Les Sutras du Tigre .37 : les romans grand format, c’est mal

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les Sutras du TigreAprès la publication d’une rédaction de qualité sur les attributs des livres de poche et des grands formats, Le Tigre va tirer à boulets rougeoyants (et proposer une solution) contre l’odieuse clique des éditeurs ne proposant leurs nouveaux romans qu’en grand format. Plus qu’une clique, un cartel littéraire présentant un modèle économique à bout de souffle.

Quoi ?

Petit coup de gueule qui m’est venu en classant ma bibliothèque physique, lorsqu’au bout de deux heures un pavé de Maurice G. Dantec m’est tombé sur la patte droite. Casus belli tigris, jamais son homologue poche n’aurait osé me faire autant de mal sur le gros orteil. Toutefois, je me sens obligé de préciser deux termes, histoire de partir ensemble sur des bases claires et saines.

Le sujet porte sur les romans. Une belle bande dessinée (Rork d’Andreas par exemple), un essai de beaux-arts sur l’architecture coréenne du 12ème siècle, la liste des James Bond girls en train de sucer avidement le Walter PPK de 007, des illustrations représentant quelques statuettes du royaume de Dahomey, tout cela n’entre pas dans la catégorie romanesque. Un écrivain, un scénario, un titre avec que des suites de lettres (voire de chiffres), voilà un roman. De menues exceptions existent où des dessins ici et assurent une expérience littéraire novatrice, toutefois les chapitres écrits occupent une place prépondérante. Même les essais (sans image) sortent de cette définition, puisqu’il faut bien les voir à la télévision, en arrière-plan lors de chaque interview de tout politicien qui se respecte.

Comment reconnaître un gros format ? Question délicate, puisque entre le paperback et le pavé qui entre à peine dans le sac à main de la mère de Fontenay il y a quelques formats bâtards qui se baladent dans la nature. Largeur et hauteur différentes, il y a de quoi être profondément perplexe sur la taxinomie à adopter. C’est pourquoi Le Tigre, arbitrairement, propose (non, impose) la limite suivante : si vous avez quelque chose de plus de 22 cm de long entre les mains, c’est que vous ne tenez ni un format poche ni l’outil de travail de feu John C. Holmes.

Pourquoi le roman grand format doit être abandonné ?

Nous y voilà. Pourquoi le grand format, ce n’est pas bien ? Démonstration éminemment personnelle en trois points :

Premièrement, ça ne sert presque à rien. Après moultes interviews avec quelques éditeurs, le prix de revient entre les deux formats (par rapport au volume des ventes) reste similaire. C’est comme se décider à vendre quelques Royces avant de proposer une triviale Dacia. Écologiquement parlant, je vous laisse imaginer le désastre. Certes le confort de lecture supplémentaire (gros caractères, aération donnant l’impression de lire à une vitesse légendaire), mais à ce prix là autant tout de suite investir dans une loupe ou des verres grossissants.

Deuxièmement, le prix et la place. Entre 20 et 30 euros le grand format, il y a de quoi préférer attendre quelques années que le livre tant désiré soit disponible dans votre miteuse bibliothèque municipale. Attirer le bon peuple avec des nouveautés à un tel prix, tout en lui promettant dans quelques mois la même chose, en plus pratique, pour trois fois moins cher, je ne comprends pas pourquoi une révolution de lecteurs n’a pas encore éclaté. C’est politiquement clivant comme stratégie de vente, les plus modestes doivent attendre avant de se faire une idée. Et si le grand format n’a pas l’heur de plaire aux critiques, bah bonne chance pour la sortie poche.

Quant à la place, Tigre vous offre cette pétillante expérience de pensée : début 2013, j’avais environ 3.500 livres (je ne compte ni les magazines ni les doublons) disséminés dans une demi-douzaine de bibliothèques de facture nordique. Environ 15% de ces titres sont au grand format, ce qui m’oblige à espacer davantage les étagères comme renoncer (j’en pleure encore) à les mettre sur deux rangées. Si un génie un peu con sur les bords se méprend sur mon vœu (rendre mes livres encore plus beaux) et décide de transformer les poches en grand format, le volume de mes fiertés (on reste sur les livres hein) augmenterait de grosso merdo 144%. Dans le but de leur offrir un toit décent, je serai alors obligé de me séparer de mon lit, ma collection de muselets de bouteilles de champagne, mon chat et ma garde robe à cravates. Impensable (surtout les muselets).

Troisièmement, il y a un effet kiss cool qui n’était pas forcément au programme. Paradoxalement, l’acheteur potentiel sera tenté de se reporter vers l’œuvre originale. Peter F. Hamilton, Will Self, Chuck Palahniuk, Martin Amis, et tant d’autres, je n’achète plus rien en français. Pour un bon roman de SF (prenons Alastair Reynolds) de l’éditeur Gollanz par exemple, il est déjà publié dans un quasi format poche. Nous sommes alors mi 2012. Puis un éditeur franchouillard se décide enfin à le traduire. Publié sous la forme d’un indigeste pavé vers mi 2013. Quant à son homologue de poche, rien ne presse ! Presque trois ans de décalage : si on arrive à maîtriser la langue de Shakespeare, faire partie de la caste des early adopters est incompatible avec le modèle de publication actuel.

Comment y remédier ?

Une solution. Un concept. Un motto. Un seul mot même. Une idée. Celle à l’origine des plus sympathiques révolutions. Trois syllabes ornant le fronton des mairies même les plus malfamées du Centre. J’ai nommé la liberté. Liberté chérie appliquée à tout lecteur qui ne peut continuer à être plumé de la sorte.

