VO : Truth and Lies in Literature. Stephen Vizinczey est un lecteur on ne peut plus exigeant, cet essai en est l’éclatante preuve avec quelques grands auteurs passés sur le grill. Compilation d’interventions de l’auteur en matière de bon goût littéraire, salvateur malgré un style qui peut vite taper sur le système.
De quoi parle Vérités et mensonges en littérature, et comment ?
Petit mot sur l’auteur : déjà, je dirai Stephen ou SV, son nom étant un cauchemar à écrire. Ensuite, il convient de saluer le parcours de cet essayiste / écrivain, né en Hongrie, opposé à la dictature communiste et exilé vers le Canada (après un court passage par l’Italie). Avec très peu de connaissances dans la langue anglaise, le monsieur s’est élevé jusqu’à donner des cours dans les plus prestigieuses universités anglo-saxonnes.
Quant à cet essai, son titre provocateur annonce la couleur. SV se propose d’être au lecteur la boussole littéraire, rien de moins, de toute personne désireuse de lire quelques classiques de la littérature européenne. Le personnage en a étudié un bon paquet et semble bien décidé à nous livrer ses impressions, sans prendre ni gants ni circonlocutions pour atténuer ses propos.
Du coup, Stephen V. lâche un bon paquet de scuds sur la clique d’écrivains dont les titres semblent pour lui autant de scandales ne méritant pas le succès qu’on leur a prêtés. A l’inverse, d’éminents auteurs tels que Pouchkine, Gogol ou Dostoïevski en matière de Russes, Stendhal ou Balzac chez les Français, méritent ses louanges. Hélas, mille fois hélas, la culture littéraire du Tigre, insuffisante, n’a pas permis d’apprécier à leur juste valeur ces recommandations.
En effet, SV s’adresse à un lectorat immensément cultivé, ou à l’inverse à ceux désirant lire de grands auteurs sans savoir par lesquels commencer. Car sur près de 450 pages il y a de quoi préparer une très correcte liste de bouquins à lire sur les prochaines années. Si dans l’ensemble on ne peut qu’applaudir l’exercice de « démystification » du Hongrois devenu Canadien, il appert que le style est un peu pompeux.
Bref, SV est intransigeant, et son écriture certes fluide est au service d’une exigence que je qualifierai d’outrancière de la part de l’auteur. C’est beau car agressif et intelligent, c’est idéaliste et profondément libéral quant aux choix proposés, mais après 200 pages j’ai été vite gavé. Comme on dit vulgairement, « le gars ne se prend pas pour de la merde ». A juste titre, c’est ça le pire !
Ce que Le Tigre a retenu
La liberté, thème principal à mon sens de cet essai. SV en a vu, des régimes dictatoriaux prêts à faire main basse sur les droits de l’Homme (notamment la liberté de conscience). D’ailleurs sa première pièce a été purement et simplement interdite sur ordre de Moscou. Alors c’est avec la légitimité du résistant que notre ami s’attaque à toutes les formes de « bien pensances », de textes « prêts-à-penser » justifiant qui le travail du bourreau, qui les descriptions littéraires d’états que l’auteur du titre n’aurai même pu aborder en rêve.
Ça remet les choses à leur place, et c’est également jouissif pour le lecteur qui lit de virulentes critiques sur des auteurs qu’il a appris, dans son parcours scolaire, à admirer.
L’intransigeance, jusqu’à l’intolérance. Même après quelques années, Le Tigre se souvient d’un passage au cours duquel Steven, dans une librairie, s’efforce d’orienter un couple de lecteurs vers de meilleurs ouvrages que le dernier Umberto Eco. Je vous assure, la scène est édifiante : les deux personnes, tranquilles, qui savent ce qu’elles cherchent, face à un opportun de première qui les harcèle en leur montrant tout un tas de bouquins dont ils n’ont jamais entendu parler. Même si SV avait raison, sa conduite m’avait alors semblé imbuvable.
Le Tigre, qui chaque jour écume les librairies, a bien plus de diplomatie pour faire lâcher un Guillaume Musso à une rombière et la faire repartir avec le nouveau Chuck Palahniuk. Faut me voir à l’œuvre, c’est du grand art. 3 min chrono (douche comprise après avoir tenu le Musso entre les mains, ai-je envie de rajouter).
…à rapprocher de :
– De SV, il faut ab-so-lu-ment lire Éloge des femmes mûres. Un régal.
– Si l’auteur descend autant Umberto Eco, serait-ce parce que l’Italien, aisé à lire, à pondu des mini essais abordables pour « le peuple » ? Notamment Comment voyager avec un saumon.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en lien ici.
Pour avoir lu le livre de Vizinczey deux fois, je ne trouve pas qu’il faille être « immensément cultivé » pour le lire. Vizinczey partage ses lectures avec ses lecteurs (certes moins nombreux sont les lecteurs disposés à lire des essais sur la littérature).
Mais êtes-vous sûr d’être moins arrogant que le serait SV quand vous essayez de fourguer du Musso (la vache aussi comment ça s’écrit) contre du Palahniuk) ? Vous avez raison à propos du Voyager avec un saumon d’Eco mais pourquoi attribuer à SV des motifs aussi bas ? Il ne fait que critiquer un roman de réputation hermétique et une logique moutonnière qui conduit vers les « best-sellers » alors que comme vous, par exemple un bon libraire ou un lecteur averti serait capable d’orienter quelqu’un vers un choix moins convenu que « le livre que tout le monde achète mais que personne ne lit ».
« Immensément cultivé », dans la mesure où je l’ai lu il y a quelque temps je l’avais vu de la sorte. Sinon, quand je tente d’éloigner quelqu’un d’un Musso, l’arrogance féline (celle-ci doit exister) s’efface vite, à mon sens, face à l’autodérision ou l’humour dont j’essaie de faire montre. Chacun a ses classiques et son « socle » culturel, et je sais que souvent des internautes ont réussi à me fourguer d’excellents plans littéraires à la place d’un Chuck P.
La raison de ce billet vient sans doute du style de l’auteur, très lettré (la lecture est fluide) mais assez froid en général. Un peu d’humour n’aurait pas été de trop.
En tout cas, merci pour votre intervention Ludo (vous permettez?) !
Ping : Les Sutras du Tigre .38 – La couverture et l’affiche | Quand le tigre lit