Les Sutras du Tigre .56 : les écrivains et la musique

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les Sutras du TigreLecteur assidu, voici venir le temps, des rires et des chants, des petits auteurs qui t’obligent à sortir ton iPod… Mais de Casimir il ne sera point question, seulement des écrivains qui balancent ici et là des références musicales que tu te sens obliger d’écouter. Pourquoi donc ? Le Tigre a quelques théories…

Quoi ?

Dans un précédent Sutra, Le Tigre vous entretenait de la possibilité de lire en écoutant de la musique. Si vous ne l’avez pas lu, ce n’est pas bien du tout. Comment pourriez-vous en effet comprendre ce qui suivra, étant donné que l’axiome de ce post repose sur le fait que la lecture peut être liée à la musique ? Passons.

Ce Sutra aura grosso modo deux parties : d’une part je vais tenter de comprendre les intimes motivations de l’écrivain qui décide de faire péter quelques références dans ce domaine, d’autre part déblatérer sur ces individus qui parlent de musique dans leurs œuvres. Si ça ressemble à un texte de thésard, c’est que Le Tigre est, entre autre, docteur en musicologie littéraire. Du moins il en a rêvé.

Car la littérature et la musique sont deux arts majeurs (quoique ait pu dire Gainsbourg), et il est tout à fait légitime que de subtiles passerelles existent entre ces deux champs artistiques. Si les chanteurs sortent des textes qui mériteraient d’être édités par Gallimard, certains romans ont toutes leur place dans les essais relatifs à la musique.

Pourquoi ?

« Mais pourquoi avoir l’outrecuidance de saisir le mécanisme intellectuel de nos plus beaux cerveaux contemporains ? Se prend pas pour de la merde le félin ! ». Bonne question. Salopiaud. Pour se dédouaner, Le Tigre vous répondra tout de go que c’est la faute des auteurs. Ils n’avaient pas à ouvrir les hostilités aussi grossièrement.

En effet, l’écrivain souvent veut se rapprocher le plus possible de ses « clients ». A l’instar de l’Union européenne, son but est de constituer une coopération toujours plus étroite avec ses lecteurs. Lire mais surtout posséder un livre papier gratuitement étant plus retors que télécharger illégalement comme un fou furieux de la musique, notre auteur ne prend pas le risque de voir la pyramide de Maslow (concernant la partie « loisirs ») prendre une tournure qui lui serait défavorable. Comprenne qui voudra.

Moreover, montrer qu’on s’y connaît pas mal niveau albums éclectiques, c’est un peu annoncer à la cantonade : « oyez populace admirative ! Moi je suis un auteur complet, je parle de l’art musical mieux que n’importe quel vulgaire chansonnier parlerait de ma glorieuse personne ! ». Exercice d’ego certes, mais avant tout un moyen de créer un lien affectif supplémentaire avec le lecteur en stimulant d’autres zones de plaisirs. Et là, gare! Faut pas se planter de cible, quitte à viser large pour rassembler un maximum de générations. Bref, faire le Chirac.

Le prolétaire livresque qui parle dans son bouquin de musique, j’en repère trois sortes. Trois races, ai-je envie de dire. Car ils ne se mélangent quasiment pas. Je les livre non pas par ordre de préférence, quoique… Accrochez-vous.

Comment les auteurs en viennent à parler de musique ?

Comment une suite de mots nous amène-t-elle à poser quelques minutes son torchon afin d’écouter vite fait de quoi il parle ?

Premièrement, il y a l’élève propre sur lui, le gentil auteur qui veut te montrer que c’est un être humain avant tout. La première fois que cela m’est arrivé, c’était après un énième titre de Nanard Werber. Après les remerciements d’usage (ma bourgeoise, mon clébard, mon psy qui est maintenant riche), l’auteur nous indique une bibliographie musicale. Du classique, quelques bandes originales de blockbusters, rien de bien folichon. A l’inverse, Alastair Reynolds, dans Blue remembererd earth, parle à la fin du du musicien africain Geoffrey Oryema, ce qui la beaucoup inspiré dans son roman (le nom du héros notamment).

Qu’en penser ? Bah ça part d’une bonne intention, si seulement on nous donnait quelques titres ou musiciens surprenants. Du neuf. Savoir qu’un tel a écouté telle sonate en u mineur (allegro non troppo de surcroît) d’un compositeur contemporain d’un quelconque roi de France, franchement à part le club des lectrices sexagénaires des Hauts-de-Seine je ne vois pas qui pourrait frétiller de bonheur face à de telles révélations. Au moins l’écrivaillon garde ses lubies hors de son roman, et ne pas être d’accord avec les goûts de l’auteur n’empêche pas de le trouver génial.

