Sokal - La Cadillac blancheUn détective alcoolo et peu reluisant doit traverser une zone belliqueuse en vue de libérer une otage – qui, au passage, ne sert à rien. Accompagné d’un journaliste empêtré dans un métier pourri, Canardo ne sera pas au bout de ses surprises : les anciens protagonistes font leur apparition tandis que la bêtise humaine se montre sous son plus beau jour. Vive la guerre.

Il était une fois…

Le paysan, plus son malheur est grand, plus il est taiseux. Et le porc vendant des céréales avariées au no man’s land et dont la fille a été kidnappée en est un bel exemple. A peine il explique son cas qu’il fait la tronche parce qu’un pauvre journaleux, attiré par la belle Cadillac du détective Canardo, a vent de l’affaire. La fameuse Cadillac, qui consomme plus que le héros, lui permettra de voyager d’un monde à l’autre, et même de négocier avec les plus grands.

Critique de la Cadillac blanche

Sixième opus des pérégrinations du nonchalant Canardo, et le rythme reste globalement satisfaisant. Nul besoin d’être fin connaisseur de l’univers du héros, même si les rencontres de personnages d’antan (Clara, le lapin flic, ou encore la délicieuse Carmen rencontrée dans l’album précédent) restent des clins d’œil qui se laissent apprécier.

Sokal - La Cadillac blanche extrait 1Un fil directeur ici : la recherche d’une gosse ignare prisonnière d’une faction armée qui sévit, parmi tant d’autres, dans une région en plein conflit depuis Mathusalem. Notre héros remonte lentement le fil, néanmoins ses recherches l’amènent à découvrir tout un univers surprenant tournant autour de cette guerre. Et le scénario s’épaissit. D’abord, une ville qui tient à la fois du Sarajevo (pour les tueries aveugles et la notion de siège) et d’une île française (dont je tairais le nom) par la multiplicité de ses factions de combat.

Ensuite, il y a le brave Klapov, journaliste de son état qui végète comme un gland dans un village où les seules informations à publier concernent la disparition du chat de la voisine. Klapov est niais, gentil, ne tient pas l’alcool et est limité question répartie. Mis à part la sympathie qu’on peut éprouver, tout l’oppose à Canardo, Le journaliste évoluera progressivement au fil des pages, jusqu’à faire montre d’initiative et de courage, avec ce qu’il faut d’opportunisme pour tirer son épingle du jeu. Enfin, énième rencontre avec Carmen, jeune femme devenue séduisante en diable, mais victime et surtout participante d’une boucherie à ciel ouvert.

Le tout étant serti d’un humour presque malsain, sur le ton badin de la normalité, portant sur des actes plus ou moins glorieux de l’Homme (ici, des animaux anthropomorphes) en période d’intense conflit. Ce décalage entre les enjeux (de vie et de mort) et la rengaine de « la vie continue » est constant, que ce soit un match de football en fond sonore pendant l’aventure ou l’existence des journalistes, gentiment parqués dans leur hôtel de luxe au milieu d’une ville à feu et à sang – quant à l’otage, son cerveau s’est fermé à toutes les nouvelles choses vues, son paradigme ne pouvant prendre en compte ce qui se passe au-delà de la rue où elle habite.

Bref, encore un tome à lire, assez noir sur le ton, mais revigoré ici et là par des illustrations plus que correctes. Les visages des animaux/personnages trahissent rapidement les caractères, le lecteur saura rapidement à qui et à quoi il a affaire, sauf en ce qui concerne le lieu de l’action – on passe du désert à la ville, des geôles moyen-orientales à l’opulence occidentale le temps d’une balade en voiture. Au surplus, toujours le quatrième mur qui est parfois tranquillement brisé – on s’y fait.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Sokal - La Cadillac blanche extrait 2Amusant comme Sokal sort quelques « clichés » sur les conflits tels qu’on les voit à la télé pour les appliquer à une zone de tension au beau milieu d’une campagne qu’on devine aisément occidentale. Avec les mêmes vautours qui rôdent. Des tireurs embusqués prêts à canarder pour un oui ou pour un non, jusqu’à oublier les raisons de leurs combats – rien que le mec qui attend l’heure de départ des hostilités tel un fonctionnaire qui ne peut commencer avant l’horaire syndical… Les nombreux individus qui ont tout à gagner et profitent largement de la situation, que ce soient les participants  à une curieuse « école de guerre » où tout le monde vit en paix pour mieux apprendre à tuer (sans compter les vendeurs d’armes) ou des soi-disant terroristes désireux de faire parler d’eux.

