Georges Perec – Les Revenentes

Julliard, 144 pages.

Georges Perec - Les RevenentesDans la lignée d’un roman où la lettre « e » était manquante, le génial Perec a récidivé en bazardant toutes les autres voyelles. Ouais : un roman avec une unique voyelle. Il ne doute de rien le mec. Le résultat, certes réjouissant au premier coup d’œil, fait toutefois vite mal à la tête – ce n’est pas de sa faute dans la mesure où la contrainte littéraire oblige à régulièrement saccager l’orthographe.

Il était une fois…

Très honnêtement, je serai infoutu de vous dire de quoi il est question dans cette œuvre puisque j’ai rapidement abandonné, avant de sauter ici et là (au hasard) des paragraphes tel le cabri en début de printemps. Il est question d’une nana (Bérengère je crois) avec des bijoux et qui passe du temps chez l’évêque d’Exeter. Lequel semble être un petit excité bien membré qui a envie de tremper sa nouille plus souvent qu’à son tour.

Critique de La Disparition

Avant de s’attacher à discourir sur cet étrange roman, il faut que vous vous rendez compte à quoi peut bien ressembler un texte où seul le « e » tient office de voyelle. Comme j’adore le nombre 12 (en lien), voilà à quoi ressemble une partie de la 120ème page :

Tel qekqe belvédère qe dégénérescence et sénéscence descellent et jettent en terre, tel des D-C-7 qe des tenks descendent, tel des tertres qe des tremblements de terre ébrenlent, l’ensemble se segmente, et s’ébrèche et se relève pêle-mêle.
– C’est le grend denger de tels enchevêtrements, qelqes reneeflements et c’est décédé ! fêt treestement Tencrède.
Serène, Bérengère prend le temps de plézenter et, tel le grend Gégène, décrête :
– C’est vré qe je m’empêtre dens les membres des prêtres.

Vous voyez le genre ? Pour ma part, les bonnes phrases de Perec appellent quelques remarques : tout d’abord, il est nécessaire, en vue de rendre l’histoire un tant soit peu riche, de malmener la manière dont les mots s’orthographent – laissez-moi aussi inventer des verbes. Le lecteur ne mettra pas long à se rendre compte que la lettre magique peut en remplacer bien d’autres. Voire des consonnes qui parviennent à faire illusion, à l’instar du mot « chwette » qui revient souvent.

Ensuite, Perec a souvent recours à la langue anglaise, en particulier pour faire le « i ». Il n’est donc pas impossible de devoir lire à voix haute les phrases afin de gagner en fluidité et se réjouir de lire des mots bien connus qui gagnent en saveur avec l’unique voyelle autorisée. Si vous supprimez celles considérées comme superflues (notamment le « u » dont phonétiquement on pourrait bien se passer), y’a de quoi envoyez au tapis la moitié de l’Académie française.

Enfin, le félin n’a pu que constater qu’au bout de quelques pages il était salement gavé. L’écrivain use de nombreuses répétitions et forcément d’allitérations, et l’orthographe malmené ne donne pas envie de poursuivre la lecture. Puis faut avouer que tous ces « e » sont écœurants : si Le Tigre apprécie le tour de force, ce n’est qu’à très petite dose. C’est souvent le cas avec les textes de l’Oulipo – ouvroir de littérature potentielle, pour rappel.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La première chose qui a traversé mon esprit ô combien fait-con est la suivante : punaise, cette foutue lettre est réellement centrale dans notre belle langue. Réussir à aligner autant de phrases (peu importe le scénario, que je devine à peu-près cohérent) en zappant les A, I, O, U et Y, ça montre à quel point on peut tout faire avec la royale voyelle. Euh, je, me, arreuh, c’est tout bonnement les premiers termes qu’un être humain tente de babiller à ses débuts – à l’exception notable de oui/non. J’ai donc lu Les Reventes comme une forme de retour aux sources, quelque chose de fondamental qui relève autant de l’hommage à la littérature qu’au genre humain.

La seconde remarque concerne le quatrième de couverture qui évoque un aspect auquel je n’avais guère pensé. A savoir que Les Revenentes n’a aucun mot en commun avec le roman/faux sosie de Perec qu’est La Disparition. Bah ouais, j’ai vérifié, il est impossible de trouver un seul mot en commun entre les deux textes. Savoir qu’il existe deux bouquins dans ma bibliothèque qui n’ont rien en commun (si ce n’est leur auteur) est un poignant exemple de la richesse de la langue française (et, accessoirement, de mes goûts).

…à rapprocher de :

– J’ai nettement préféré La Disparition, qui me laisse sur le derche à chaque fois que je lis une page au hasard.

– Pour vous donner une autre idée de ce que l’Oulipo peut faire, allez donc lire Exercices de style, de Queneau.

Enfin, si votre libraire est fermé, vous pouvez trouver cet OVNI littéraire en ligne ici.

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