Michel Rabagliati - Paul à la pêcheLa régularité dans la qualité chez Michel Rabagliati force le respect, qu’on se le dise. Si Tigre, au début, a eu peur que le scénar’ parte dans tous les coins, le tout est d’une somptueuse cohérence. Entre souvenirs de jeunesse et douloureuse marche vers la paternité, voici ce que de simples vacances à pêcher peuvent faire.

Il était une fois…

[Tigre aime bien les éditeurs qui ne mettent rien en quatrième de couverture, ça décourage les feignasses.]

L’été arrive enfin. Paul et Lucie (enceinte au passage), décident de réserver un petit chalet dans le Domaine Berthiaume. Ils vont y retrouver la famille de la soeur de Lucie, Monique (la smala qu’on rencontre dans Paul en appartement) au bord d’un lac pour y pêcher. Les activités sur place sont l’occasion de se remémorer quelques étapes clés du passé de certains protagonistes, tout en faisant un bon d’environ deux années vers l’avenir.

Critique de Paul à la pêche

Le problème avec cet auteur est qu’il est difficile de le tailler, ces romans graphiques sont quasiment parfaits. S’il m’arrive d’être relativement déçu dans ce genre d’œuvres, c’est bien à cause de leur taille. Près de 200 pages ici, rien à dire.

Dans cet opus, j’ai bien cru au début que la multitude d’histoires et de clins d’œils allaient me donner le tournis. Toutefois, il est quasiment impossible de ne pas refermer le bouquin avant de l’avoir terminé : happé par les pérégrinations de nos héros, Tigre a été profondément touché par la justesse et la simplicité du ressenti de Rabagliati. L’humour se mélange au tragique, et le passage d’un thème à l’autre est d’une fluidité déconcertante.

Outre le style québécois aussi fandard (leur phrasé est délicieux), les illustrations sont en glorieuse harmonie avec le reste : noir et blanc efficace avec quelques planches somptueuses de flore ou de faune (lapins, orignal, ours, poiscaille même), voilà autant de raisons pour encore donner la meilleure note à un roman graphique made by Michou.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il faut savoir que la BD commence par une offrande bien particulière à destination d’une paroisse. Il faudra attendre la dernière page pour savoir de quoi il retourne, toutefois on devine rapidement la problématique du couple pour avoir en enfant. Cela se passe très difficilement, avec deux fausses couches et les sérieux coups de barres qui vont avec. Happy ending heureusement, grâce à l’aide d’un médecin la petite Rose finit par arriver. Paradoxalement, par le biais de Monique (travailleuse sociale) ou d’une expérience de jeunesse de Paul, le lecteur découvrira les sombres aspects de la parentalité ingrate et irresponsable.

L’autre thème, omniprésent, est l’évolution du monde occidental des années 70 jusqu’à la fin des années 80. C’est marrant comme tout d’entendre Paul, dans ses premières années de designer, dire comment il doit acheter tous les six moins la nouvelle version d’un produit de la marque à la pomme. Moins rigolote est comment Paul s’est emmerdé dans ses études de jeunesse ou l’histoire de Clément qui voit son entreprise dégager les salariés, un par un, pour se conformer au libéralisme idiot (mal interprété donc) qui cherche toujours plus de rentabilité.

Et la pêche dans tout ça ? On s’en taperait presque s’il n’y avait pas quelques remarques sur la façon dont est « préparé » le lac pour qu’il n’y ait que de belles truites. Et que dire de l’art pas si noble de la chasse à l’ours ? L’homme est le meilleur vecteur pour saloper la nature, il est plutôt triste de découvrir les menus arrangements pour avoir quelque chose de soi-disant authentique.

…à rapprocher de :

– Rabagliati a une jolie collection avec le fort sympathique Paul : Paul à la campagne, Paul a un travail d’été, Paul en appartementPaul dans le métro, Paul à Québec, Paul au parc, Paul dans le Nord. Pour l’instant j’espère.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

EncycatpediaVotre animal de compagnie refuse de vous accompagner dans vos pérégrinations éméchées ? Ce petit ingrat boude le douze ans d’âge que vous mettez dans sa gamelle ? Ne pensez pas qu’il vous snobe, il a juste un peu de mal avec l’éthanol et ses dérivés. je vous propose de lui apprendre à bien lever le coude afin d’en faire le compagnon presque idéal.

Pourquoi les chats n’aiment pas l’alcool

Dans le cadre de ce brillant billet, j’ai décidé de respecté l’anonymat de mon alcoolique de chat en le nommant Haddock (nul besoin de vous dire pourquoi un tel sobriquet). Sachez également que Le Tigre, pour les besoins de l’expérience, a environ mis quatre années à transformer un innocent félin en une brutasse au gros pif réclamant, chaque matin, son dé à coudre de beaujolpif. Comme tout propriétaire de chats, je n’ai pas vu au premier abord pourquoi les félidés étaient méfiants vis-à-vis de l’alcool.

Premièrement, l’erreur est de penser qu’Haddock peut ingurgiter, sans broncher, la même quantité d’alcool que les humains. Le ravi de la crèche que j’étais opérait une savante règle de trois qui s’avère trompeuse : non, ce n’est pas que vous êtes capable de descendre un litron de vin en une heure que le minou, qui fait 5% de votre poids, boira 5 cL en ronronnant de satisfaction.

Déjà, Haddock n’a pas la même propension habitude que vous à se torcher. Il convient d’y aller par palier, un peu comme la sodomie. Ensuite, n’oubliez pas que l’animal est moins équipé que vous : œsophage qui récupère un peu d’éthanol ; estomac de belle facture qui vous permettra de mélanger la bouffe et l’alcool ; intestins agréablement longs et pourvus de matière pour le caca qui fouette (sauf si vous êtes à jeun depuis deux jours) ; foie de compétition, bref Mère Nature nous a pourvu d’atouts dont Haddock n’oserait même pas rêver.

Humains et félins ne jouent d’autant pas dans la même catégorie que nous avons derrière nous des milliers d’années d’évolution au cours desquelles notre corps a appris à tolérer l’alcool – du moins depuis qu’un idiot a eu l’idée de faire fermenter sa corbeille à fruits.