Comme souvent dans les aventures canardesques, le journalisme en prend gentiment pour son grade. Ici, les deux extrêmes de ce métier montrent leurs plus jolis travers. Déjà, le journalisme consistant à ne titiller que les instincts primaires des masses : les jeux (ici, le football) et le sensationnel sans pour autant élever l’esprit aux problématiques qui dépassent le canton (le journalisme de clocher). Tout ceci personnifié par l’employeur de Klapov, un rédac’ chef d’un journal juste juste assez bon pour emballer le poisson. De l’autre côté, il y a le grand reporter, celui dans tous les bons coups et qui n’hésite pas à profiter de sa notoriété. L’immense Ballingway est parfait dans le rôle du reporter reconnu qui fait autant plier les rédactions que les femmes, et parvient par s’octroyer la blanche Cadillac d’un Canardo qui ne peut faire le poids (si le nom du personnage vous rappelle un correspondant de guerre U.S., c’est normal).

…à rapprocher de :

– Pour l’instant, et avec le même héros, Le Tigre peut vous entretenir, dans l’ordre, de :  Noces de brume (ai moins aimé) ; L’Amerzone (un classique) ; Marée noire – une de mes préférées, sans doute parce que plus récente. D’autres Canardo arriveront sur le présent blog.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

gregory-mion-lamerique-cinquante-et-des-poussieresGregory Mion nous emmène au pays de l’Oncle Sam, là où tout n’est qu’’excès (grandeur et décadence) et opportunités. En cinquante courts chapitres (un par État fédéré) soigneusement rédigés, ce sont plusieurs personnages aux destins imbriqués que le lecteur suivra – destinées dramatiques, drôles, et parfois extraordinaires. De la production du maïs aux orchestres symphoniques, bienvenue dans un monde où l’individu ne s’appartient plus.

Il était une fois…

Un détestable magnat du maïs boulimique, un restaurant français qui s’écroule avec fracas, une jeune femme pleine de talent qui sort avec un Chicano constructeur de labyrinthes, une famille endeuillée après un accident de voiture, etc. Des dizaines de saynètes qui se recoupent, s’auto-référencent jusqu’à former un tableau complet contant une certaine histoire de l’Amérique.

Critique de L’Amérique Cinquante et des Poussières

Deux petites choses à savoir avant d’entrer dans le vif du sujet. D’abord, en préface, l’auteur explique comment il a entrepris d’écrire un chapitre du présent ouvrage par jour. 2 mois de boulot acharné après son séjour aux States pour un résultat impubliable – il a l’honnêteté de l’avouer lui-même. Puis la volonté de ressortir des limbes numériques son projet pour le rendre présentable. Enfin, Gregory M. est une connaissance épistolaire du félin qui s’émerveille, à chaque fois, de sa prose. Voilà pour la subjectivité du billet.

Là encore, c’est le style du trentenaire qui fait de ce tour d’horizon de l’Amérique un voyage d’exception. Le vocabulaire est d’une richesse incroyable, c’est de la chirurgie de haute précision qui s’attache à plonger au plus profond de la psyché des personnages pour en tirer tout ce que le comportement humain a de reptilien, répugnant (et ce grâce à un personnage diabolique qui revient plus d’une fois sous le faisceau du projecteur de Mion) mais aussi grandiose. A un tel point que le lecteur ne sait plus trop si les descriptions physiques de certains expliquent leur psychologie ou s’il s’agit de l’inverse.

Bref, nous voilà face à un roman dense dont la couverture donne clairement le ton : c’est un roman mosaïque où le maïs, plus que les humains, est le protagoniste. Mosaïque car chaque chapitre apporte quelques indices, quelques fragments d’un scénario comportant une bonne dizaine d’individus dont les liens apparaissent progressivement. Certes Mion établit ces liens de façon certes un peu grossière au début (dix premiers chapitres), mais les allusions à tel ou tel individu se font plus fines, jusqu’à atteindre un niveau d’interconnexion si subtile que ça confine à l’art. Et, en prime, un dernier chapitre sis en Californie où la plupart des protagonistes se retrouvent, ignorant évidemment les liens les unissant – et, comble du bonheur, ça se termine mal.

Quant au maïs, celui-ci renvoie à la grosse industrie agro-alimentaire U.S. qui pèse des milliards. Un restaurateur français pète un câble après qu’un rat a été trouvé dans une boîte d’un produit créé par M. Collins, industriel aussi efficace que violent, ce qui déclenche une suite d’évènements. Lesquels impacteront (le félin n’aime guère ce verbe) des existences en apparence paisibles, de la jeune Laura suivie par un cabinet de recrutement sur mesure à quelques journalistes, en passant par des joueurs de Las Vegas ou un employé de zoo passé expert en labyrinthes végétaux. Rien de plus ne sera dit, parce que l’histoire prend une tournure trop intéressante pour que Le Tigre ici vous lâche tout.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le tour de force de Mion est d’avoir pu m’offrir une balade presque complète dans un pays diversifié et multiple. Ses capacités descriptives semblent infinies, le mec est autant à l’aise pour rendre compte d’un show politique au pays des Mormons qu’aux manœuvres politiciennes dans une université américaine. Et lorsqu’il s’agit de mœurs de prisonniers handicapés ou de dialogues à bâtons rompus entre WASP bien établis, il y a suffisamment de matière pour ricaner jaune (le chapitre 22, sur le Texas, est savoureux en diable). D’une paisible partie de pêche à la frénésie d’un restaurant ou d’une salle de rédaction, en passant par l’influence d’un moignon d’une conférencière sur l’histoire moyenâgeuse,  l’écrivain maîtrise tout : rythme, vocabulaire, forces et faiblesses de chacun, logique du comportement, etc. Le fauve ne se risquerait pas à évoquer un quelconque rapprochement avec un essai publié par Tocqueville, toutefois BHL et consorts peuvent se coucher.

