Un classique de ce que la littérature sous contrainte peut faire de décoiffant, un recueil de textes autant homogènes sur le scénario qu’hétérogènes sur le style, un écrivain qui a su montrer à quel point s’amuser (pour ne pas dire déconner) avec la langue peut être somptueux, bref un objet d’art que tout lecteur devrait avoir tenu dans ses mains une fois dans sa vie.
De quoi parle Exercices de style, et comment ?
Depuis que Tigre a l’âge de lire, ce bouquin qui traînait dans la bibliothèque a fait l’objet de plusieurs lectures (souvent dans les WC) passionnées. Et il y a de quoi, parce qu’à part Zazie dans le métro je ne connais que très peu de choses de Raymond Queneau. Point de roman ici, plutôt une sorte de gala littéraire où tous les styles sont invités et font leur show.
Prenez une histoire assez courte, qui peut se résumer de la sorte : le narrateur remarque dans un bus un jeune homme doté d’un cou très long et avec un accoutrement qui passe pas inaperçu (chapeau orné d’une tresse). Cet individu s’engueule avec un voyageur. Quelques instants plus tard, le narrateur croise à nouveau le jeune homme, près de la gare Saint-Lazare, qui est en train de délivrer un conseil vestimentaire à un ami.
Ensuite, à partir de ce scénario que Queneau délivre de manière neutre, l’écrivain en propose 99 versions. Pas une qui ne ressemble à une autre, en effet chaque texte (qui ne dépasse pas deux pages) est rédigé d’après un style annoncé. Et il y a du basique (les cinq sens, le vocabulaire familier ou précieux, en vers par exemple) comme des contraintes de haut vol (permutation de mots croissants, que des noms propres notamment). Plus d’une fois le lecteur aura envie de sortir son dico face à des mots d’origine hellénique ou à un champ lexical très précis. Quant à la version en contrepèteries, la moitié m’est passée au-dessus du ciboulot.
Au final, lire la centaine de scripts d’un coup n’est sans doute pas adéquat, il n’est pas impossible de trouver le temps long. Même si l’humour omniprésent et le génie de l’auteur nous réjouissent à chaque instant. Il faut mieux piocher, au hasard, lorsque l’envie nous prend. Et ce sans modération, en relisant certains passages quelque chose de nouveau apparaît toujours.
Ce que Le Tigre a retenu
C’était la première fois que j’ai eu sous le nez de la « littérature sous contrainte ». Double contrainte, quelque part, en considérant qu’écrire 99 fois la même histoire en est une de taille. Pour un texte écrit juste après la Seconde Guerre mondiale, nul vieillissement ne semble être à déplorer. Ce qu’a fait Queneau est presque « universel » et difficile à actualiser (on dirait qu’il a pensé à tout), en plus d’ouvrir la voie à d’autres exercices « contrariés », et au mouvement de l’Oulipo qui impressionnera plus d’un lecteur.
Les possibilités et la richesse de la langue française. Tigre a découvert, paradoxalement (du moins je le voyais ainsi), comment poser des limites à l’écriture pouvait libérer l’imagination de l’auteur. Je devrais tenter l’exercice de temps à autre, je n’aurais peut-être plus cette impression de tourner en rond. Enfin, langue parlée. Car si ces exercices sont le passage obligé dans certains ateliers de lecture, ceux-ci sont surtout utilisés au théâtre. Pouvoir répéter une histoire avec des dizaines de style différents, c’est encore mieux que répéter la fameuse phrase « tout condamné à mort aura la tête tranchée » (de différentes façons) du Schpountz de Plagnol.
…à rapprocher de :
– Dans un de ces exercices, il n’y a que des phrases nominales. Comme dans le roman Le Train de Nulle Part, de Michel Thaler (c’est un pseudo).
– Quant à deux autres classiques de « littérature à contrainte », Georges Perec a fait très fort avec La Disparition (un roman sans la lettre E), puis Les Revenentes (idée inverse).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce classique en ligne ici.
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