Deuxièmement, il y a fort à parier que les premières expériences d’Haddock avec l’alcool sont, en général, désastreuses. Pas parce qu’il s’est cuité le museau, mais à cause de vous. Au mieux, pendant une soirée arrosée, il n’est pas rare d’avoir de subits élans d’affection (certes maladroits) pour tout ce qui nous passe sous la main. Si le chat est dans le coin, c’est lui qui va morfler lorsque vous aurez décidé de prendre un être vivant dans vos bras en vue de lui rouler un patin.

Au pire, sous l’empire d’un état alcoolique, vos réactions pourront être excessives si Haddock fait une connerie. Je n’en suis pas forcément fier, toutefois il m’est arrivé, en rentrant pété comme une Polonaise et désireux de prendre une douche, de marcher dans les déjections de mon minou – en plein milieu de la cabine. Dans ce cas, je tire le responsable de son sommeil, le chope par le cou et lui fais bouffer ses selles tout en l’arrosant. Je peux vous assurer qu’il aime ça autant que moi nettoyer mes pieds merdeux.

Quoiqu’il en soit, Haddock, malgré son esprit étriqué, ne met pas long à faire le rapprochement entre vos exactions commises à son égard et votre haleine avinée mâtinée d’une démarche hésitante. Dès que j’ai bu, mon chat le sent et se carapate comme un pleutre dans sa boîte (d’où il sait que je ne peux l’atteindre).

Troisièmement, et je ne garantis pas la véracité de cette information dans la mesure où c’est le vétérinaire qui me l’a dite, mais il paraîtrait que les chats sont très sensibles au niveau des muqueuses près de la gueule (narines, yeux, etc). Du coup, dès qu’Haddock se penche vers sa gamelle remplie d’une excellente vodka, les vapeurs d’alcool lui sont insupportables et son réflexe naturel est de ne pas goûter.

D’ailleurs, je ne sais pas pour vous, mais le meilleur moyen de faire passer un verre de vodka pure est d’avaler un verre de lait dans la foulée. Ça glisse comme papa dans maman, toutefois je vois mal Capt’ain H. faire de même.

Comment faire boire son chat

Si vous m’avez à peu près suivi, l’erreur principale est de proposer un liquide qui relâche trop de vapeurs éthyliques. Je l’ai compris bien tard, car comme un con je tentais d’habituer Haddock à faire le gourmet : je ne le traitais qu’au champagne. Apparemment les bulles l’indisposent, ça lui piquerait ses petits yeux sensibles. Lopette va.

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Le « problème » des chats, selon mon véto encore, est qu’ils ne sont guère friands du sucré et préfèrent les saveurs acides. Considérant que le sucre se transforme en alcool, j’ai eu logiquement l’idée de faire boire à mon nouvel ami de beuverie des trucs forts et amers. Vodka, picon, rien à faire. Soit c’était trop fort, soit juste imbuvable, même pour Le Tigre – je ne balancerai aucune marque.

Après des mois de recherches acharnées (et quelques dégueulis à la va-vite, rien de très méchant), j’ai compris comment opérer. Déjà, jouer les doses et se plier au métabolisme chétif du félin. Aussi diluer le produit comme un dealer couperait votre cocaïne est susceptible de rendre la dégustation plus attrayante.

Ensuite, le choix de la marque. Le numéro du présent billet est un précieux indice : en effet, les liqueurs à base de menthe (à l’instar du Get 27) sont notoirement adaptées. Non seulement le taux de sucre tend à s’effacer devant la densité du breuvage, plus lourd, mais en outre les émanations d’alcool sont limitées. Ces foutues émanations seront d’autant moins fortes que vous verserez le tout glacé. Par conséquent, le fin du fin reste le limoncello, alcool italien à base de citron se servant très froid. Toutefois au prix de cette liqueur Le Tigre préfère inviter une tigresse au resto.

Enfin, la présentation. Verser dans une gamelle l’alcool est fortement déconseillé, la vaste coupole étant réservée à des mets plus basiques – en plus, les exhalaisons d’éthanol seront trop prononcées. Pour ma part, j’opte plutôt pour un système dit en « vase clos », voire insidieux : soit je mets à disposition l’alcool depuis un compte goutte qu’on réserve d’habitude aux hamsters (le chat a l’impression de boire au robinet, vous savez comme ils aiment cela), soit j’imbibe ses croquettes avec de la liqueur de citron.

Bah, croyez moi ou pas, depuis que ses boulettes sont aromatisées ainsi Haddock refuse tout autre type d’alimentation. Élever un alcoolo n’est pas si dur en fait.

Alcooclusion

Voilà, grâce au Tigre, Haddock est des vôtres, il a bu son ch’ti verre comme les autres Russes.

Petit mot final au sujet d’un autre animal, le chien. Milou qui se torche au Loch Lomond est, hélas, le digne représentant de cette stupide race. L’espèce canine, en effet, est considérée comme le meilleur ami de l’Homme puisqu’elle se prête, avec une docilité déconcertante, à nos doux travers. Faire boire un chien ne relève aucunement de l’exploit, le stupide cabot ne demandant qu’à vous faire plaisir.

En outre, je soupçonne les canidés d’avoir un sérieux penchant pour tout ce qui est boissons alcoolisées, ayant personnellement vu des clébards me réclamer du Baileys avant de marcher comme si un cheval leur avait dérouillé l’arrière-train. Le chat, vierge de tout vice (du moins de ce côté), représente un challenge autrement plus difficile puisque c’est sa nature même qu’il vous faudra modifier.

Quant à la gueule de bois qui guette Haddock, la solution du lendemain est la même que pour l’Homo Sapiens : boire une bonne bière fraîche. Mais là, faudra un peu le forcer. Avec bienveillance évidemment.

Amélie Nothomb - Une forme de vieAussitôt lu, aussitôt oublié. L’histoire d’un soldat U.S. qui tape sa petite discute, à distance, avec l’écrivaine, n’apporte que peu de surprises ni d’insoupçonnés plaisirs. Toutefois, c’est l’occasion de saisir la relation que peut avoir un auteur avec son lectorat, aussi perché soit-il. Loin d’être le meilleur roman d’Amélie Nothomb, mais pas encore de quoi crier au scandale.