La réponse tigresque, donc, est de publier en grand format ET en poche tout nouveau roman. Plus de choix dans la date de parution, tout sort en même temps [attention, vilaine contrepèterie]. L’acheteur choisira ce qui lui convient le mieux, entre le petit objet qui se lit partout au gros machin à offrir à belle-maman lorsqu’on manque furieusement d’imagination. Je sais qu’une sortie en poche apporte un second souffle à l’œuvre, on pourra se contenter d’une réédition dont la couverture sera différente de la première. Et en profiter pour corriger les fautes d’orthographe.

Mais quid de l’intendance et des vendeurs qui vont avoir deux fois plus de références ? Tssss… Les libraires seront également ravis, puisqu’ils pourront utiliser le gros truc pour le mettre en tête de gondole. Les apparences sont sauves : les petits vieux peuvent continuer à faire du lèche-vitrines sans devoir coller leurs tarins sur la vitre ; nul besoin d’investir dans des vitres grossissantes, tout le monde il est content ! Même les plus pingres ne sauront plus se dédouaner, tel Le Tigre, en répétant au collant vendeur « ça a l’air super votre daube que vous ne parvenez même pas à refourguer à mamie Bettencourt, prévenez-moi quand le poche sortira ».

Le fin du fin serait bien sûr de proposer le « magic package », à savoir les deux formats vendus ensemble : un pour soi, l’autre à offrir. A un prix correct, il y a fort à parier que ce sera Noël un jour sur deux dans le monde des livres. J’en connais même qui garderont les deux chez eux, juste pour se faire mousser et remplir artificiellement leurs bibliothèques. Je paraderai même fièrement en tête du cortège de cette race d’acheteurs impulsifs à l’ego mal distribué.

Conclusion tout en modestie

Encore une fois, Le Tigre a volé, tel un hyperman de supermarché, au secours du monde de l’édition qui accuse un contexte plutôt morose. Les clés de la réussite se feront par de fines innovations telles que proposées dans ce sutra. Plus que de l’innovation, on n’est pas loin ici d’un bouleversement de paradigme capable de faire augmenter les ventes à un rythme de croissance d’obédience chinoise.

Sutra #37 car suite logique du précédent, étude sociologique digne d’un thésard sur les caractéristiques des deux formats. Et si vous multipliez par cent, on atteint le nombre de tous les objets papiers qui se lisent et que Le Tigre garde jalousement.

11 réflexions au sujet de « Les Sutras du Tigre .37 : les romans grand format, c’est mal »

  1. Ping : Les Sutras du Tigre .88.1 : comment ranger une bibliothèque de romans | Quand Le Tigre Lit

  2. Bonjour je découvre le blog :
    « La réponse tigresque, donc, est de publier en grand format ET en poche tout nouveau roman. »
    Quelle idée lumineuse, claire, limpide ! A-t-elle seulement été suggérée aux éditeurs, ou est-elle écartée derechef car en opposition à la sacro-sainte tradition que nul ne saurait rompre ?

    • Plus c’est simple, moins ça passe dans le monde de l’édition. Considérant que les poches ne rapportent pas autant que les grands formats, et la logistique afférente à cette idée, il n’est pas impossible que ma proposition n’est qu’une insondable connerie de plus…
      Ne vous inquiétez pas : si ça arrive un beau jour, je réclamerais sur le champ quelques grasses royalties.
      Bienvenu dans ma tanière sinon.

      • Merci.
        Je suppose que des tentatives ont déjà été tentatées, et qu’elles se sont révélées peu concluantes. Enfin, j’espère que c’est de ça qu’il s’agit comme raison valable.
        Enfin, pour ma part, même en ayant grandi depuis ma chère et tendre adolescence ET…en ayant largement de quoi subvenir à mes besoins littéraires je reste fidèle au format poche.
        Défaut des jeunes sans doute, ils sont pénibles de ne pas perpétuer les sages traditions d’achats de leurs aînés.

  3. Ping : Les Sutras du Tigre .21 : il faut décaler la rentrée littéraire en juin | Quand Le Tigre Lit

  4. Ping : Les Sutras du Tigre .36 : livre de poche ou grand format ? | Quand Le Tigre Lit

  5. Le livre gros format a un avantage pour moi:dans ma bibliothèque municipale (je vis à Estrosiville), ils n’achètent pas de livres de poche. Oui, vraiment…

    Mais cette tendances aux livres énormes m’agacent aussi: diantre, non seulement c’est cher, mais en plus, ma valise est encore plus lourde quand je pars en vacances (oui, je suis de celles dont les livres prennent plus de place que les fringues dans une valise)

    • Je faisais référence au grand format pour l’achat personnel, et votre première remarque me donne l’idée d’un autre sutra. Loué soit votre commentaire.
      Quant à la seconde remarque, je ne peux qu’applaudir la femme qui organise sa valise de la sorte. De mon côté, j’ai trouvé la parade : je ne viens qu’avec un livre, et plein de vêtements. Sur place (si c’est un pays modeste), je fais don de mes vêtements, et achète des romans (en langue anglaise, il y en a toujours) pour compléter.

  6. Alléluia !

    Exemple personnel: le dernier volume de Game of Thrones que j’ai été contraint d’acheter en grand format, qui doit peser 1 kilo 5 …

    Ma réaction est maintenant la suivante, je « télécharge » le ebook, encore plus léger que le poche !

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