Sous-titre : Nanterre, bidonville de la folie. Offert de bon cœur, lu avec passion, cette BD ne pourra laisser personne indifférent. Bidonville précédant le quartier de la Défense, le lecteur suivra une famille (et ses proches) algérienne dans son quotidien. Bien écrit, dessin adéquat, sujet sensible, le pari semble réussi.
De quoi parle Demain, demain, et comment ?
Laurent Maffre, à partir de précieux témoignages, s’est attelé à raconter une période assez particulière de l’histoire de la France, à savoir les bidonvilles où s’entassaient les immigrés maghrébins qui travaillaient sur les chantiers alentours. La jolie bande dessinée se décompose en deux parties : la BD à proprement parler ; puis quelques écrits, photographies à l’appui, de Monique Hervo qui officiait au sein du service civil international.
Le Tigre a décidé de classer ça dans la (trop peu fournie hélas) catégorie « essai ». Essai politique ou sociologique ? Ardu. Si sociologie il y a, ce serait oublier la portée résolument politique de l’ouvrage, puisque c’est quand même la France des trente glorieuses et sa politique vis-à-vis de sa main d’œuvre étrangère dont il est question. En tout cas de 1962 à 1966 comme l’annonce le titre.
Pour cela, Lolo (je te prie de m’excuser, Laurent, tu permets ?) a subtilement mélangé une histoire (fort réaliste) de famille avec les souvenirs de celle-ci, quelques évènements historiques marquants (la manif’ du 17 octobre 61 qui a bien mal tourné, l’indépendance de l’Algérie par exemple), et bien sûr le contexte économique et sociétal de l’époque. Le tout en restant dans un registre assez objectif, on ne voit pas pourquoi ça aurait pu se passer autrement pour ces personnes (cf. infra).
Le dessin n’est pas ce qui m’a le plus transporté, il faut bien sortir un point négatif : noir et blanc, un peu brouillon, pas de cases, le tout fait un peu désordre. Mais les paysages de désolation du domaine que l’EPAD s’approprie progressivement (qui contrastent avec ceux du bled) sont sans aucun doute mieux rendus avec un tel tracé. L’architecture (taudis, HLM, Paris) est parfaitement rendue. Et puis les personnages sont bien réalisés, même si Le Tigre s’est un peu perdu avec tous les protagonistes pas forcément « différenciables ».
Quant aux quelques pages finales de Monique, c’est un peu la partie que j’ai préférée. Une petite dizaine de thèmes soigneusement sélectionnés (eau, feu, brigade Z de police,…) avec des images d’époque ! voilà l’apport culturel indispensable qui fait de cet essai un ouvrage à ne pas rater pour toute personne curieuse. Surtout celle œuvrant dans les sciences humaines.
Ce que Le Tigre a retenu :
L’avantage de classer ce truc dans la catégorie des essais, c’est que Le Tigre peut encore faire plus preuve de subjectivité en narrant ce qui l’a marqué. Deux sujets en fait.
La question du logement. D’une part, les « habitats » sont exhaustivement décrits dans la BD : peur de la destruction par les flics, incendies, humidité, eau non courante (un cauchemar), le terme « bidonville » est hélas le seul qui vient à l’esprit. D’autre part, les protagonistes sont à la recherche de quelque chose de décent, et là ça se complique : il appert que les HLM (qu’ils construisent en plus) sont avant tout réservés aux Français, si bien qu’on leur demande même d’acquérir la nationalité ; les autres solutions sont soit des zones d’attente (dans d’anciennes prisons), soit dans des préfabriqués surveillés. Génial.
L’hypocrisie des autorités. L’administration française, fidèle à elle-même, s’ingénie à faire poireauter les wannabe-impétrants étrangers. Digne d’un des travaux d’Astérix. Je ne parle pas des policiers, qui font tout pour rendre la vie à la Folie intenable. Au final, pour des individus logés comme dans un pays du tiers monde, l’unique façon pour eux de s’en sortir est d’agir comme l’Occidental l’imaginerait dans un pays en voie de développement : par la corruption. Triste renvoi à la réalité.
…à rapprocher de :
– Dans la catégorie BD-documentaire que Le Tigre classe volontiers dans les essais, il y a le fort instructif Saison brune, de Squarzoni.
– Sur l’épisode du 17 octobre, il y a ce film, Nuit noire, qui n’est pas mal du tout ma foi.
– Le Tigre a préféré Le photographe (aka Didier Lefèvre), Essai / BD / Album photos bien plus intense.
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