Il était une fois…

On sent la mère Nothomb et son éditeur sur les rotules, savourons ensemble ce fort impressionnant quatrième de couverture :

« Ce matin-là, je reçus une lettre d’un genre nouveau. »

Voilà, demerden Sie sich.

Critique d’Une forme de vie

Quarante minutes de lecture, douche comprise. Ne vous inquiétez pas, je compte résumer TOUT ce qu’Amélie a pondu, dussé-je en crever. L’auteure reprend ici ce qu’elle sait faire de mieux, à savoir le style dialoguiste, ici sous forme d’échanges de lettres.

Tout commence par une curieuse missive de Melvin Mapple, soldat américain revenu d’Irak et qui a décidé de faire une grève originale : il va devenir obèse. Le gros-en-devenir Melvin croit bon déterminer que la graisse qu’il accumule n’est que l’horrible versant de sa culpabilité pour avoir participé à un conflit décidé par un Président américain plus souvent à côté de ses pompes qu’à son tour.

Aspect particulier, il faut signaler que le roman est un drôle de mélange entre la réalité (le GI est fan des romans de Nothomb, allez comprendre pourquoi) et la fiction (intrigue autant improbable que fantasque). Ce n’est pas vraiment que je me suis emmerdé, disons que pour une centaine de pages le lecteur n’aura pas le temps de s’en rendre compte.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La relation épistolaire est à l’honneur, et de la part de la romancière ça ne m’étonne guère. Habituée des discours secs et flamboyants (enfin, c’est l’impression qu’on peut avoir), voila-t-il pas qu’elle se met à verser dans la conversation à distance et via d’old school courriers. Cela permet, par le biais de non dires et de réflexions intenses avant d’envoyer sa lettre, d’avoir une intrigue relativement bien charpentée. Jusqu’au dernier chapitre, petit bijou de scandale tellement c’est tarabiscoté et too much.

L’autre reproche à formuler, plus grave à mon sens, est qu’au final Amélie ne parle que de Nothomb. Foutre, y’a qu’à voir l’image en couverture hein ? Elle se livre de manière fort attachante et expose, à de nombreuses reprises, les clés de la manière dont se créé un titre, de l’imagination jusqu’au service après-vente, à savoir la relation avec les lecteurs. Le félin, hélas, a lu trop de romans entre chaque œuvre d’elle pour la connaître suffisamment et apprécier pleinement ce qu’elle peut bien raconter.

à rapprocher de :

– Tigre ne va pas vous dérouler la biblio de Miss Améli-mélo, toutefois sachez que Tigre a lu pas mal de titres, dont (par ordre de parution) : Hygiène de l’assassin (mouais), Les Combustibles (sans plus, heureusement c’est court), Attentat (interminable), Stupeur et tremblements, à caractère bibliographique (pas mal au demeurant) ;  Cosmétique de l’ennemi (relativement insupportable) ; Biographie de la faim (à lire) ;  Acide sulfurique (lourdaud) ; Le Fait du prince (le pire, je crois bien) ; Tuer le père (sans plus), etc.

– Je vais dire une énoooorme ânerie, mais l’orgueil et la prétention de l’Amerloque me rappelle un peu Antigone, qui dans la pièce éponyme d’Anouilh seule pense être en mesure de peser face à Créon / Bush. Faudrait que je relise cette pièce, ça fait long.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Sous-titre : La QuêteCollectif - Batman : Knightfall Tome 4. VO : Knightquest : The Search. Tiré des comics strips Batman #505-508, Detective Comics #674-675, Batman: Shadow of the Bat #24-25, Legends of the Dark Knight #59-61 et Robin #7. Trop d’épisodes sans réelle logique, cet avant-dernier tome fut un supplice de lecture. Putain, vivement qu’on en termine avec Jean-Paul Valley, ce Batman de pacotille.

Il était une fois…

Tellement cet opus est mauvais que je vais copier-coller ce qu’en dit l’éditeur :

« Jean-Paul Valley, le nouveau Batman, sombre dans la psychose, torturé par les fantômes de son père et de Saint Dumas. Sa confrontation avec Abattoir et Gunhawk va l’entraîner sur une pente de plus en plus dangereuse et violente. Bruce Wayne pourra-t-il guérir à temps et empêcher Gotham de plonger à nouveau dans le chaos ? »

Critique du quatrième tome de Knightfall

Le tome 3 nous avait laissé avec un suspense autour de Bruce Wayne assez délicieux, notamment le docteur Shondra Kinsolving qui n’est pas vraiment celle qu’on prétend. Brucie semblait dans de sales draps, hélas il faut attendre la 300ème page au moins avant de le revoir.

D’ici là, ce gros vilain de J-P Valley, qui remplace le « vrai » Batman, pète allègrement une durite : son costume de Bat-Saint-Dumas le fait plus ressembler à un Templier du futur et l’anti-héros n’hésite plus à laisser mourir des vilains. Tout cela sous l’œil impuissant de Tim Drake (troisième Robin, après Dick Grayson mort des mains du Joker), dont le père Jack est également soigné par Shondra (moi non plus ce n’est plus très clair).

Je ne sais pas ce qui est arrivé à Dixon, Moench, Grant, O’Neil et comparses, c’est comme s’ils s’étaient mis d’accord pour prolonger la série parce qu’ils étaient en rade d’idées. On a compris que Valley ne fait pas l’affaire, et attendre la dernière page pour que Bruce Wayne se rende compte du problème ambiant (Robin, Gordon, Catwoman, tous sentaient que ça partait en quenouille) est presque scandaleux.

Paradoxalement, les illustrations semble avoir empiré (à l’exception des derniers chapitres avec Wayne). Brouillon, sale, excessif sur le costume du soldat de Saint-Dumas, il n’y a qu’à de trop rares moments que j’ai eu envie de m’attarder sur les images, donc le texte. Vous l’aurez compris, un joli plantage, au moins le dénouement est salvateur : on s’oriente vers un combat du genre « Batman C/ Batman ».

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pas vraiment un thème, toutefois je suppute que vous demandez au félin « mais pourquoi s’acharner sur cet opus ? ». Déjà, je ne savais pas que sur 300 pages on allait avoir une suite de péripéties toutes plus fadasses les unes que les autres : Gueule d’Argile et sa douce, Abattoir, Gunhawk et sa blonde radasse, l’homme corrosif (connaissais pas celui-ci), du menu fretin, les ennemis de Batman ne font aucunement avancer le schmilblick. Vous pouvez passer directement à la suite. En outre, étant donné qu’il ne reste qu’un tome par la suite, Tigre était trop avancé pour abandonner si près du but. Le fameux « syndrome de la collection ».