Quoique…si Tocqueville nous entretenait de la démocratie en Amérique, Mion serait plutôt du genre à dégoiser sur la tyrannie en Amérique.

En effet, Mion semble jouer avec ses personnages qui apparaissent tous être les marionnettes de quelque chose d’irrésistible. Les petites gens sont manipulées par plus fort (plus riche surtout) qu’elles, les mêmes plus forts trouvant toujours un obstacle insurmontable les forçant à emprunter une autre voie. Les êtres ne semblent ici guère maîtriser leurs trajectoires, lesquelles étant fortement suggérées par l’imprévisibilité ou le comportement d’autrui. Il en ressort une sensation de douce résignation qui se mue en injustice dès lors que le seul individu à être au-dessus de la mêlée appert être le pire connard du roman. La violence et la méchanceté, main dans la main pour contrôler l’Amérique et ses cinquante États. Pour les autres ? Les poussières du titre.

A rapprocher de…

J’ai parfois la faiblesse de penser que le père Mion est assez unique dans  son genre, alors voici ce que vous pourrez trouver sur lui sur le modeste blog tigresque :

L’arracheur des petites âmes, autre pépite même si quelques passages sont un tantinet longuets.

– Des nouvelles qui vous ouvrent (percent, plutôt) l’esprit sont à retrouver dans c La littérature nazie en France, ouvrage d’une rare violence. Pour un exemple du genre de nouvelles, il y a Bastien Gadenne (1971-1999) disponible sur le blog.

Avec l’assentiment du reptile, grosse nouvelle (ou petit roman) qui fait état d’un style volontairement emphatique, jusqu’à une savoureuse boursoufflure.

Sinon, pour ce qui est des histoires dites « mosaïques », le félin pense davantage à certains films qui se doivent d’être vus, du genre Babel, Magnolia, etc.

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Kirkman & Moore & Rathbun - Brit, Tome 1Sous-titre : Baroudeur. Dans un pays soumis à des menaces aussi diverses que terribles, il est un surhomme auquel les pouvoirs publics font automatiquement appel. Car Brit est invincible et tape avec une régularité de métronome sur qui d’un E.T., qui d’un manipulateur mental, etc. Alors, forcément, quand il semble saigner du nez, ça fout les jetons à ses employeurs qui veulent à tout prix préserver son don…

Il était une fois…

Chose assez rare pour être signalée, la présentation de l’éditeur sur ce comics est plus que passable. Voici ces termes :

« Il est le dernier recours de la nation en détresse. Quand des super-tordus menacent de recouvrir le sol américain de cadavres, on envoie Brit. Lorsque des dictateurs en mal de reconnaissance envahissent leurs pays voisins, on envoie Brit. Et si une bande d’aliens baveux font de la Lune la base avancée de leur future invasion de la Terre, on bombarde la zone, puis on envoie Brit faire le ménage. »

Critique de Baroudeur, premier tome de Brit

Premier tome d’une série qui ne devrait guère en compter plus de trois, le félin a été relativement séduit par l’état d’esprit de Kirkman et son scénario : prenez un mec assez vieux (mais jeune d’esprit) et indestructible, mettez-le face à des menaces aussi grossières que marrantes, par exemple une bête immonde venue d’une tierce dimension ou un dictateur d’une énième république bananière qui a décidé de tout foutre en l’air, et puis admirez le spectacle.

Ledit spectacle consiste en un court briefing, puis l’affrontement. Le méchant est imposant, fout un bordel monstre, Brit en prend plein la gueule, on se dit qu’il ne peut survivre à tant de violence. Et puis non, voilà le héros qui sort des décombres pour asséner une exemplaire correction à l’indélicat – humain ou non – qui se retrouve, en moins de deux pages, les quatre fers en l’air. Le tout correctement rendu grâce à des illustrations franches et précises. Le sang coule à flot, les couleurs sont vives et les personnages, au milieu de l’action, gardent des expressions détaillées. En ajoutant des textes plutôt sobres, inutile de dire que la lecture est d’une rare fluidité.

Cette fluidité est possible à condition que vous ne vous posiez pas trop de questions. Car les bastons se suivent à un rythme correct, sans analyse sur le pourquoi du comment de telles menaces ou sur le devenir de Brit…à l’exception de quelques pages surprenantes où, à la suite de divergences de vues entre notre ami et Cecil (le boss de l’agence qui emploie Brit) ce dernier est mis en danger par les siens et doit se faire la malle avec sa petite amie dans son repaire qui n’a de secret que le nom. Voici une énième péripétie au milieu de saynètes qui se suivent à vitesse grand V, aussi le lecteur en quête d’une « intellectualisation » de la condition du superhéros sera grandement déçu.

