le cas du Tigre qui prend un bouquin à la volée au salon du livre, pensant qu’avec le prix payé pour l’entrée c’était un open bar.

Sur les peines, je vous avoue que pour un tel objet celles-ci seront très légères. Au pire (et en supposant que votre casier judiciaire n’est pas trop chargé), un petit rappel à la loi sera prononcé, voire une amende avec sursis. Sauf si le magistrat s’est levé du mauvais pied et a envie de vous aligner pour faire marrer ses collègues (ça n’arrivera jamais, n’ayez crainte).

Commettre un larcin dans une librairie ?

Pourquoi une grande surface ? Deux raisons. D’une part, le gros supermarché de banlieue est plus apte financièrement à supporter votre nouveau hobby. Entre les lames de rasoir et les bouteilles de gin passées sous le manteau, le dernier Musso manquant à l’appel sera à peine plus douloureux qu’un coton tige lubrifié dans le derrière (pour vous, ce sera sûrement pire à lire). Une librairie, a contrario, ne vend par définition que des choses littéraires. Déjà que ces commerçants ne sont pas très jouasses quand leurs expert-comptables clôturent leurs comptes, pas besoin d’en rajouter.

D’autre part, le risque de se faire choper. Le bouquiniste, dans son échoppe autant poussiéreuse qu’abandonnée, est susceptible de ne pas vous lâcher. Pire, il pourrait vous conseiller des romans. Malédiction, impossible de subtiliser quoi que ce soit ! Pour les plus imposantes boutiques de livres, très souvent un système de « pastilles » ou autres indélicatesses est mis en place afin qu’une désagréable musique vous signale comme un voleur en sortant du magasin. [Conseil à l’attention des quérulents : si ça sonne alors que vous n’avez rien piqué et qu’on vous fouille devant tout le monde, vous avez potentiellement le droit à des dommages et intérêts]

Quel genre de romans taper sinon ? Vous le faites comme vous le sentez, surtout que piquer une œuvre que vous ne lirez pas au final est un poil con, car les revendre ne vous rapportera que de ridicules clopinettes. En ce qui concerne Le Tigre, uniquement des San-Antonio sont clandestinement passés du supermarché à ma bibliothèque : un auteur presque mort, des poches mille fois réédités, un éditeur qui se gave depuis des décennies, une grande surface dont le dirigeant est un infâme anglais presque roux, bref je me suis donné des excuses béton.

On y est, voila la partie la plus importante.

Comment taper un bouquin dans un grand magasin ?

Les axiomes de cette partie seront : pas d’antivol dans le magasin + vigile présent. C’est ce dernier individu qui peut potentiellement vous mettre la honte.

Tout d’abord, faut préparer le terrain. Sans verser dans les clichés sociaux, débarquer avec des frusques normalement portées par un joggeur n’est pas de bon aloi. Alors faites un effort, sapez-vous comme il faut. Le meilleur reste l’habit de confiance : costume, robe de prêtre, chemise amidonnée à la BHL, jambe dans le plâtre, pull attaché autour du cou, pin’s des jeunesses giscardiennes, etc. Pas trop flashy dans la classe (ou le mauvais gout), c’est le meilleur moyen d’attirer sur soi tous les regards. Notamment ceux des personnels de sécurité et vidéosurveillance.

De même, vous ne vous présenterez pas les mains vides dans le magasin. Dans votre besace il y a un livre (le votre hein), d’aspect neuf, que vous sortirez avant d’entrer dans le temple de la consommation. Dans le cerveau de taille certes respectable mais néanmoins fatigué du vigile, doit s’imprimer l’image d’une personne propre sur elle tellement geek qu’elle est en train de besogner son bouquin. Le titre du bouquin ? Le vigile s’en fout, et tant mieux quelque part.

Ensuite, faites un peu ce que vous voulez dans le magasin, ça ne me regarde pas. Mais, de grâce, n’allez pas farfouiller dans le rayon « BD humour », neuf dixièmes des titres proposés sont de la merde pur carat. A un moment donné, vous remiserez dans votre sac le bouquin et prendrez un de même format dans un rayon. Vous n’avez pas besoin de vous cacher, le geste doit être le plus naturel possible.

Enfin, sortez. Cependant, pas avant avoir parcouru au moins le magasin pendant 5 minutes avec le livre prélevé. Il est important que, psychologiquement, le bouquin vous appartienne. Vous partirez du magasin avec l’à peine coupable nonchalance du gentleman-voleur du 19ème siècle. Avec le sourire. Et en disant au revoir au vigile (à haute et intelligible voix), je le fais toujours ils semblent apprécier.

Conclusion de voleur de poules

Préparation facile, 10 minutes montre en main, la recette tigresque est simple, mais nullement infaillible. Le principe de La lettre d’Edgar Poe, ni plus ni moins : plus c’est gros plus ça passe ! Que faire alors si on se fait prendre à la sortie ? Il convient d’opter pour la stratégie O.J. Simpson : nier, et ce quelles que soient les preuves.

En effet, il existe une salace propension chez les agents de sécurité qui veut qu’ils inversent, à tort, la charge de la preuve. C’est-à-dire qu’ils vous diront « Montrez moi monsieur/madame votre ticket de caisse. Vous l’avez acheté ailleurs ? Prouvez-le. »

La réponse du Tigre, que je daigne vous donner, consiste peu ou prou à cela. A vous d’adapter :

Ecoute mon coco, ça ne se passe pas comme ça. C’est à vous de me prouver que je l’ai piqué, alors on va ensemble aller checker le système informatique du magasin pour voir s’il manque ce titre. Si c’est le cas, alors votre inventaire a été sûrement mal fait. Je tiens à te signaler que je suis particulièrement pressé, et si tu continues à me faire perdre mon précieux temps, je vais tellement assigner ton infâme employeur que les comptes de l’année prochaine montreront une provision pour risque juridique qui fera tousser les actionnaires. En principe, pour un livre, on ne vous emmerdera pas plus longtemps.