Deuxièmement, il y a le « dealer de bons plans ». L’air de rien, pendant l’intrigue du roman, le héros ou un autre protagoniste fait état de ce qu’il écoute, voire interpelle directement le lecteur sur ce qu’il y a de bon à se mettre dans les oreilles. Un peu comme un San-Antonio non pas axé sur le cul ou l’action mais sur les mélodies. Le Tigre pense par exemple à Ken Bruen (bien sûr résumé sur ce blog), dont le héros des romans est fin mélomane de rock. De même, dans La Tour sombre de King, la gare où se trouve un train très spécial passe en boucle un son proche de Velcro Fly de ZZ Top. Ça met dans le blain (attention, jeu de mots très subtil)…

Bonne idée ou pas ? Tout dépend du style du pavé, il faut que les références sonores soient introduites de manière logique dans le texte. Que ça colle avec l’ambiance générale en fait. Imaginez un des héros d’Hunter S. Thompson qui entre un rail de coke et un bourbon mette en route un vinyle du premier boys band à la mode, vous conviendrez que ça fait désordre. A l’inverse, la dernière pétasse du livre de Guillaume Musso qui se concocte une playlist happy hardcore avec quelques titres de Prodigy en sus, et bah pour le coup Le Tigre achètera sûrement ce roman. Encore plus désordre me direz-vous.

Troisièmement, il y a la vocation ratée. Mes préférés, toujours ceux qui sont borderlines. A la limite de l’obsession, s’il faut traduire. C’est l’auteur qui articule une partie de son ouvrage avec de la musique. Joue avec celle-ci même. Vocation contrariée dans la mesure où souvent il aurait bien voulu être dans un groupe connu. Ou alors il sévit déjà avec des potes dans un garage, voire devant une poignée de pochetrons dans un bar louche en plein Texas. On le reconnaît par l’utilisation extensive d’un savant vocabulaire, et/ou une intrigue axée autour de la musique.

On valide ou pas ? Tant que c’est bien écrit, peu importe le sujet. Les arts martiaux, la cuisine, la pornographie, tout peut être couché sur papier ! Mais à vouloir pousser le vice, autant en faire un livre audio avec quelques échantillons sonores ici et là. Peut-être trop complexe d’un point de vue des droits d’auteurs, c’est pourquoi il ne faudrait pas aller au-delà de dix-quinze secondes, voire les passer en boucle. Et chaleureusement remercier le groupe de musique en postface. En gras. Et en lettre capitale. Avec un lien vers leur page myspace, FB, twitter et leur compte PayPal.

En ce qui concerne les modestes lectures du Tigre, il y a notamment le bon Maurice G. Dantec. Celui-là est un cas clinique d’exception : dans Satellite Sisters, il y a bien quatre pages sur un concert en 2029 de Muse en apesanteur dans une station orbitale servant de casino et administrée par Richard Bronson, le boss de Virgin. Non, je ne me fous pas de votre gueule. L’auteur, si. Dans Liber Mundi, un des héros fait des « riffs » magnifiques avec sa guitare et Dantec y passe des paragraphes entiers. On peut également évoquer Le Temps du Twist, de Joël Houssin et avec Led Zep en fond musical.

Concluson en chansion

Comme le dirait Sébastien Raizer dans le titre de son essai sur Noir Désir (Camion Noir), « tout est là ». Je n’évoque que des exemples personnels, et attends impatiemment vos retours d’expérience sur ce sujet.

Tout ? Hé hé… Pour les curieux, petite précision sur le pourquoi du #56 du présent sutra. Pas évident à choisir celui-ci : faut un rapport avec la musique, donc si possible un éminent saltimbanque. En outre, il ne fallait pas trop s’éloigner du Sutra #54 traitant d’un sujet proche. Le Tigre n’a pas cherché longtemps, la date de naissance du premier compositeur qui vient à l’esprit est 1756. Merci Wolfgang Amadeus. Momo(zart) pour les intimes. Fin du fin, le sutra #55 traite du type de musique à écouter selon l’écrivain.

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  4. Dans la catégorie des auteurs concernés par le 3ème paragraphe, on a Joël Houssin avec son roman cyberpunk « le temps du twist », qui tourne autour du légendaire groupe Led Zeppelin avec des références très précises. A la base une histoire d’adolescents du futur qui voyagent dans le temps et débarquent dans le Londres du débuts des années 70.

    • Merci la pieuvre pour cette précision. J’aurai du parler de ça plutôt que m’acharner sur ce pauvre Dantec, ça m’était sorti de l’esprit. Pour la peine, je vais résumer ce titre la semaine prochaine. Et faire un court renvoi sur ce dernier.

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