Alors, que penser de Baroudeur ? Le héros invincible, c’est du Superman (quoique…la krypnonite) et du Wolverine en boîte, du déjà vu. Sauf que Brit (le tome) parvient à échapper à la répétition. Et le principal attrait de ce tome est, justement, que le lecteur peut laisser son cerveau à côté, sur la commode. En espérant que les tomes qui suivent dégoupilleront un peu les quelques questionnements légitimes pour rendre la saga un tant soit peu complète.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’infaillibilité du héros. Voilà un sujet qui revient dans presque tous les comics. Cet aspect est ici traité sous le seul prisme de ses capacités physiques. Brit est indestructible, mais ça fait des décennies qu’il sauve le cul du pays. Et il n’est pas impossible que cela s’arrête un jour – le héros faisant la nique au proverbe « personne n’est immortel ». Alors, quand après une rencontre houleuse les scientifiques croient déceler une goutte du sang de Brit qui perle de son pif, la machine à égoïsme se met en route : n’est-il pas temps de disséquer la bête humaine pour espérer, plus tard, reproduire ses capacités ? Doit-on attendre confirmation de sa déchéance, au risque de perdre tout espoir de « façonner » un successeur ? Tout cela, évidemment, sans demander l’avis du principal intéressé…

Au milieu de la castagne et des grands tableaux d’hémoglobine, Robert Kirkman et Tony Moore distillent quelques chapitres plus personnels sur ce bon Brit. Notamment sa relation avec une jeune strip-teaseuse d’une vingtaine d’années, fraîche en tout point et amoureuse d’un homme surpuissant qui a l’aspect (et doit être nettement plus vieux) que son daron. Discussions sur l’avenir du couple, la première rencontre avec beau-papa / belle-maman, tout est fait pour nuancer la bourrinitude du superhéros. Il en est de même d’un de ses collègues qui s’avère être un cyborg et continuant, cahin-caha, à mener une vie de famille. Dans les deux cas, vie personnelle et vie « professionnelle » ne sont jamais longtemps cloisonnées et leur frontière s’avère être aussi perméable qu’un string d’actrice porno avant une scène de gang-bang.

…à rapprocher de :

– Du même Kirkman, il y a également la série Invincible, avec un héros peu prise de tête pour des combats rapides et un scénario sur l’origine des personnages qui tiendra sur un timbre poste des années 20.

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Hubert Guilpin - Bière et Santé[avec la préface du Docteur Georges Duhamel, s’il-vous-plaît]. Rien que le titre présage d’excellents moments de convivialité. La bière, c’est bien. Avec modération certes, mais n’importe quel élément de la population (du nourrisson au vieillard) y trouvera son compte. Voici l’ouvrage parfait à lire à une audience passionnée durant de longues soirées d’hiver.

De quoi parle Bière et Santé, et comment ?

Hubert Guilpin. Retenez bien ce nom les amis. Licencié en MBA dans une certaine institution dénommée Harvard, USA. Diplômé de la vile école HEC. Apparemment récipiendaire d’un obscur prix décerné par l’Académie française dans les années 70 pour un truc dont je n’avais jamais entendu parler. N’empêche, le CV du mec appelle un certain respect, ouais : il a de la bouteille (sans jeux de mots).

Bière ET santé. Retenez maintenant ce titre. Publié en 1954 avec un style et des références des années 30. 200 exemplaires pondus par l’imprimeur. Lesquels sont hors commerce – je ne vendrai mon exemplaire pour tout l’or du Pourquoi si peu ? Le Tigre hésite entre le pari consistant à prendre un alcool au pif et à lui trouver le plus de qualité ou le pressentiment que l’essai n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est dommage parce que ce bouquin, outre un phrasé particulier, se lit assez facilement. Il est notamment aisé de détecter le raisonnement qui hante chaque chapitre.

Prenons par exemple le chapitre relatif aux effets (forcément bénéfiques) de la binouze sur l’enfant. D’abord, on rappelle à quel point l’alimentation de cette tranche d’âge obéit à certains impondérables à la trivialité éprouvée :

L’organisme de l’enfant est un mécanisme des plus délicats ; ses fins rouages sont l’objet d’un ajustement perpétuel qui conduit lentement vers la relative stabilité de l’âge adulte. On ne saurait donc trop insister sur l’importance du régime alimentaire de l’enfant. Ces mystérieuses transformations, qu’on appelle croissance, réclament de toute évidence une alimentation riche et abondante ; mais la fragilité du petit de l’homme demande également que cette alimentation soit choisie, triée.

Voilà pour le gosse. Ensuite, il convient de démontrer à quel point la pression est adaptée aux besoins du type de population traité :

La démonstration de cette valeur alimentaire de la bière est aisée ; il suffit de mettre en parallèle les besoins caloriques, plastiques, vitaminiques de l’enfant en croissance, d’une part, et, d’autre part, de dresser le tableau des constituants de la bière.

