Winshluss – Pinocchio

Les Requins Marteaux, 194 pages.

Winshluss - PinocchioTigre n’était pas loin de la claque littéraire avec ce roman graphique qui offre une version modern-trash de Pinocchio. Imaginez : une histoire réadaptée qui part aux quatre coins de la rose des vents, des illustrations sales mais puissantes, il y a largement de quoi halluciner. Du grand art même si certaines références me sont passées au-dessus de la tête.

Il était une fois…

Gepetto, ingénieur qui présente un complexe d’infériorité certain, développe un robot-soldat (le fameux Pinocchio). Sa machine ne rencontre hélas guère les attentes des soldats, en outre le pantin de fer quitte le foyer après avoir grillé la femme de l’ingénieur qui voulait chevaucher son nez. En guise de criquet, c’est un cafard alcoolo et dégagé par ses semblables qui va trouver refuge dans le crâne du jeune héros. Et ce n’est que le début, tout va vite partir en sucette : les aventures du personnage de Carlo Lorenzini vont prendre une tournure autant moderne qu’horripilante, et ce avec un minimum de texte.

Critique de Pinocchio

Winshluss est un auteur / illustrateur qui a notamment travaillé avec Marjane Stratrapi sur Persepolis. Il n’en fallait pas plus comme carnet d’adresses pour que Le Tigre se procure Pinocchio, et le résultat fut au-delà (trop même) de toutes mes attentes. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi cet album a gagné quelques médailles (notamment le prix de la BD d’Angoulême).

Laissant ma fierté de côté, je vais avouer quelque chose que je n’imaginais pas devoir dire avant longtemps : ça part vraiment trop dans tous les sens. Et je n’ai pas mis longtemps à découvrir le pourquoi du comment : comme un con, je n’ai jamais lu (ni vu, pire) l’original. Aussi les nombreuses références (Pinocchio pendu, le séjour dans un endroit dédié aux loisirs, etc.) à cette histoire déformée par les bons soins du Dr. Winshluss sont plus délicates à saisir pour un touriste de premier plan tel que Le Tigre. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que les fils des différents scénarios ne sont qu’une seule grosse belote à la cohérence éprouvée.

Heureusement, il n’y a quasiment pas de texte (à part les parties avec le cafard) dans Pinocchio. Tout est dans les illustrations, et quelles illustrations ! Aidé de Cizo à la couleur, l’auteur français a dessiné quelque chose à la mesure du très malsain scénario. En parcourant les pérégrinations post-titanic de Gepetto, il y a une sorte d’hommage appuyé à des illustrateurs comme Vuillemin : grossier (mais pas tant que ça) et salement colorié, les teintes « caca d’oie » tirent régulièrement la bourre aux tons glauques.

Le dernier bon point, c’est la qualité du roman graphique. Le pavé est solide et a l’heur de présenter une couverture qui annonce l’adaptation de tête brûlée du conte pour enfants. Et sobre avec ça, aucun quatrième de couverture ! En guise de conclusion, une expérience pour les yeux que je conseillerais à tout le monde.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les contes réactualisés. En fait, il s’avère vite que Winshluss a piqué quelques éléments à différents contes, à la limite du cross over. Que ce soit l’île enchantée qui tombe sous la coupe (un peu trop gros) de vilains loups fascistes ou une Blanche Neige ressuscitée par sept nains grâce à une transplantation de cœur, l’auteur a mis au goût du jour les histoires de notre enfance. Encore mieux, l’humour bon enfant de ces textes s’est transformé en quelque chose de caustique et profondément irrévérencieux.

Circonstance aggravante, ce « conte de fées » (c’en n’est plus un) est avant tout destiné aux grandes personnes. La transformation en un digne cauchemar n’attend pas, avec des anti héros pitoyables et des bêtes peu reluisantes (je pense au serpent/œil). Deux exemples : le cafard collectionne les murges et refait le monde avec ses compagnons de beuverie (scènes d’anthologie) ; ou les sept nains qui ne pensent qu’à sauter Blanche Neige (qui aura une expérience lesbienne) avant de violer Gepetto. Dans l’ensemble, les plus terribles travers de l’être humain (avarice, racisme, meurtre, drogue, suicide) rythment cette œuvre déroutante. Beaucoup de caricatures qui feront rire, hélas souvent jaune.

…à rapprocher de :

– Puisque j’en parlais, on peut admirer le style de Vuillemin dans ces albums des sales blagues des échos. Tigre possède l’intégrale, qui est franchement corrosive.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman graphique via Amazon ici.

14 réflexions au sujet de « Winshluss – Pinocchio »

  1. Ping : Nicholas Gurewitch – The Perry Bible Fellowship Almanack | Quand Le Tigre Lit

  2. La BD de Winshluss est formidable (la narration passe vraiment par l’image), le dessin-animé de Disney aussi (très glauque vu le public visé), mais le roman originel de Collodi est d’une noirceur incroyable ! Une histoire idéale pour traumatiser des gosses en la leur lisant au coucher ! Le pauvre Pinocchio se fait défoncer dans tous les sens, le passage de sa pendaison me laisse encore pantin, pardon, pantois. A se demander comment le personnage est devenu aussi populaire…

    • Il y a beaucoup de contes pour « enfant » qui sont extrêmement cruels. Pinocchio en fait parti. Mais bcp de contes de Perrault (Le Petit Poucet ou Barbe Bleue par exemple) ou de Grimm sont racontes de manière sombre et violente.

      Peut-être qu’a l’époque, les gamins étaient pas si niais…

      • Oui, la noirceur est un élément fondamental des « vrais » contes (contrairement aux machins aseptisés que bouffent les gosses d’aujourd’hui). Mais Pinocchio reste particulièrement abominable à mon goût !

      • Harry Potter, en considérant que ça peut devenir un conte, envoie un peu de lourd en la matière. Je le dis avec d’autant plus d’aisance que je n’en ai lu aucun.

      • Harry est un peu un cas a part dans le sens ou l’auteur a fait évoluer l’histoire et la noirceur en même temps que l’age du héros et du lecteur.
        Les premiers tomes sont niais et enfantins, les derniers sont niais mais plus adultes…

        (Je dis ca mais je me suis fait c**** en les lisant…)

  3. Ça a l’air bien.
    Je vais mettre ça dans ma liste qui s’allonge encore plus vite que le nez de Pinocchio…
    D’ailleurs dans Pinocchio, il y a… occhio. Coïncidence? Je ne pense pas…

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