C’est pourquoi discrètement tamponner (mon tampon est ici) le livre volé peut être un indéniable atout.

15 réflexions au sujet de « Les Sutras du Tigre .03 : voler un livre en grande surface »

  1. « Quand le félin, faites l’autre ! »
    (proverbe magyar du XIVe siècle)

    PS : Las, j’ai eu beau arpenter tous les rayons de mon hypermarché local, aucun ouvrage d’une meilleure tenue que ceux de K. Pancol ne m’a incité à passer à l’acte.
    Pour un peu, je me serais bien laissé aller à compliquer l’expérience d’un larcin à double-détente : venir une première fois et, comme indiqué dans le mode d’emploi à rayures supra, avec à la main, tiens pourquoi pas, d’ostensibles « Chroniques de La Montagne » (de Monseigneur Vialatte himself). Déposer le dit chef d’œuvre en bonne place, idéalement au-dessus d’une pile de Lévy par exemple. Sortir, les mains vides et le sourire aux lèvres. Revenir quelques temps plus tard — l’idéal étant même que le balèze, sorti se restaurer, ait cédé la place à un collègue.
    Alors, extase absolue, filer au rayon livres, se saisir du dit Vialatte d’un air de conspirateur-qui-se-cache-des-caméras-et-regarde-partout-pour-être-sûr-que-quelqu’un-ne-l’ait-pas-vu, puis ressortir en affichant un « air de rien » appuyé et en serrant sur son ventre le pull sous lequel aura été glissé l’ouvrage.
    Succès garanti.
    Bien sûr, il faut être disposé à donner un peu de son temps à la gloire tigresque autant que livresque, avec l’humilité d’avance que l’essentiel de l’aventure se déroulera alors loin de tout public susceptible d’en apprécier le sel — et dans des locaux souterrains à l’aspect plus policier que germanopratin. Et n’avoir pas de renommée à défendre dans le quartier. Et rester d’une sérénité sans faille, fût-ce sous la menace de poings serrés.
    Mais… quel pied ! ;-))

    • C’est juste parfaitement vicieux, tout à fait l’esprit du blog ! Merde, s’il n’y avait pas ce risque que quelqu’un pique avant moi ledit bouquin, j’irai foutre une édition bien cher.
      Je peux vous piquer le proverbe magyar pour la suite de mes aventures ?

      • Avec un immense plaisir, cher Tigre ! :-))

        Je plussoie au risque, que vous soulignez, de se voir en effet — et ce serait un comble — faucher avant l’heure et par un autre le butin du futur « faux-larcin ».
        Nonobstant, j’y vois deux avantages : le premier est que l’on bénéficiera ainsi du shoot d’adrénaline que n’apportera plus la peur de se faire prendre ; le second, de savoir qu’existe dans la ville un autre amateur de l’éditorialiste de Clermont-Ferrand — même si ce gourmet lettré aura pu rencontrer quelques difficultés à faire valoir ensuite, à la caisse, son « droit à payer », faute de référencement de ce bijou littéraire dans les entrailles de la machine. (Sauf bien sûr s’il l’a lui-même subtilisé, en un subtil effet de miroir… dont je serai cependant seul à goûter le sel !).

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  5. Après application du théorème dit de chapardage livresque, l’opération Tigre dans un supermarché local a porté ses fruits.
    Pour ça, mon petit avantage sur mes camarades : ma serviette en cuir, très « homme d’affaires ».

    Gloire au Tigre, qui nous a montré la voie !

    • Ne donnez pas, aux magistrats, ce nom d’opération. Je vais avoir une descente, à 6h du mat’, dans ma tanière pour complicité. L’heure à laquelle je me couche, vous ne respectez rien Alch !
      Quel magasin ? Quel livre ? Avez-vous eu, en passant la porte, aussi, ce petit pic d’adrénaline que seul un saut en parachute est capable de reproduire ?

      • Pas de panique ! Malgré mon signe astrologique, je ne suis pas du bois dont on fait les balances. Le secret est bien gardé.
        Et de toute manière, nul n’a vu mon méfait.
        Les objets du délit sont un recueil de nouvelles de Sylvain Tesson, et un roman de Don Winslow.
        Pour ce qui est du pic d’adrénaline, je confirme. Je me demande toujours si le livre va sonner quand j’aurais passé la caisse automatique du Auchan local. Pour le moment, nul problème à l’horizon.

  6. Cela est bel et bon, mais ne concerne que le Snow Tiger siberien, ou tigre blanc ; son frere bistre, pire sa cousine panthere noire risquent de rencontrer davantage d’obstacles… O tempora etc.
    Insistons sur le fait que le libraire non-vendeur de lames de rasoir est presque aussi menace que le sus-mentionne tigre siberien, et infiniment plus utile au quotidien. Lui chaparder sa pitance, meme pour la beaute du geste est ecologiquent irresponsable.
    Quant a San-A, mille fois amorti, il devrait deja etre distribue gratuitement avec chaque boite d’anxiolitique ou d’anti-depresseur. En cas d’urgence s’en procurer un exemplaire quelque soit le moyen!
    Vale
    Krabay

    • Je vais sûrement écrire à Dard Jr. pour lui avouer mes méfaits, je suis sûr qu’il applaudira à deux mains. Peut-être consentira-t-il à ce que le félin dépose, sur son modeste blog, l’intégralité des œuvres du père en pdf. J’en appellerai à la mission de service public que vous évoquer à raison.

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