Puis la conclusion, sans appel :

Ce sont ces caractères chimiques qui expliquent le pouvoir calorique et la parfaite digestibilité de la bière chez les enfants.

Maintenant, imaginez l’ouvrage divisé en plus d’une vingtaine de chapitres, la plupart recoupant toutes les catégories de l’Humanité : la femme enceinte, le sportif de haut (et de bas) niveau, le malade, le vieillard, le travailleur manuel (ou intellectuel), l’adolescent, les vieilles filles, etc. Et bah figurez-vous qu’après 100 pages de ce régime, le besoin de faire une pause (une sorte de cellule de dégrisement littéraire) se fait largement sentir. Pas en raison de l’aspect scientifique contestable ou du message véhiculé par le brave Guilpin (ça dépend de vous en fait), mais parce que le message est vite compris : question alimentation, y’a pire que la bière.

Outre l’inénarrable plaisir à lire des passages en entier, au petit bonheur la chance, à un auditoire improvisé, cet essai devra se conserver précieusement entre les deux choppes de bière berlinoise gardées en souvenir et dont vous ne vous servez plus depuis 2006.

Ce que Le Tigre a retenu

Avant de parler de ce délicieux élixir de déjouvence, il me semble utile de préciser que l’auteur fait appel à un nombre incalculable de docteurs, médecins, nutritionnistes et autres sommités. C’est simple, dès que quelque chose du genre « Voici quelques avis médicaux qui viennent appuyer de toute leur autorité ces assertions » apparaît, le lecteur est parti pour quelques citations prélevées chez quelques individus dont on ne saura rien question conflit d’intérêt…

…sauf les plus évidents, à l’image d’un certain Jean Raux dont les enseignements sont souvent rappelés. Bon, le fait que Raux soit directeur de la brasserie de Nancy est un détail, hein. Il en est de même d’obscures scientifiques allemands attachés à des instituts dont les intitulés font plus penser à un Rotary de la bière qu’à une académie de médecine (vous me direz qu’ils œuvrent parfois dans les deux). Sans compter que les citations, passablement courtes, ont sûrement été soigneusement sélectionnées pour faire dire n’importe quoi à des hommes (peu de femmes en effet) à la parole d’or.

Le félin exagère dans la mesure où on ne saurait allègrement cracher sur cet ouvrage qui rappelle, en tant que de besoin, que tout doit être consommé avec modération – même l’eau, j’imagine. Car, comme le rappelle le bon docteur, « une seule réserve peut être formulée : là comme ailleurs, il convient d’éviter les excès ». A savoir ne pas dépasser le demi-litron pour les gosses ; un litre de bière après l’entraînement de foot, ça on peut – le fauve n’a pas attendu l’autorisation de Guilpin. Voilà l’esprit de l’époque : mangez et buvez de tout, mais sans privilégier un aliment spécifique. Car la bière est un aliment et comporte de quoi entretenir (sinon soigner) tout ce que le corps compte comme organe.

Et les méfaits de l’alcool ? La réponse m’a paru être la suivante : l’essayiste rappelle, à de nombreuses reprises, ce qu’était la bière d’après-guerre : des boissons à vocation familiale, produites localement, qui ne tiraient à pas plus de 2,5 degrés. Du cidre. Le premier alcool que nos parents consentaient à nous laissez boire – la bretonnitude du Tigre consistant à préférer boire un litre de cidre plutôt que son équivalent en coca le perdra. Rien à voir donc avec cette saloperie de 8.6 ou les bières fadasses donc facilement buvables qui ont souvent eu raison de la dignité votre serviteur.

Que retenir ? Ne dépassez pas un litre de bière par jour. Soit une pinte, eu égard le taux d’alcool observé au 21ème siècle. Rien n’est dit avec la consommation concomitante d’autres boissons alcoolisées. N’empêche, avec une dizaine d’essais de ce genre portant sur autant d’alcools, il y a de quoi bâtir une génération d’alcooliques anorexiques – pratique qui consiste à perdre du poids en ne buvant que l’alcool nécessaire à ses apports en calorie. Oh, merde, Hubert Guilpin était un visionnaire.

…à rapprocher de :

Merde, je n’ai rien qui se rapproche de près (et même de loin) à pareil ouvrage. Demerden Sie Sich.

Ferri & Larcenet - Le retour à la terre, tome 1Sous-titre : La vraie vie [oui, parce qu’en ville, on ne vit pas réellement ]. Lorsqu’un citadin pur et dur quitte Juvisy pour s’installer dans la campagne dite profonde, l’acclimatation promet d’être aussi délicate que marrante. BD épurée mais complète sur les affres du changement, avec en prime quelques moments d’une rare émotion.