Sinon, j’ai remarqué (sans doute à tort) que certains méchants abordés ne le sont que malgré eux. J’m’explique : Gueule d’Argile est en complète souffrance et seul tuer des gens le calme, son épouse est enceinte et ne fait qu’assurer sa survie. Tout ce petit monde est à plaindre, notamment le psychopathe Benedict Asp dont la jeunesse est peu reluisante. C’est à la suite de graves traumatismes qu’il déconne sévère et bute, par télékinésie, une flopée de personnes. Vivement que Joker revienne.

…à rapprocher de :

– Accrochez-vous, la saga fait mal au porte-monnaie : d’abord La Chute, ensuite Le Défi, puis La Croisade, le présent opus, pour se terminer par La Fin.

– Ce tome, extrêmement décevant, me rappelle la catastrophe du troisième tome de la saga de Grant Morrison.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Lambil & Cauvin - Black FaceSur-titre : Les tuniques bleues. Black Face, c’est le mercenaire d’un jour qui va un peu plus foutre le bordel dans la Guerre de Sécession. Histoire bien ficelée avec un mélange d’humour et de tragique assez étonnant, ça passe. Malgré l’absence de révélations particulières sur les héros, c’est presque le passage obligé de la série.

Il était une fois…

Les Nordistes trouvant que le conflit ne tourne pas assez vite à leur avantage, le bon général Alexander a une idée lumineuse : et si on provoquait des émeutes des populations noires dans les États sudistes ? Une mission d’une telle noblesse, forcément Chesterfield et Blutch sont chargés de cette mission. Sauf que le fossoyeur noir qu’ils doivent accompagner se fait rapidement la malle et ne se cantonne pas à bouleverser les lignes ennemies.

Critique de Black Face

Ne vous étonnez pas si le félin critique quelques vieilles BD au pif’, je fais en fonction de ce qui traîne dans ma tanière. Et ne comptez pas sur moi pour attaquer tous les albums d’une série, j’ai une vie en dehors de cette suite de 0 et de 1.

Cet album, en plus de traiter un sujet particulier, représente nos deux héros dans ce qu’ils ont de plus caractéristiques. Chesterfield, déjà, est idéaliste au possible (presque niais), cela détonne avec les Noirs de l’arrière-pays qui ne se laissent pas embrigader par les boniments des deux soldats. Blutch, toujours autant déserteur dans l’âme, parvient même à entraîner son pote dans la trahison.

Le scénar’ fait montre d’un nombre agréable de péripéties : rencontre avec Black Face, méfiance entre les protagonistes, émeutes incontrôlables avec les civils qu’en prennent plein la gueule, manoirs dévastés, explosion finale, soldats à poil, match nul, circulez y’a rien à voir. Quant au dessin, bah c’est Les tuniques bleues du début des années 80, donc les traits sont matures et nos héros ne ressemblent plus à Jo et Zette.

En fin de compte, ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce titre est, paradoxalement, le rôle qu’enfin joue Stilman. Le gus, comme son nom l’indique, reste habituellement planté dans la tente d’état-major en sirotant on ne sait quoi avec une paille. Et là, dans les dernières planches, l’insoupçonné sauveur intervient et dit tout haut ce que le lecteur pense déjà depuis belle lurette.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le bouquin fait la part belle à ce qu’on appelle les agents provocateurs, voire les « false flags » des conflits pas vraiment nets (y’en a-t-il d’ailleurs ?). En souhaitant exciter les lignes arrières des Sudistes, le commandement des États Fédérés met le doigt dans un engrenage qui menace de le bouffer tout cru. Le point d’orgue est atteint lorsque, pour réparer les dégâts et mettre un terme à la révolte black powa, le « bon côté de la guerre » décide d’aller trucider ce beau monde sous les couleurs des Confédérés. Et y’a toujours quelqu’un prêt à le faire (le bon Ripley, raciste un poil caricatural). Du joli en somme.

La douce morale de cette histoire est qu’il n’y a pas un belligérant pour rattraper l’autre. Le soyeux verni de la justification du conflit du point de vue du Nord, à savoir la liberté des Noirs, s’efface rapidement face à la réalité. Comme le dit Black Face, au Nord les Noirs sont libres, pourvu qu’ils cirent les godasses des hommes blancs (en attendant la fin de la guerre, ils officient en tant que fossoyeurs). A quoi bon aider un camp si son sort ne changera pas d’un iota ? Lutte contre la sécession ne signifie pas fin de la ségrégation.

…à rapprocher de :

– Dans cette série, vous trouverez également (dans l’ordre) sur le blog Des Bleus et des dentelles (transgressif, l’air de rien) et Les Cousins d’en face (sans plus, mais drôle au demeurant).

– Tiens, puisque Tigre parlait de Ségrégation, laissez tomber cette BD un peu fadasse et allez jetez un oeil à Dans la peau d’un Noir, de Griffin.

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Les textes du TigreLe Tigre a encore perdu un pari. J’avais dit être capable d’écrire en trois minutes un roman de même facture qu’un Musso, hélas j’ai échoué : un mot compliqué s’était glissé à la soixantième page. Mon gage ? Raconter une blague de très très mauvais goût en rapport avec L’histoire de Pi. Voici ma pénitence. Si vous avez d’autres blagounettes, je reste preneur.

Le lion, le tigre et la panthère

A la suite du naufrage d’un navire déménageant un zoo de l’Inde vers le Canada, tous les animaux ont coulé. Tous ? Non, une poignée d’entre eux est parvenue à rejoindre une île déserte à la nage. Barboter dans la flotte sur de longues distances étant un exploit que seuls les félidés peuvent réaliser, les naufragés ne sont que trois individus de cette espèce.

Léo (magnifique lion capturé près de Kinshasa), Titi (somptueux tigre de Sumatra) et Bagheera (aguicheuse panthère de Primorie) sont donc sur une petite île en attendant les secours. Ils ont de la chance, y’a plein de lapins sur place, aussi ils n’ont pas (encore) besoin de s’entre-tuer. Manger étant acquis, il appert au bout de quelques semaines que Léo et Titi ont toutefois un autre genre de besoin à satisfaire.

