VO : idem. Oh la belle découverte faite par Le Tigre ! BD aux idées déroutantes et éminemment underground, le lecteur va enquêter aux côtés d’un héros attachant luttant contre de mystérieux être. Histoire bien développée, dessin adéquat : bienvenue à Berlin, où tout n’est que noir, mort et musique. Es lebe Deutschland.
Il était une fois…
Dans le Munich des années 2000 (ou avant ?), Osaka Best est sur le point de devenir la référence des disc jockeys de la ville. En plein live, le jeune d’origine japonaise disparaît en un claquement de doigts. Un de ses amis, Hector Umbra, ne croit pas à une lubie digne d’une insupportable diva. Aussi va-t-il se lancer à sa recherche, enquête troublante qui va le mener aux confins de la mort et de la folie. Clochards dépressifs ; religieux extravagants ; concert géant dans une église ; bar d’un autre monde où il retrouve Joseph, ami d’enfance ; ex petite amie qui revient dans ses bras, Hector s’embarque dans quelque chose d’un peu trop maousse pour lui.
Critique de Hector Umbra
Le premier mot en refermant ce roman graphique (c’est bien plus qu’une BD) est « waow ». En effet, Uli Oesterle est un Allemand très perché, et tour à tour le lecteur rira, aura peur, se posera de belles questions métaphysiques ou encore clignera furieusement des yeux. Car ça ne s’arrête pas, on croit avoir touché le fond et non, l’auteur sort une autre pelle et creuse un peu plus dans les méandres de l’imaginaire.
Le scénario, simple au premier abord (un DJ de génie se fait enlever par des trucs venus d’on ne sait où), se complexifie à mesure que d’autres intrigues se mettent progressivement en place pour un final réjouissant. Le héros, Hector Umbra, est aussi taciturne qu’attachant. Pour ce qui prend dans la gueule au cours du récit, sa forme psychologique reste aussi impressionnante qu’improbable.
Sur le style, il faut noter que malgré 200 pages l’ouvrage est assez dense et ne se lit pas, le popotin sur le trône, en une vingtaine de minutes. Il faut prendre son temps et savourer notamment des illustrations de qualité : ligne claire un peu brouillonne, couleurs sombres et donc à propos mais surtout de belles planches, par exemple : l’intérieur de logements, bars ou d’un église, les visages des méchants comme des protagonistes (railleurs, malins, paniqués, tout y passe), même la nudité féminine laisse rêveur.
Un titre que Le Tigre recommande chaudement (proportionnellement à l’inverse du froid qui se dégage de l’univers de l’illustrateur/auteur), et vous laissera un légère impression de malaise mâtinée du sentiment d’avoir lu quelque chose de peu commun.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La folie, la mort. Déjà, l’œuvre commence par une femme un poil désaxée qui récite toutes les nuances de noir qu’elle peut connaître. Ambiance… Ensuite, le « plan général » des antagonistes est de rendre dingue toute une génération par le biais du son. Mais comment créer de telles sonorités ? Enfin, et sans spoiler, il faut concéder à Uli une séduisante analyse de ce qui peut rendre quelqu’un fou à lier avec des idées fixes allant jusqu’à la morbidité. Le père du petit Rémy, notamment, offre un exemple dur et touchant de ce qui peut arriver de pire à un esprit humain aux prises avec des démons peu ragoutants.
Les faux-semblants. Quelques protagonistes ont le chic pour bien cacher leur petit jeu. Osaka, grand fornicateur devant l’éternel. Un autre ami d’Hector, qui se tape la grosse concierge incognito. La femme qu’on prend au début pour folle s’avère en fait être la pierre angulaire de la résistance contre ce qui mine la ville bavaroise, en plus de présenter des liens (que le lecteur ne peut soupçonner) intimes avec d’autres individus. Quant aux hommes et femmes d’église à la violence éprouvée, l’objet de leur adoration est plus que surprenant. En sus, un DJ black se révèle être…stop, Le Tigre n’en dira pas plus.
…à rapprocher de :
– En aussi noir et déjanté, j’avais bien aimé Baron samedi de Dog Baker. Plus violent, plus court, plus bête.
– La théorie de la folie qui ressort de ce titre trouverait une fascinante application dans l’édifiant essai de Sacks, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau.
– La folie en BD, c’est aussi Lovecraft adapté par Culbard dans At the mountains of madness.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré sur Amazon ici.
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