Il était une fois…

« Un jour, Mariette et moi on en a eu marre de la ville, alors a loué un camion pour mettre nos cartons et on est partis vivre aux Ravenelles… Les Ravenelles, c’est chouette, c’est la campagne et il y a des arbres, des fleurs, et des oiseaux… A l’arrivée, nous attendait Monsieur Henri. Il nous a gentiment tendu les clefs… »

Critique du premier tome du Retour à la terre

Après avoir eu le cerveau pété par quelques titres du sieur Larcenet (notamment Blast), le félin a souhaité en savoir plus sur les productions de l’auteur, présentement accompagné de Jean-Yves Ferri. Point de fantastique ou d’aventure épique, uniquement une expérience largement autobiographique et teintée de juste ce qu’il faut d’exagération pour rendre le tout profondément rigolo. Le tout via de courtes histoires, chacune occupant invariablement une demie-page – les liens entre les saynètes étant nombreux.

Ferri & Larcenet - Le retour à la terre, tome 1 extrait1Commençons par ce qui a (relativement) déplu à votre serviteur. Les illustrations, qui ont ce quelque chose de plutôt brouillon au premier abord, savent se faire néanmoins apprécier lorsque Manu sort les grands tableaux où Dame Nature apparaît – trop rarement à mon goût. En outre, les personnages ont ce quelque chose d’enfantin, sans compter les réactions de certain qui, sans être excessives, restent assez stéréotypées – exemple du paysan taiseux. Aussi l’impression de lire quelque chose à destination des gosses est tenace, sans que cela ne soit un mal en soi.

Heureusement que les individus dépeints par Larcenet renforcent l’intensité de l’aventure. Le frangin Tip Top qui débarque et manque de mourir de trouille tellement la campagne ne lui convient pas, une vieille que le lecteur s’imagine aussi médisante qu’aigrie avant de changer son avis, les voisins accueillants, etc. L’auteur parvient à nous faire aimer les autochtones autant qu’il les apprécie. On frôle même le mystique avec un ancien maire (reconverti en ermite après un désespoir fiscal) ou Monsieur Henri, le taulier dont l’esprit reste insondable. Cependant, il est dommage que les protagonistes (en l’espèce, Manu et sa zouz’) paraissent les moins réussis – disons qu’ils ne suscitent pas la même sympathie.

En guise de conclusion, Le Tigre fut légèrement déçu. Avec un titre qui promet monts et merveilles, votre serviteur s’est retrouvé face à une histoire banale. C’est ce que j’appelle le biais de l’expérience : sans doute j’en attendais trop de la part de l’artiste, qui ici a posé ses préjugés de citadin pour nous inviter, le plus simplement possible, à revisiter la nature. Et rester dans son sujet (« mon expérience à la campagne ») nécessite une certaine sobriété – quitte à se faire offense.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

ferri-larcenet-le-reFerri & Larcenet - Le retour à la terre, tome 1 extrait2our-a-la-terre1-extrait2Évidemment, Larcenet et Ferri se font plaisir à évoquer les mille petits (dés)agréments qu’on ne peut que rencontrer à la campagne – dans une ville, il faut s’accrocher. L’alcool du voisin qui arrache le gosier (c’est l’eau de vie qui explose la glotte, pas le voisin hein) ; la coupe des arbres (je vous laisse imaginer le désastre) ; la boulangère vis-à-vis de laquelle les fantasmes pullulent ; les fameux trois Anglais dont les fantômes planent dans l’esprit des protagonistes ; et surtout passer un rude hiver dans cette immensité qu’est la campagne. En effet, ce qui frappe Manu est avant tout la grandeur de l’espace dans lequel il évolue, ce qui ne manque pas de lui causer de fabuleuses crises d’angoisse – rêves bizarres ou se cacher dans un carton dès que ça sent le roussi.

In fine se pose ainsi la question de l’adaptabilité de l’être humain, lequel doit désapprendre certains réflexes de citadins (notamment le rapport à la technologie) pour mieux épouser la terre. Le résultat est, d’une part, une émotivité exacerbée couplée au légitime vertige de se sentir plus vivant, et d’autre part, la fierté de s’en sortir dans ce nouvel univers – y’a qu’à voir quand Manu invite ses potes à lui rendre visite. L’auteur pense ainsi être sur la bonne voie d’un retour à la terre dont la ville l’avait privé. [mode sociologue de comptoir on] C’est toutefois oublier que la terre, même si plus « naturelle » que le béton, n’est point la nature. La campagne n’a rien à voir avec cela, il s’agit d’une zone intensément traitée par l’Homme pour correspondre à ses besoins – certes, on y trouve de drôles d’oiseaux, mais pas plus qu’au salon du livre. A moins que l’expérience à la campagne ne soit vécue comme une forme d’étape régressive avant de vivre comme un sauvage à la manière d’un Thoreau.

…à rapprocher de :

– De cet auteur, le félin fut très souvent delighted : notamment l’immense Blast qui se doit d’être lu et relu.

– Plus généralement, la « redécouverte » de la nature est un thème souvent rabâché en BD, que ce soient Jojo et Grand Louis dans Un été du tonnerre, ou Vacances à Saint-Prix (en lien) de Chris & Julien Flamand, Paul à la campagne, de Michel Rabagliati..