Le lion parle de ce souci en premier au tigre, à l’abri des oreilles de la panthère :

– Écoute Titi, j’ai beau réfléchir, je ne vois pas comment on va gérer nos vies sexuelles. On est deux beaux mâles, et il n’y a qu’une femelle à portée. Bagheera est tout à fait mon style, cependant je sais que tu lorgnes dessus également.

– Je pensais exactement la même chose. Autant rester gentlemen et mettre en place un système de rotation : les semaines paires, tu t’occupes de la panthère. Les semaines impaires, c’est à moi de me vider les glaouis. Ça te convient ?

– Bingo. Prem’s au fait.

Hélas, mille fois hélas, nos deux amis mettent un peu trop de cœur à l’ouvrage. Si bien qu’au bout d’un mois à peine la panthère ne tient plus le rythme et décède. L’accident bête. Titi et Léo sont au désespoir, ils redeviennent progressivement nerveux. Trois semaines après la mort de Bagghera, le tigre ne tient plus et interpelle son pote :

– Je suis à bout, faut absolument trouver quelque chose. J’ai bien une idée, et même si ce n’est pas vraiment mon orientation sexuelle je suis prêt à faire une exception.

– Je suis d’accord. J’ai bien cogité de mon côté, et la solution me paraît évidente. On n’a qu’à faire un peu comme avant : les semaines paires, tu fais la saillie, et les semaines impaires, je me fais plaisir à mon tour. Personnellement, ça ne me dérange pas, du moment que tu t’y prennes avec douceur.

– Ça marche. Prem’s.

Et la joie revient dans la petite communauté. Titi et Léo, plus légers, sont optimistes et ont retrouvé le sourire. Toutefois, au bout de quelque temps, un certain malaise se répand. Les deux félins n’ont pas été éduqués de la sorte, et malgré leur ouverture d’esprit ils sentent que ce qu’ils font est relativement sale. Le tigre fait part de son cas de conscience :

– Léo, je ne sais pas pour toi, mais de mon côté je ne suis pas sûr de vouloir continuer ce qu’on fait. Sans polémiquer, c’est quelque chose qui n’est pas vraiment naturel. Je n’ai que rarement vu ça au zoo, et j’estime qu’on s’abaisse au niveau des humains en baisant de cette manière.

– Moi aussi ça me dérange profondément. Mais que proposes-tu comme alternative ? Qu’est-ce qu’on va devenir ?

– D’abord, je propose qu’on l’enterre.

[je reviendrai]

Dan Simmons - FlashbackVO : idem. Joli pavé de thriller mâtiné d’anticipation sociale presque apocalyptique, le bilan est fort mitigé. Dan Simmons maîtrise certes tous les aspects de son scénario qui tourne autour d’une drogue aux multiples facettes, mais y’a comme un os quand il ne cache pas ses idées politiques pour présenter un univers sombre et exagéré.

Il était une fois…

États-Unis (du moins ce qu’il en reste), 2035. Nick Bottom est un ancien flic salement déchu. Drogué jusqu’à la moelle, il se voit pourtant proposer par Hiroshi Nakamura, milliardaire, de rouvrir une vieille enquête sur la mort du fiston du Japonais. A la dèche, notre héros accepte sa mission. Mais Dara, sa femme décédée dans un accident, s’invite étonnamment dans ses recherches.

Critique de Flashback

La critique se décomposera en deux parties : d’abord je ferai part de l’enthousiasme et dans les thèmes j’évoquerai le malaise de lire un tel roman. Un peu comme un « j’adore ce que tu fais, mais je ne cautionne pas comment tu le penses ».

Le flashback est une fabuleuse substance qui aurait été mise au point par les Israéliens avant qu’ils ne soient vitrifiés. Dans ce futur, l’Amérique n’est pas à la fête et se shoote (dont le héros) à cette drogue. Lors du tournage d’un documentaire vidéo à ce sujet, le fils du puissant Nakamura se fait tuer. Le mystère est entier autour du mobile ou de l’assassin, et Nick Bottom va aller de surprises en surprises en remontant, traditionnellement, le fil de l’histoire : le dealer Delroy, les toxicos présents sur les lieux, un gros trafiquant, chaque interrogatoire amène de nouvelles questions.

Les chapitres sont numérotés en fonction de trois narrateurs : Nick bien sûr ; Val, le fiston mal dans sa peau qui se compromet gravement ; et Leonard, le grand-père qui va tenter de fuir L.A. (au centre d’une guerre entre Japonais, Spaniques et amerloques). Trois générations, trois histoires qui se rejoignent progressivement. Road movie, thriller, anticipation sociale désenchantée, le malaise est omniprésent.

Au final, je me suis régalé question intrigue. Pas trop de temps morts, des scènes d’action à peu près crédibles (à peu près hein), des technologies bien décrites (les attaques par satellite ou les armures de combat notamment). Outre les idées de l’auteur, on pourra reprocher (comme tous les romans de Simmons) que ça finit désespérément bien alors qu’il y avait matière à faire un horrible dénouement.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Si le fauve a bien aimé le rythme et l’intrigue de ce roman, pourquoi lui attribuer la pire note ? C’est à cause des idées distillées au fil de l’œuvre et tendant à expliquer le monde dans lequel le lecteur patauge. Face à tant d’exagération, je pensais que Dan plaisantait gentiment, sauf que le gus semble être un néo-con pur jus. Déjà, Simmons se plait à faire les parallèles entre deux républiques : d’un côté, celle du Texas, libérale et presque parfaite. De l’autre, la République de Boulder, petite communauté qui a accumulé les mauvais choix : soutien anti-sioniste, dépenses en énergie verte (ah oui, le réchauffement climatique n’est pas dû à l’activité humaine selon Dan…), système de santé gratos et inefficace, etc.

Dans l’univers de Flashback, le monde a commencé à partir en sucette à l’horizon 2015 (un coup pour la crédibilité) : les States ont mis en place un ambitieux programme d’aides sociales (l’UE aussi), précipitant leur banqueroute. Souhaitant ne plus maintenir leur rôle quasi divin de gendarme du monde, naturellement les pays musulmans se sont regroupés en une puissante organisation, le Califat Islamique Global (sic). Attaques nucléaires contre Israël, invasion progressive de l’Europe (les pays « Dhimmis ») où la charia a cours, tous les fantasmes et caricatures ont pris vie.

