Elisabeth Reynaud – Niki de Saint Phalle

Ecriture, 272 pages.

Elisabeth Reynaud - Niki de Saint PhalleSous-titre : Il faut faire saigner la peinture ! Catherine-Marie-Agnès Fal de Saint Phalle, dite Niki, était une artiste d’exception. Tiraillée entre le fantasque et la morgue bourgeoise de sa famille, à cheval entre l’énergie des États-Unis et la beauté de la France, Niki a eu une existence aussi intense que dramatique, plutôt bien contée dans cet essai.

De quoi parle Niki de Saint Phalle, et comment ?

Le Tigre reste un inculte bien gras comme il faut, je ne connaissais Mme de Saint Phalle que de nom, sans avoir eu, une seule fois, l’once d’une ébauche de volonté de savoir qui elle était vraiment. A peine si je savais que les Nanas étaient d’elle, j’ignorais seulement que des dizaines ont été produites et que les émanations de polyester sont sûrement  à l’origine des pneumonies et polyarthrites qui ont eu raison de St. Phalle. L’éditeur, gentiment, a contribuer à pallier ces « trous » culturels en m’envoyant l’essai de Liz’ Reynaud, qui a collaboré au sein de la galerie Artcurial.

Le document, exempt de toute image, a tout de la biographie classique : des rappels sur les « antécédents familiaux » à la maladie chronique puis la mort, les chapitres qui se suivent dans un ordre chronologique de militaire, quelques anecdotes nouvelles pour briller en société, Élisabeth Reynaud a bien bossé son sujet. Parallèlement, l’essayiste a tenté d’apporter sa « patte » de manière plutôt prononcée, c’est-à-dire en n’hésitant pas à aller au-delà du document neutre en prenant parti pour Niki (relations avec le père), voire contre elle (l’artiste en tant que mère).

L’avantage d’une telle démarche est l’impression de lire une balade douce-amère romancée où on connaît un peu plus un personnage unique qui est loin d’être sérieux – sans compter la fluidité de lecture géniallissime. Néanmoins, comme dans tout roman à charge biographique, je vous avoue avoir eu le sentiment d’être balloté de droite à gauche sans pouvoir raccrocher tous les wagons (les protagonistes) qui évoluent dans ce joyeux bordel des arts. Ça se serait peut-être mieux passé si j’avais su que, en fin d’ouvrage, il y a un arbre généalogique de la famille Saint Phalle – et oui.

En guise de conclusion, voici un édifiant essai qui se suffit à lui-même, à savoir autonome dans sa démarche – aucun prérequis demandé. Cependant, quelques illustrations (même de minuscules, en bas de page) auraient été bienvenues pour avoir une idée plus précise du doux génie du personnage – notamment ses monumentales sculptures/constructions.

Ce que Le Tigre a retenu

Le souci, parfois, est que l’essayiste parle de tout à tout moment – ce qui rend certes la lecture agréable. Elle lance une idée par ci, une information (qui n’a rien à voir) cinq mots plus loin, aussi il est difficile de faire une synthèse par thème malgré les chapitres dont les titres annoncent un aspect de l’existence de Mme de Saint Phalle. Essayons tout de même :

Tout d’abord, la famille de Niki mérite que l’on s’y arrête. Car les Saint Phalle en tiennent une jolie couche, tout semble réuni pour faire de jolies étincelles. La petite Catherine, très proche de son frère Jean (un farceur de première), a évolué dans la détestation du nazisme et allait jusqu’à « jouer à Hitler » avec le frangin – d’où les formes arrondies de ses œuvres. Au fil des années, l’esprit fantasque et hors du commun de l’artiste en devenir cristallisera ses fragilités, jusqu’à devoir effectuer des séjours en psychiatrie (où elle sera soumise à des électrochocs). Derrière tous ces troubles, sûrement le viol subi à 7 ans de son père.

Ensuite, l’éclectisme des productions et idées de Niki est affolant. Une vraie touche à tout qui, dès qu’elle une idée, l’exploite à fond (et avec une rapidité déconcertante) avant de passer à autre chose de façon tout aussi rapide. Et ses œuvres, évidemment, sont sacrément inspirées de sa jeunesse : exutoire en tirant sur des tableaux en crevant des poches de peinture (d’où le titre, qui aurait pu être « tuer le père »), sculptures énormes et souvent éphémères, jusqu’à réaliser un film controversé. Quelques constantes sont à remarquer, telles les formes arrondies qui la mettent en confiance (face aux angles droits fascisants) ou les jeux de lumière/miroirs.

Enfin, Niki a fait montre, tout au long de sa vie, d’une liberté totale. Cela pouvait passer pour de l’insolence à l’école ou de la folie chez sa famille, mais force est d’admettre qu’elle avait du nana power en elle. Que dire alors de ces amours (nombreux amants et amantes), sorte de libéralisme sexuel avant même les années 60 – même si Jean Tinguely restera l’unique, la base sur laquelle elle s’appuiera toujours.

…à rapprocher de :

– Elisabeth Reynaud s’appuie énormément sur Traces, autobiographie que Niki a publiée en 1999.

– Le film Daddy, dont il est question dans les derniers chapitres, vaut très certainement le coup d’œil – ça a l’air glauque en diable.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette biographie en ligne ici.

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