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les textes du TigreJ’ai fait un rêve marrant cette nuit. J’ai rêvé que le pays était à feu et à sang. A cause d’une idée que j’avais eue et qui a été appliquée par magie. Au fur et à mesure que celle-ci prenait forme, elle était mise en œuvre. L’idée ne me semblait pas vilaine au premier abord, mais elle a tout fait péter. Et plutôt bien. Voilà comment.

Faire payer les charges sociales par les salariés

C’était d’une simplicité désarmante. Je me demandais même pourquoi personne n’y avait pensé. En une phrase : tout salarié touche l’intégralité de ce que son entreprise paye pour lui – salaire brut, charges sociales, mutuelles, complémentaire santé, urssaf, cancras et carbalas.

Dans le songe du Tigre, je voyais Madame Michu toucher 5.000 euros en fin de mois. Georges, son patron (les rêves du félin sont misogynes), n’avait plus rien à payer en son nom. Aucun rappel de cotisations qui lui tomberait sur la gueule. Le C.D.I. de Madame Michu avait beau être une réalité, elle était payée comme une collaboratrice libérale. Mais sans la T.V.A. C’est aussi ce qui faisait particulièrement plaisir à l’employeur de Dame Michu : il n’avait à faire aucune fiche de salaire. Georges était aux anges, un correct pourcentage de paperasse et de tracasserie s’envolait.

Et les cinq kilos euros de notre amie ? Madame Michu, comme tous les Français dans mes rêves, a un compte en banque. Si elle n’en avait pas, une banque étatique y pourvoirait. Donc la mère Michu dépose son chèque à la banque. Appelons-là la BPP (Banque Panama Papers). Le relevé bancaire de l’employé a quelque chose de différent. Il est scindé en deux parties. Y’a une partie brillante sur laquelle va la moitié de ce que touche le salarié. Il en fait ce qu’il veut. C’est à lui, jamais l’Etat n’ira y promener ses gras doigts avides. Ou presque.

Dans l’autre partie du relevé, sur la droite, y’a les 2.500 euros restants. Cette partie est plus terne, avec une bonne vingtaine de lignes et autant d’intitulés différents. Dans mon rêve, je retrouve des formules dignes d’une fiche de salaire. Et d’autres termes tels que « paiement IR (n-1) », « prélèvement trimestriel taxe foncière » ou « abonnement RATP ». Tous les trucs que l’État (ou un de ses nombreux monopoles) vous prendra en temps normal. La seule certitude de votre existence, avec la mort.

Curieusement, c’est cette partie droite du relevé que Madame Michu consulte le plus. C’est son argent, Georges a fait un chèque à son nom. Pourquoi ne peut-elle pas opérer un virement depuis cette partie ? Elle ne paye pas autant de charges sociales que ça, il lui reste au moins 1.000 euros de solde sur le compte. Il y aurait encore d’autres impôts à payer au cours de l’année ? Sans doute, l’Administration fiscale ne le sait pas encore. Tout dépend de ce qu’il restera après le Règlement Annuel de l’Impôt des Personnes Physiques.

Le RAIPP a lieu le 25 décembre, ce qui en fait un jour davantage attendu par les parents que par leurs enfants. Parce que le 20 décembre est exceptionnellement jour de paie. Et que l’Administration fait avant le 25 vos comptes de l’année. Celle-ci calcule les derniers prélèvements trimestriels au prorata de votre situation, établit une provision pour risques de contrôle fiscal (un pourcentage, statistique, modeste), et enfin vérifie que la totalité des prélèvements obligatoires de l’année colle avec un certain pourcentage de vos revenus de l’année précédente.

Cela explique notamment la mauvaise surprise de Madame Michu. Merde, sur 500 euros de prime que Jojo lui a accordée dernièrement, pourquoi elle ne touche que 200 euros et pas 250 ? Parce qu’il faut en garder une partie pour payer le surplus d’impôt sur le revenu de l’année prochaine, ma p’tite dame.

Ainsi, au 31 décembre, le solde éventuel qui se trouve dans la partie droite du compte en banque de Madame Michu est automatiquement viré de l’autre côté. Pratiquement, la plupart des travailleurs français se font créditer entre 5 et 10% de ce qu’ils ont été contraints de laisser de côté.

Vous voyez le topo ? Cela me semblait juste et bon. La mentalité de mes compatriotes allait changer :

Tout d’abord, la sempiternelle rengaine des patrons consistant à ânonner « les charges sont trop élevées » se déplacerait vers tous les salariés. On leur rappellerait chaque mois le niveau d’imposition qui pèse sur le travail, sur eux, par rapport au capital ou aux différentes rentes. Pour une fois, Madame Michu lirait attentivement les mêmes mentions portées sur son ancien bulletin de salaire et comparerait l’évolution de l’impôt chaque année, lorsqu’elle ne découvrirait pas de nouveaux prélèvements imaginés par nos hommes politiques dont la créativité dans ce domaine ne cesse de surprendre. Peut-être alors s’intéresserait-elle à la chose publique, voire demanderait à l’État une sorte de quitus pour savoir, concrètement, où va une bonne moitié du chèque qu’elle touche.