Du coup, c’est le Japon qui a repris les rênes du Grand Jeu en recréant sa sphère de coprospérité (mais avec courtoisie, hem). La Chine n’est qu’un innommable bordel de luttes entre clans où sont envoyés les jeunes soldats états-uniens comme mercenaires. Quant au pays du Soleil Levant, celui-ci est revenu au temps du Moyen-Age avec son système de vassaux et daimyo qui ont remis à l’ordre du jour les Keiretsu. L’intrigue du roman est d’ailleurs, au final, qu’une sombre histoire de pouvoirs entre Nakamura et d’autres seigneurs pour devenir le Shogun qui conseillera l’empereur du Japon. Rien que ça.

Le flashback (et plus encore sa deuxième version, légende urbaine ?) est ainsi l’expression du mal qui ronge l’Occident : au lieu de se tourner vers l’avenir, les Américains ne font que prendre cette drogue afin de revivre des instants heureux pendant quelques heures. Le héros se revoit avec sa femme, son fils revit l’anniversaire de ses quatre ans, tous ont une raison de fuir la réalité pour replonger dans leurs glorieux passés. L’Amérique, qui n’est que l’ombre d’elle-même, est le marché le plus porteur du flash tandis que d’autres nations ont repris le flambeau du leadership mondial (forcément, c’est pire).

…à rapprocher de :

Tigre a beau taper ici sur Simmons, faut quand même savoir que c’est un des rares auteurs à s’inviter dans presque toutes les catégories de ma bibliothèque:

– D’abord, y’a les polars, comme la saga avec Joe Kurtz (la trilogie est géniale), héros qui rappelle Nick. Sauf que ce dernier est placé dans un monde encore plus amoral et sans loi.

– Ensuite, l’horreur. Disons qu’il a tenté de verser dans cet art avec L’échiquier du mal (une cata à mon sens).

– Enfin, et surtout, la SF. Que ce soit Les Cantos d’Hypérion ou Ilium doublé d’Olympos, là on se fait plaisir. On notera que la religion est toujours en embuscade.

– Hors Simmons, l’univers me rappelle grandement ceux du bon Maurice G. Dantec (lui aussi qui ne porte pas l’Islam en grande estime) avec sa saga Liber Mundi.

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Chloé Cruchaudet - Mauvais GenreSous-titre : D’après La garçonne et l’assassin de Fabrine Virgili & Danièle Voldman. L’histoire de Louise et de Paul, déserteur pendant la Grande Guerre et qui choisi le travestissement pour éviter la cour martiale, est pour le moins surprenante. Guerre, amour, mélange des genres, tout est abordé avec une certaine finesse. Et le trait est adapté. Que demande le peuple ?

Il était une fois…

Juste avant la guerre, Paul rencontre Louise et la pécho dans lors d’une mémorable soirée. A peine marié, l’époux part sur le front affronter les troupes allemandes. Après une expérience particulièrement traumatisante, Paulo se casse. Rester seul caché dans un appart’ ne lui sied guère, il sent qu’il va perdre la boule. Aussi l’idée vient au couple de déguiser le monsieur en femme : épilation laser, apprentissage des codes, notre héros mâle est fin prêt. Vraiment ?

Critique de Mauvais Genre

C’est marrant, je me suis (encore) fait avoir : en regardant l’image de couv’, je me suis dit : « chouette alors, encore un truc de lesbiennes ! Ça va être sexe à souhait… ». Mais l’illustrateur, en esquissant le derrière de la personne de dos, a fait preuve de loyauté vis-à-vis du lecteur : il s’agit d’un homme.

Cet homme devient alors Suzanne et grâce à son épouse travaille dans une usine de de dentelles. La guerre se terminant, le héros est toujours recherché (l’amnistie se générale faisant attendre) et devra attendre de nombreuses années avant de se montrer aux autorités. D’ici là, le couple entretient des liens ambigus, avec de nombreuses disputes sous l’emprise d’alcool. Le début de l’œuvre, qui se passe dans un tribunal, fait entrevoir une fin tragique qui ne manque pas de sel.

Si l’intrigue est séduisante car tirée d’un essai qui rapporte des faits réels, Le Tigre a regretté quelques planches à la limite de l’incompréhensible, comme si le scénario passait du coq à l’âne – d’où la note négative. Peut-être les années folles, agrémentées de consommation excessive de certains produits, avaient besoin de quelques entorses à la linéarité de l’histoire. Heureusement que les illustrations ne font pas mal aux yeux : sorte de teintes pastel dont les cases ne sont pas clairement délimitées, comme si on les frontières n’étaient pas bien définies (cf. thèmes).

Que ce soient des vues d’ensemble de qualité ou un sens du détail, tout est fait pour donner une facilité de lecture déconcertante (faut dire que la présence de textes est discrète). Tout ça pour dire que cette BD m’a fait l’effet d’un exercice scolaire certes réussi, néanmoins ce n’est pas le style d’ouvrages que je lis par défaut. Je devrais pourtant.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Fermement décidé à se faire passer pour une gonzesse, Paul va apprendre les subtilités de la féminité et de la manière de se comporter. Ce n’est peut-être pas pour rien que le rouge est la seule touche de couleur dans l’œuvre. Comment marcher, toucher les objets (comme si ceux ci étaient éminemment fragiles), parler sans se faire griller,…je me suis demandé si ce n’était pas le contraire du féminisme, se livrer ainsi à un travail de mimétisme assez caricatural. Pour l’époque, sûrement pas – peut-être.

Au-delà la démonstration de la place occupée par les femmes pendant la guerre (l’économie a su tourner sans les hommes), Le Tigre a vu dans Mauvais Genre une ode à la liberté totale, que ce soit dans le choix (lâche pour certains) de se transformer ou vivre une vie de couple forcément différente. Hélas, nos protagonistes ont du mal à s’accommoder à cette configuration inédite, et Paul ne semble pas gérer les possibilités d’être une femme. Cela commence par jouer un peu trop sur sa féminité (quel homme ne le ferait pas ?), puis on fait vite n’importe nawak dans le bois de Boulogne…

Le félin vous prévient, du coup, que cette BD est destinée aux adultes. Y’a quelques dessins de zizis ou de scènes de violences conjugales à ne pas mettre entre toutes les mains.