Ensuite, une bonne partie des tracas administratifs des entreprises (en particulier les PME) seraient, par un juste retour des choses, déportés vers les mêmes administrations les ayant imposés. Il reviendra aux services de l’État de déterminer, calculer et prélever les différentes charges. Madame Michu allait surveiller ça de près, et déjà songe à rejoindre un collectif de défense chargé d’auditer l’impôt de ses membres histoire de voir si l’Administration n’a pas la main trop lourde.

Enfin, les pouvoirs publics ne se sentiraient plus de joie : les principaux prélèvements seraient assurés ! Non seulement les sommes nécessaires sont bloquées jusqu’aux justes paiements à la puissance étatique, mais cet argent immobilisé jusqu’au virement libératoire produit des intérêts, lesquels sont pour moitié versés à l’administré, l’autre moitié revenant à l’Administration.

Et le cauchemar s’installe

C’est là que mon rêve devient intéressant. Parce que je me suis réveillé. Je pensais l’être. Tout était trop brillant, et mes capacités cognitives étaient sans commune mesure avec la réalité. En prenant l’infâme métro jusqu’au 8ème arrondissement, les manchettes de journaux et informations télévisuelles parvenaient directement à ma connaissance. Et ce que je voyais n’était pas beau. Car toute la population s’est sentie baisée.

Les premiers à gueuler ont été, sans surprise, les syndicats. Donner pour mieux retirer, qu’est-ce qu’il peut avoir de plus malsain ? Le saint statut du salarié est en danger, et tend à se rapprocher du prestataire de services ! De plus en plus de gens vont avoir recours au travail au noir, d’autres se verront imposer un paiement en partie en liquide et le solde sur le double compte, les prestations dont ils bénéficient (dont les droits de retraite) seront forcément minorées.

Et que dire de la bave rageuse coulant des gueules des chefs d’entreprise ? Merde, on asphyxie le pays en donnant directement au salarié une telle somme ! La trésorerie de la boîte est devenue catastrophique, et y’a même plus moyen de négocier avec l’urssaf pour des paiements différés (voire minorés).

La droite libérale manque l’arrêt cardiaque. Bloquer la moitié de la rémunération du salarié, quelle infamie ! L’impôt n’est plus déclaratif, mais prélevé a priori par l’Administration : un tel renversement de la charge de la preuve est une honte ! Ce crypto-communisme tendance big brother numérique est le principal fossoyeur d’une liberté fondamentale de tout individu, la propriété.

La gauche de l’échiquier politique français est également furieuse. Elle pointe notamment une tendance qui s’installe progressivement : la décomposition des cotisations et impôts est un appel à sélectionner ceux qu’on veut bien payer. L’universalité de l’impôt va disparaître, et par la même la solidarité citoyenne. Déjà quelques personnes militent pour ne pas payer les cotisations spécifiques au régime de retraite, acceptant par avance de ne toucher aucune somme une fois qu’ils ne travailleront plus. La fin de la retraite par répartition. Idem pour les cotisations chômage. La Nation court à sa perte !

Seule satisfaction : ceux qui beuglent le plus fort restent les politiciens. Obligés de rendre des comptes avant les élections, imaginez. Les maires qui apprennent que de plus en plus de citoyens décident de décocher des services municipaux (lesquels apparaissent être de copieux copinages), faisant de facto baisser la taxe d’habitation. Le pire reste l’accès public de la feuille d’imposition du politicien moyen : horreur, les citoyens s’aperçoivent qu’en plus d’être bien payés, les députés/sénateurs/ministres/secrétaires d’État sont soumis à largement moins d’impôt que le quidam. Le peuple gronde. Le peuple pose des questions relatives à l’acceptation de l’impôt. Le peuple dit des gros mots qui riment avec 89.

Bref, question chaos, ça commençait à prendre forme. Celle d’une jolie guerre civile en préparation. Y’avait une drôle d’odeur dans l’air en plus. Ça sentait la trouille et le règlement de compte, la remise à plat. Si la salle d’attente d’un cabinet d’un psychothérapeute spécialisé dans les troubles d’une Nation devait avoir une odeur, c’était exactement ça. Et moi d’humer l’air. Pour mieux renifler l’ambiance, j’ai entrepris d’escalader un pilier de l’arc de triomphe.

Arrivé aux deux tiers de mon escalade, j’ai contemplé le spectacle : la place était noire de monde. Soudain, j’ai entendu un énorme son sortir des baffles de l’avenue des Champs Elysées : « mais quel est le fils de catin qui a eu cette brillante idée ? ». A ce moment, toute la foule s’est tournée, comme un seul homme, vers ma petite personne. La clameur est montée, j’ai chuté. J’ai fui en me réveillant.

Je ne saurais vous dire s’ils me huaient ou m’acclamaient. A votre avis ?

[ceci n’est que de la littérature, un rêve stupide, une invitation à la réflexion et ne reflète aucunement les vues politiques du félin]