…à rapprocher de :

– Sur l’envie pressante, au début de Mauvais Genre, de se barrer du théâtre d’opérations de la WWI, il y a le bon Tardi et son incontournable C’était la guerre des tranchées.

Plus trop d’idées pour l’instant, mais ça viendra bien un jour.

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Les Sutras du TigreEn voilà une phrase bien mystérieuse. Tigritude oblige, je vais tenter d’appliquer cette maxime à la littérature. En particulier à la lecture, activité dont le félin a pu, progressivement, en faire son activité de référence. Non seulement il n’est jamais trop tard pour se mettre à lire, mais en plus être cultivé ne nécessite pas de se conformer aux classiques dont on vous rabâche les oreilles.

Qu’est-ce que serait le temps perdu ?

Le Tigre se souvient exactement quand cette foutue phrase a été prononcée. Ce fut en l’an de grâce 19XX, lorsque mon professeur de Français m’a, entre quatre yeux, dit quelque chose de ce genre : écoute Tigrou, tu es bien gentil. Je vois que tu fais des efforts, tu as un beau potentiel. Sauf qu’à ton âge, ça ne sert à rien de te taper tous les classiques que tu n’as jamais lu. Le temps te manque, c’est définitivement trop tard. Alors apprend par cœur une ou deux citations, et surtout serre gravement les fesses le jour du concours. Maintenant arrête de pleurer.

Sur le coup, j’avais compris que le temps à jouer sur ma NES pendant des années aurait pu être plus judicieusement employé à dévorer quelque littérature en vue de briller à des examens et concours que d’autres voulaient que je passe. A force d’assurer le minimum syndical et de procrastiner tout commencement d’ébauche d’achat d’un livre, j’avais des connaissances littéraires aussi larges que l’esprit de Madame Boutin [choisissez qui vous voulez pour le nom].

Une des raisons ? Le Tigre a été gravement maltraité pendant sa jeunesse littéraire. Quelques exemples : Molière en début de collège, avec le vocabulaire du XVIIème quand on ne saisit guère celui d’aujourd’hui ; dès douze piges, Cicéron en VO, comme si creuser plus profond dans l’ennui ne suffisait pas ; un an après, le bon Zola et son Assommoir, qui porte trop bien son titre ; les tragédies de Sophocle ; Emmanuel Kant et Henri Bergson ; Bourdieu et Hugo, que des titres qu’un mineur ne devrait pas avoir à lire.

Soit la taille du machin me rebutait terriblement, soit je buttais à chaque phrase (qui, au passage, faisait quinze lignes). Pendant dix ans, l’Éducation Nationale a distillé en moi la crainte de la lecture, le comptage systématique de pages restantes du roman, la satisfaction ultime de finir le dernier chapitre – même si je n’avais rien bité à l’ensemble de l’œuvre.

Bref, tout ça pour dire que le félin n’était pas connu pour ses notes en Français ou en philo. C’est par dépit que je me suis tourné vers les mathématiques (en classe) et les langues (à la récré), faisant de moi un être réfractaire à ceux que j’appelais, par paresse, les EEDDD (Écrivains Européens Décédés Depuis des Décennies). Pas un seul prof’ pour me dire qu’à part R. L. Stine, Asterix ou Le Canard Enchaîné, d’autres objets littéraires étaient à portée.

Pourquoi il n’est jamais trop tard pour lire

La vingtaine passée, voilà dans quel état d’esprit j’étais. Jusqu’à ce fameux jour en classe prépa où l’enseignant m’a jeté, à la gueule, que je ne pouvais rattraper le temps perdu pour sauver les meubles dans toute épreuve de Culture Générale. Le voilà le problème : la Culture G., épreuve reine qui est aux concours ce que la roulette russe est à un casino : une aberration. Ce n’est qu’à la fin des exams que je me suis sérieusement mis à lire.

Des années après, voici la réponse tigresque au professeur. Aucune acrimonie ni esprit de vengeance à l’encontre de cette personne qui m’a donné le coup de fouet intellectuel nécessaire à mon épanouissement. Il s’agit juste de te donner, cher lecteur, un début de répartie que je n’ai jamais pu avoir (c’est une des définitions de l’esprit de l’escalier) :

Déjà, ânonner que le temps dont on dispose serait incompréhensible est une bêtise sans nom. Quand l’envie est là, vous seriez surpris des opportunités de lecture dont vous disposez. Pour Le Tigre, cela a commencé par diviser le nombre d’heures de sommeil par deux et consacrer le surplus à dévorer des romans graphiques. Ce ne fut pas un bon plan, au bout de quelques mois le burn out n’était pas loin. Je me suis donc rattrapé en lisant dans les transports, voire en marchant. A force de parcourir des milliers de lignes, enfin, je me suis aperçu qu’inévitablement mon rythme augmentait.

Ensuite, il faut se mettre d’accord sur le terme « culture ». C’est, à mon sens, plus une expérience personnelle que se soumettre à une liste de livres prétendument incontournables. Faut pas avoir honte de sa bibliothèque, j’ai traversé mes études supérieures en invoquant Fight Club, James Bond ou Batman. J’ai certes appris à présenter mes exemples contemporains de manière cohérente et structurée, mais il y a largement matière à discuter.

En fait, une personne curieuse et pas trop atteinte aura plus de facilité à remplir une dissert’ avec ses références de mangas qu’un lèche-cul au premier rang en mode « copier-coller du cours ». Sans compter que ça fera plaisir au correcteur.

Le dernier argument est plus une attaque ad hominem, néanmoins ceux qui vous diront que « c’est trop tard » auront, à peu de chose près, le même profil : des individus à l’intelligence crasse solidement campés sur leur morale bourgeoise. Dire que le temps perdu ne se rattrape jamais, c’est annoncer que jamais le lecteur tardif ne saura profiter pleinement du cinquième art. Tant qu’à pousser la réflexion plus loin, autant aussi admettre le principe de reproduction sociale chère au système éducatif de nombreux pays.

Ce n’est pas parce que vos parents sont analphabètes et que vous êtes en formation pour devenir thanatopracteur que vous ne pourriez pas briller aux dîners de la baronne avec vos lectures. Inversement, il est arrivé au félin d’avoir des envies de commettre un seppuku à cause d’un thésard en littérature comparée qu’un malheureux plan de table a mis à mes côtés. C’était d’un chiant…

Conclusion rattrapée

De néophyte assumé en matière de littérature et incapable de lire plus de 400 pages d’un classique, le fauve est devenu, en moins de cinq années, une machine de guerre de lecteur mûr pour raconter sa vie sur la toile. Rome ne s’est pas faite en un jour, cependant la première pierre posée a constitué un déclic et m’a furieusement donné envie de bâtir une ville éternelle aussi bigarrée que bordélique : une bibliothèque. A vous de faire de même.

Concernant le rapport entre le numéro du présent Sutra et le sujet traité, Tigre a cru comprendre que l’expression Le temps perdu ne se rattrape jamais est de Jules Romain, qui est décédé en 1910.

Lob & Rochette & Legrand - Transperseneige : Intégrale« C’est le Transperceneige aux mille et un wagons. C’est le dernier bastion d’la civilisation ». Apprenez cette maxime par cœur, on va vous la répéter plus que de raison. Après une catastrophe climatique sans précédent, un train immense se meut sur l’immensité gelée de la planète. A l’arrière, la plèbe. A l’avant, les riches et la sacro-sainte machine.

Il était une fois…

Cette intégrale regroupe trois scénarios plus ou moins indépendants de 80 pages environ chacun :

L’échappé (paru en 1984, l’année de naissance tigresque !) : Proloff est un pur queutard – ne vous méprenez pas ! C’est ainsi qu’on appelle ceux en queue de train. Il est « sélectionné » par la belle Adeline pour remonter le convoi afin de rencontrer les huiles. Celles-ci veulent procéder au regroupement de l’arrière du Transperceneige en vue de larguer quelques wagons. Mais le chemin en vase clos est semé de nombreuses embuches.

L’Arpenteur (paru en 1999) et La Traversée (paru en l’an de grâce 2000) sont les deux derniers volumes avec au scénario Benjamin Legrand suite au décès de Jacques Lob. Puig est maqué à Val, la fille du dictateur (Kennel) du Brise-neige, petit frère du Trans’ et roule sur les mêmes rails à quelques lieues derrière. Le héros découvre, grâce à son boulot de sentinelle (il doit sortir de temps à autre), des choses assez dérangeantes. Luttes internes, vaines recherches de vie extérieure ou arrêts fréquents, ça sent le sapin.

Critique du Transperceneige

Bande dessinée majeure des années 80 créée par Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, reprise à la fin des années 90 pour deux volumes supplémentaires, Le Tigre a apprécié autant le concept que le rythme du scénar’ – même si ça fait vieillot dans l’ensemble, que ce soit le réchauffement climatique inversé ou l’absence de technologies.

Tout semble avoir commencé par une bombe ou quelque chose pour réparer le climat. Sauf que ça a correctement foiré et la température extérieure est passée à moins 87°. Heureusement que quelques riches individus ont eu l’idée de se préparer une petite place douillette (quelques flashbacks à ce sujet), en l’espèce un train à mille wagons. Une sorte d’arche de Noé en période glaciaire au sein de laquelle le lecteur découvrira, progressivement, les terribles problématiques que le bon peuple ne peut imaginer. Et cela grâce aux aventures de quelques destins d’exception : Proloff, puis Puig, tour à tour marionnettes puis révolutionnaires.

Si l’histoire accuse quelques légères longueurs (sur plus de 270 pages, rien de grave), il faut noter un sérieux travail sur la construction narrative : non seulement le déroulé des péripéties apporte une fluidité agréable, mais les textes sont géniaux. Par exemple, la présentation du train ou de la situation font l’objet de courts versets qui touchent presque à la poésie. Quant aux illustrations de Rochette, le noir et blanc du premier tome est assez rustre par rapport aux autres que j’ai préférés. Visages plus « hallucinés », traits plus lisses et décors désertiques, Tigre a failli frissonner en parcourant ces neigeuses pages.

En conclusion, une expérience de pensée et visuelle que je recommande à tous. Et puis cela fait plaisir de lire une BD qui se termine, logiquement, très mal. Tourner en rond autour de la Terre ne sert à rien, et tenir la populace par des jeux ou des simulations ne suffit pas à constituer une civilisation sur un déclin annoncé. Remplacez le Transperceneige par la planète bleue, et voilà pour le pessimisme.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce que Lob (repris par Legrand) tend avant tout à dénoncer est la connerie de l’être humain capable de reproduire, en période de crise intense, tous les travers de notre belle société. Le capitalisme outrancier en particulier avec une organisation sociale tout pyramidale : les queutards à l’arrière du train, les plus riches devant. Le cloisonnement (portes fermées, gardées) est efficace et passer d’un wagon à l’autre est impossible, donnant de facto une représentation concrète de la paroi de verre empêchant toute ascension sociale.  La lutte des classes prend alors la forme d’une volonté de « remonter » de train, tout cela pour aboutir à une machine muette mue par un mouvement perpétuel.

Lorsque tout semble perdu, l’espoir des individus se tourne vers des croyances assez particulières. Quoi de plus normal de vénérer Sainte Mère Loco ou faire allégeance qui à un dictateur, qui à des hommes d’église comme le bon révérend Dickson. En effet, il appert que la locomotive est une entité exigeante à la limite de l’organique, comme une femme qui serait en demande de compagnie. Enfin, certains vont plus loin dans leur foi en délirant sur le fait qu’ils seraient dans un vaisseau spatial, le vide les entourant. Eu égard le dénouement, ne seraient-ils pas, dans une certaine mesure, dans le vrai ?

…à rapprocher de :

– Dans la série apocalypse-qui-nous-transforme-en-bêtes, Tigre pense naturellement aux romans de Ballard, par exemple Le Monde englouti. Voire Ravage, de Néné Barjavel.

– Le film sorti en 2013 est une bouse finie. Visuellement correct, mais les incohérences piquent plus les yeux qu’un blizzard en plein Himalaya.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette intégrale en ligne ici.